Intervention de Didier Migaud

Réunion du 13 avril 2016 à 10h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques :

Je vous remercie d'avoir bien voulu m'inviter à vous présenter les principales conclusions de l'avis relatif aux prévisions macroéconomiques associées au projet de programme de stabilité pour les années 2016-2019 qu'a rendu le Haut Conseil des finances publiques. Je suis pour ce faire accompagné de François Monier, rapporteur général du Haut Conseil, Vianney Bourquard, rapporteur général adjoint, et Paul Bérard, rapporteur.

C'est la quatrième fois que le Haut Conseil est appelé à se prononcer sur le projet de programme de stabilité, que la France adresse au Conseil de l'Union européenne et à la Commission européenne. En application de l'article 17 de la loi organique du 17 décembre 2012, l'avis du Haut Conseil porte sur les prévisions macroéconomiques sous-jacentes à la trajectoire des finances publiques jusqu'en 2019, mais il va de soi que le Haut Conseil ne saurait ignorer les conséquences macroéconomiques de l'évolution des finances publiques.

Permettez-moi de commencer par dire un mot du contexte macroéconomique actuel, étant entendu que le Haut Conseil ne produit pas ses propres prévisions mais qu'il s'appuie sur celles de plusieurs institutions internationales – la Commission européenne, le Fonds monétaire international (FMI) et l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) – ainsi que de nombreuses institutions nationales comme l'INSEE, la Banque de France, l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) ou encore le Centre d'observation économique et de recherche pour l'expansion de l'économie et le développement des entreprises (COE-Rexecode).

Nous constatons une reprise européenne modérée dans un contexte de croissance mondiale ralentie. Le regain modéré de croissance qui s'observe depuis un an dans la zone euro et en France s'explique par trois facteurs concomitants : la baisse du prix du pétrole, la dépréciation de l'euro et la réduction des ajustements budgétaires. Gardons à l'esprit deux autres éléments de contexte favorables à la croissance : la politique monétaire de plus en plus expansive, d'où le niveau exceptionnellement bas des taux d'intérêt, et l'apaisement relatif des tensions sur les marchés, alors qu'elles pénalisaient les pays périphériques de la zone euro. De façon générale, ces évolutions se sont traduites par un regain de la demande intérieure européenne, c'est-à-dire de la consommation, mais aussi de l'investissement. Pour le Haut Conseil, il s'agit là du fait majeur de la conjoncture européenne récente. La demande intérieure a recommencé à croître en 2014 et progresse désormais à un rythme annuel moyen de près de 2 %.

Au cours des derniers mois, plusieurs autres facteurs favorables à la croissance européenne se sont renforcés. Tout d'abord, le prix du pétrole a de nouveau baissé de 15 dollars depuis l'été 2015, pour s'établir désormais à 40 dollars environ. Cette nouvelle baisse se répercute sur les prix à la consommation et contribue à l'amélioration du pouvoir d'achat des ménages et du taux de marge des entreprises. Ensuite, les politiques budgétaires en Europe n'exercent plus d'effets restrictifs à court terme et, en 2016, leur orientation globale devrait être neutre ou faiblement expansive. Plusieurs pays, en effet, relâchent leurs efforts après avoir retrouvé l'équilibre ou ramené leur déficit sous le seuil de 3 %. Enfin, la Banque centrale européenne a annoncé le 10 mars dernier un nouvel assouplissement de sa politique monétaire, qui a renforcé les pressions à la baisse sur les taux d'intérêt et leur convergence au sein de la zone euro.

En somme, la croissance de la zone euro pourrait se poursuivre, voire dépasser son rythme potentiel. Il existe en effet une capacité de rattrapage, comme le suggèrent les écarts de production négatifs constatés dans la plupart des pays de la zone euro.

Toutefois, des menaces sur la croissance mondiale perdurent et des risques spécifiques à l'Europe sont apparus. La croissance du commerce mondial en volume est tombée à des rythmes historiquement faibles : estimée à environ 2,5 % en 2015 contre 6,5 % par an en moyenne pendant les années 2000-2007, elle ne devrait se redresser que modérément en 2016. La croissance chinoise a nettement fléchi, et ce ralentissement s'accompagne d'une aggravation des risques financiers. La situation est très dégradée dans de nombreux pays émergents producteurs de pétrole et d'autres matières premières, particulièrement en Russie et au Brésil, où la récession devrait se prolonger en 2016. L'économie américaine, quant à elle, continue de croître à un rythme proche de 2,5 % par an et entre dans sa septième année de croissance consécutive, le chômage ayant retrouvé son niveau d'avant la crise. Étant donné la faiblesse des gains de productivité constatée depuis la crise, il existe cependant de fortes incertitudes concernant la capacité des États-Unis à maintenir leur rythme de croissance à moyen terme.

