L'enseignant-chercheur que je suis porte sur ces questions un regard peut-être plus distancié que d'autres, même si j'ai également exercé des fonctions opérationnelles en participant à la commission nationale des aides de l'ADEME où j'ai eu une connaissance très locale des investissements d'avenir, que complètent des recherches et des publications sur l'économie de l'innovation verte et la politique industrielle.
La sous-consommation des PIA consacrés à la transition écologique s'explique pour partie par l'absence de rentabilité économique des technologies vertes tant que les politiques publiques ne créent pas la demande correspondante – j'entends par « politiques publiques » non pas les seules mesures de soutien direct à l'innovation, mais l'ensemble des politiques environnementales d'ordre normatif ou fiscal comme le marché du carbone, par exemple. En effet, la principale faiblesse qui limite l'innovation verte en France tient moins aux dispositifs de soutien à l'innovation qu'à la demande en technologies vertes. Aujourd'hui, la tonne de CO 2 vaut 6 euros sur le marché du carbone, soit un prix en baisse de 15 % depuis la COP21 – ce qui atteste du faible crédit qu'accordent les acteurs de ce marché aux engagements pris à Paris – tandis que le prix du baril de pétrole, qui a un effet direct sur les politiques environnementales, s'établit à 40 dollars. De telles conditions économiques se traduisent par la réduction massive des efforts des différentes parties prenantes en matière d'innovation et d'efficacité énergétique.
Se pose ensuite la question de savoir si les crédits sont concentrés au stade le plus pertinent de la chaîne d'investissement, depuis l'invention d'une technologie jusqu'à son déploiement concret. Il faut y répondre avec prudence : en 2014, la France a consacré 178 millions d'euros aux mesures de soutien public à la recherche et au développement dans le secteur photovoltaïque. Or, dans le même temps, elle a dépensé 2,7 milliards d'euros sous la forme de tarifs garantis pour déployer les installations photovoltaïques. Autrement dit, elle a consacré vingt fois moins de moyens à l'apprentissage par la recherche (learning by searching) qu'à l'apprentissage par la pratique (learning by doing) – puisque chacun sait que les installations photovoltaïques ne sont pas encore rentables et qu'elles ne sont déployées aujourd'hui que pour devenir rentables demain. Dès lors, il ne me semble pas qu'il faille réduire la voilure des PIA – c'est-à-dire l'apprentissage par la recherche ; au contraire, il me semble utile de maintenir les efforts consacrés à la recherche et au développement.
J'en viens à la gouvernance des PIA. À la différence du crédit impôt-recherche, qui est déployé de manière uniforme, le PIA repose sur le ciblage de produits particuliers. En l'occurrence, il me semble très utile que l'État fasse des choix, non seulement pour limiter les effets d'aubaine liés à des opérations de grande envergure, mais aussi pour ne pas laisser aux entreprises le contrôle d'un système totalement décentralisé. L'État doit en effet se doter d'une vision stratégique et d'une politique industrielle lui permettant de bâtir l'avantage comparatif de la France dans une économie verte entièrement mondialisée.
Cela étant, qui dit ciblage dit prise de décisions complexes. Un PIA n'est pas un processus administratif ordinaire ; or, je crains que l'on n'entende simplifier la procédure pour l'accélérer, au détriment de la qualité du mécanisme de sélection des projets. La plus-value qu'apporte ce dispositif tient précisément au fait que l'on prend le temps de la décision, sachant que cette décision est difficile, compte tenu du risque de capture par de grandes entreprises dont la puissance désavantage les PME, et du fait que certaines de ces entreprises sont multinationales – ce qui pose la question de la destination des fonds, qui ne vont pas nécessairement produire des retombées sur le territoire national. De ce point de vue, la commission nationale des aides, qui a été supprimée, contribuait utilement au processus.