Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Réunion du 30 mars 2016 à 17h00

Résumé de la réunion

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  • PIA
  • technologie

La réunion

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Je vous remercie, messieurs, d'avoir répondu à notre sollicitation pour aborder avec vous la question de la mise en oeuvre des programmes d'investissement d'avenir (PIA) et du financement de la transition écologique.

Notre mission est née du constat selon lequel les crédits des PIA finançant la transition écologique sont sous-consommés ou réorientés en direction d'autres missions budgétaires, en l'occurrence la défense et les nanotechnologies. Nous avons souhaité comprendre les raisons de ces réorientations et pourquoi les crédits des PIA consacrés à la transition écologique étaient moins consommés que les crédits d'autres PIA. C'est aussi l'occasion pour nous de chercher comment adapter au mieux ces PIA de telle sorte qu'ils soient plus opérationnels dans l'intérêt de la transition écologique et des besoins des entreprises, en vue de la préparation du PIA 3. Nous allons donc formuler des recommandations concernant l'évolution des PIA en les plaçant dans le contexte général de la transition écologique et de la chaîne de valeurs, c'est-à-dire en intégrant les outils de mise en oeuvre opérationnelle des investissements ainsi réalisés.

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Matthieu Glachant, professeur d'économie

L'enseignant-chercheur que je suis porte sur ces questions un regard peut-être plus distancié que d'autres, même si j'ai également exercé des fonctions opérationnelles en participant à la commission nationale des aides de l'ADEME où j'ai eu une connaissance très locale des investissements d'avenir, que complètent des recherches et des publications sur l'économie de l'innovation verte et la politique industrielle.

La sous-consommation des PIA consacrés à la transition écologique s'explique pour partie par l'absence de rentabilité économique des technologies vertes tant que les politiques publiques ne créent pas la demande correspondante – j'entends par « politiques publiques » non pas les seules mesures de soutien direct à l'innovation, mais l'ensemble des politiques environnementales d'ordre normatif ou fiscal comme le marché du carbone, par exemple. En effet, la principale faiblesse qui limite l'innovation verte en France tient moins aux dispositifs de soutien à l'innovation qu'à la demande en technologies vertes. Aujourd'hui, la tonne de CO 2 vaut 6 euros sur le marché du carbone, soit un prix en baisse de 15 % depuis la COP21 – ce qui atteste du faible crédit qu'accordent les acteurs de ce marché aux engagements pris à Paris – tandis que le prix du baril de pétrole, qui a un effet direct sur les politiques environnementales, s'établit à 40 dollars. De telles conditions économiques se traduisent par la réduction massive des efforts des différentes parties prenantes en matière d'innovation et d'efficacité énergétique.

Se pose ensuite la question de savoir si les crédits sont concentrés au stade le plus pertinent de la chaîne d'investissement, depuis l'invention d'une technologie jusqu'à son déploiement concret. Il faut y répondre avec prudence : en 2014, la France a consacré 178 millions d'euros aux mesures de soutien public à la recherche et au développement dans le secteur photovoltaïque. Or, dans le même temps, elle a dépensé 2,7 milliards d'euros sous la forme de tarifs garantis pour déployer les installations photovoltaïques. Autrement dit, elle a consacré vingt fois moins de moyens à l'apprentissage par la recherche (learning by searching) qu'à l'apprentissage par la pratique (learning by doing) – puisque chacun sait que les installations photovoltaïques ne sont pas encore rentables et qu'elles ne sont déployées aujourd'hui que pour devenir rentables demain. Dès lors, il ne me semble pas qu'il faille réduire la voilure des PIA – c'est-à-dire l'apprentissage par la recherche ; au contraire, il me semble utile de maintenir les efforts consacrés à la recherche et au développement.

J'en viens à la gouvernance des PIA. À la différence du crédit impôt-recherche, qui est déployé de manière uniforme, le PIA repose sur le ciblage de produits particuliers. En l'occurrence, il me semble très utile que l'État fasse des choix, non seulement pour limiter les effets d'aubaine liés à des opérations de grande envergure, mais aussi pour ne pas laisser aux entreprises le contrôle d'un système totalement décentralisé. L'État doit en effet se doter d'une vision stratégique et d'une politique industrielle lui permettant de bâtir l'avantage comparatif de la France dans une économie verte entièrement mondialisée.

