Mission d'information relative au paritarisme

Réunion du 31 mars 2016 à 10h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • AGEFIPH
  • demandeur
  • handicap
  • logement
  • paritarisme
  • pôle

La réunion

Source

Mission d'information SUR LE PARITARISME

Jeudi 31 mars 2016

La séance est ouverte à dix heures.

(Présidence de Mme Claudine Schmid, membre de la mission d'information, puis de M. Arnaud Richard, président de la mission d'information)

La mission d'information sur le paritarisme procède à l'audition de Mme Anne Baltazar, présidente de l'Association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées (AGEFIPH), et de M. Hugues Defoy, directeur du Pôle Métier.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous prie d'excuser le président Arnaud Richard, qui va nous rejoindre très bientôt. Nous poursuivons nos travaux avec une matinée assez représentative du champ très large du paritarisme, qui est présent dans des domaines aussi divers que le handicap, l'emploi et le logement.

Nous débutons cette séquence d'auditions en accueillant Mme Anne Baltazar, présidente de l'Association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph), et M. Hugues Defoy, directeur du Pôle Métier.

Je vous remercie de vous être rendus disponibles ce matin pour que nous puissions évoquer avec vous cet organisme plutôt jeune dans l'histoire du paritarisme qu'est l'Agefiph. Nous souhaiterions avoir votre point de vue sur le fonctionnement et les conséquences de ce mode de gouvernance particulier sur votre activité ainsi que sur les mesures que vous avez pu prendre pour l'améliorer. Vous participerez ainsi du panorama du paritarisme que cette mission essaye de réaliser.

Permalien
Anne Baltazar, présidente de l'Association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées, Agefiph

Je vous remercie pour cette invitation. Je laisserai dans quelques minutes Hugues Defoy vous expliquer le fonctionnement paritaire de l'Agefiph. Auparavant, j'aimerais connaître la raison de l'interrogation sur le paritarisme que vous formulez au travers de cette mission d'information. Quelle est la question posée ? Qui la pose ? Pourquoi faire ? Quelle est la commande ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Notre mission d'information a été constituée par la Conférence des présidents à la demande du groupe Union des démocrates et indépendants (UDI). Noos travaux – engagés depuis maintenant quelques mois – poursuivent trois objectifs. Le premier consiste à dresser un panorama du paritarisme : quels sont les domaines gérés dans notre pays par les partenaires sociaux eux-mêmes ? Quelles sont les masses financières en jeu, les risques couverts et les moyens mobilisés ? Quelle est leur efficacité ? Le deuxième objectif consiste à s'interroger sur les évolutions nécessaires du système, sachant qu'il a déjà connu des évolutions significatives : des domaines qui étaient gérés par les partenaires sociaux sont devenus cogérés par l'État ou gérés par lui seul avec une consultation des partenaires sociaux. Quelles sont les perspectives de rationalisation pour plus d'efficacité ? Le dernier objectif oriente nos travaux plus particulièrement vers deux sujets : le premier est ce que certains appellent la sécurité sociale professionnelle, en relation avec le compte personnel d'activité. Quelle pourrait être la gouvernance de ce compte ? Faut-il le rapprocher de l'emploi et de la formation tout au long de la vie ? Le deuxième sujet porte sur les conséquences de l'économie collaborative et des nouvelles formes de production économique sur les régimes de protection sociale gérés par les partenaires sociaux. Quelles sont les ressources perdues en raison d'une réglementation fiscale et sociale différente, voire inexistante pour certains types d'activité ? Quelles sont les protections offertes aux travailleurs dans le cadre d'activités qui ne s'exercent pas sous la forme du salariat ? Est-ce que le champ du paritarisme doit prendre en compte ces activités ? Comment le peut-il ?

Permalien
Hugues Defoy, directeur du Pôle Métier, Agefiph

Merci beaucoup pour cette réponse. Je vais rappeler brièvement ce qu'est l'Agefiph. La loi du 10 juillet 1987 en faveur de l'emploi des travailleurs handicapés, qui instaure en France une obligation d'emploi des personnes en situation de handicap, permet de satisfaire à cette obligation selon plusieurs modalités, dont l'une consiste à verser une contribution au fonds de développement de l'emploi ; la loi dote celui-ci d'une structure associative dont la direction est confiée à un conseil d'administration paritaire élargi – ce qui est une particularité de l'Agefiph – à des représentants des grandes associations de personnes handicapées.

La mission de ce fonds est le développement de l'emploi de ces personnes en milieu ordinaire de travail. Cette mission se divise en deux composantes : l'accès à l'emploi et le maintien dans l'emploi. L'Agefiph est un outil au service d'une politique publique gérée par les partenaires sociaux avec des représentants de l'ensemble des parties prenantes au développement de l'emploi des personnes en situation de handicap.

L'Agefiph a mis au point, en plusieurs années, un ensemble d'interventions qui composent une offre organisée en trois composantes. Notre offre comprend tout d'abord des services, dont ceux de Cap Emploi, qui sont bien connus. Elle comprend des prestations qui viennent en complément de ces services, parmi lesquelles une politique de formation professionnelle par achat de formations, celle-ci étant en lien direct avec le paritarisme puisque les partenaires sociaux sont à la manoeuvre pour nous aider à décliner notre politique sur les territoires. Notre offre comprend enfin des aides financières, qui ont vocation à être versées aux entreprises et aux personnes en situation de handicap ; il y avait historiquement, parmi ces aides, la prime à l'insertion.

Notre offre d'interventions a une particularité importante : elle est très intermédiée. Nous nous appuyons sur réseau de partenaires, d'opérateurs et de prestataires et hormis les financements alloués par Cap emploi, tout ce que nous mettons en place fait l'objet de procédures d'achats par appels d'offres puisque nous considérés comme un pouvoir adjudicateur.

Dans le paritarisme élargi de l'Agefiph, des intérêts particuliers se réunissent pour produire un intérêt collectif, qui se manifeste concrètement par des services délivrés sur le territoire ainsi que par une vision commune et partagée d'orientations stratégiques. La politique de l'Agefiph est définie par son conseil d'administration dans une relation étroite avec l'État, qui est représenté au conseil d'administration par des personnalités qualifiées. Notre budget est approuvé par le ministre compétent. L'Agefiph, comme le souhaite son conseil d'administration, équilibre ses offres aux entreprises et aux personnes et recherche la meilleure efficacité, le plus fort effet de levier, pour les dépenses financées par le fonds.

Notre action vient s'articuler avec celles d'autres acteurs compétents en matière de formation professionnelle, en vue de mobiliser en faveur des personnes handicapées les dispositifs de droit commun. Ainsi, l'Agefiph achète des formations spécifiques mais négocie aussi des partenariats avec les exécutifs régionaux. L'Agefiph est également présente dans les instances quadripartites de gouvernance des cinq commissions du conseil national sur l'emploi, la formation et l'orientation professionnelles (CNEFOP) et dans les conseils régionaux sur l'emploi, la formation et l'orientation professionnelles (CREFOP). Cette politique de formation territoriale s'exerce aussi en relation avec les partenaires sociaux présents dans nos instances et avec Pôle emploi. Depuis 2006, nous avons mis en place un programme de formation professionnelle nommé HANDI COMPÉTENCES qui doit accueillir le maximum de bénéficiaires. Il faut pour cela qu'il soit accessible le plus facilement possible auprès de nos partenaires.

Un tiers de notre budget est consacré à la formation professionnelle. Nous avons la possibilité d'abonder le compte personnalisé d'activité (CPA) au titre du compte personnel de formation (CPF). Des membres de notre conseil d'administration sont très au fait de ce projet puisqu'ils sont aussi signataires de l'accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013 dont est issue la loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale, qui a mis en place ce CPF.

La politique de maintien dans l'emploi est l'autre composante de l'activité de l'Agefiph, en lien avec les politiques de santé au travail, dont certains acteurs sont membres de notre conseil d'administration. Nous informons les employeurs des services, des dispositifs, de l'expertise et des aides destinés à favoriser le maintien des personnes handicapées dans l'emploi. Cette information est relayée dans les entreprises par les élus des organisations syndicales.

Permalien
Anne Baltazar, présidente de l'Association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées, Agefiph

L'Agefiph a été créée à la suite de la loi n° 87-517 du 10 juillet 1987 en faveur de l'emploi des travailleurs handicapés. C'est l'État qui a posé une obligation d'emploi des travailleurs handicapés, à hauteur de 6 % de l'effectif total de l'entreprise, et qui a retenu une gouvernance sous forme associative, notamment au regard de l'exigence d'absence d'intérêt lucratif. Les représentants du patronat et des syndicats ont été désignés au conseil d'administration de l'Agefiph en même temps que ceux des associations. À cet égard, l'Agefiph a été précurseur du mouvement général tendant à associer les parties prenantes à la gouvernance des structures chargées de la gestion de fonds. Ce mode de gouvernance a été conforté par la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Les représentants patronaux et syndicaux sont particulièrement impliqués dans les aspects collectifs et l'interaction des problématiques liées au handicap avec le champ de l'entreprise, de l'emploi et du chômage ; les représentants des associations font davantage valoir les besoins individuels des personnes en situation de handicap.

La participation des associations aux instances de l'Agefiph évolue au fil du temps : selon les priorités qu'elles se donnent, elles désignent, après concertation, de nouveaux représentants au conseil d'administration. Par exemple, depuis la dixième mandature, commencée en septembre 2015, le conseil d'administration compte des représentants de l'Union nationale de familles et amis de personnes malades et ou handicapées psychiques (UNAFAM). C'est le signe que le monde associatif donne une certaine priorité à l'amélioration de l'intégration des personnes en situation de handicap mental.

Le dialogue entre partenaires sociaux et associations a lieu au niveau national : le conseil d'administration n'a pas de délégations au niveau local, contrairement au Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP). En revanche, des services de l'Agefiph sont mandatés par le conseil d'administration pour intervenir au niveau territorial, par exemple au sein des CREFOP. Il n'est pas demandé aujourd'hui de créer des comités de l'Agefiph déconcentrés à l'échelon local. On s'interroge plutôt sur les façons d'améliorer l'animation du réseau et de donner un mandat plus « politique » qu'avant aux délégués régionaux de l'Agefiph au sein des CREFOP et des organismes intervenant dans le domaine de l'emploi et de la formation des personnes en situation de handicap.

