Intervention de Jean Bassères

Réunion du 31 mars 2016 à 10h00
Mission d'information relative au paritarisme

Jean Bassères, directeur général de Pôle emploi :

Monsieur le président, tout d'abord, je présenterai des excuses car j'ai dû annuler par deux fois mon audition devant votre mission d'information, pour de très bonnes raisons, comme vous pouvez l'imaginer.

J'aimerais insister sur le fait que Pôle emploi fait un peu figure de chauve-souris au regard du paritarisme. Nous ne sommes pas un organisme paritaire au sens où peuvent l'être l'Unédic ou les organismes de gestion des retraites complémentaires, mais les partenaires sociaux jouent un rôle important dans notre organisation puisqu'ils sont majoritaires au conseil d'administration.

La gouvernance de Pôle emploi est rythmée par la négociation d'une convention tripartite entre l'État, l'Unédic et Pôle emploi. Nous en sommes à la troisième convention tripartite qui couvre quatre années – 2015-2018 – au lieu de trois comme les précédentes. C'est un exercice particulièrement important pour Pôle emploi car ces intenses négociations avec l'État et les partenaires sociaux, qui s'étalent sur plusieurs semaines, permettent de fixer les grandes orientations stratégiques. La dernière négociation a ainsi convergé vers la personnalisation de l'accompagnement des demandeurs de l'emploi, la mise en place de conseillers dédiés aux relations avec les entreprises et le développement du digital. Ajoutons que les conventions tripartites font l'objet d'un suivi régulier avec l'État, les partenaires sociaux et l'Unédic.

Le conseil d'administration compte dix-neuf membres, dont dix représentent les partenaires sociaux : cinq pour les syndicats représentatifs de salariés et cinq pour les organisations professionnelles. La place majoritaire des partenaires sociaux est d'autant plus prégnante que certaines décisions, notamment le budget, doivent être adoptées à une majorité des deux tiers. Ils sont donc directement impliqués dans la détermination des orientations stratégiques et dans leur exécution. D'un point de vue juridique, Pôle emploi est un opérateur de l'État et sans doute l'État considère-t-il Pôle emploi comme son opérateur à part entière. Il nous appartient de faire comprendre que Pôle emploi est aussi l'opérateur des partenaires sociaux. Des évolutions fortes se sont produites : il n'y a plus de délibérations dont la validité serait strictement conditionnée à leur approbation par le Gouvernement, comme du temps de l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE). Le conseil d'administration a la capacité d'intervenir, il peut même mettre fin aux fonctions du directeur général à une majorité des deux tiers – des projets en ce sens sont peut-être en cours, mais je ne suis pas au courant…

Le livre que mon prédécesseur, M. Christian Charpy, a consacré à son expérience comporte un chapitre intitulé « Dans l'arène du conseil d'administration ». Cela témoigne du fait que Pôle emploi avait été construit sans soutien des partenaires sociaux présents au conseil d'administration, lequel était davantage un lieu d'affrontements que de convergences. Grâce au talent de l'actuel président du conseil d'administration, M. François Nogué, nous avons réussi à bâtir un conseil de nature complètement différente en lui imprimant deux évolutions décisives.

La loi prévoit l'existence de deux comités : un comité d'audit et un comité d'évaluation. Nous avons créé un comité stratégique qui a fusionné avec le comité d'évaluation. Dans cette instance extrêmement vivante, présidée par un membre du conseil d'administration – en l'occurrence Mme Patricia Ferrand, de la CFDT –, nous discutons de tous les projets importants avant qu'ils ne soient soumis à la délibération du conseil d'administration.

Par ailleurs, nous organisons avec tous les membres du conseil d'administration des séminaires qui contribuent à créer un sentiment d'appartenance. Depuis la création de Pôle emploi, trois se sont tenus : le premier avait pour thème le premier plan stratégique « Pôle emploi 2015 » ; le deuxième était consacré à Pôle emploi à un horizon de dix ans ; le troisième préparait la discussion de la dernière convention tripartite avec l'État et l'Unédic. Un quatrième est prévu au mois de mai.