Enfin, d'autres risques importants pèsent plus spécifiquement sur l'Europe : la restauration des contrôles aux frontières, qui pénaliserait les échanges intra-européens, une éventuelle sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, mais aussi le relatif attentisme sans doute lié à certaines échéances électorales, en particulier le référendum britannique. Malgré les mesures de renforcement de la régulation financière prises ces dernières années, des facteurs de fragilité bancaire demeurent dans certains pays et pourraient être renforcés par la réapparition d'écarts de taux sur la dette des États. Ces risques, difficiles à quantifier, appellent à apprécier les perspectives de croissance avec prudence.

J'en viens plus en détail à la prévision pour 2016, puis pour les années 2017-2019. En ce qui concerne 2016, le Haut Conseil considère que la prévision de croissance du Gouvernement, bien qu'elle se situe en haut de la fourchette des prévisions économiques, reste atteignable. Dans son analyse des prévisions économiques, le Haut Conseil a l'habitude de distinguer trois éléments, qui sont les plus importants pour les finances publiques : la croissance de l'activité, l'emploi et la masse salariale, et, enfin, les prix à la consommation.

Le Gouvernement prévoit une croissance de 1,5 % en 2016, soit un taux inchangé par rapport à la prévision associée au projet de loi de finances pour 2016. Le Haut Conseil note que le Gouvernement a fortement revu à la baisse son hypothèse d'évolution en volume du commerce mondial pour 2016 par rapport au projet de loi de finances, l'estimant à 3,2 % au lieu de 5,2 %. Cette nouvelle hypothèse est légèrement inférieure à celles que retiennent les organisations internationales ; nous nous félicitons de cette évolution. Le Haut Conseil avait en effet souligné le caractère optimiste de cette prévision de croissance dans son avis rendu à l'occasion du projet de loi de finances pour 2016, et estime que la stabilisation des parts de marché à l'exportation constitue une hypothèse crédible, compte tenu des gains de compétitivité enregistrés récemment.

La demande intérieure devrait quant à elle bénéficier de certaines conditions favorables grâce à l'augmentation du pouvoir d'achat des ménages, en particulier, dans un contexte de taux d'épargne très élevé, et au redressement du taux de marge des entreprises, qui pourrait favoriser la reprise de l'investissement. En septembre dernier, le Haut Conseil avait considéré dans son avis relatif au projet de loi de finances pour 2016 que la prévision de croissance pour 2016 ne pouvait plus être qualifiée de « prudente » – comme elle l'avait été en avril 2015 – mais que, compte tenu de la demande interne et européenne, elle demeurait « atteignable ». Le Gouvernement a maintenu sa prévision de croissance alors que les organisations internationales ont généralement révisé les leurs à la baisse depuis l'automne. De ce fait, cette prévision se situe désormais dans le haut de fourchette par rapport aux consensus des économistes – prévision de 1,3 % selon le Consensus Forecast de mars – et aux organisations internationales – prévisions de 1,2 % pour l'OCDE, 1,3 % pour la Commission européenne et 1,1 % pour le FMI, qui a publié ses estimations hier. En revanche, les prévisions des organismes nationaux consultés sont plus contrastées : 1,6 % pour l'OFCE et 1,2 % pour COE-Rexecode.

Toutefois, le Haut Conseil considère que la prévision du Gouvernement est compatible avec les derniers comptes trimestriels et avec les prévisions à court terme présentées par l'INSEE dans sa note de conjoncture publiée à la fin mars. Les enquêtes de conjoncture restent bien orientées, même si elles sont en léger recul ces derniers mois ; c'est pourquoi nous estimons que l'objectif d'une croissance de 1,5 % demeure atteignable.