On peut dire des relations de l'Agefiph avec l'État qu'elles ont sensiblement évolué. À l'origine, l'Agefiph était perçue comme le simple gestionnaire d'un fonds constitué à partir des contributions des entreprises, les organisations d'employeurs et les syndicats de salariés ayant manifesté leur volonté de bien gérer ce fonds. Aujourd'hui, l'État lui transfère de plus en plus de tâches, comme la gestion des déclarations obligatoires d'emploi des travailleurs handicapés et de la lourdeur du handicap, et même des missions de puissance publique comme la gestion du rescrit, le tout sans moyens supplémentaires – mais c'est peut-être un autre sujet. L'Agefiph assume ses missions et s'interroge sur les façons d'améliorer son partenariat avec l'État. Le conseil d'administration s'approprie davantage la mission d'intérêt général qui lui est confiée par l'État, tout en restant libre au regard de la gestion du fonds. Il se montre en fait de plus en plus perméable aux injonctions de politiques publiques en matière de handicap.

Au sein du conseil d'administration siègent deux personnes qui sont désignées par l'État, mais qui n'ont pas de pouvoir de veto, contrairement à ce qui est prévu pour le FIPHFP. Le seul veto que pourrait opposer l'État concernerait l'approbation du budget, mais ça ne s'est jamais vu. Mais ce n'est pas pour autant que l'Agefiph est sous la tutelle directe de l'État.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Merci Madame la présidente. Avant de passer la parole à Monsieur le rapporteur, j'aurais une question à poser à chacun d'entre vous. Monsieur le directeur, vous avez indiqué qu'il fallait que les dispositifs de droit commun profitent pleinement aux personnes en situation de handicap : d'après vous, le droit commun est-il satisfaisant ? Madame la présidente, vous nous avez dit qu'il y avait auparavant un fossé entre l'État et l'Agefiph et qu'aujourd'hui, votre association est davantage un partenaire de l'État. Le paritarisme est-il un facteur d'acceptation des contraintes liées aux politiques d'emploi des personnes en situation de handicap ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

J'aurais tout d'abord une question d'ordre général. Le fonctionnement de l'Agefiph est assez original, puisque des représentants d'associations sont présents au conseil d'administration aux côtés des partenaires sociaux, ce qui n'est pas le cas dans d'autres structures. Cela a d'ailleurs été l'objet de débats. Par exemple, la question de la présence des associations de chômeurs au conseil d'administration de l'Unédic s'est longtemps posée. À la lumière de votre expérience, considérez-vous que la présence d'associations aux côtés des partenaires sociaux est, ou non, un atout ? Est-ce un exemple à suivre ? Comment s'organise la relation entre le réseau associatif et les partenaires sociaux ?

Ma deuxième question est plus ciblée et concerne le conseil en évolution professionnelle : comment le dispositif se met-il en place ? En constatant le fractionnement des responsabilités en la matière, nous nous interrogeons sur la nécessité d'y apporter des évolutions. Si l'Agefiph intervient en complément des dispositifs de droit droit commun, ce « droit commun » ne mériterait-il pas d'être organisé avec un chef de file bien identifié ? Nous avons entendu la semaine dernière des représentants du Fongecif Île-de-France et nous avons pu constater qu'ils n'étaient pas pleinement informés des actions menées par d'autres opérateurs, notamment par Pôle Emploi.

Enfin, ma troisième question concerne la formation. Quelles responsabilités avez-vous en matière de CPF ? Avez-vous des possibilités d'abondement ? Comment envisagez-vous l'introduction du CPA après la mise en place du CPF et du compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P) ?

Permalien
Anne Baltazar, présidente de l'Association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées, Agefiph

Il est difficile de savoir de façon tranchée si le paritarisme est un facteur d'acceptation des contraintes,. Les représentants patronaux et syndicaux au sein du conseil d'administration de l'Agefiph sont aussi partenaires dans d'autres domaines comme la formation professionnelle ou l'emploi. À ce titre, on parvient à établir des liens entre les sujets et à avoir des interventions utiles au sein du conseil d'administration. Depuis septembre dernier, ce dernier est très investi et bien informé des questions traitées au sein d'autres organismes paritaires. Si ce travail est enrichissant, cela ne veut pas dire pour autant qu'il n'est pas compliqué, car le paritarisme, c'est aussi des appareils qui ont des besoins différents et qui peuvent entrer en conflit, de sorte que la prise de décision peut prendre du temps. Mais les décisions prises sont issues de consensus utiles et fructueux dégagés à partir d'argumentations nourries. Cela ne signifie pas pour autant que l'on accepte facilement les prescriptions reçues dans le cadre d'une politique publique. Le conseil d'administration est perméable : il entend et produit des décisions consensuelles. La présence des associations ajoute un peu de complexité, car leurs représentants font état de besoins qui ne sont pas de même nature que ceux des partenaires sociaux et n'ont pas la même façon d'agir. N'étant pas nécessairement présentes dans d'autres organismes, les associations concentrent leurs revendications au conseil d'administration de l'Agefiph : elles ont des exigences fortes mais parfois contradictoires. Celles qui n'interviennent pas dans les entreprises n'ont parfois pas une connaissance aussi poussée de leur fonctionnement que les autres interlocuteurs. Le mécanisme paritaire peut être lourd, long et compliqué, mais le consensus qui s'en dégage est plutôt fructueux.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

J'ai une question plus ponctuelle : êtes-vous favorable à ce droit de veto de l'État sur le budget de l'Agefiph ?

Permalien
Anne Baltazar, présidente de l'Association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées, Agefiph

Le conseil d'administration de l'Agefiph ne s'est pas encore prononcé sur cette question. Il s'interroge en ce moment sur son positionnement par rapport à l'État et à d'autres partenaires. J'ai connu le fonctionnement du FIPHFP qui était « à la main » des politiques publiques, de sorte que l'intervention de l'État était directe et assumée. Je ne suis pas sûre que cela serait bien vécu à l'Agefiph. Quand il y a des alertes, on arrive à discuter et à se mettre d'accord pour éviter un veto de l'État.

Permalien
Hugues Defoy, directeur du Pôle Métier, Agefiph

Nous lisons avec la plus grande attention le courrier du ministre qui approuve notre budget et qui, à cette occasion, ne manque pas de rappeler quelles sont les priorités de l'État ; nous nous efforçons de les traduire dans nos interventions. On peut souligner que, lorsque le projet de loi de finances pour 2009 a prévu une ponction de 50 millions d'euros sur le budget de l'Agefiph, le conseil d'administration a unanimement voté contre. Cela illustre la solidarité de l'ensemble des composantes du conseil d'administration face à une disposition considérée comme allant à l'encontre de l'intérêt des personnes en situation de handicap. Nous subissons encore aujourd'hui trois prélèvements de l'État, de 29 millions d'euros chacun, au titre de la contribution de l'Agefiph à la mise en oeuvre des contrats aidés au bénéfice des personnes en situation de handicap.

La question du droit commun et de l'intervention de l'Agefiph en complément ou en substitution de ce dernier est aujourd'hui au coeur de la réflexion du conseil d'administration, qui se penche en ce moment sur la définition de son offre d'intervention. Les résultats sont plus ou moins satisfaisants selon les sujets : en matière de prise en compte des personnes en situation de handicap dans la mise en oeuvre des politiques publiques de l'emploi et, plus précisément, des contrats aidés, les résultats sont plutôt positifs : la part des contrats aidés bénéficiant aux personnes en situation de handicap (11 %) est supérieure à leur part dans la demande d'emploi (entre 8 % et 9 %). En matière de formation professionnelle, les résultats sont plus hétérogènes. Il y a donc un enjeu fort, pour l'Agefiph, à se positionner en appui de ceux qui construisent ces cadres d'intervention, pour qu'un certain nombre de besoins spécifiques aux personnes en situation de handicap soient intégrés dans ces dispositifs. Quand on construit un programme régional de formation, on doit se demander si les formations financées par la région répondent aux besoins propres aux personnes en situation de handicap. Le travail que nous réalisons en relation avec les partenaires sociaux doit aller en ce sens. Mais le droit commun s'approprie parfois difficilement des questions complexes comme l'accessibilité, pas seulement physique, mais aussi pédagogique.

Dans cette perspective de co-construction d'une politique de soutien à l'emploi des personnes handicapées, l'Agefiph décline actuellement un plan ambitieux de développement de l'alternance. En ce qui concerne l'apprentissage et la capacité des centres de formation d'apprentis (CFA) à accueillir des jeunes en situation de handicap, notamment intellectuel, les questions d'accessibilité et de compensation sont très prégnantes. On travaille à ce que le droit commun soit capable de répondre à ces exigences.

La question de l'articulation entre les politiques de droit commun et les politiques spécifiques renvoie à des problématiques comme celle des plans régionaux d'insertion professionnelle des travailleurs handicapés (PRITH) qui constituent des outils spécifiques ayant vocation à s'articuler avec le droit commun ; or, trop souvent, celui-ci a tendance à s'exonérer de ces enjeux au motif qu'un dispositif particulier est chargé de les traiter. La même question se pose au sujet du fonctionnement des CREFOP : tous ne se sont pas dotés de commissions « handicap » ; le fait de se doter d'une telle commission est-il la bonne réponse pour savoir comment traiter ces sujets ? Il faut avant tout se demander quel est le meilleur lieu où pourront être définies les orientations stratégiques d'une politique concertée de formation au bénéfice des personnes en situation de handicap sur un territoire : est-ce le PRITH, le CREFOP ou le comité paritaire interprofessionnel régional pour l'emploi et la formation professionnelle (COPAREF) ? Il arrive que pour satisfaire à une orientation stratégique définie par son conseil d'administration, l'Agefiph se substitue aux dispositifs de droit commun, par exemple en achetant des heures de formation non prévues dans les plans régionaux de formation ou en mettant en place des programmes particuliers visant à construire les pré-requis pour que les personnes handicapées soient en mesure de suivre les actions de formation.

L'Agefiph ne délivre pas elle-même le conseil en évolution professionnelle (CEP). Cap emploi le délivre aux demandeurs d'emploi en situation de handicap. Mais cela n'exonère pas d'un travail avec les acteurs des dispositifs de droit commun pour qu'ils soient à même d'intégrer les enjeux liés au handicap, car ce sont ces acteurs qui délivrent le CEP aux salariés en situation de handicap. Pour pouvoir s'appuyer efficacement sur les opérateurs des dispositifs de droit commun qui délivrent le CEP, l'Agefiph doit elle-même se positionner en appui de ces opérateurs.