Le conseil d'administration se consacre réellement à des sujets de fond. Je donnerai trois exemples de sujets ayant donné lieu à des débats nourris et qui sont désormais très consensuels au sein de cette instance.

Il y a d'abord le sujet des opérateurs privés de placement. Nous avons modifié la doctrine en la matière. Nous nous sommes demandé s'il fallait ou non conserver un lien avec ces opérateurs privés dans la mesure où des éléments d'évaluation montrent qu'ils n'assurent pas un meilleur accompagnement que l'opérateur public. Le conseil d'administration a fait le choix de les conserver : en partie, pour des raisons d'attachement de certains de ses membres à ce type d'intervention, en partie aussi parce que nous n'avions pas la certitude que si nous cessions d'y recourir, nous recevrions en contrepartie les moyens nécessaires de la part de l'État. Nous avons décidé collectivement de recentrer leurs interventions sur l'accompagnement des demandeurs d'emploi les plus autonomes pour réinternaliser au sein de Pôle emploi l'accompagnement des demandeurs d'emploi en difficulté, qui est pour moi notre coeur de métier.

Il y a eu aussi la mise en place d'équipes dédiées au contrôle de la recherche d'emploi.

Et tout dernièrement, il y a eu le passage à un nouveau mode d'accueil avec le matin, un accueil sur flux, et l'après-midi, un accueil sur rendez-vous, changement considérable en termes de qualité de service.

Au-delà de la composition formelle des instances, l'important est la capacité à faire vivre un dialogue interne avec les partenaires sociaux. Et nous sommes plutôt satisfaits de la manière dont les choses se passent aujourd'hui si je compare à la situation d'il y a quatre ans. Je dois vous préciser qu'un audit portant sur le fonctionnement du conseil d'administration est en cours pour mesurer les marges de progrès qui s'offrent à nous.

Outre le fonctionnement du conseil d'administration, l'importance de paritarisme se manifeste par le fait que Pôle emploi met en place des dispositifs conçus par les partenaires sociaux.

Je citerai cinq domaines dans lesquels nous appliquons des règles qui ne sont pas conçues par nous mais qui sont négociées par les partenaires sociaux ou bien décidées par le législateur à partir de la transcription dans la loi de l'accord national interprofessionnel : l'assurance chômage, la formation, le contrat de sécurisation professionnelle, le compte personnel de formation (CPF) et le conseil en évolution professionnelle (CEP).

Je m'attarderai sur l'assurance chômage et le conseil en évolution professionnelle.

Sur l'assurance chômage, nous jouons clairement le rôle d'opérateur chargé de mettre en oeuvre une réglementation. Nous intervenons en amont des négociations pour faire part aux partenaires des mesures de simplification qu'il nous semblerait bon d'adopter, en nous fondant sur les retours des conseillers et des demandeurs d'emploi. Cette démarche n'avait rien d'évident. La première fois que j'ai mis en place avec les conseillers un groupe de travail pour faire émerger des mesures de simplification, cela m'a été reproché en interne par certains syndicats qui considéraient que c'était l'affaire des partenaires sociaux et que nous n'avions pas à nous soucier de la réglementation. J'estime au contraire que lorsqu'on applique une réglementation, on a forcément quelque chose à dire des conditions de sa mise en oeuvre. Nous avons ainsi fait des propositions à l'Unédic.

Lors de la dernière négociation, nous avons donné notre point de vue sur les conditions opérationnelles de mise en oeuvre de l'accord. C'est ainsi que nous avons porté une innovation : une nouvelle convention comportant deux dates d'application afin de tenir compte des contraintes liées à la formation, aux systèmes d'information et tout simplement à la communication nécessaire sur les nouvelles dispositions.

Cette année, nous avons franchi une étape supplémentaire. Nous avons été invités par les partenaires sociaux à venir parler de la manière dont nous voyions les choses dans la phase préparatoire des négociations. Nous nous sommes permis d'aller au-delà des quelques mesures de simplification pour développer quelques sujets de fond.

