Concernant les OGM et notamment le maïs transgénique Monsanto 810, l'ANSES avait rendu un avis plaidant pour un renforcement des exigences dans l'évaluation des produits, spécialement au titre du test étalé sur 90 jours. Nous avons ensuite complété cet avis en préconisant que les études statistiques, réalisées selon un protocole de l'OCDE non conçu pour les OGM, soient revues pour réduire la probabilité de faux négatifs. Voilà qui illustre notre volonté d'exigence supérieure aux normes européennes.
Les risques courus par les hommes et les animaux dans les élevages industriels font évidemment partie de nos préoccupations. Les pouvoirs publics ayant souhaité que nous nous mobilisions à ce sujet, nous installons actuellement un groupe d'experts spécifique sur la question du bien-être animal. Nous attendons les premières saisines du ministère. Certains sujets particulièrement sensibles complèteront nos travaux relatifs à la santé des travailleurs agricoles.
Les exigences sanitaires peuvent-elles mettre des activités économiques en difficulté ? Prenons un exemple. Notre évaluation des diodes électroluminescentes (LED) a mis en évidence certains risques liés à l'emploi de technologies à bas coût : le spectre de lumière faisait ressortir une pointe de longueur d'ondes à l'endroit même où l'oeil humain est le plus vulnérable. Nous avons pu aborder la question très en amont, bien avant le plein développement de ces produits, dont nous n'avons aucunement condamné la fabrication, et l'industrie a pris en compte les risques décrits pour adopter une technologie conciliant économie d'énergie et respect des exigences sanitaires. En revanche, les promoteurs de ces affaires très lucratives que sont les régimes amaigrissants et les compléments alimentaires n'ont que très modérément apprécié les avis que nous avons rendus sur ces sujets.
Les pesticides sont l'exemple même d'une problématique globale, traitée comme telle par notre Agence. Notre première préoccupation concerne naturellement le consommateur, en raison des résidus de pesticides présents dans les aliments. Nous avons ainsi réalisé l'année dernière une étude approfondie de l'alimentation totale, dite EAT 2, unique au monde par son ampleur. Nous avons analysé 271 substances dans plus de vingt mille échantillons d'aliments représentatifs et croisé nos résultats avec ceux des études relatives aux habitudes de consommation afin de déterminer précisément le niveau d'exposition de chaque consommateur. Nous avons mis en évidence quelques risques de dépassement des doses admissibles.
Concernant les pesticides, au-delà de leur impact sur le consommateur, nous avons décidé de mettre en place un groupe d'experts spécifique car plusieurs collectifs d'experts sont concernés en même temps, au niveau de l'évaluation des risques comme des produits réglementés. L'étude des effets de l'exposition des travailleurs agricoles aux pesticides est symbolique de la valeur ajoutée attendue de la fusion de l'AFSSA et de l'AFSSET : nous nous écartons du seul cadre réglementaire pour aborder la question de façon très ouverte. Les conclusions du groupe d'experts sont attendues fin 2013.
L'épandage aérien est soumis à une nouvelle règlementation européenne renforcée. Jusqu'à présent, l'épandage aérien de n'importe quelle substance autorisée pouvait faire l'objet d'une dérogation préfectorale. Dorénavant, on exige un avis préalable de l'ANSES afin que l'évaluation de chaque substance tienne compte de son mode de diffusion : de fait, l'épandage aérien conduit parfois à des dispersions au-delà de la surface visée. À la demande du ministère de l'agriculture, nous avons déjà rendu treize avis à ce sujet, dont quatre défavorables, et seules certaines substances peuvent désormais faire l'objet de dérogations préfectorales. Mais l'avis que nous émettons ne vaut pas autorisation par lui-même : nous ne nous prononçons pas sur l'opportunité des dérogations, qui doivent demeurer exceptionnelles et qui relèvent de la responsabilité des préfets selon des critères d'appréciation locale. Le nombre de demandes de dérogations a beaucoup diminué par rapport à la période antérieure. Les statistiques correspondantes sont tenues par le ministère de l'agriculture.
Nous étudions également les « effets cocktail », c'est-à-dire les éventuels effets combinés de plusieurs résidus de substances chimiques courantes dans notre alimentation. Nous bénéficions à ce titre du soutien de l'Agence nationale de la recherche pour un projet de recherche. À ce stade, nous avons d'abord besoin de documentation. Mais nous manquons des moyens nécessaires à la réalisation d'études toxicologiques lourdes, indépendamment de l'industrie. Alors qu'aux États-Unis, le National toxicology program bénéficie de crédits publics permettant de financer de telles études, très complexes et très coûteuses, transversalement à toutes les agences du pays, il n'y a d'équivalent ni en France ni en Europe ; cela nous fait défaut.
Le mariage, au sein de l'ANSES, des cultures propres à l'AFSSA et à l'AFSSET n'est plus une question d'actualité. Nous nous interrogeons bien davantage sur l'arbitrage complexe à opérer entre l'évaluation des risques en fonction de cadres règlementaires européens et des méthodes plus ouvertes intégrant davantage d'éléments. La fusion entre l'AFSSA et l'AFSSET a permis d'internaliser certains débats et de progresser en ce sens et nos exigences sont souvent supérieures à ce qu'impose la réglementation européenne ; ainsi, pour la mortalité des abeilles, nous prenions en compte depuis deux ans des critères qui n'étaient pas encore adoptés au niveau européen. La comparaison entre la France et l'Allemagne, où coexistent toujours deux agences comparables à ce qu'étaient l'AFSSA et l'AFSSET et qui ne parviennent pas à travailler ensemble sur le bisphénol A, montre la supériorité de notre modèle. De même, aux États-Unis, les deux grandes agences sanitaires que sont la FDA et l'EPA entretiennent des relations complexes.