Depuis vingt-cinq ans, mes activités consistent à financer les ruptures technologiques dans différents domaines. Issu du secteur privé et passé par le secteur public, j'ai créé l'activité de capital-risque du groupe BNP, mais aussi celui de la Caisse des dépôts. J'ai exercé les fonctions de directeur de l'énergie à l'Agence des participations de l'État, j'ai remis en route le processus de création d'entreprises au Commissariat à l'énergie atomique (CEA) mais j'ai aussi créé la première grande société privée de capital-risque dans le domaine de l'internet. Le fonds de financement des écotechnologies que je dirige aujourd'hui a deux grands actionnaires publics, le CEA et la Caisse des dépôts, et une moitié d'actionnaires privés. Il va de soi que les écotechnologies englobent les énergies renouvelables mais vont bien au-delà : nous traitons de questions concernant l'eau, l'air, l'économie circulaire, mais aussi la transition entre la pétrochimie et la chimie biosourcée – un phénomène considérable qui pèse déjà plusieurs dizaines de milliards d'euros. J'ai donc participé au développement de technologies très différentes, depuis les semi-conducteurs et les métiers du logiciel – qui, à bien des égards, demeure encore artisanal – jusqu'aux biotechnologies, aux télécommunications et à l'internet.
Le développement des écotechnologies se heurte d'emblée à une réalité économique : la transition énergétique ne correspond pas à une demande massive du marché que susciterait la perspective d'une forte rentabilité. L'économie ne se prête guère au développement de projets sans rentabilité à court terme. De plus, l'effondrement du prix du pétrole fait durablement passer à la trappe un certain nombre d'investissements, qu'il sera d'autant plus difficile de relancer dans un contexte volatil.
Dans ces secteurs, d'autre part, les politiques de financement de projets en phase initiale – non rentable – ont connu des variations qui ont profondément affecté le tissu industriel, jusqu'à ruiner toute une génération d'investissements – soit plusieurs centaines de milliards d'euros. Dans le secteur du photovoltaïque, par exemple, même s'il convient, en effet, de continuer à financer la recherche fondamentale, aucun investissement ne révolutionnera plus l'équilibre mondial de la production et, dans ces conditions, mieux vaut privilégier l'apprentissage par la pratique plutôt que par la recherche, car la guerre semble, hélas, déjà perdue.
De ce point de vue, les acteurs publics devraient selon moi décider en matière de transition écologique en s'appuyant sur nos points forts, plutôt que sur nos points faibles. Et en toute indépendance, ils devraient tenir compte des positions des acteurs économiques. Plusieurs secteurs ont ainsi été sous-estimés, en dépit des atouts majeurs dont dispose la France : je pense en particulier à l'agro-industrie, où il reste beaucoup à inventer. La bio-raffinerie, par exemple, est un secteur colossal qui peut être rentable sur-le-champ. Les frères Roquette ont commencé par réaliser des expériences sur la fécule de pomme de terre pour finalement constituer un groupe mondial présent dans cent pays, dont le chiffre d'affaires dépasse 2,5 milliards d'euros ; voilà un exemple qui devrait nous faire réfléchir. De même, il existe dans les secteurs des oléagineux, du sucre et des céréales des acteurs intelligents susceptibles d'investir d'importants moyens à long terme. En cas de difficulté, il est utile de privilégier nos points forts pour renforcer notre compétitivité internationale.
Comme vous, je constate la sous-consommation des crédits de la transition écologique. Certains programmes ont été très bien financés, en particulier le Fonds Écotechnologies géré par Bpifrance mais aussi le Fonds national d'amorçage, dont 15 % des fonds ont été investis dans le domaine de la transition écologique. Le Fonds Écotechnologies, quant à lui, permet de réaliser des investissements en appui au capital-risque pour approfondir des projets en croissance. Enfin, le Fonds SPI (Sociétés de projets industriels), très pertinent, consiste à financer des programmes industriels lourds.
Précisons aussi que contrairement à d'autres secteurs, les programmes de transition écologique se caractérisent par une très forte intensité capitalistique et reposent sur une preuve de concept industriel très onéreuse, ce qui explique la forte aversion au risque qu'ils suscitent et, de ce fait, la nécessité de créer des outils procédant d'une volonté politique, et non de celle des marchés. Cela étant, je constate en effet que le Fonds Écotechnologies est sous-investi, que le Fonds SPI ne fait que démarrer et que 15 % seulement des crédits du Fonds national d'amorçage sont alloués à la transition écologique.