L'Agefiph abonde le compte personnel de formation (CPF), sur la base de priorités définies au sein des listes établies par les partenaires sociaux. Cet abondement est modeste aujourd'hui : il a été de 600 000 euros en 2015, dans un contexte de montée en charge du dispositif. Le conseil national de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelles (CNEFOP) va produire un rapport sur la mise en place du CEP et du CPF. L'Agefiph réfléchit aux moyens de faire évoluer le dispositif après une première année de mise en oeuvre modeste, dans un système qui n'est pas exempt de complexité. L'abondement du CPF par le truchement du C3P a, de notre point de vue, tendance à accroître encore cette complexité.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Avant de conclure, il y aura encore deux questions : l'une du président Arnaud Richard et l'autre du rapporteur.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Les partenaires sociaux sont des acteurs essentiels et fragiles à la fois .La question que je souhaite vous soumettre est importante : y a-t-il une mise en cohérence de ces organismes paritaires, un décloisonnement qui permettrait un dialogue entre des organismes qui se situent sur des terrains très proches ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je partage l'analyse du président pour dire que les structures paritaires sont bien gérées mais qu'elles sont souvent très cloisonnées.

Je voulais vous poser une autre question : le paritarisme entendu largement comprend la négociation sociale. Quel est votre point de vue sur la négociation en entreprise sur l'insertion des personnes handicapées ? Avez-vous une réflexion sur une éventuelle modification des obligations des entreprises ? L'application actuelle de ces obligations vous semble-t-elle nécessiter des mesures plus coercitives ?

Enfin, avez-vous des propositions à faire sur l'abondement spécifique du CPF et du CPA pour les personnes handicapées ?

Permalien
Anne Baltazar, présidente de l'Association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées, Agefiph

S'agissant de la question du président, qui est fondamentale, l'Agefiph est un exemple de ce décloisonnement : elle est passée d'un paritarisme de gestion avec une mission bien définie consistant à gérer le fonds, à un positionnement global par rapport à d'autres acteurs. Au départ, nous fonctionnions sur la base de deux principes : la recherche du retour des personnes handicapées dans le milieu ordinaire de travail et la « récupération » par les entreprises de leurs contributions. Aujourd'hui, nous assumons de nouvelles missions, qui sont mieux acceptées : le développement de l'interaction, la prise en compte de besoins et des injonctions politiques.

Il s'agit donc effectivement d'une piste possible d'amélioration pour l'Agefiph, et pour le paritarisme en général. Il existe des lieux et des moments pour discuter des sujets qui préoccupent les organisations syndicales, à savoir le progrès social : c'est le cas de l'agenda social et de la négociation. À titre d'exemple, la dernière réunion de l'agenda social portait sur le handicap : faut-il négocier sur le handicap ? En 2016, les partenaires sociaux vont ouvrir une délibération sur ce sujet, particulièrement intéressante parce qu'elle doit mettre en cohérence les différents acteurs. Cela nous conduit vers la question de Monsieur le rapporteur sur les personnes qui participent à ces discussions : lorsqu'on est membre des instances dirigeantes d'une organisation syndicale ou patronale, on est partie prenante de l'ensemble des sujets, et cela permet ensuite de décliner cette réflexion dans la gestion des différentes politiques publiques.

Permalien
Hugues Defoy, directeur du Pôle Métier, Agefiph

S'agissant de la question portant sur le caractère suffisant de la négociation sociale en entreprise sur le handicap, c'est un sujet d'actualité qui a récemment fait l'objet d'une table ronde et qui a interpellé notre organisation. L'Agefiph agit déjà pour dynamiser la négociation collective en intervenant directement auprès des entreprises afin de leur donner les outils permettant d'organiser le dialogue. L'objectif fixé par le président de la République, tendant à multiplier par trois le nombre d'accords, a trouvé une déclinaison dans la loi avec la possibilité d'être libéré de l'obligation d'emploi, s'il est atteint. Cela pose des questions sur les ressources de l'Agefiph, qui agit énormément grâce à son réseau, dont elle assure l'animation. L'Agefiph a la capacité de mettre des acteurs autour d'une table pour parler de l'emploi, de la formation et de la qualification des personnes handicapées. Cela pourrait se traduire par un renforcement de son offre de services en faveur de la négociation.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous remercie pour cette audition très riche et très intéressante.

Puis la mission entend M. Jean Bassères, directeur général de Pôle emploi, et M. Damien Ranger, chargé de mission à la direction de la stratégie.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Mes chers collègues, je remercie en votre nom M. Jean Bassères d'avoir bien voulu accepter notre invitation à s'exprimer devant nous sur la gestion paritaire de l'assurance chômage et de la formation des demandeurs d'emploi.

Cette gestion paritaire a connu des évolutions juridiques sur lesquelles les membres de l'Unédic se sont déjà exprimés devant nous.

Monsieur le directeur général, vous êtes à la tête de Pôle emploi depuis maintenant cinq ans. Quel bilan tirez-vous des évolutions connues sur cette période ? Que reste-t-il du paritarisme des anciennes ASSEDIC dans l'administration quotidienne de Pôle emploi ?

Plus largement, quel avenir envisagez-vous pour le paritarisme de gestion dans la sécurité sociale professionnelle qui est en train de se dessiner ? Pôle emploi pourrait-il, par exemple, sans une gestion paritaire, devenir l'opérateur unique du compte personnel d'activité (CPA) alors que la liquidation de certains droits portés sur ce compte resterait soumise à l'accord de l'employeur ?

Nous aurons par la suite des questions plus opérationnelles sur la manière dont Pôle emploi appréhende le grand bouleversement qui est en train de se produire.

Permalien
Jean Bassères, directeur général de Pôle emploi

Monsieur le président, tout d'abord, je présenterai des excuses car j'ai dû annuler par deux fois mon audition devant votre mission d'information, pour de très bonnes raisons, comme vous pouvez l'imaginer.

J'aimerais insister sur le fait que Pôle emploi fait un peu figure de chauve-souris au regard du paritarisme. Nous ne sommes pas un organisme paritaire au sens où peuvent l'être l'Unédic ou les organismes de gestion des retraites complémentaires, mais les partenaires sociaux jouent un rôle important dans notre organisation puisqu'ils sont majoritaires au conseil d'administration.

La gouvernance de Pôle emploi est rythmée par la négociation d'une convention tripartite entre l'État, l'Unédic et Pôle emploi. Nous en sommes à la troisième convention tripartite qui couvre quatre années – 2015-2018 – au lieu de trois comme les précédentes. C'est un exercice particulièrement important pour Pôle emploi car ces intenses négociations avec l'État et les partenaires sociaux, qui s'étalent sur plusieurs semaines, permettent de fixer les grandes orientations stratégiques. La dernière négociation a ainsi convergé vers la personnalisation de l'accompagnement des demandeurs de l'emploi, la mise en place de conseillers dédiés aux relations avec les entreprises et le développement du digital. Ajoutons que les conventions tripartites font l'objet d'un suivi régulier avec l'État, les partenaires sociaux et l'Unédic.

Le conseil d'administration compte dix-neuf membres, dont dix représentent les partenaires sociaux : cinq pour les syndicats représentatifs de salariés et cinq pour les organisations professionnelles. La place majoritaire des partenaires sociaux est d'autant plus prégnante que certaines décisions, notamment le budget, doivent être adoptées à une majorité des deux tiers. Ils sont donc directement impliqués dans la détermination des orientations stratégiques et dans leur exécution. D'un point de vue juridique, Pôle emploi est un opérateur de l'État et sans doute l'État considère-t-il Pôle emploi comme son opérateur à part entière. Il nous appartient de faire comprendre que Pôle emploi est aussi l'opérateur des partenaires sociaux. Des évolutions fortes se sont produites : il n'y a plus de délibérations dont la validité serait strictement conditionnée à leur approbation par le Gouvernement, comme du temps de l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE). Le conseil d'administration a la capacité d'intervenir, il peut même mettre fin aux fonctions du directeur général à une majorité des deux tiers – des projets en ce sens sont peut-être en cours, mais je ne suis pas au courant…

Le livre que mon prédécesseur, M. Christian Charpy, a consacré à son expérience comporte un chapitre intitulé « Dans l'arène du conseil d'administration ». Cela témoigne du fait que Pôle emploi avait été construit sans soutien des partenaires sociaux présents au conseil d'administration, lequel était davantage un lieu d'affrontements que de convergences. Grâce au talent de l'actuel président du conseil d'administration, M. François Nogué, nous avons réussi à bâtir un conseil de nature complètement différente en lui imprimant deux évolutions décisives.

La loi prévoit l'existence de deux comités : un comité d'audit et un comité d'évaluation. Nous avons créé un comité stratégique qui a fusionné avec le comité d'évaluation. Dans cette instance extrêmement vivante, présidée par un membre du conseil d'administration – en l'occurrence Mme Patricia Ferrand, de la CFDT –, nous discutons de tous les projets importants avant qu'ils ne soient soumis à la délibération du conseil d'administration.

Par ailleurs, nous organisons avec tous les membres du conseil d'administration des séminaires qui contribuent à créer un sentiment d'appartenance. Depuis la création de Pôle emploi, trois se sont tenus : le premier avait pour thème le premier plan stratégique « Pôle emploi 2015 » ; le deuxième était consacré à Pôle emploi à un horizon de dix ans ; le troisième préparait la discussion de la dernière convention tripartite avec l'État et l'Unédic. Un quatrième est prévu au mois de mai.

Le conseil d'administration se consacre réellement à des sujets de fond. Je donnerai trois exemples de sujets ayant donné lieu à des débats nourris et qui sont désormais très consensuels au sein de cette instance.

Il y a d'abord le sujet des opérateurs privés de placement. Nous avons modifié la doctrine en la matière. Nous nous sommes demandé s'il fallait ou non conserver un lien avec ces opérateurs privés dans la mesure où des éléments d'évaluation montrent qu'ils n'assurent pas un meilleur accompagnement que l'opérateur public. Le conseil d'administration a fait le choix de les conserver : en partie, pour des raisons d'attachement de certains de ses membres à ce type d'intervention, en partie aussi parce que nous n'avions pas la certitude que si nous cessions d'y recourir, nous recevrions en contrepartie les moyens nécessaires de la part de l'État. Nous avons décidé collectivement de recentrer leurs interventions sur l'accompagnement des demandeurs d'emploi les plus autonomes pour réinternaliser au sein de Pôle emploi l'accompagnement des demandeurs d'emploi en difficulté, qui est pour moi notre coeur de métier.

