Intervention de Olivier Schrameck

Réunion du 6 avril 2016 à 16h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Olivier Schrameck, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel, CSA :

Madame Martinel, vous avez préféré le mot « guetteur » à celui de « gendarme ». C'est un choix auquel je souscris pleinement – pour ma part, j'ai parfois employé le terme « vigie ». Il est vrai que nous avons adressé quarante mises en demeure, indépendamment de celles consécutives aux attentats tragiques du mois de janvier 2015. La loi même nous empêche de prononcer des sanctions tant que nous n'avons pas adressé de mise en demeure et les sanctions ne sont possibles qu'en cas d'un manquement réitéré, identique et postérieur à la mise en demeure – éléments qui sont contrôlés par le juge. Autrement dit, si notre pouvoir de sanction est désormais grâce à vous régulièrement ordonné en fonction de la jurisprudence constitutionnelle et européenne, il reste extrêmement enserré et limité.

Plusieurs d'entre vous ont évoqué la sanction que nous avons prise à l'encontre de Numéro 23 : c'est une exception. Nous sommes en effet dans un système binaire : soit nous ne nous exprimons pas sur des modifications substantielles postérieures à l'attribution de la fréquence, soit nous interrompons la diffusion. Nous sommes dépourvus de choix intermédiaire. La loi aujourd'hui ne nous laisse que l'alternative du tout ou rien. Peut-être ces considérations constituent-elles déjà des pistes pour une évolution que plusieurs d'entre vous semblent souhaiter.

À ce stade, permettez-moi de faire une mise au point sur une question à laquelle nous sommes souvent confrontés. Nous ne sommes pas des déontologues ; nous n'avons aucune prétention en la matière. Nous sommes là pour veiller aux droits et aux libertés dont le législateur nous a confié la garde. J'ai d'ailleurs pris l'initiative, avec le plein accord du collège, de modifier l'intitulé du groupe de travail « déontologie », qui est devenu « respect des droits et libertés ». La mesure est d'ordre interne et symbolique mais, pour moi comme pour l'ensemble des membres du collège, elle a une signification substantielle.

L'opération de modernisation de la diffusion de la TNT va immédiatement profiter aux téléspectateurs qui bénéficieront d'une réception considérablement améliorée – pour certaines chaînes, cela sera progressif car tous les programmes n'ont pas été conçus d'emblée en haute définition et les mécanismes de résolution peuvent être différents d'une chaîne à l'autre. Grâce à vous, nous avons réussi à transformer une contrainte, née de la perte d'un tiers de nos fréquences les plus riches, en bienfait pour le téléspectateur.

Ce déploiement se poursuivra, région par région, jusqu'en juin 2019. Il est préparé par les comités territoriaux de l'audiovisuel, dont douze sont métropolitains et quatre ultramarins, dans un schéma qui correspond bien à notre organisation générale actuelle.

Le passage en clair de LCI constitue un événement important qui se déroule à l'occasion du basculement des fréquences. LCI nous avait demandé d'anticiper mais nous lui avions répondu que nous ne souhaitions rien risquer qui puisse mettre en danger l'opération complexe du basculement. Notre décision d'acceptation de décembre 2015 prend en compte la situation de la chaîne, qui devenait extrêmement difficile en l'absence de prolongation des contrats. Elle tient également compte du fait que la compétition entre chaînes d'information peut désormais se faire à armes égales, car elles sont toutes adossées à des groupes puissants – BFMTV appartient au groupe Altice qui enregistre des résultats remarquables, y compris pour sa chaîne RMC Découverte. Notre décision est aussi conditionnée par notre extrême exigence concernant la programmation de LCI afin de favoriser ce qui est couramment appelé la « contextualisation » de l'information, autrement dit la réflexion et la distanciation qui sont essentielles pour que l'information ne soit pas uniquement un choc émotif. Les discussions sur ces sujets ont duré plusieurs mois, et nous avons obtenu des ratios intéressants entre journaux télévisés – moins de 30 % du temps d'antenne – et documentaires – plus de 30 % – qui donnent d'ores et déjà à la chaîne une singularité parmi les chaînes d'information en continu. Je rappelle que le législateur nous a confié la mission de favoriser la libre concurrence en modifiant l'article 3-1 de la loi de 1986. Nous n'avons donc pas à imposer une économie contingentée, malthusienne et administrée. Dès lors que des efforts sont consentis pour améliorer l'information, nous devons en tenir compte.