L'évolution est nette : il y a quelques années, c'est à peine si nous avions le droit de prononcer le mot « assurance chômage » ; aujourd'hui, on nous accepte pour faire valoir notre point de vue en matière de simplification et de mise en oeuvre de la réglementation. Les partenaires sociaux souhaitent garder un régime paritaire d'assurance chômage. Toutefois Pôle emploi n'est pas encore perçu comme étant aussi l'opérateur des partenaires sociaux : si c'était le cas, il y aurait double emploi entre l'Unédic et Pôle emploi dans sa fonction d'assistance aux négociateurs.

J'en viens au conseil en évolution professionnelle, dispositif créé par la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale. C'est potentiellement le nouveau paradigme de Pôle emploi. Dans un premier temps, nous avions été un peu hésitants face à ce nouveau dispositif car il était un peu troublant. Nous avons écarté la solution qui aurait consisté à créer une petite prestation dénommée « conseil en évolution professionnelle » réservée à quelques demandeurs d'emploi et avons préféré modifier en profondeur notre offre de services pour être au rendez-vous. Cela a impliqué un changement considérable, qui n'est pas encore achevé.

Nous avons voulu distinguer deux catégories dans notre offre de services : les demandeurs d'emploi autonomes, proches de l'emploi, auxquels nous devons assurer un service d'indemnisation, de réponses aux questions qu'ils posent et de contrôle de leur recherche d'emploi ; et, à côté de ces demandeurs « suivis », les demandeurs d'emploi « accompagnés », moins proches de l'emploi, pour lesquels nous devons faire un travail de fond qui comprend une analyse de leurs compétences professionnelles au regard du marché du travail et de leurs souhaits d'évolution, une évaluation de leurs besoins de formation et des conseils d'orientation.

En conséquence, nous avons fait évoluer notablement notre offre de services. Nous avons mis fin à ce qui était l'un des premiers éléments mis en place à la création de Pôle emploi : l'entretien unique, où étaient traités à la fois l'indemnisation et le placement. Aujourd'hui, l'indemnisation est traitée en amont du premier entretien, qui est désormais uniquement consacré au diagnostic. En outre, nous avons développé de nouvelles plages d'accueil sous forme de rendez-vous l'après-midi : pour faire un travail en profondeur avec un demandeur d'emploi, il faut que ce soit le conseiller qui le connaît le mieux qui puisse l'accompagner. Enfin, nous avons voulu mieux articuler le travail des psychologues du travail avec celui des conseillers.

Cette évolution, je dois vous le dire en toute honnêteté, va encore prendre deux à trois ans car elle suppose une élévation du niveau de compétence des conseillers. Nous investissons donc massivement dans leur formation. Nous en sommes aujourd'hui à six ou sept jours de formation par an et par conseiller, soit un doublement par rapport aux débuts de Pôle emploi.

Le compte personnel d'activité s'inscrira dans cette dynamique. Il posera la question de l'accompagnement et Pôle emploi jouera un rôle important dans la mobilisation des CPA des demandeurs d'emploi, sous réserve que l'on connaisse les règles de fongibilité et de mobilisation des droits au profit de la formation.

Nous avons une capacité, dont nous ne disposions pas il y a deux ou trois ans, de mettre à la disposition des actifs des outils numériques. Nous investissons massivement dans le digital. Nous avons ainsi ouvert en juillet 2015 une plateforme intitulée Emploi Store qui regroupe cent cinquante services développés par des partenaires privés et publics de Pôle emploi – MOOCs, jeux de simulation, b.a.-ba, entretiens virtuels. Le CPA devra faire l'objet d'un accompagnement à travers ce portail.

Je dois dire que je n'ai pas d'opinion tranchée sur le paritarisme. Ce qui m'intéresse, ce n'est pas le paritarisme en tant que tel mais sa capacité à relever les défis. À cet égard, j'attends avec intérêt la nouvelle négociation.

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