Intervention de Alya Chérif Chammari

Réunion du 8 mars 2016 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Alya Chérif Chammari, directrice exécutive du réseau maghrébin Collectif 95 Maghreb égalité :

Je suis tout à fait d'accord. Ce que vous dites me rappelle d'ailleurs un mot de l'historienne Madeleine Rebérioux, qui fut présidente de la Ligue française des droits de l'homme et que j'avais retrouvée à Marseille pour parler, justement, des droits des femmes du Bassin méditerranéen. Elle m'a éclairée à propos du processus de sécularisation en rappelant que les femmes, en France, étaient encore sur les genoux de l'Église au sortir de la guerre et qu'il a fallu du temps pour qu'elles cessent d'écouter la consigne religieuse. Elle définissait précisément la sécularisation par l'autonomie croissante de la conscience individuelle et de la morale privée vis-à-vis de cette consigne.

Revenons à nos pays, en particulier la Tunisie. Je suis très réticente vis-à-vis du féminisme d'État. Il y fallait un Bourguiba, une volonté politique. Mais ni M. Bourguiba ni M. Moubarak n'ont jamais été féministes. Le premier, qui fut un précurseur en matière de droits des femmes mais sans leur accorder l'égalité totale, a toujours considéré que les femmes étaient des mères, des épouses, des soeurs avant d'être des citoyennes. Voilà pourquoi il n'est pas allé jusqu'au bout de ce qu'il avait entrepris d'instaurer : une société moderniste qui reconnaîtrait l'égalité entre les femmes et les hommes. Toutefois, dans notre société, c'est grâce au code du statut personnel que les femmes, mais aussi les hommes, ont pris du recul vis-à-vis de la consigne religieuse et ont commencé à se comporter de manière sécularisée. Quand les femmes décident d'avorter, elles n'obéissent pas à la consigne religieuse. Quand on envoie les petites filles à l'école, à l'école mixte, on n'obéit pas à la consigne religieuse.

Néanmoins, depuis quelque temps, particulièrement depuis une vingtaine d'années, nous sommes témoins au sein des sociétés maghrébines d'un phénomène de piétisation, en lien avec la conjoncture géopolitique régionale au sens large, principalement avec le conflit israélo-palestinien qui pose un très gros problème identitaire, mais aussi avec l'Irak ou l'Afghanistan. Ce recul au sein de sociétés qui s'étaient modernisées résulte également de la manière dont les communautés musulmanes en Occident, particulièrement en France, sont régulièrement stigmatisées au moindre problème, en particulier sous l'effet de l'extrémisme politique.

Voilà pourquoi je soutiens que nous devons repenser notre stratégie, tisser des liens de solidarité entre le Nord, le Sud et l'Est en nous appuyant sur les fondamentaux définis par les instruments internationaux relatifs aux droits humains, afin de progresser ensemble, et surtout bâtir un véritable partenariat. Celui-ci, je l'ai dit, ne doit pas concerner les seules institutions étatiques, mais aussi la société civile et les associations de femmes. C'est à elles que nous devons d'avoir fait reculer le parti islamiste tunisien qui était majoritaire à la Constituante, et d'avoir adopté une Constitution égalitaire et paritaire même si son article 1er fait référence à l'identité arabo-musulmane.

Le défi auquel nous sommes désormais confrontés correspond à celui qu'a évoqué Mme Guittet, même si je le formule différemment : il consiste à harmoniser les textes de loi – le droit positif actuel – avec les principes constitutionnels. Cela vaut de la Tunisie comme du Maroc et de l'Algérie. Le combat sera beaucoup plus dur en Égypte où le président, certes porté au pouvoir par les urnes, n'est pas féministe et n'impose nullement un féminisme d'État, et où l'on observe un mouvement de répression très préoccupant – sans parler, évidemment, de la Syrie ni des autres États de la région.

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