S'agissant de l'emploi, l'amélioration décrite par le Gouvernement est cohérente avec celle de l'activité, mais l'accroissement du nombre d'emplois prévu pour 2016 – une hausse de 130 000 emplois en moyenne annuelle dans le secteur marchand non agricole – semble élevé. Pour ce qui concerne la masse salariale privée, le Haut Conseil avait considéré comme élevée la prévision d'une augmentation de 2,8 % associée au projet de loi de finances pour 2016. Cette prévision est revue sensiblement à la baisse dans le programme de stabilité, en étant ramenée à 2,3 %, même si, compte tenu du dynamisme prévu de l'emploi, elle demeure supérieure aux prévisions de l'UNEDIC – 2,0 % en moyenne annuelle pour 2016 – et de l'ACOSS – 1,9 % en glissement annuel à l'issue du premier semestre 2016. En somme, le Haut Conseil estime que la prévision que fait le Gouvernement d'une augmentation de la masse salariale de 2,3 % en 2016 demeure un peu élevée.

Enfin, s'agissant des prix à la consommation, le Haut Conseil considère que la révision à la baisse opérée par le Gouvernement est justifiée et que la hausse des prix à la consommation en moyenne annuelle devrait être à peu près nulle en 2016. Dans son avis relatif au projet de loi de finances pour 2016, le Haut Conseil avait d'ailleurs estimé que l'inflation pouvait être inférieure à la prévision de 1,0 % alors retenue par le Gouvernement. Il ne peut donc que se réjouir de la présente révision à la baisse de cette prévision, le Gouvernement la ramenant à 0,1 % dans le programme de stabilité. Cette révision est pour l'essentiel la conséquence de la nouvelle baisse des cours du pétrole observée depuis l'été 2015. Nous estimons que la révision à la baisse de la prévision d'inflation du Gouvernement est justifiée, et que la hausse des prix à la consommation en moyenne annuelle devrait être à peu près nulle en 2016.

J'en viens aux prévisions pour les années 2017 à 2019 : le Haut Conseil estime que le scénario de croissance du Gouvernement pour cette période est plausible, même si l'hypothèse d'accélération de l'activité en fin de période est fragile. Il souligne l'importance des risques entourant ce scénario, qu'ils concernent la croissance mondiale ou qu'ils portent plus spécifiquement sur la zone euro.

Ces prévisions de moyen terme reposent notamment sur des hypothèses de croissance potentielle et d'écart de production. Les estimations de croissance potentielle retenues par le Gouvernement pour les années 2015 à 2018 sont identiques à celle du programme de stabilité d'avril 2015. Or, le Haut Conseil observe que la croissance potentielle présentée par le Gouvernement – soit 1,5 % pour les deux années 2016 et 2017 – est désormais nettement supérieure aux estimations des organisations internationales, qui se situent entre 1,1 % et 1,2 %, plusieurs ayant récemment été révisées à la baisse. De ce fait, le Haut Conseil considère que la croissance potentielle présentée par le Gouvernement est vraisemblablement surévaluée, en particulier pour 2016 et 2017.

L'écart de production découle de la croissance potentielle, puisqu'il correspond à la différence entre le niveau effectif et le niveau potentiel de la richesse nationale. Dans son avis rendu en avril 2015 à l'occasion du précédent programme de stabilité, le Haut Conseil s'est étonné du maintien d'un écart de production aussi creusé sur une aussi longue période. Il continue de considérer que ce maintien est peu vraisemblable. Il estime aussi, comme il l'avait déjà souligné à l'époque, qu'une « sous-utilisation aussi importante et aussi durable des facteurs de production ne s'accorde pas avec l'accélération de l'investissement et de l'inflation retenue dans le scénario du Gouvernement ».

Ces hypothèses d'écart de production ne sont pas neutres pour l'appréciation de la situation des finances publiques. En effet, le déficit structurel corrige le déficit effectif des effets de la conjoncture, lesquels sont évalués à partir de l'écart de production. Le Haut Conseil estime que l'hypothèse retenue par le Gouvernement d'un écart de production très important et supérieur à la plupart des estimations existantes tend à surestimer la composante conjoncturelle du déficit, et donc à sous-estimer le déficit structurel. Il souligne que cette sous-estimation amplifie en apparence l'effort structurel déjà réalisé et minimise l'effort à engager pour atteindre l'équilibre des finances publiques à moyen terme.

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