Vous dites en tout cas que le pouvoir est entre les mains des femmes : non. Nous souhaitons, nous, que le pouvoir soit partagé entre les femmes et les hommes et que, sans être identiques, ils aient droit à la même reconnaissance. C'est aussi de cette manière que les sociétés occidentales démocratiques et républicaines ont pu progresser. Il y a eu au niveau institutionnel et législatif des engagements qui se sont concrétisés par des législations égalitaires. Après la guerre s'est construit le système onusien, avec la Déclaration universelle, les pactes et l'ensemble des conventions portant plus précisément sur les droits humains fondamentaux des femmes.
Ce qui me permet de répondre incidemment à M. Hamon : ce n'est pas seulement l'Occident qui est à l'origine de ces instruments juridiques universels ; toutes les cultures du monde y ont contribué. Naturellement, l'Occident, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, a été pionnier, avec M. Hessel, Mme Roosevelt, M. Cassin ; mais le mouvement qu'il a lancé a entraîné et intégré toutes les cultures et toutes les civilisations. Je ne crois donc pas qu'il soit difficile de construire un code universel. Les instruments sont là. Simplement, nos pays sont encore fortement imprégnés de leur identité religieuse.
Voilà pourquoi la Tunisie est un laboratoire intéressant. Notre Constitution reconnaît un État civil – ce qui n'a guère de sens à mes yeux : l'État doit être démocratique et sécularisé, ce qui signifie que les textes fondamentaux ne doivent plus faire référence à la religion, afin d'éviter toute ambiguïté d'interprétation. Or la Constitution tunisienne continue de renvoyer à l'identité arabo-musulmane. Mais, par ailleurs, elle reconnaît aux femmes le droit à la parité dans toutes les élections, elle maintient dans son article 46 les droits acquis des femmes, elle contient un engagement à lutter contre toutes les formes de violence – non seulement physiques et sexuelles, mais institutionnelles et liées à la discrimination au sein de la famille.
Car malgré ces droits, en Tunisie comme dans l'ensemble des pays du Sud-Est de la Méditerranée, la femme n'est pas l'égale de l'homme s'agissant des relations familiales et du statut personnel. Mme Guittet y a fait allusion : le code tunisien du statut personnel prévoit l'inégalité successorale ; le père y reste le chef de famille. Je précise que les veuves ne peuvent être exclues de l'héritage de leur époux, mais en perçoivent un huitième. L'inégalité successorale réside dans le fait qu'au même degré de parenté, l'homme reçoit le double de la part de la femme.
Comment progresser ? Comment instaurer une véritable démocratie ? Par la séparation de l'État et du droit vis-à-vis de la religion. C'est fondamental. Aussi longtemps que l'on fera référence à l'identité arabo-musulmane et à la religion, il n'y aura pas d'égalité réelle entre les femmes et les hommes.