Le combat pour l'égalité entre les femmes et les hommes est un combat qui demande une mobilisation sans cesse réaffirmée, comme l'a souligné la ministre Mme Myriam El Khomri, lors de son audition par notre Délégation le 30 avril dernier. Si les femmes représentent aujourd'hui 48 % de la population active, le monde du travail reste marqué par de profondes inégalités. En effet, les femmes occupent environ 82 % des emplois à temps partiel et plus des deux tiers des travailleurs pauvres. Même si les écarts de salaire diminuent deux fois plus vite en France qu'en Europe, elles gagnent encore 19 % de moins que les hommes en équivalent temps plein, avec une part dite non expliquée, la plus inadmissible, d'environ 10 %.
Par ailleurs, 27 % des femmes occupent des postes peu qualifiés d'employés ou d'ouvriers, soit près de deux fois plus que les hommes (15 %), et, plus globalement, une véritable ségrégation professionnelle demeure ; plus de la moitié de l'emploi féminin se concentre ainsi sur une dizaine de métiers, qui s'avèrent souvent peu valorisés. Plus exposées à la précarité dans l'emploi, elles sont aussi confrontées à un plafond de verre pour l'accès aux postes à responsabilité. Elles sont également plus concernées par les discriminations, directes ou indirectes, à raison du sexe ou de la parentalité, les harcèlements sexuels et les agissements sexistes.
En dépit de 40 ans de lois sur l'égalité professionnelle, celle-ci n'est pas encore réalisée. Depuis 2012, la France a engagé une démarche nouvelle pour transformer l'égalité des droits en égalité réelle : les droits des femmes sont devenus une politique publique à part entière, autonome et visible, mais qui a aussi vocation à être intégrée dans l'ensemble des politiques publiques de l'État.
Pour y veiller et pour promouvoir l'autonomie des femmes et l'égalité réelle au regard de l'importance des enjeux liés au travail et à l'emploi, la Délégation aux droits des femmes s'est saisie, depuis le début de cette législature, de plusieurs projets de loi concernant le travail, et relatifs au harcèlement sexuel, à la sécurisation de l'emploi, à l'égalité réelle entre les femmes et les hommes, à la formation professionnelle, l'emploi et la démocratie sociale, et, récemment, du projet de loi relatif au dialogue social et à l'emploi. La Délégation a également publié en janvier 2013 un rapport d'information thématique sur le dispositif relatif aux obligations des entreprises en matière d'égalité professionnelle.
Dans le prolongement de ces travaux, la Délégation a souhaité être saisie du projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs, qui a été adopté par le Conseil des ministres le 24 mars dernier.
Dans cette perspective, des auditions ont été organisées avec des représentantes d'associations féministes ou oeuvrant sur le terrain pour promouvoir l'insertion professionnelle des femmes, des experts, membres du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP), des représentants et représentantes d'organisations syndicales de salariés et de l'Union professionnelle artisanale (UPA). Seul le MEDEF a décliné notre invitation, comme Mme la présidente l'a rappelé. Ce cycle de rencontres s'est conclu par l'audition de la ministre Mme Myriam El Khomri. La Délégation a également pu s'appuyer sur l'avis rendu le 11 mars 2016 par le CSEP sur l'avant-projet de loi, qui faisait état de plusieurs réserves sous l'angle de l'égalité professionnelle.
Si nous avons disposé de très peu de temps pour mener ces travaux, le rapport est très complet et procède tout d'abord à l'analyse des principales caractéristiques de l'emploi et du travail des femmes, afin de pouvoir mieux appréhender l'impact du projet de loi pour tenter de pallier les carences de l'étude d'impact sur ce point. Il rappelle également les nombreuses avancées intervenues depuis 2012 en matière d'égalité professionnelle.
Le rapport examine dans une seconde partie les différentes mesures du projet de loi sur lesquelles l'attention de la Délégation a été appelée. Celles-ci concernent principalement les principes essentiels du droit du travail qui doivent guider la réécriture de la partie législative du code du travail (article 1er), les dispositions relatives aux temps de travail, s'agissant plus particulièrement de celles relatives au temps partiel (articles 2 à 5), ainsi que la réforme du dialogue social, compte tenu de ses impacts sur la négociation collective en entreprise sur l'égalité professionnelle (articles 10 à 18). Nous avons également étudié les dispositions du projet de loi relatives au compte personnel d'activité (CPA) – (articles 21 et 22), au droit à la déconnexion et au télétravail (articles 25 et 26), la médecine du travail (article 44), ainsi que d'autres thématiques susceptibles d'enrichir ce projet de loi, concernant par exemple la lutte contre les agissements sexistes en milieu professionnel.
Nous formulons trente recommandations pour améliorer le droit du travail pour renforcer la lutte contre les inégalités ; par ailleurs, une trentaine d'amendements ont été déposés pour l'examen cette semaine du projet de loi par la commission des Affaires sociales.