Il y a eu aussi la mise en place d'équipes dédiées au contrôle de la recherche d'emploi.

Et tout dernièrement, il y a eu le passage à un nouveau mode d'accueil avec le matin, un accueil sur flux, et l'après-midi, un accueil sur rendez-vous, changement considérable en termes de qualité de service.

Au-delà de la composition formelle des instances, l'important est la capacité à faire vivre un dialogue interne avec les partenaires sociaux. Et nous sommes plutôt satisfaits de la manière dont les choses se passent aujourd'hui si je compare à la situation d'il y a quatre ans. Je dois vous préciser qu'un audit portant sur le fonctionnement du conseil d'administration est en cours pour mesurer les marges de progrès qui s'offrent à nous.

Outre le fonctionnement du conseil d'administration, l'importance de paritarisme se manifeste par le fait que Pôle emploi met en place des dispositifs conçus par les partenaires sociaux.

Je citerai cinq domaines dans lesquels nous appliquons des règles qui ne sont pas conçues par nous mais qui sont négociées par les partenaires sociaux ou bien décidées par le législateur à partir de la transcription dans la loi de l'accord national interprofessionnel : l'assurance chômage, la formation, le contrat de sécurisation professionnelle, le compte personnel de formation (CPF) et le conseil en évolution professionnelle (CEP).

Je m'attarderai sur l'assurance chômage et le conseil en évolution professionnelle.

Sur l'assurance chômage, nous jouons clairement le rôle d'opérateur chargé de mettre en oeuvre une réglementation. Nous intervenons en amont des négociations pour faire part aux partenaires des mesures de simplification qu'il nous semblerait bon d'adopter, en nous fondant sur les retours des conseillers et des demandeurs d'emploi. Cette démarche n'avait rien d'évident. La première fois que j'ai mis en place avec les conseillers un groupe de travail pour faire émerger des mesures de simplification, cela m'a été reproché en interne par certains syndicats qui considéraient que c'était l'affaire des partenaires sociaux et que nous n'avions pas à nous soucier de la réglementation. J'estime au contraire que lorsqu'on applique une réglementation, on a forcément quelque chose à dire des conditions de sa mise en oeuvre. Nous avons ainsi fait des propositions à l'Unédic.

Lors de la dernière négociation, nous avons donné notre point de vue sur les conditions opérationnelles de mise en oeuvre de l'accord. C'est ainsi que nous avons porté une innovation : une nouvelle convention comportant deux dates d'application afin de tenir compte des contraintes liées à la formation, aux systèmes d'information et tout simplement à la communication nécessaire sur les nouvelles dispositions.

Cette année, nous avons franchi une étape supplémentaire. Nous avons été invités par les partenaires sociaux à venir parler de la manière dont nous voyions les choses dans la phase préparatoire des négociations. Nous nous sommes permis d'aller au-delà des quelques mesures de simplification pour développer quelques sujets de fond.

L'évolution est nette : il y a quelques années, c'est à peine si nous avions le droit de prononcer le mot « assurance chômage » ; aujourd'hui, on nous accepte pour faire valoir notre point de vue en matière de simplification et de mise en oeuvre de la réglementation. Les partenaires sociaux souhaitent garder un régime paritaire d'assurance chômage. Toutefois Pôle emploi n'est pas encore perçu comme étant aussi l'opérateur des partenaires sociaux : si c'était le cas, il y aurait double emploi entre l'Unédic et Pôle emploi dans sa fonction d'assistance aux négociateurs.

J'en viens au conseil en évolution professionnelle, dispositif créé par la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale. C'est potentiellement le nouveau paradigme de Pôle emploi. Dans un premier temps, nous avions été un peu hésitants face à ce nouveau dispositif car il était un peu troublant. Nous avons écarté la solution qui aurait consisté à créer une petite prestation dénommée « conseil en évolution professionnelle » réservée à quelques demandeurs d'emploi et avons préféré modifier en profondeur notre offre de services pour être au rendez-vous. Cela a impliqué un changement considérable, qui n'est pas encore achevé.

Nous avons voulu distinguer deux catégories dans notre offre de services : les demandeurs d'emploi autonomes, proches de l'emploi, auxquels nous devons assurer un service d'indemnisation, de réponses aux questions qu'ils posent et de contrôle de leur recherche d'emploi ; et, à côté de ces demandeurs « suivis », les demandeurs d'emploi « accompagnés », moins proches de l'emploi, pour lesquels nous devons faire un travail de fond qui comprend une analyse de leurs compétences professionnelles au regard du marché du travail et de leurs souhaits d'évolution, une évaluation de leurs besoins de formation et des conseils d'orientation.

En conséquence, nous avons fait évoluer notablement notre offre de services. Nous avons mis fin à ce qui était l'un des premiers éléments mis en place à la création de Pôle emploi : l'entretien unique, où étaient traités à la fois l'indemnisation et le placement. Aujourd'hui, l'indemnisation est traitée en amont du premier entretien, qui est désormais uniquement consacré au diagnostic. En outre, nous avons développé de nouvelles plages d'accueil sous forme de rendez-vous l'après-midi : pour faire un travail en profondeur avec un demandeur d'emploi, il faut que ce soit le conseiller qui le connaît le mieux qui puisse l'accompagner. Enfin, nous avons voulu mieux articuler le travail des psychologues du travail avec celui des conseillers.

Cette évolution, je dois vous le dire en toute honnêteté, va encore prendre deux à trois ans car elle suppose une élévation du niveau de compétence des conseillers. Nous investissons donc massivement dans leur formation. Nous en sommes aujourd'hui à six ou sept jours de formation par an et par conseiller, soit un doublement par rapport aux débuts de Pôle emploi.

Le compte personnel d'activité s'inscrira dans cette dynamique. Il posera la question de l'accompagnement et Pôle emploi jouera un rôle important dans la mobilisation des CPA des demandeurs d'emploi, sous réserve que l'on connaisse les règles de fongibilité et de mobilisation des droits au profit de la formation.

Nous avons une capacité, dont nous ne disposions pas il y a deux ou trois ans, de mettre à la disposition des actifs des outils numériques. Nous investissons massivement dans le digital. Nous avons ainsi ouvert en juillet 2015 une plateforme intitulée Emploi Store qui regroupe cent cinquante services développés par des partenaires privés et publics de Pôle emploi – MOOCs, jeux de simulation, b.a.-ba, entretiens virtuels. Le CPA devra faire l'objet d'un accompagnement à travers ce portail.

Je dois dire que je n'ai pas d'opinion tranchée sur le paritarisme. Ce qui m'intéresse, ce n'est pas le paritarisme en tant que tel mais sa capacité à relever les défis. À cet égard, j'attends avec intérêt la nouvelle négociation.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Plus nous avançons dans nos auditions, plus nous avons le sentiment que si chaque organisme paritaire est plutôt correctement géré au regard des standards de gestion publique et a des capacités d'innovation, le système dans son ensemble peine à prendre en compte les individus dans la diversité de leurs problèmes et dans les spécificités de leur parcours professionnel. Ce constat appelle deux évolutions.

Nous pourrions imaginer, sans renoncer au paritarisme, une sécurité sociale professionnelle qui impliquerait de diminuer le nombre de régimes et engloberait le chômage, l'emploi, la formation professionnelle, la gestion des temps tout au long de la vie et le passage de l'activité à la retraite.

Du côté des opérateurs, nous pourrions concevoir une évolution analogue : dès lors que l'on parle de formation et d'évolution professionnelle, cela n'a pas de sens de considérer le temps du chômage de manière isolée. Un chômeur est un ancien salarié comme un futur salarié. Qu'un même opérateur gère à la fois l'accompagnement des demandeurs d'emploi et des salariés a-t-il du sens de votre point de vue ? Est-ce techniquement faisable ? Ne serait-ce pas une évolution positive à la fois pour les demandeurs d'emploi et pour les agents de Pôle emploi ? Leur métier deviendrait complètement différent : ils seraient très fortement ancrés dans l'entreprise et prendraient en compte les stratégies déployées par les salariés tout au long de leur carrière. Ce serait sans doute plus gratifiant pour eux.

Permalien
Jean Bassères, directeur général de Pôle emploi

Une telle évolution aurait intellectuellement du sens, monsieur le rapporteur. Comme vous le dites, les demandeurs d'emploi sont les salariés de demain et en général d'anciens salariés : on a tendance à oublier que parmi les personnes inscrites à Pôle emploi, 2 millions ont travaillé le mois précédent. La difficulté de tous nos modèles est qu'ils ont été conçus dans une logique de retour à l'emploi durable – CDI ou CDD de plus de six mois – alors que la réalité du marché du travail est tout autre, compte tenu de l'importance des allers et retours entre activité salariée et chômage, activité réduite et activité pleine. Nous essayons plutôt d'encourager des reprises d'emploi, même de durée limitée. Nous avons constaté en effet que dans de nombreux secteurs, le CDD est le point d'entrée du CDI. C'est le cas, par exemple, dans l'aéronautique. Par ailleurs, nous allons lancer un site destiné aux salariés concernés par une activité réduite pour leur permettre d'avoir des compléments d'activité. Il leur sera possible de présenter le calendrier de leurs disponibilités, auxquelles notre offre de services devra s'adapter. Cette réalité s'impose à nous, que nous la considérions comme positive ou non

Je vois toutefois deux difficultés dans l'évolution que vous suggérez.

Elle supposerait de recalibrer Pôle emploi en profondeur, alors que nous sommes déjà confrontés à des difficultés objectives dans le traitement des demandeurs d'emploi.

En outre, elle impliquerait de remettre en cause des évolutions institutionnelles assez lourdes. Nous sommes engagés depuis quelques années dans un mouvement de décentralisation de la formation professionnelle des demandeurs d'emploi. Nous essayons – et je crois que nous y parvenons – de mieux articuler les interventions des régions et de Pôle emploi en ce domaine. Confier à un opérateur unique les leviers de la formation professionnelle réclamerait une réforme institutionnelle profonde. Or je ne suis pas sûr que notre pays soit mûr pour revenir sur le mouvement de décentralisation.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Comment l'articulation avec les régions est-elle envisagée ? L'entrée de représentants des régions au conseil d'administration est-elle une option ? Vous orientez-vous vers des systèmes d'agrément ou de conventionnement ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Ma question concerne précisément le rôle des régions. Élu du département de la Somme, j'aimerais vous interroger sur le dispositif « Proch'emploi » lancé par M. Xavier Bertrand, président de la grande région qui a pris le nom de « Hauts de France ». Cette opération, destinée à rapprocher les chômeurs d'offres d'emploi non pourvues, fait écho à ce que proposent certains opérateurs privés de recherche d'emploi.

Cette initiative semble mettre en lumière les lacunes de Pôle emploi. Rappelons que seul un emploi sur quatre est pourvu par cet opérateur public.

Face à une offensive émanant d'une collectivité territoriale en faveur de l'emploi, qui somme toute peut sembler louable, comment Pôle emploi peut-il répondre de manière plus efficace pour garantir à la majorité des chômeurs un accès à un emploi de qualité ? Comment peut-il travailler en étroite collaboration avec cette région ?

Permalien
Jean Bassères, directeur général de Pôle emploi

Je développerai ma réponse en deux temps : Pôle emploi et les régions puis Pôle emploi et la région des Hauts de France.

Je dois d'abord préciser que depuis la loi NOTRe, l'un des deux sièges réservés aux collectivités locales au conseil d'administration est dévolu à un représentant des régions. C'est M. Christian Estrosi qui a été désigné la semaine dernière par l'Association des régions de France (ARF) pour l'occuper.

Permalien
Jean Bassères, directeur général de Pôle emploi

Je vais vous rassurer, monsieur le président, Pôle emploi ne manque pas de pressions, d'où qu'elles viennent !

Nos liens avec les régions reposent sur une approche conventionnelle que nous allons enrichir dans les prochaines semaines.

Il y a d'abord le volet consacré à la formation professionnelle. La loi du 5 mars 2014 prévoit que Pôle emploi ne peut passer des marchés de formation qu'avec l'accord de la région. Ce que nous proposons aux régions, c'est d'aller plus loin dans cette logique en prenant en compte également les aides individuelles à la formation que nous achetons. Elles auront alors une vue intégrée de toutes les formations achetées par Pôle emploi. Cela aura un mérite majeur : lever la suspicion dont nous faisons l'objet de la part des régions, qui ont tendance à penser que nos conseillers préfèrent adresser les demandeurs à des formations achetées par Pôle emploi plutôt que par elles. Ce n'est pas le cas, ce serait même plutôt l'inverse puisqu'on a plutôt tendance à dépenser un argent qui n'est pas le sien pour ne pas assécher ses propres ressources. Si nos conseillers le font moins que la logique ne le voudrait, c'est pour des raisons tenant au fonctionnement des systèmes d'information : ils n'ont pas forcément connaissance de toutes les formations achetées par les régions. Une fois ces soupçons dissipés, j'espère que nous pourrons travailler en profondeur avec les régions sur les conditions pratiques de prescription, qui nous permettront de répondre aux enjeux du plan « 500 000 formations ».

Ce que nous proposons également aux régions, c'est de bâtir avec elles de nouveaux partenariats autour de quatre dimensions.

Il s'agit d'abord de l'accompagnement des demandeurs d'emploi créateurs d'entreprise. La création d'entreprise est un levier important pour une reprise d'activité. Nous nous situons en amont du processus en aidant les demandeurs d'emploi à s'assurer que leur projet correspond à une création d'activité et nous comptons multiplier les actions de qualification pour la création d'entreprise. Ils ont besoin ensuite d'être accompagnés par des réseaux spécialisés, que ce soient les organismes consulaires, Initiative France ou l'Association pour le droit à l'initiative économique (ADIE), afin de construire un business plan et solliciter des prêts auprès d'un banquier. Il manque aujourd'hui une autorité organisatrice qui supervise ce type d'accompagnement. Je pense que les régions ont un rôle majeur à jouer en la matière, d'autant qu'après janvier 2017, elles seront responsables du dispositif NACRE – Nouvel accompagnement pour la création et la reprise d'entreprise – d'aide à la création d'entreprise, qui relevait auparavant de l'État.

La deuxième piste de partenariat passe par les 4 200 conseillers dédiés aux relations avec les entreprises que nous avons déployés depuis 2015 – ce qui est une grande nouveauté car l'ANPE et Pôle emploi considéraient que les conseillers devaient à la fois s'occuper des demandeurs d'emploi et des entreprises. Ces conseillers ont vocation à se tourner davantage vers les stratégies économies régionales.

La troisième piste repose sur la mobilité des demandeurs d'emploi, sujet très important. Nous finançons des aides à la mobilité. La région, en tant qu'autorité organisatrice des transports, pourrait prendre un leadership plus fort dans ce champ d'action.

Enfin, la quatrième piste renvoie au numérique. Notre force de frappe y est considérable car nous sommes un service public national. Nous allons travailler avec les régions au développement de nouveaux outils que nous mettrons au service des demandeurs d'emploi.

J'en viens aux relations entre Pôle emploi et la région des Hauts de France. J'ai rencontré M. Xavier Bertrand et nous allons travailler avec cette région sur les pistes que je viens de développer. Une convention sera négociée dans le cadre du plan « 500 000 formations ».

S'agissant de Proch'emploi, j'ai dit, depuis le début, que je ne comprenais pas la logique de ce dispositif. C'est, ni plus ni moins, un Pôle emploi bis. S'il s'agit de doublonner, alors il faut assumer le fait qu'il y ait des doublons. Une chose me gêne tout particulièrement : les rendez-vous avec les demandeurs d'emploi seront assurés par le personnel de la région ; or, selon moi, on ne peut s'improviser conseiller à l'emploi du jour au lendemain : c'est un véritable métier. Cela étant, qu'une personne trouve un emploi grâce à Proch'emploi ou à Pôle emploi, cela me fera toujours plaisir. Nous jugerons des dispositifs à leur efficacité respective – à moyens identiques car la clef de l'accompagnement est le temps consacré aux individus.

Nous devons travailler avec Proch'emploi : il y a des articulations à trouver avec Pôle emploi et il serait sans doute bon de mettre l'accent sur la formation. Contrairement à ce que certains pourraient penser, nous avons de bonnes relations avec la région des Hauts de France.

Il reste que je ne suis pas convaincu par le fait que d'autres fassent la même chose que Pôle emploi. J'ai une vision très pragmatique des choses. Il a souvent été dit que les opérateurs privés étaient beaucoup plus efficaces. En discutant avec mes collègues allemands, qui en matière de retour à l'emploi ont une certaine expérience, j'ai compris qu'ils ne faisaient pas appel aux opérateurs privés parce qu'il n'y avait pas de raisons objectives que le privé ait un avantage comparatif par rapport au public. Les analyses comparatives menées en France par M. Bruno Crépon, qui est une autorité en ce domaine, ont montré que le privé n'était pas plus efficace.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Que pensez-vous de l'obligation d'être syndiqué pour pouvoir bénéficier de l'assurance chômage, approche promue par le syndicalisme de services ?

Permalien
Jean Bassères, directeur général de Pôle emploi

J'avoue mon inculture en la matière, je ne savais pas que ces pratiques existaient.

Permalien
Jean Bassères, directeur général de Pôle emploi

Il est sûr que cela aurait des effets en termes d'augmentation du taux de syndicalisation. J'ai toujours du mal à imaginer qu'on adhère à une organisation dans une optique purement utilitariste – même si, sans doute, je suis encore plein d'illusions !

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Comme vous, j'estime qu'il n'y a pas de raison pour qu'un opérateur public soit moins efficace qu'un opérateur privé. Il n'empêche que nous avons tous dans nos permanences des femmes et des hommes qui nous disent devoir attendre six mois avant d'obtenir un entretien à Pôle emploi pour évoquer sérieusement leur évolution professionnelle. Cela fait des décennies que l'on voit des tentatives de rationaliser l'offre de services, tantôt en mettant l'accent sur les conseillers généralistes, tantôt sur les conseillers spécialisés. Estimez-vous que Pôle emploi souffre d'une insuffisance de moyens ? Quels seraient les moyens nécessaires pour mettre en place une offre de services qui permettrait à chaque demandeur d'emploi d'être accompagné – enfin, s'il le souhaite, car je suis d'accord avec l'idée que l'on laisse de l'autonomie aux demandeurs proches de l'emploi ?

Plus nous avançons dans nos travaux, plus nous prenons conscience de la complexité de l'accompagnement individuel. En matière de formation, il est difficile de savoir vers qui se tourner : vers un organisme paritaire collecteur agréé, vers le directeur des ressources humaines pour mettre en oeuvre un congé individuel de formation, vers Pôle emploi, vers Cap emploi, vers la mission locale ? Je ne sais pas si ce système d'une redoutable complexité a des équivalents en Europe ou dans le monde.

Pour le CEP, cinq opérateurs différents sont concernés. Quand nous avons demandé aux représentants du Fongecif Île-de-France combien de CEP étaient dispensés par leur organisme, ils ont su nous répondre – 100 000 sur 300 000 à l'échelle de la France. En revanche, ils n'avaient aucune idée du nombre de CEP dispensés par Pôle emploi ou les autres opérateurs. Y a-t-il un chef de file parmi les opérateurs ? Des réunions communes sont-elles organisées, par région ou par bassin d'emploi ?

Nous aurions intérêt à clarifier les rôles. L'accompagnement des personnes ne relève pas, à mon sens, des régions – l'exemple des Hauts de France est suffisamment éclairant. Il y a mille missions vers lesquels elles pourraient avantageusement se tourner : je pense, entre autres, à la labellisation de formations, compte tenu de leur connaissance du tissu économique local ; je pense aussi à la mobilité, au coeur des compétences régionales.

La question n'est pas tant de savoir ce que l'on peut décentraliser ou non que de distinguer ce qui est géré nationalement – y compris de façon déconcentrée – de ce qui est décentralisé.

Permalien
Jean Bassères, directeur général de Pôle emploi

Je rappellerai – je ne l'ai pas précisé avant et c'est une erreur – que Pôle emploi est volontairement très déconcentré. Je considère qu'un opérateur de cette nature ne peut agir qu'au plus près des territoires. Notre objectif – au regard de notre gestion interne – est de donner un maximum de responsabilités aux responsables territoriaux en termes de moyens mais aussi d'offres de services. Je me méfie des offres de services trop standardisées au niveau national. C'est localement que l'on peut savoir si tel demandeur d'emploi est ou non autonome. Une même personne ne relèvera pas forcément de la même catégorie selon les contextes économiques locaux.