Cela étant, qui dit ciblage dit prise de décisions complexes. Un PIA n'est pas un processus administratif ordinaire ; or, je crains que l'on n'entende simplifier la procédure pour l'accélérer, au détriment de la qualité du mécanisme de sélection des projets. La plus-value qu'apporte ce dispositif tient précisément au fait que l'on prend le temps de la décision, sachant que cette décision est difficile, compte tenu du risque de capture par de grandes entreprises dont la puissance désavantage les PME, et du fait que certaines de ces entreprises sont multinationales – ce qui pose la question de la destination des fonds, qui ne vont pas nécessairement produire des retombées sur le territoire national. De ce point de vue, la commission nationale des aides, qui a été supprimée, contribuait utilement au processus.

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Les précédentes auditions nous ont plutôt laissé penser que les délais de sélection avaient été utilement raccourcis. Avez-vous à l'esprit un exemple précis qui indique que cette accélération nuirait à la qualité de la sélection ?

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Matthieu Glachant, professeur d'économie

Je ne propose qu'un raisonnement théorique : les décisions de sélection sont difficiles et, s'il est en effet souhaitable qu'elles soient prises rapidement, toute mesure de simplification doit conduire à s'interroger sur le maillon de la chaîne qui se trouve affecté. Il ne me semble pas à cet égard que la commission nationale des aides était un maillon inutile : composée d'experts plus indépendants que d'autres, elle constituait un lieu dans lequel le risque de capture par les groupes d'intérêts était moins élevé. Sans doute une analyse coûts-bénéfices a-t-elle finalement conclu à la pertinence de supprimer cette instance ; quoi qu'il en soit, la qualité de l'évaluation me semble requérir la plus grande prudence.

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Alain Grandjean, économiste

Sur les 35 milliards d'euros que la commission Juppé-Rocard avait envisagé de déployer dans les investissements d'avenir, 9 milliards étaient consacrés au développement durable en ciblant notamment un axe lourd, la ville de demain – axe qui consistait en des programmes urbains intégrés, des programmes de développement des transports collectifs décarbonés et des projets de rénovation thermique du logement social.

Que cette nomenclature ait été conservée ou non, il me semble important de considérer la transition écologique et énergétique comme une donnée dont il faut nécessairement tenir compte, et non pas comme un simple secteur d'investissement. La notion de politique monétaire verte, par exemple, que M. Pascal Canfin et moi-même prônions dans notre rapport de l'an dernier, a fait sourciller bon nombre d'interlocuteurs pour qui la Banque centrale ne se résoudrait jamais à mettre en oeuvre une politique industrielle sectorielle de cet ordre. Il ne s'agit pourtant pas d'une politique sectorielle : ce qui importe, c'est de déterminer quel est l'impact des investissements en termes de ressources et de pollution.

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Le critère d'éco-conditionnalité ne répond-il pas à cette préoccupation, et quel bilan tirez-vous de sa mise en oeuvre ?

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Alain Grandjean, économiste

Je l'ignore ; il est très difficile d'obtenir des informations précises en la matière. De même, j'ignore si la part des crédits du PIA – de l'ordre d'un quart – autrefois réservée aux technologies vertes est toujours d'actualité.

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Les crédits des PIA sont alloués à différentes missions, et ceux qui ont été consacrés à la transition écologique ont été sous-consommés, d'où leur redéploiement vers d'autres missions.

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Alain Grandjean, économiste

Au fond, les PIA trouvent leur origine dans la suggestion qu'a faite Henri Guaino à Nicolas Sarkozy de lancer un grand emprunt de 100 milliards d'euros au lendemain de la crise financière. Cette idée d'inspiration keynésienne a donné lieu à d'importants plans de relance verte (green stimulus) dans d'autres pays, en Corée et plus encore aux États-Unis, par exemple. Elle était pertinente, même si les objectifs économiques sont demeurés trop modestes. Cela étant, le degré de maturité des technologies vertes était très différent à l'époque de ce qu'il est devenu aujourd'hui. Songez que dans le secteur de l'énergie solaire, le tarif d'achat initial était de l'ordre de 400 euros par mégawatt-heure contre environ 100 euros aujourd'hui. De même, dans le secteur de la rénovation et de l'efficacité énergétique, les acteurs du bâtiment et des travaux publics étaient très sceptiques et, en 2007, la question des normes dans l'immobilier neuf faisait débat, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui, à l'ère des bâtiments à énergie positive (BEPOS). Autrement dit, faire de l'innovation le fil conducteur des PIA, comme le prônait Alain Juppé, n'allait pas de soi par rapport au projet initial.