Nous demandons tout d'abord l'élaboration systématique d'une étude d'impact chiffrée sur les conséquences des projets de loi et la mise en oeuvre effective des dispositions prévues en la matière par la circulaire du Premier ministre du 23 août 2012. Cette requête concerne d'ailleurs l'ensemble des projets de loi qui sont souvent accompagnés d'études d'impact lacunaires.
Nous formulons plusieurs recommandations sur les principes essentiels du droit du travail, qui devront guider le travail de réécriture de la partie législative du code du travail : mieux définir le principe d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ; prendre en compte l'accès à l'emploi dans la définition du principe relatif à l'interdiction des discriminations ; poser un principe plus ambitieux et plus conforme aux textes européens et internationaux en matière d'articulation entre la vie professionnelle et la vie personnelle et familiale ; réécrire le principe concernant la grossesse et la maternité, afin de ne pas en présenter une vision négative et de mieux tenir compte du droit existant ; réécrire le principe relatif au principe d'égalité de rémunération pour viser explicitement les inégalités entre les femmes et les hommes. Nous préconisons également de prévoir, d'une part, la composition paritaire de la commission de refondation qui sera chargée de proposer une réécriture de la partie législative du code du travail et, d'autre part, d'associer le CSEP aux travaux de cette commission.
En matière de temps de travail et de repos, nous suggérons quatre pistes : rétablir un délai de prévenance de sept jours ; prévoir que les accords de branche ne peuvent pas moduler la majoration de la rémunération des heures complémentaires ; établir un bilan détaillé, quantitatif et qualitatif des accords de branche prévoyant des dérogations aux 24 heures ; modifier la rédaction du projet de loi pour faire référence aux congés d'articulation entre vie familiale et vie professionnelle, en supprimant le terme de conciliation.
Concernant la négociation collective sur l'égalité professionnelle, il nous semble nécessaire de renforcer les moyens des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) afin d'accompagner, de contrôler et de sanctionner les entreprises en matière d'égalité professionnelle, et de prévoir que la négociation sur l'égalité professionnelle et celle sur les rémunérations ne puissent devenir triennales à la suite d'un accord de branche que si l'entreprise a conclu un accord sur l'égalité. En outre, il est important de former les partenaires sociaux aux spécificités de la négociation sur l'égalité professionnelle en utilisant les nouvelles possibilités offertes par le projet de loi et, par ailleurs, de veiller à l'équilibre de la représentation des très petites (TPE) et des petites et moyennes entreprises (PME) où les femmes sont majoritairement représentées pour les négociations des accords collectifs de branche.
Nous proposons également d'harmoniser le vocabulaire utilisé pour nommer les éléments figurant dans la base de données économiques et sociales (BDES) et dans la procédure de consultation et de négociation, d'introduire dans les éléments soumis par l'employeur à la consultation et à la négociation, le plan d'action et en définir le contenu, et de porter à la connaissance des salariés non seulement la synthèse du plan d'action unilatéral de l'employeur en cas d'échec de la négociation, mais aussi la synthèse de l'accord lui-même en cas de succès. Il convient enfin de renforcer le positionnement et les moyens du CSEP et de veiller à la publicité systématique de ses travaux.
Deux autres recommandations portent sur l'amélioration des modalités d'abondement du compte personnel de formation (CPF), qui sera intégré dans le compte personnel d'activité (CPA), pour les salariées et salariés à temps partiel, et sur la prise en compte, dans le cadre de la réforme de la médecine du travail, des risques pour la santé et la sécurité des salariés dans les métiers majoritairement exercés par les femmes.
Nous avançons également plusieurs propositions dans le domaine des discriminations, du harcèlement sexuel et des agissements sexistes : harmoniser les règles de preuve en matière de discrimination et de harcèlement sexuel ou moral ; prévoir l'obligation pour l'employeur de rembourser à Pôle emploi les indemnités chômage versées à la personne licenciée suite à un traitement discriminatoire ou à un harcèlement moral ou sexuel ; instaurer une indemnisation plancher correspondant aux salaires des 12 derniers mois pour tout salarié licencié en raison d'un motif discriminatoire ou d'un harcèlement sexuel.
Il conviendrait par ailleurs de préciser le régime de la preuve applicable aux actions en justice relatives aux agissements sexistes en milieu professionnel, de prévoir l'obligation de rappeler dans le règlement intérieur des entreprises les dispositions prévues par la loi en matière d'agissements sexistes, mais aussi d'inclure les risques liés à ces agissements dans les principes généraux de prévention sur le fondement desquels l'employeur met en oeuvre les mesures nécessaires pour protéger la santé des salariés, et d'intégrer la question du sexisme et des violences au travail dans le champ de la négociation collective sur l'égalité professionnelle. Nous proposons enfin de modifier le titre du projet de loi pour faire également référence aux « actives », afin que les femmes ne soient pas invisibles.