Je suis d'accord avec les propos du rapporteur sur les compétences de régions. Quand j'évoquais l'accompagnement personnel, c'était au titre de la mobilisation des acteurs. La région doit non pas assurer elle-même le suivi des demandeurs d'emploi créateurs d'entreprise mais s'assurer que les actions des divers organismes sont bien articulées. Elles sont appelées à jouer le rôle de chef d'orchestre que vous évoquez pour le CEP.

S'agissant des moyens, je soulignerai que Pôle emploi souffre d'un mal profond : nous ne sommes pas capables de présenter clairement nos résultats. Certes, notre action est un peu « écrasée » chaque mois par la publication de l'évolution du nombre de chômeurs à laquelle chacun a tendance à assimiler nos résultats, ce qui est sans doute excessif – le jour où la courbe du chômage s'inversera, personne ne dira que c'est grâce à Pôle emploi, croyez-moi. Comment montrer que les puissantes transformations que nous mettons en oeuvre produisent des résultats ? Tel est le problème auquel nous sommes confrontés.

Avec l'État et les partenaires sociaux, nous nous sommes mis d'accord sur treize indicateurs, qui reposent sur le retour à l'emploi et la satisfaction des demandeurs d'emploi et des entreprises. Nous avons publié il y a un mois et demi tous les résultats – par agence – avec une carte interactive permettant de faire des comparaisons. Personne n'en a parlé alors que toute la presse se fait l'écho du récent classement des lycées publié par le ministère de l'éducation nationale. J'aimerais que nous soyons jugés sur la base de ces chiffres, qui montrent des améliorations nettes même si elles ne sont pas suffisantes. Prenons le taux de satisfaction des demandeurs d'emploi et des entreprises : il a enregistré une progression de trois à quatre points en trois ans, ce dont on peut se réjouir, mais il se situe à 65 %. Et c'est le tiers d'insatisfaits que vous devez rencontrer dans vos permanences.

Nous devons vraiment convaincre que les orientations que nous avons retenues permettent une amélioration. Spécialiser les conseillers et dédier les après-midi à l'accueil sur rendez-vous sont des évolutions majeures ; j'attends d'elles en 2016 une amélioration des taux de satisfaction.

Le débat sur les moyens est légitime. Depuis 2012, il y a eu 4 000 créations d'emplois à temps plein au sein de Pôle emploi, ce qui a supposé un effort considérable de la part des pouvoirs publics. Et nous avons redéployé 2 000 équivalents-temps plein vers le conseil. Si l'on accordait des moyens supplémentaires à Pôle emploi, je les accepterais avec plaisir. Mais je connais les contraintes budgétaires et je sais les difficultés qui ont entouré la négociation de la convention tripartite. Maintenir à niveau la dotation de l'État était déjà un combat. Pour être tout à fait honnête, je ne suis pas en mesure de vous donner des chiffres précis. Au fond de moi, je sais qu'environ un quart des personnes qui relèvent de la catégorie des demandeurs autonomes devraient faire l'objet d'un suivi différent. Il faut continuer à pouvoir dégager du temps pour renforcer l'accompagnement et en cela, l'automatisation est d'une grande aide. Une partie des formalités passe désormais par Internet – et les personnes qui n'en disposent pas peuvent être aidées en agence par l'un des 2 000 volontaires du service civique.

Vous insistez, monsieur le rapporteur, sur la coordination. La complexité demeurera mais la visibilité peut être facilitée grâce au numérique, auquel je crois beaucoup. Nous venons de mettre au point une application développée en interne sur le mode des start-up par un conseiller aidé d'un développeur : elle s'intitule « La bonne formation ». D'abord mise en ligne dans les Pays de la Loire, elle sera progressivement étendue à toutes les régions, avec leur accord. Elle permet d'obtenir très rapidement des informations sur les formations à tel ou tel métier ainsi que sur le taux de retour à l'emploi qu'elles permettent.

S'agissant du conseil en évolution professionnelle, il faut avoir l'honnêteté de souligner que nous sommes encore dans une phase de montée en charge. Je conçois que le Fongecif ne puisse pas dire combien de CEP relèvent de Pôle emploi. De premiers partages de compétences et d'expériences entre conseillers ont lieu sous l'égide de Centre Inffo. Dans les mois et les années qui viennent, ce processus s'accélérera. Ma conviction est que les choses doivent se faire au niveau régional.

Il faut bien voir que le CEP implique un changement complet de paradigme, qui nécessite deux ou trois années de formation en interne. La tradition de l'ANPE était de proposer une offre d'emploi au demandeur d'emploi. Or la réalité du marché du travail amène à réviser ce modèle : 60 % des recrutements se font sans offre d'emploi – c'est ce qu'on appelle le marché caché. Le travail des conseillers ne consiste pas à repérer une offre d'emploi sur internet : le demandeur d'emploi peut le faire lui-même, d'autant que le site pole-emploi.fr agrège 500 000 offres d'emploi issues également d'opérateurs du secteur privé – le seul à ne pas y participer, c'est le site leboncoin.fr car il est déjà si populaire qu'il n'a pas besoin du surcroît de trafic que nous pouvons lui offrir. Le rôle du conseiller est avant tout d'aider le demandeur d'emploi à savoir s'il recherche bien dans le secteur qui correspond à ses compétences et s'il n'a pas besoin d'une formation.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Longtemps, l'État a donné à Pôle emploi des injonctions paradoxales, différentes tous les six mois. Quels sont vos rapports avec l'État aujourd'hui ? Les partenaires sociaux qui prônent l'emploi durable peuvent-ils être aussi à la source d'injonctions paradoxales au sein du conseil d'administration ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Parmi les handicaps d'une structure nationale de grande taille, confrontée, qui plus est, à un problème aussi profond que le chômage de masse, il y a peut-être la lenteur et la faible capacité d'adaptation.

Souvenons-nous du système informatique GIDE mis en place par l'ANPE à la fin des années 1990. Sitôt nommé, le gouvernement de l'époque avait considéré qu'il serait sans doute judicieux que le demandeur d'emploi puisse être pris en charge par le même conseiller d'un rendez-vous sur l'autre et il fut découvert que ce nouveau système ne permettait pas un tel suivi, alors que son déploiement avait duré cinq ans et coûté 1 milliard de francs !

Une autre question affleure à partir de l'exemple de l'application mise en ligne d'abord dans une région puis progressivement étendue à toutes les autres. Ne faudrait-il pas ouvrir une capacité d'initiative régionale et locale, dès lors qu'existent des normes communes ? Cela vaut pour Pôle emploi comme pour d'autres opérateurs.

Permalien
Jean Bassères, directeur général de Pôle emploi

J'adhère totalement à cette dynamique, monsieur le rapporteur. Je citerai deux exemples pour bien montrer qu'il ne s'agit pas seulement d'une déclaration de principe.

Le budget de Pôle emploi est totalement fongible. Les directeurs régionaux disposent d'une enveloppe budgétaire globale qu'ils peuvent ventiler comme ils l'entendent. Nous encouragerons leur capacité d'initiative. Cela me vaut des débats avec des personnes plus centralisatrices que moi, y compris en interne avec les partenaires sociaux. Lorsque nous avons distingué, pour les offres de services, les demandeurs proches de l'emploi des autres demandeurs, j'ai refusé de fixer un critère national afin de laisser aux agences le soin de décider. Cela a provoqué des débats sans fin avec les partenaires sociaux mais aussi avec les représentants de l'État, qui voulaient que nous intégrions les seniors. Il faut savoir aussi que 5 % du budget de l'information est laissé à l'initiative du local, qui peut faire ce qu'il veut de ces montants – à charge pour nous d'évaluer l'efficacité des actions entreprises.

De gros opérateurs comme Pôle emploi ne peuvent vivre que s'ils sont agiles et flexibles et que s'ils donnent le maximum de marges de manoeuvre au niveau territorial.

Je suis toutefois soumis à des obligations qui m'empêchent de laisser une liberté complète – j'ai découvert la richesse du droit du travail… C'est la raison pour laquelle je lance des expérimentations, par exemple pour les conseillers dédiés aux relations avec les entreprises ou sur le contrôle des recherches d'emploi. Il faut parfois expérimenter pour convaincre.

Une fois qu'une orientation est prise, le paquebot qu'est Pôle emploi se met en ordre de marche. N'oublions pas qu'en l'espace de cinq mois, l'inscription à Pôle emploi et le dépôt des déclarations relatives à l'assurance chômage par Internet ont été déployés à l'échelon de la France entière et que les agences sont passées à l'accueil sur rendez-vous l'après-midi.

Reste que nous avons encore des marges de progrès.

Quant aux injonctions contradictoires, j'estime qu'on peut les réduire lorsqu'on a une stratégie assez claire. La fameuse convention tripartite, qui détermine un cap pour trois ans, et le plan stratégique qui l'accompagne permettent de fixer des repères. Les injonctions contradictoires sont toutefois inévitables. Nous passons notre temps à les gérer nous-mêmes. Moi qui suis un apôtre de la liberté d'initiative, je m'assure aussi du respect des objectifs quantifiés en matière de contrats aidés département par département.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

En conclusion, monsieur le directeur général, je tiens à vous dire que l'expérimentation menée par l'agence de Conflans-Sainte-Honorine, que j'ai eu l'occasion de visiter, fonctionne remarquablement bien.

Il me reste à vous remercier et à vous souhaiter bon courage.

La mission procède enfin à l'audition de M. Bruno Arbouet, directeur général de l'Union des Entreprises et des Salariés pour le Logement (UESL) et de M. Jean-René Poillot, chargé de mission auprès de la direction générale.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Mes chers collègues, nous recevons maintenant M. Bruno Arbouet, directeur général de l'Union des entreprises et des salariés pour le logement (UESL), et M. Jean-René Poillot, chargé de mission.

L'UESL est une société anonyme ayant pour principal objet la mise en oeuvre des politiques nationales d'emploi des fonds d'Action Logement, programme jadis connu sous le nom de « 1 % Logement » qui gère depuis plus de soixante ans la participation des employeurs à l'effort de construction (PEEC).

Afin de faciliter le logement pour favoriser l'emploi, Action Logement finance la construction de logements sociaux et intermédiaires et accompagne les salariés dans leur mobilité résidentielle et professionnelle en proposant des services et des aides financières qui facilitent l'accès au logement, et donc, l'emploi.