Se pose en outre un problème d'ordre sémantique concernant la notion de technologie. Ma proposition, à l'époque, de développer les scieries, par exemple, a été accueillie avec la plus grande perplexité, au motif que ce secteur était d'une trop grande simplicité technologique.

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Alain Grandjean, économiste

Et pour cause : c'est un secteur d'innovation qui a du sens. Quoi qu'il en soit, ce n'est pas tant le caractère technologique des projets qui importe que leur inscription dans le cadre plus large d'une politique industrielle destinée à faire face à la concurrence internationale, et leur complémentarité avec les initiatives du secteur privé. De ce point de vue, les nouveaux modèles d'agro-écologie et d'agro-foresterie sont particulièrement innovants, d'autant plus que les agriculteurs, très endettés, ont beaucoup de difficultés à traverser cette période de transition d'un modèle à l'autre.

Autre facteur important : le point de vue des chefs d'entreprise, que les aides n'intéressent pas si elles portent sur des projets qui se commercialisent mal. Certes, les mesures d'ordre normatif prises dans le cadre de la loi de transition énergétique devraient susciter leur intérêt – je pense notamment aux obligations de rénovation du parc tertiaire qui créeront des besoins. De façon générale, cependant, le sous-équipement prévaut.

Dernière question : la répartition des moyens alloués par la Banque européenne d'investissement (BEI) dans le cadre du plan Juncker. La BEI est-elle tant attachée à sa note AAA qu'elle doit coûte que coûte éviter tout placement à risque ? Manifestement, elle a choisi d'augmenter nettement l'enveloppe de ses derniers. Reste à savoir si elle investira ces fonds dans des projets en phase de perte initiale : en effet, la garantie publique peut seule susciter l'intérêt des acteurs bancaires, lesquels n'agissent jamais de manière désintéressée. Il me paraîtrait donc parfaitement légitime d'accompagner des projets qui n'en sont plus au stade de l'innovation pure mais au stade délicat où les taux de rendement et le niveau de risque dissuadent les banquiers de se mobiliser.

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Bernard Maître, président d'EMERTEC Gestion

Depuis vingt-cinq ans, mes activités consistent à financer les ruptures technologiques dans différents domaines. Issu du secteur privé et passé par le secteur public, j'ai créé l'activité de capital-risque du groupe BNP, mais aussi celui de la Caisse des dépôts. J'ai exercé les fonctions de directeur de l'énergie à l'Agence des participations de l'État, j'ai remis en route le processus de création d'entreprises au Commissariat à l'énergie atomique (CEA) mais j'ai aussi créé la première grande société privée de capital-risque dans le domaine de l'internet. Le fonds de financement des écotechnologies que je dirige aujourd'hui a deux grands actionnaires publics, le CEA et la Caisse des dépôts, et une moitié d'actionnaires privés. Il va de soi que les écotechnologies englobent les énergies renouvelables mais vont bien au-delà : nous traitons de questions concernant l'eau, l'air, l'économie circulaire, mais aussi la transition entre la pétrochimie et la chimie biosourcée – un phénomène considérable qui pèse déjà plusieurs dizaines de milliards d'euros. J'ai donc participé au développement de technologies très différentes, depuis les semi-conducteurs et les métiers du logiciel – qui, à bien des égards, demeure encore artisanal – jusqu'aux biotechnologies, aux télécommunications et à l'internet.

Le développement des écotechnologies se heurte d'emblée à une réalité économique : la transition énergétique ne correspond pas à une demande massive du marché que susciterait la perspective d'une forte rentabilité. L'économie ne se prête guère au développement de projets sans rentabilité à court terme. De plus, l'effondrement du prix du pétrole fait durablement passer à la trappe un certain nombre d'investissements, qu'il sera d'autant plus difficile de relancer dans un contexte volatil.