Plusieurs d'entre vous ont évoqué les pouvoirs du CSA. Je veux être extrêmement clair : ni moi-même ni aucun des membres du collège ne pratiquons un quelconque patriotisme institutionnel. Nous ne sommes pas là pour faire croître l'institution. Nous ne sommes chargés que de mener au mieux toutes les missions que vous nous confiez, et le législateur ne cesse de nous confier des missions supplémentaires dans le domaine économique ou le domaine social. La loi de 1986 a été modifiée à de multiples reprises en ce sens. Nous prenons évidemment ces missions très au sérieux, que ce soit par exemple en matière de santé publique ou de protection de l'environnement.

Madame Martinel, vous m'avez interrogé sur les relations entre producteurs et diffuseurs. Nous sommes très attachés aux équilibres économiques, à la fonction d'expertise qui peut être la nôtre en la matière, et au rôle de médiateur et de conciliateur que nous pouvons jouer. Nous avons publié plusieurs rapports relatifs au monde de la production. Nous nous réjouissons beaucoup que les producteurs se sentent de plus en plus chez eux au CSA. Le Conseil est en effet responsable de l'ensemble de la chaîne de l'audiovisuel qui commence avec les ayants droit et les scénaristes et se termine avec les annonceurs et ceux qui les fédèrent, en passant par l'étape essentielle de la production. Aider au développement d'accords contractuels, comme ceux signés par France Télévisions, nous paraît relever de notre mission, que nous le fassions directement ou indirectement, officiellement ou officieusement.

Vous avez eu raison d'insister sur l'aspect fédératif du projet de chaîne d'information publique. Cet aspect nous semble très important mais à chacun ses responsabilités : Mme Delphine Ernotte a présenté cette idée dans le projet stratégique qu'elle a soumis au CSA ; pour la diffusion de cette chaîne, il revient au Gouvernement de faire des propositions ; le CSA prendra ensuite une décision en vertu d'une jurisprudence bien établie, sous le contrôle du juge. Dans notre souci de prendre en compte les intérêts de l'ensemble des acteurs publics et privés, nous serons attentifs à l'évolution de nos délibérations en matière de répartition des millièmes et de numérotation, en respectant toujours les principes d'objectivité, d'impartialité et de transparence. Il s'agit incontestablement d'une perspective importante pour l'évolution de l'audiovisuel national.

Monsieur Kert, j'espère ne pas être guetté par la schizophrénie. (Sourires.) Comme le soulignait votre président, cette situation résulte tout simplement de l'indépendance du régulateur, qui n'a pas vocation à anticiper sur la position de tel ou tel mais doit se décider selon sa conscience, et de celle du juge. Je n'ai aucun titre pour insister sur ce dernier point, mais ce que j'ai vécu durant ma vie entière atteste que cette indépendance est bien réelle. Il peut donc se trouver que les appréciations de l'un et de l'autre diffèrent. Nous respectons, bien entendu, la décision du juge, mais, dans notre for intérieur, nous ne sommes pas convaincus.

Vous avez souligné la composante économique de notre action. Lorsque je m'étais présenté devant vous, alors que je n'étais pas encore nommé, j'avais insisté sur trois orientations : l'audiovisuel à l'heure du numérique, la nécessité d'augmenter le rôle économique du CSA dans un monde où des intérêts de plus en plus puissants s'entrechoquent et sont déterminants pour notre pays à l'intérieur comme à l'extérieur des frontières, et l'échelle européenne. Aujourd'hui, la question économique et celle du numérique posent encore un certain nombre de problèmes.

Non sans humour, certains d'entre vous nous ont reproché d'avoir fait trop de propositions au législateur. Je me permets de rappeler que, dans notre rapport d'activité 2014, nous suggérions que le législateur veuille bien se pencher sur la nature du contrôle afin qu'il soit exercé de façon plus continue dans le temps, mais aussi sur ses objectifs mêmes. Il nous semble que la protection constitutionnelle du domaine public de l'État, affirmée avec force par le Conseil constitutionnel et par le Conseil d'État en 2003, pourrait trouver un écho direct dans la loi.

Nous avons beaucoup travaillé sur l'affaire Numéro 23. Nous avons entendu à plusieurs reprises toutes les parties prenantes. Aucune n'a été écartée du débat et des auditions. Nous avons été destinataires de très nombreuses contributions. Nous nous sommes ainsi forgés une conviction que nous avons exprimée. Cela dit, nous n'avions aucun pouvoir pour aller au-delà : nous ne disposons d'aucun pouvoir d'investigation sur pièce et sur place, et nous n'avons pas la possibilité de faire intervenir des agents assermentés du CSA. Nous ne nous imaginons évidemment pas en juge pénal ; nous pensons néanmoins que, dès lors qu'un contrôle administratif nous est confié, nous devons avoir les moyens de l'exercer. Il n'est, par exemple, pas normal que nous n'ayons pas été destinataires de documents très importants : s'ils ne nous sont pas adressés, nous devons pouvoir les requérir ou aller les chercher, sous peine de sanctions.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion