Intervention de Olivier Schrameck

Réunion du 6 avril 2016 à 16h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Olivier Schrameck, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel, CSA :

Je crois que ce serait une bonne chose, car le rôle économique du CSA, M. Kert a bien voulu y insister, est aujourd'hui aussi important, à certains égards, que celui de l'ARCEP ou de l'Autorité de la concurrence.

Dans nos rapports avec l'Autorité de la concurrence, nous sommes limités par la règle du secret des affaires. Il nous semble légitime qu'elle s'applique dans nos rapports avec le public mais j'estime que les autorités de régulation devraient pouvoir tout se dire entre elles pour le bien public.

Monsieur Kert, je reçois comme telle votre observation en demi-teinte et critique concernant notre investissement sur le continent africain. Je pense en effet que nous pouvons faire encore beaucoup plus et beaucoup mieux, et pas uniquement à l'égard du monde francophone.

Nous assurons d'ores et déjà le secrétariat du Réseau francophone des régulateurs des médias (REFRAM). Nous avons des relations extrêmement fréquentes avec les responsables de ce réseau et l'actuelle présidence ivoirienne. À chaque fois qu'un président des membres du réseau passe par Paris, je le reçois. J'ai récemment rencontré la présidente de la Haute Autorité de la communication audiovisuelle du Maroc qui joue un rôle très important. J'ai toujours dit à nos partenaires du monde audiovisuel, qu'ils soient publics ou privés – je pense à France Médias Monde et à Canal+ –, que nous étions vraiment à leur disposition pour accompagner leurs démarches hors de nos frontières, et faire encore mieux connaître notre savoir-faire qui est déjà très apprécié. La réussite de l'opération de basculement de la TNT constituera à ce sujet un puissant argument car de nombreux pays, en particulier en Afrique noire, se préparent aussi à cette mutation fondamentale.

Monsieur le député, la réponse à la question du rapprochement entre le CSA et l'ARCEP relève du législateur. Il lui appartient de nous indiquer la conduite à tenir. M. de Mazières a souligné à juste titre les oscillations des annonces relatives au destin du Conseil. Il est vrai que la déclaration du Président de la République qui s'exprimait, le jeudi 2 octobre 2014, lors d'un séminaire organisé au CSA, sur un rapprochement entre le Conseil et l'ARCEP, n'a eu aucune suite. Aujourd'hui, les grandes autorités européennes sont caractérisées par la convergence. Cette perspective me paraît être tout à fait valide – encore faut-il en convaincre mon homologue de l'ARCEP. Personnellement, je suis ouvert à tout ce qui peut renforcer l'homogénéité du monde des communications électroniques. Bien sûr, il faudra procéder progressivement. Il est aussi évident que si les missions se recoupent, elles ne coïncident pas totalement. Il n'en demeure pas moins que tout ce qui accroît la coopération est bienvenu.

Monsieur Françaix, vous avez eu une formule qui résumait admirablement ce que j'avais exprimé trop longuement : « Plus il y a d'abondance, moins il y a de choix. » Vous soulignez ainsi ce qui constitue un grand risque. Le téléspectateur doit non seulement se voir offrir le plus grand nombre possible de programmes, mais aussi le plus grand nombre possible d'occasions d'exercer sa curiosité et d'explorer des champs qui ne relèvent pas de son choix le plus spontané.

Nous sommes très attachés à ce que la future chaîne publique d'information soit l'expression d'une fédération des efforts des grands acteurs de l'audiovisuel public, dépositaires d'un service public qui se trouve au coeur des missions que vous nous avez confiées. Nous aurons cependant une vision d'ensemble. Les efforts conjugués en matière de publicité entre France Télévisions et Radio France me semblent, par exemple, constituer une évolution positive – je m'exprime sur ce sujet tout récent à titre personnel.

Concernant la publicité sur les ondes de Radio France, que vous évoquiez, Monsieur le président, nous avons d'abord voulu penser au public du service public de la radio qui est attaché à certaines des valeurs de ce dernier. Il ne fallait pas que sa perception soit brouillée par la publicité. Nous avons en conséquence émis dix préconisations qui ont été très largement reprises par le décret du 5 avril portant modification du cahier des charges de la société nationale de programme Radio France. Nous nous félicitons de la convergence entre nos suggestions et les décisions prises par le Gouvernement.