Dans ces secteurs, d'autre part, les politiques de financement de projets en phase initiale – non rentable – ont connu des variations qui ont profondément affecté le tissu industriel, jusqu'à ruiner toute une génération d'investissements – soit plusieurs centaines de milliards d'euros. Dans le secteur du photovoltaïque, par exemple, même s'il convient, en effet, de continuer à financer la recherche fondamentale, aucun investissement ne révolutionnera plus l'équilibre mondial de la production et, dans ces conditions, mieux vaut privilégier l'apprentissage par la pratique plutôt que par la recherche, car la guerre semble, hélas, déjà perdue.

De ce point de vue, les acteurs publics devraient selon moi décider en matière de transition écologique en s'appuyant sur nos points forts, plutôt que sur nos points faibles. Et en toute indépendance, ils devraient tenir compte des positions des acteurs économiques. Plusieurs secteurs ont ainsi été sous-estimés, en dépit des atouts majeurs dont dispose la France : je pense en particulier à l'agro-industrie, où il reste beaucoup à inventer. La bio-raffinerie, par exemple, est un secteur colossal qui peut être rentable sur-le-champ. Les frères Roquette ont commencé par réaliser des expériences sur la fécule de pomme de terre pour finalement constituer un groupe mondial présent dans cent pays, dont le chiffre d'affaires dépasse 2,5 milliards d'euros ; voilà un exemple qui devrait nous faire réfléchir. De même, il existe dans les secteurs des oléagineux, du sucre et des céréales des acteurs intelligents susceptibles d'investir d'importants moyens à long terme. En cas de difficulté, il est utile de privilégier nos points forts pour renforcer notre compétitivité internationale.

Comme vous, je constate la sous-consommation des crédits de la transition écologique. Certains programmes ont été très bien financés, en particulier le Fonds Écotechnologies géré par Bpifrance mais aussi le Fonds national d'amorçage, dont 15 % des fonds ont été investis dans le domaine de la transition écologique. Le Fonds Écotechnologies, quant à lui, permet de réaliser des investissements en appui au capital-risque pour approfondir des projets en croissance. Enfin, le Fonds SPI (Sociétés de projets industriels), très pertinent, consiste à financer des programmes industriels lourds.

Précisons aussi que contrairement à d'autres secteurs, les programmes de transition écologique se caractérisent par une très forte intensité capitalistique et reposent sur une preuve de concept industriel très onéreuse, ce qui explique la forte aversion au risque qu'ils suscitent et, de ce fait, la nécessité de créer des outils procédant d'une volonté politique, et non de celle des marchés. Cela étant, je constate en effet que le Fonds Écotechnologies est sous-investi, que le Fonds SPI ne fait que démarrer et que 15 % seulement des crédits du Fonds national d'amorçage sont alloués à la transition écologique.

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Bernard Maître, président d'EMERTEC Gestion

C'est en tant que directeur de l'énergie à l'Agence des participations de l'État – d'où ma connaissance privilégiée de l'état de la transition écologique dans de grandes entreprises telles qu'EDF, GDF, Areva et Alstom – que j'ai été invité à participer au jury de l'Agence nationale de la recherche (ANR) chargé de labelliser les instituts d'excellence dans le domaine des énergies décarbonées qui sont devenus les ITE. Le processus de sélection m'a semblé particulièrement professionnel et approfondi, un juste équilibre étant trouvé entre représentants de l'industrie, du monde universitaire et des instances de régulation. Le travail accompli m'a paru de bonne qualité, même si l'histoire a prouvé que nous nous étions peut-être trompés sur un ou deux sujets, comme le projet GreenStars visant à développer les activités liées aux algues. En revanche, d'autres projets comme la ville nouvelle autour de Marne-la-Vallée ont connu un fort développement et continuent de susciter la création de start-ups.

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Jusqu'à présent, il nous a semblé que l'ADEME – parfois mise en cause – s'efforce avec le plus grand pragmatisme de repérer les places qui sont à prendre sur le marché mondial pour que la France développe des technologies susceptibles de les occuper. Qu'en pensez-vous ?