L'UESL est dotée d'un conseil d'administration tripartite au sein duquel sont représentés à parité les partenaires sociaux : Mouvement des entreprises de France (MEDEF), Confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises (CGPME), chacune des cinq organisations syndicales de salariés représentatives au plan national, ainsi que l'État, représenté par trois commissaires du Gouvernement, relevant respectivement des ministères du logement, du budget et de l'économie.

Monsieur le directeur général, dans le cadre du panorama du paritarisme que nous essayons de brosser, il nous a paru utile de faire le bilan de l'efficacité de la gestion paritaire dans le domaine du logement. Par ailleurs, nous serions heureux de recueillir votre point de vue sur les évolutions possibles ou souhaitables des dispositifs de financement du logement social ainsi que de leur mode de gouvernance tripartite. Dans un contexte pesant d'évolution du droit du travail, l'UESL est un acteur puissant qui a démontré sa capacité à mettre en oeuvre des politiques publiques en partenariat avec l'État ; avec l'histoire qui est la vôtre, comment envisagez-vous l'évolution de ce paritarisme ?

Permalien
Bruno Arbouet, directeur général de l'Union des entreprises et des salariés pour le logement, UESL

Anciennement « 1 % Logement », le programme Action Logement a été créé il y a soixante ans, à l'initiative de patrons du Nord. Le mouvement a connu bien des vicissitudes : à une époque, il comptait mille collecteurs, deux cents il y a encore dix ans, pour vingt seulement aujourd'hui.

Action Logement contrôle actuellement un parc de 950 000 logements, dont une petite moitié relève des entreprises sociales pour l'habitat (ESH), ce qui représente 20 % du logement social. Plus de 600 filiales sont impliquées : coopératives, ESH ou comités interprofessionnels du logement (CIL). Les montants collectés au titre de la participation des entreprises à l'effort de construction s'élèvent à 1,8 milliard d'euros par an et constituent une ressource stable ; les remboursements de prêts s'élèvent à environ 3 milliards d'euros par an. L'effectif des personnes impliquées dans la gestion est de 18 000. Chaque année, 600 000 ménages sont accompagnés et un peu plus de 30 000 logements sont construits, soit un rythme de construction deux fois plus élevé que celui du secteur des habitations à loyer modéré (HLM).

Depuis sa création, l'UESL est gérée paritairement de façon satisfaisante, car l'accompagnement des salariés dans le logement, qui constitue notre mission première, est une préoccupation largement consensuelle entre le monde patronal et le monde syndical. Pour le patronat, il s'agit d'un instrument d'amélioration de la performance collective, et, pour le salarié, d'une question de bien-être.

À l'initiative de M. Jean-Louis Borloo, nous accompagnons depuis plusieurs années un certain nombre de politiques publiques. Ainsi, aujourd'hui, un quart de la ressource est consacré à la rénovation urbaine et cet effort finance 95 % du budget de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) ; à ce titre, nous avons versé 12 milliards d'euros au titre de l'ancien programme et nous nous sommes engagés à verser 5 milliards d'euros supplémentaires. De ce fait, nous finançons la quasi-totalité de la politique de renouvellement urbain. De façon significative, nous contribuons aussi aux programmes de l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) et, dans une moindre mesure, au financement du Fonds national d'aide au logement (FNAL). L'UESL est ainsi devenu un acteur majeur des politiques publiques en France, du fait du retrait progressif de l'État de l'aide à la pierre. Avec la Caisse des dépôts et consignations (CDC), nous comptons parmi les premiers financeurs du logement social.

Nous sommes confrontés à de nouvelles demandes, car le nombre des travailleurs pauvres a considérablement augmenté au cours des dernières années. Les partenaires de l'UESL sont conscients que cette situation concerne beaucoup de jeunes, puisque 90 % d'entre eux obtiennent un contrat précaire lors de la première embauche, ce qui ne leur permet pas d'accéder au logement.

Les grandes confédérations partenaires actives au sein d'Action Logement portent un regard critique sur le dispositif, en considérant qu'il est, en quelque sorte, à bout de souffle, et que cette situation rend nécessaire un changement. Il y a un an, nous avons engagé une réforme radicale visant à supprimer les vingt organismes collecteurs et à constituer un véritable groupe opérateur d'intérêt général, tout en conservant nos missions à l'égard du logement et des salariés.

Les critiques portaient essentiellement sur l'efficience, l'équité et la transparence. Si, par le passé, l'UESL a pu connaître des dérives, il n'en demeure pas moins que la concentration des collecteurs a abouti à la constitution de vingt groupes extrêmement puissants qui se livrent à une concurrence stérile. Cela a obscurci la lisibilité du système, les élus locaux ne distinguant plus qui sont les acteurs d'Action Logement. Cette situation a entraîné un biais en faveur de l'aide aux salariés des grandes entreprises, au détriment de ceux des petites et moyennes entreprises (PME), dont la situation est souvent plus précaire.

L'équité aussi est malmenée, car le salarié d'une même entreprise, selon qu'il est employé à Lille ou à Nice, ne bénéficie pas de services équivalents.

Ce sont donc les partenaires sociaux qui ont pris l'initiative de la réforme, et le projet de loi qui en a résulté a été présenté au Gouvernement, puis à l'Assemblée nationale qui l'a adopté à l'unanimité (1). Nous devrions donc disposer d'un cadre nous permettant d'harmoniser notre offre de produits et services ainsi que de garantir une plus grande équité. Le groupe améliorera son ancrage dans les territoires, car nous étions quelque peu « hors sol » : de fait, la plupart des CIL, qui, à l'origine, avaient été créés localement par le patronat ou par de grands groupes industriels, sont aujourd'hui de dimension nationale. Nous souhaitons donc revenir à l'échelon de chacune des grandes régions, au plus près des territoires et des besoins des entreprises et des salariés, en créant des comités régionaux d'Action Logement, à même de dialoguer avec les instances politiques et les élus locaux.

Le groupe sera mieux piloté qu'aujourd'hui, où nous continuons à investir beaucoup trop dans les zones non tendues au détriment des zones tendues, au sein desquelles la question du lien emploi-logement est la plus prégnante. Il faut conserver à l'esprit qu'Action Logement constitue un fabuleux outil de mutualisation, sans équivalent en Europe, puisque les entreprises situées dans un territoire non tendu cotisent au profit des entreprises se trouvant dans des territoires plus tendus.

Nous entretenons des relations de confiance avec l'État, qui toutefois connaît la tentation permanente de mettre la main sur cette ressource, heureusement fléchée en direction du logement – ce qui ne serait plus le cas si elle venait à être budgétée.

À compter du 1er janvier 2017, Action Logement demeurera paritaire tout en constituant un véritable groupe piloté comme tel : la structure faîtière comprendra deux pôles, l'un produisant et distribuant des services au plus près des territoires, l'autre étant un pôle immobilier regroupant l'ensemble de nos participations majoritaires et minoritaires dans le parc social. Par ailleurs, nous demeurerons un opérateur d'intérêt général en continuant de financer les politiques publiques et en restant l'un des principaux financeurs du logement social.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Lorsque j'ai proposé au groupe Union des démocrates et indépendants (UDI) de constituer cette mission d'information sur le paritarisme, c'était parce que j'avais été témoin de la capacité des partenaires sociaux à se mobiliser et à répondre à la problématique de la rénovation urbaine qui concerne tout le pays. Action Logement est exemplaire de la responsabilité dont les partenaires sociaux font preuve à travers le paritarisme et de leur implication dans les politiques publiques.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Menez-vous une réflexion sur le compte personnel d'activité (CPA), dont l'objet est à la fois de gérer la formation, le temps travaillé et des droits connexes, et sur l'inclusion éventuelle du droit au logement dans le dispositif, ce qui permettrait de le rattacher à la personne et non plus à l'entreprise ?

Permalien
Bruno Arbouet, directeur général de l'Union des entreprises et des salariés pour le logement, UESL

Parmi les multiples services que nous apportons, je veux mentionner le visa pour le logement et l'emploi (VISALE), outil de cautionnement qui a fait l'objet de critiques de la part de certains, étant présenté comme concurrent de la garantie universelle des loyers (GUL). Lancé le 1er janvier dernier, le VISALE s'adresse à des ménages plutôt modestes, et certains partenaires sociaux réfléchissent à son intégration dans le CPA. Nous sommes de plus en plus sollicités pour étendre notre action au-delà du public-cible d'origine. La semaine dernière, j'ai signé avec le préfet de la région Île-de-France un accord sur le droit au logement opposable (DALO), sujet sur lequel nous avions pris du retard. À l'évidence, le public concerné n'est pas exclusivement constitué de salariés.

Nous réfléchissons aujourd'hui à l'éventuelle extension du VISALE aux chômeurs. Les contributions que nous apportons doivent toutefois faire l'objet de contreparties, ce qui entre en contradiction avec le projet de loi « Égalité et citoyenneté ». Nous sommes donc soumis à des injonctions contradictoires. Aujourd'hui, un salarié licencié qui occupe un logement social à Lyon et qui trouve une proposition d'emploi en Île-de-France ne bénéficiera pas d'un nouveau logement avant trois ou dix ans s'il se met dans la « file d'attente » de cette région. Ces sujets sont au coeur de nos réflexions.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

L'État vous demande beaucoup. Serait-il possible d'étendre le champ de votre action à la fonction publique ? Certes, chaque ministère a une responsabilité au regard du logement de ses agents, mais, dans la mesure où Action Logement est une institution efficace, qui est d'ailleurs en train de se réformer, et compte tenu des contraintes que l'État fait peser sur elle, ne serait-ce pas une façon de « boucler la boucle » ?

Permalien
Bruno Arbouet, directeur général de l'Union des entreprises et des salariés pour le logement, UESL

Nous sommes sollicités, par Pôle Emploi notamment, pour ses salariés… Aujourd'hui, les salariés de La Poste sont dans notre périmètre, mais pas les fonctionnaires de police, par exemple. C'est donc une problématique à laquelle nous sommes d'ores et déjà confrontés, et notre réponse est négative à ce jour, car nous ne pouvons pas répondre à cette demande. Certains organismes, comme Pôle Emploi, peuvent toutefois apporter des contributions volontaires, et l'élargissement de notre champ d'action, dès lors que la ressource serait au rendez-vous, n'est pas exclu.

Lorsqu'il y a dix ans, l'État a convaincu Action Logement de financer en partie – et à contrecoeur – l'ANRU, la structure a tenu son rôle de financeur, mais elle n'a fait que cela et, de ce fait, les contreparties qu'elle a pu négocier n'ont jamais été attribuées. Cela engage en partie notre responsabilité collective au regard des problématiques actuelles de peuplement de certains quartiers puisque, sur 30 000 droits de réservation potentiellement mobilisables, moins de 1 000 l'ont été effectivement. Aujourd'hui, au-delà de notre rôle de financeur, nous sommes dans une posture beaucoup plus active pour ces quartiers, et le fait qu'Action Logement puisse « flécher » un certain nombre de salariés est déterminant en termes de mixité sociale. C'est notre volonté, car il me semble que nous n'avons rempli qu'une partie de notre mission. Via le paritarisme, nous sommes en mesure non seulement d'apporter une réponse financière, mais aussi d'agir sur la mixité sociale, qui est l'un des problèmes majeurs de ces quartiers.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Les partenaires sociaux qui, à l'époque, ont été convaincus de financer l'ANRU – peut-être par quelqu'un qui a su leur faire valoir la gravité de la situation et le poids des enjeux, l'état d'urgence ayant été décrété en 2005 – ne pourraient-ils considérer comme un juste retour de l'effort fourni l'extension du périmètre d'action de l'UESL à la fonction publique ?

Permalien
Bruno Arbouet, directeur général de l'Union des entreprises et des salariés pour le logement, UESL

Dès lors que les employeurs publics contribueraient en proportion au même niveau que les employeurs privés, nous n'y avons pas d'objection.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

En ce qui concerne l'alternance des situations de chômage et d'emploi et leur prise en compte dans le CPA, nous savons tous que le logement est un levier fondamental pour résoudre le problème des quelque 400 000 emplois non pourvus. Afin de réduire la difficulté à retrouver un logement social après un licenciement, pensez-vous que pourrait être institué, dans le cadre du CPA, à l'image de ce qui existe pour la mobilité des fonctionnaires, un système de points de priorité pour l'accès au logement ?

Par ailleurs, avez-vous des relations particulières avec les opérateurs accompagnant les demandeurs d'emploi ou, de façon plus générale, avec les salariés dans leur carrière, afin d'améliorer la lisibilité de celle-ci ?

Permalien
Bruno Arbouet, directeur général de l'Union des entreprises et des salariés pour le logement, UESL

Ce point figure parmi les éléments de lisibilité que j'évoquais. Aujourd'hui, les employeurs savent très rarement que les prestations relatives au logement dont leurs salariés sont susceptibles de bénéficier sont le fait d'un organisme paritaire.

Nous sommes de plus en plus concernés par l'articulation du parcours professionnel avec le parcours résidentiel, et ce sont précisément les règles protectrices du logement social qui sont aujourd'hui un frein aux évolutions que vous appelez de vos voeux. Le régime actuel des attributions et les injonctions contradictoires imposées au secteur du logement social contrarient la mobilité professionnelle des salariés.

Une première réponse consiste à être présent sur tout le spectre de l'offre. L'UESL, par exemple, est l'un des principaux financeurs des résidences sociales, autrefois foyers pour travailleurs migrants et aujourd'hui occupées par de jeunes actifs. Une réflexion devra être menée sur le parc privé, où les salariés, y compris précaires, sont majoritairement logés et où, le VISALE mis à part, nous sommes peu actifs. Le recours à des associations intermédiaires permettrait peut-être de sortir du cadre du code de la construction et de l'habitation.

Aujourd'hui, les vies ne se déroulent plus selon des trajectoires régulières : les couples se séparent davantage et les salariés n'occupent plus le même emploi tout au long de leur vie active. Nous devons trouver des solutions pour accompagner ces situations ; c'est un vaste chantier qui s'ouvre à nous.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Au regard des contraintes résultant des règles d'attribution du logement social, souhaitez-vous produire un logement social affranchi de ce cadre et offrir aux salariés des niveaux de loyer proches de ceux du logement social, mais sans les modes de financement qui s'y attachent ?

Permalien
Bruno Arbouet, directeur général de l'Union des entreprises et des salariés pour le logement, UESL

Nous avons la conviction que tout ne passe pas par la construction de logements sociaux neufs, même si ceux-ci devraient être massivement fléchés vers les zones tendues. Nous sommes par ailleurs fortement mobilisés sur la réhabilitation du parc, tant dans les zones tendues que dans les autres. Enfin, la piste du logement privé, qui est souvent du logement social de fait, devrait être explorée, car elle est moins coûteuse en financements publics.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Conduisez-vous une réflexion sur l'économie collaborative ? La sous-location de logements sociaux à travers la plateforme Airbnb est-elle une réalité dans votre parc ? Songez-vous à des solutions « Airbnb du social » qui permettraient de rentabiliser les logements puisque, en raison de l'augmentation du nombre de séparations de couples que vous avez évoquée, beaucoup de logements se trouvent surdimensionnés ?

Permalien
Bruno Arbouet, directeur général de l'Union des entreprises et des salariés pour le logement, UESL

J'ai expliqué hier devant la Cour des comptes que la fluidification de notre parc social constituait un sujet de première importance, car l'une des difficultés vient de ce que lorsqu'on entre dans ce parc, on n'en sort plus. Nous avons tenté de mettre en oeuvre des mesures incitatives auprès des locataires, sans grand succès. Nous souhaiterions nous réessayer à cet exercice, cette fois auprès des bailleurs.

Quelqu'un qui, il y a vingt ans, a bénéficié d'un T 4 à Paris et dont les enfants sont partis, peut aujourd'hui se voir proposer un T 2 au soleil à Perpignan, mais cela repose sur le volontariat, et les bailleurs sociaux ne sont pas incités à une telle démarche. Pour un gestionnaire, il est en effet plus facile de garder un locataire qui paie son loyer depuis trente ans et qui ne pose pas de problème.

La réforme de l'UESL permettra au salarié d'accéder à la connaissance de l'intégralité du parc de logements, car cette connaissance est aujourd'hui limitée au parc de son collecteur ; d'ici un an, toutes ces informations seront numérisées.

Permalien
Jean-René Poillot, chargé de mission auprès du directeur général de l'UESL

Nous n'avons pas les moyens de mesurer le phénomène de sous-location dans le parc social. Toutefois, lors de la constitution des dossiers, nous veillons tout particulièrement à ce que soit attribué le logement adéquat, afin d'éviter la sous-occupation. Nous avons commencé à travailler avec un opérateur à la numérisation de l'offre de colocation dans le parc privé, mais nous produisons aussi, depuis deux ans, des logements de niveau intermédiaire destinés à la colocation, qui concerne surtout les jeunes.

Dans les mois qui viennent, nous allons mettre en oeuvre une disposition de la loi de finances pour 2016 qui vise à inciter les propriétaires privés à louer une pièce de leur appartement, et cela dans toutes les zones du territoire, tendues ou non ; nous allons aussi tenter de répondre aux nouveaux besoins créés par la volonté de relancer l'apprentissage – qui oblige à réunir une entreprise d'accueil, une formation et, bien souvent, un logement.

Nous ne disposons pas d'un système équivalant à celui de l'Allemagne, où l'homologue de Pôle Emploi propose un package emploi-logement. Aussi travaillons-nous à faire en sorte que, demain, des jeunes qui postulent à une formation en alternance se voient offrir l'assurance a priori de disposer d'un logement correspondant à leurs besoins. Aujourd'hui, un apprenti sur trois est obligé d'avoir une double résidence en raison de l'éloignement entre son centre de formation et l'entreprise où il est en stage ; on peut même penser que beaucoup renoncent à l'apprentissage du fait de cette complexité.

Nous savons aujourd'hui que le logement social ne peut répondre à tout : le parc privé représente 1,6 million de logements mis ou remis sur le marché, soit trois fois plus que le parc HLM, et nous n'ignorons pas que, dans bien des régions, il joue un rôle de parc social de fait.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Le nombre de chambres inoccupées dans le parc immobilier français est-il connu ?

Permalien
Jean-René Poillot, chargé de mission auprès du directeur général de l'UESL

Nous savons qu'environ un tiers des propriétaires occupants sont en état de sous-occupation de leur appartement, soit environ 4,6 millions de logements concernés.

Permalien
Bruno Arbouet, directeur général de l'Union des entreprises et des salariés pour le logement, UESL

Nous sommes actuellement en négociation avec l'ANAH afin de déterminer comment pourraient s'articuler le cautionnement du loyer et une aide au propriétaire bailleur. Ce dernier pourrait mettre une chambre à disposition, être aidé pour la remettre en état, et le paiement du loyer serait garanti par un dispositif VISALE.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Avez-vous le sentiment que les partenaires sociaux présents au conseil d'administration cherchent à mettre leurs orientations en cohérence avec celle de leurs collègues siégeant dans d'autres organismes, comme l'Association de gestion du fonds pour l'insertion des personnes handicapées (Agefiph) que la mission d'information a entendue tout à l'heure ? Notre impression est que tous les fils de cet écheveau se parlent assez peu ; ils communiquent certes au sujet de l'emploi durable, qui constitue le plus grand dénominateur commun, mais existe-t-il une stratégie commune des partenaires sociaux en tant que premier opérateur du logement social en France ?

Permalien
Bruno Arbouet, directeur général de l'Union des entreprises et des salariés pour le logement, UESL

Il faut se rappeler que le sujet du logement n'a pas toujours constitué une priorité dans les préoccupations des partenaires sociaux, singulièrement du MEDEF, alors que c'est incontestablement le cas aujourd'hui ; la question est par ailleurs plus prégnante pour certains syndicats que pour d'autres.

En outre, je constate que les partenaires sociaux sont capables de sortir de désaccords profonds sur d'autres sujets, même si ces désaccords relèvent parfois de la posture, pour se retrouver pleinement sur la question du logement. De fait, à côté des instances officielles paritaires comme le conseil d'administration, il existe une instance de régulation politique, constituée par les délégués confédéraux, qui se réunit chaque mois pour discuter des grands arbitrages. L'accord y est total sur les questions de fond, et j'observe que ces délégués confédéraux, souvent, ne cumulent pas ce mandat avec celui d'administrateur.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

La question de la cohérence entre tous les fils de l'écheveau demeure délicate.

Permalien
Bruno Arbouet, directeur général de l'Union des entreprises et des salariés pour le logement, UESL

Il me semble que cette cohérence existe au sein de chacune des organisations, mais que l'ensemble des sujets n'est pas mis en cohérence.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Une sorte d'équivalent de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) pour le paritarisme serait peut-être souhaitable…

Merci beaucoup, messieurs, pour vos propos.

La séance est levée à douze heures cinquante-cinq.