Madame Dominique Nachury, tous les messages que nous recevons entrent dans le champ de nos compétences, à une réserve près : le public a tendance à considérer que nous sommes responsables des programmes, ce qui est faux bien évidemment. Nous ne sommes pas plus responsables des programmes que déontologues. Nous sommes en revanche responsables du respect par les programmes des prescriptions que vous avez fixées – c'est ce que nous sommes souvent amenés à répondre à ceux qui nous interrogent en la matière.

Concernant le principe d'équité en matière de temps de parole, je ne veux pas rouvrir un débat qui s'est tenu dans l'hémicycle mais permettez-moi de faire un ou deux constats. Pour toutes les élections, si l'on excepte la campagne à venir, et la période qui sépare la reconnaissance des candidatures du début de la campagne officielle, soit au total trois semaines plus deux, le CSA a toujours agi sur le terrain de l'équité, et il vous en a rendu compte en vous faisant parvenir des rapports. Vous recevrez ainsi dans les semaines qui viennent un rapport sur le traitement médiatique des élections régionales. Évidemment, la sociologie de la vie politique évolue et nous ne disposons jamais dans cette approche que d'un faisceau d'indices qu'il est difficile de déchiffrer. Nous avons entamé des travaux qui visent à actualiser et à compléter les critères cités par Mme Nachury. Mais nous n'appliquons pas de grille a priori : nous ne répartissons pas des temps de parole ou d'antenne. Nous veillons seulement à ce qu'il n'y ait pas de disproportions manifestes qui seraient en contradiction avec le principe du pluralisme.

Monsieur le président, vous êtes à l'origine d'une proposition de loi qui porte largement sur l'indépendance des médias. Nous avons bien constaté les limites de nos possibilités lors de la discussion que nous avons menée durant de long mois avec Canal+. Elle a abouti à la constitution d'un comité d'éthique mais les problèmes que vous connaissez se sont posés. Nous avons le souci permanent de cette indépendance, ce qui ne signifie pas que nous ignorions les intérêts économiques des médias. Nous savons parfaitement qu'ils constituent un chaînon de notre économie, mais l'indépendance éditoriale ne doit en aucune façon en être affectée.

Monsieur Travert, je profite du fait que vous ayez évoqué la chaîne Numéro 23 pour faire une observation. J'ai entendu que nous nous étions à tort déplacés du terrain du droit pur à celui de la probité et de la moralité publique. Il est normal qu'il y ait eu dans la décision du CSA une composante éthique ou morale, car, dans le domaine répressif, lorsqu'une sanction est envisagée, il est par nature essentiel de prendre en compte le comportement des acteurs concernés et son caractère intentionnel ou non. Comment pourrait-il y avoir sanction sans que ces facteurs soient pris en compte ? Il n'y a pas d'automatisme des sanctions.

J'ai déjà eu l'occasion de me féliciter de l'accord passé entre France Télévisions et les producteurs audiovisuels. Nous nous en réjouissons, comme nous nous réjouissons qu'un accord ait pu être trouvé concernant l'avenir des relations avec la société Newen. Il nous semble que le modèle retenu, outre qu'il permet au service public de faire des économies, ce qui n'est pas négligeable, repose sur une approche contractuelle pour un profit mutuel des éditeurs et des producteurs. Plutôt que de trancher unilatéralement et d'imposer des pourcentages a priori, c'est bien par des accords que le progrès se fera – notamment en matière de coproduction, formule qui permet aux chaînes, en particulier les chaînes publiques qui ont des moyens limités, de s'investir toujours, et plus encore si possible, dans notre production originale française ou européenne.

Monsieur de Mazières, vous m'avez interrogé sur le périmètre de nos activités. Alors que l'audiovisuel est immergé dans un monde numérique, il est clair que des questions nouvelles se posent. Nous avons ouvert des discussions complexes et difficiles concernant, par exemple, les sites de radios qui ne retransmettent pas des émissions proprement dites mais qui sont, par hypothèse, de véritables créations audiovisuelles – elles se développent aujourd'hui. Un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 21 octobre 2015, dans l'affaire New Media Online, a statué sur ce point à la demande de l'Autriche. Il faut que nous en tirions toutes les conséquences dans la concertation. Une polémique a lieu, ces jours derniers, au sujet d'une émission diffusée par une chaîne de YouTube. La question se pose de l'étendue de notre contrôle. Parler de « chaîne », c'est déjà en quelque sorte résoudre le problème, mais il faut bien voir que différentes formes de productions audiovisuelles passant par divers acteurs majeurs de l'univers numérique posent des problèmes de frontières et de périmètres. Seul le législateur peut fixer les frontières et le périmètre de notre contrôle. Pour notre part, nous avons uniquement le souci de son homogénéité, car la régulation est précisément pour nous l'appréhension d'un monde complexe dans toutes ses composantes. Si certains aspects de ce monde nous échappent complètement, la régulation perd sa finalité et son objet. Je le répète, nous ne soucions pas de la préservation ou de l'extension de nos pouvoirs mais de l'accomplissement de nos missions.

En m'interrogeant sur les services de médias audiovisuels à la demande, M. Christophe Premat a également posé une question qui touche au périmètre de notre action. Ce sujet nous amène en effet à traiter des droits d'auteurs, domaine dans lequel nous ne sommes pas compétents, même si nous sommes particulièrement attentifs aux préoccupations des ayants droit et des sociétés qui les regroupent comme, évidemment, à la bonne information du téléspectateur. Nous ne sommes pas acteurs des négociations qui se déroulent sur ces sujets, y compris au plan européen.

En matière de retransmission des grands événements sportifs, une évolution nous semble très préoccupante : la plupart des droits sportifs sont détenus par des groupes privés. Sans trahir le secret des affaires, je peux dire que c'est le cas dans une proportion écrasante. Qu'ils soient publics ou privés, les groupes qui offrent gratuitement leurs prestations aux téléspectateurs sont maintenant dans une situation de délégataires de puissants groupes privés, c'est-à-dire dans une position de dépendance. Cette situation nécessite de mener une réflexion nouvelle sur la notion d'événement sportif majeur. L'approche ponctuelle actuelle sauvegarde par exemple les phases finales de grand championnat ou les Jeux olympiques, c'est heureux. Peut-être faut-il toutefois aller désormais au-delà et adopter une approche économique et régulatrice de la transmission des droits sportifs – sachant que ce problème se pose à l'échelle européenne. De la même façon, se pose le nouveau problème des e-compétitions dont votre assemblée a récemment traité.

Madame Annie Genevard, j'ai été extrêmement sensible à ce que vous avez bien voulu dire sur les efforts que nous avons amplifiés au début de l'année en faveur de la langue française. La campagne comprenait des séquences un peu humoristiques, car les grandes causes se défendent aussi avec le sourire. J'en ai vraiment la conviction : lorsque notre langue s'abime, notre communauté nationale décline. La langue constitue un ferment essentiel. Or nous savons parfaitement que l'école ne permet pas de former tous les citoyens à sa maîtrise écrite et orale – sachant que même une fois acquise, avec le temps, cette maîtrise peut aussi régresser. Nous réfléchissons à des moyens de plus en plus incitatifs, avec notamment des distinctions ou des labels divers, qui nous permettraient de mettre en valeur des émissions qui, par leur qualité, leur contenu, leur finalité, sont des acteurs de la promotion de la langue française. Nous avons conscience de la nécessité de travailler en association sur ce sujet – nous le faisons par exemple avec l'Organisation internationale de la francophonie.

Il importe de rappeler que toute l'action que nous menons en faveur de la langue française a des conséquences capitales en Afrique noire francophone – nous prenons au sérieux les critiques que vous nous avez adressées à ce sujet –, car la langue porte non seulement notre culture mais aussi notre droit et notre économie.

De façon générale, nous travaillons en association, comme avec l'Académie française et plus largement avec l'Institut. Je veux rendre au passage hommage à l'action de Mme Hélène Carrère d'Encausse, présidente d'honneur de notre observatoire dédié aux médias et à l'éducation. Bien sûr, nous ne nous considérons nullement comme une Académie française, mais nous pensons qu'il n'y aura jamais trop d'acteurs pour contribuer à cette cause essentielle.

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