S'agissant des agro-carburants, que pensez-vous des conflits d'usage qu'ils peuvent susciter avec les terres agricoles et de l'impact que leur développement peut produire sur le prix des denrées alimentaires ?

J'en viens à la prise de risques des investisseurs, en particulier la Banque publique d'investissement (BPI). Son exigence de rentabilité vous paraît-elle trop élevée, ou bien joue-t-elle son rôle en participant à la prise de risque sans se comporter comme un financeur privé ?

Les PIA doivent s'intégrer dans un ensemble d'outils destinés à favoriser la transition écologique et à solvabiliser ce marché. Le syndicat des énergies renouvelables insiste beaucoup sur l'importance de la programmation pluriannuelle de l'énergie : s'agit-il selon vous d'un outil utile à la transition écologique ?

Enfin, quelles sont vos recommandations concernant l'évolution du PIA 3 ou la mise au point d'outils complémentaires ?

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Matthieu Glachant, professeur d'économie

L'ADEME a fait preuve d'un remarquable professionnalisme en dotant rapidement ses ingénieurs de compétences qu'ils ne possédaient pas toujours pour intégrer des critères non technologiques comme la compétitivité ou l'évaluation économique, dans les processus de sélection des projets.

En revanche, il me semble qu'à la fin du précédent quinquennat, l'État a bâti une réflexion générale concernant les filières sur lesquelles il était opportun de parier, préférant par exemple l'éolien en mer à l'éolien terrestre. Cette vision stratégique me semble avoir disparu – même s'il va de soi qu'une telle vision doit être mise à jour chaque année, compte tenu du rythme auquel le monde change.

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Alain Grandjean, économiste

La Caisse des dépôts est une vieille dame dont la fierté est de ne jamais perdre d'argent. Sans doute la BPI, à l'initiative de son directeur général, a-t-elle conquis son indépendance, mais l'héritage culturel demeure. Quoi qu'il en soit, je suis favorable à ce qu'elle prenne davantage de risques.

Quant à la BEI, elle a raison à deux égards.

Tout d'abord, le mécanisme du prix carbone ne suffit pas à générer des financements suffisants et ciblés ; en pratique, il faut parfois tordre le bras aux acteurs financiers pour qu'ils abandonnent leurs réflexes et orientent leurs investissements là où ils sont nécessaires. Il me semble utile de proposer des mécanismes les encourageant à investir dans les énergies décarbonées, même en l'absence de taxe carbone.

D'autre part, la transition écologique concerne des biens publics – parfois mondiaux – et donc l'intérêt général. En l'absence de rentabilité, ce n'est évidemment pas le marché qui crée l'appétit de transition énergétique. Il n'est donc pas illogique que des acteurs publics consentent une partie de l'investissement dans ce domaine, à perte, le cas échéant.

J'en viens à la programmation pluriannuelle de l'énergie. Les grandes orientations industrielles sont indispensables. À titre d'exemple, le développement des pompes à chaleur a échoué d'emblée parce que les entreprises concernées n'ont pas vendu une technologie – alors onéreuse et posant des problèmes de maintenance – mais une forme de crédit d'impôt. Or, il existe aujourd'hui des pompes à chaleur d'excellente qualité – hélas produites hors de France – qui sont fort utiles pour remplacer le parc de chaudières à fioul et à propane. Il me semble donc opportun de privilégier une politique de soutien à une filière lorsqu'elle est mûre.

Autrement dit, l'absence de programmation pluriannuelle de l'énergie est très gênante pour les acteurs économiques, qui se trouvent dans l'impossibilité de suivre un cap. Sans être trop rigide, un cadre de réflexion clair est très utile. Le secteur colossal du stockage dans les batteries électriques, par exemple, suivra dans les vingt prochaines années un chemin très différent selon que la production électrique française reposera encore pour l'essentiel sur le parc nucléaire ou que les énergies renouvelables auront été davantage développées. De ce point de vue, la libéralisation par à-coups à laquelle a procédé l'Union européenne, en mettant les acteurs économiques en concurrence au point de les tuer – et au risque de provoquer une panne de réseau – a fait la preuve de son inefficacité. La programmation pluriannuelle de l'énergie est donc précieuse.

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Je rappelle que nous avons créé la contribution climat-énergie, conformément à une recommandation ancienne des ONG.

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Alain Grandjean, économiste

Avec un baril de pétrole à 50 dollars, le prix de la tonne de CO 2 s'établit à 100 euros ; autrement dit, la contribution climat-énergie, dont le montant atteint 22 euros, ne suffit évidemment pas à compenser l'effondrement du cours du pétrole, et la taxe carbone est devenue négative. La ministre de l'environnement entend certes faire passer ce montant à 30 euros, mais il faudrait d'ores et déjà atteindre le montant prévu pour 2020, afin de parcourir une partie du chemin nécessaire.

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J'en déduis que la contribution climat-énergie est un outil inopérant du fait de la volatilité des cours.

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Alain Grandjean, économiste

Non, car la situation serait pire encore si elle n'existait pas.

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Matthieu Glachant, professeur d'économie

En effet, cet outil limite la volatilité des prix ; en l'occurrence, c'est l'effondrement des prix qui est en cause. Je rappelle que sur le marché européen, le prix du carbone s'établit à un peu moins de 7 euros. De mon point de vue, ce n'est donc pas la contribution climat-énergie qui constitue le maillon faible du dispositif ; au contraire, elle a plutôt progressé ces dernières années. Le problème me semble davantage de nature européenne, car le marché du carbone, qui englobe les secteurs fortement consommateurs d'énergie et celui de l'énergie lui-même, structure puissamment le déploiement des technologies vertes.

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Alain Grandjean, économiste

Les entreprises écotechnologiques sont par définition des entreprises à forte intensité de capital. Or, la transition écologique consiste à investir afin de réduire la consommation d'intrants non renouvelables. La vertu publique ne suffira pas à obtenir ce résultat ; seul l'investissement permettra une telle réduction. Dès lors, les deux principales gammes d'outils dont nous disposons sont celles qui, d'une part, permettent d'augmenter le coût des intrants – comme la taxe carbone et autres mesures de cet ordre, qui entravent la consommation et la pollution – et, d'autre part, celles qui permettent de baisser le coût du capital, notamment en atténuant le facteur de risque qui existe en phase initiale.

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Bernard Maître, président d'EMERTEC Gestion

Sur ces sujets essentiels qui engagent l'avenir à très long terme, où les décisions mettent beaucoup de temps à porter leurs fruits, il est indispensable, en effet, que les politiques publiques soient éclairées.

Les agro-carburants ne me paraissent pas offrir une solution adaptée, non pas parce qu'ils entrent en concurrence avec des territoires consacrés à l'alimentation humaine – on peut en effet produire d'excellents carburants à base d'algues – mais parce qu'ils ne sont pas performants. Hormis quelques exceptions comme la bagasse de canne à sucre au Brésil, les agro-carburants sont très onéreux et ne se caractérisent que rarement par une capacité énergétique aisément et durablement exploitable. En tout état de cause, la chute du prix du baril a réglé le problème à court terme. À long terme, il me semble tout à fait déraisonnable de miser un seul centime sur les agro-carburants. D'autres solutions sont bien plus intéressantes : le développement de l'hydrogène, par exemple, permettrait de bâtir une économie de la mobilité tout à fait pertinente.

En matière d'innovation technologique, la BPI prend des risques réels et importants avec le plus grand professionnalisme. L'amorçage, par exemple, est un métier difficile par nature : il requiert une véritable vision du futur et la capacité de déceler la naissance de filières technologiques et industrielles. Or, la France souffre encore d'un handicap culturel en la matière, même si les grandes écoles font des efforts. L'action que mène la BPI dans ce domaine me semble aller dans le bon sens ; il en va de même de ses investissements visant à se substituer au marché lorsqu'il fait défaut – je pense au Fonds Écotechnologies – ou de ses investissements dans le capital-risque de grande envergure – le Fonds Large Venture – et du Fonds SPI, même s'il s'agit encore d'un domaine restreint.

Quant à la BEI, elle est fraîchement convertie : j'ai ainsi pu obtenir quelques fonds de l'une de ses filiales pour la seule et unique raison qu'ils étaient alloués par la Commission européenne, et non par la BEI elle-même, qui freine des quatre fers dès qu'il s'agit de placer de l'argent dans le risque technologique.