Intervention de Denis Baupin

Réunion du 17 février 2016 à 17h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDenis Baupin, député, co-rapporteur :

Le 13 novembre 2015, nous avons organisé une audition publique sur l'état de l'art en matière de mesure des émissions de particules et de polluants par les véhicules ; thème que nous avions précisé en indiquant que nous souhaitions permettre des regards croisés.

Cette audition publique, qui faisait suite à notre rapport sur « Les nouvelles mobilités sereines et durables : concevoir et utiliser des véhicules écologiques », a été organisée dans un contexte particulier, à la suite du scandale provoqué par la société Volkswagen qui avait installé, sur ses voitures, un logiciel permettant de fausser la mesure de leurs émissions polluantes.

Les preuves de cette tricherie jetaient, en effet, le discrédit sur les normes édictées par les pouvoirs publics afin de réduire la pollution liée au secteur des transports. Elles sapaient la confiance que les consommateurs pouvaient avoir dans les annonces des constructeurs qui, jusqu'alors, n'étaient mises en cause que de façon marginale. Elles nuisaient à la mise en place, depuis plusieurs années, de politiques volontaristes en matière d'environnement et de santé publique.

Aussi était-il utile de rassembler tous les acteurs de la filière pour s'interroger sur la réalité de l'application des normes, sur les mesures qu'il faudrait prendre pour éviter la répétition d'un tel scandale, et sur la capacité du secteur automobile dans son ensemble à réaliser des mesures en conditions réelles de conduite, puis à réadapter les véhicules d'un certain âge qui ne sont plus en mesure de respecter les objectifs poursuivis. Il fallait aussi réfléchir à la manière d'assurer, de manière indépendante, une surveillance de l'application des normes.

Tous les acteurs de la filière sont venus : les constructeurs, les équipementiers, les garagistes, les centres de contrôle technique, afin de dialoguer avec des représentants des ministères chargés de l'industrie et de l'environnement et un haut fonctionnaire de la Commission européenne. Tous, sauf un, Volkswagen, qui avait pourtant été invité.

Les ONG qui défendent l'environnement et les associations de consommateurs étaient là, elles aussi.

Depuis lors, les tests mis en place sur une centaine de véhicules roulants par la ministre de l'écologie, Mme Ségolène Royal, ont déjà montré que, en dehors de toute volonté de tricher, les émissions réelles de polluants sont beaucoup plus fortes que les émissions théoriques annoncées par les constructeurs. La preuve en a été apportée pour les voitures Renault, et nous attendons les résultats complets qui concernent aussi les autres marques.

Quelles conclusions tirons-nous de cette audition ?

Nous avons retenu plusieurs idées fortes :

1. Le scandale récent ne doit pas faire oublier les avancées importantes réalisées en matière de réduction programmée des émissions de polluants par les véhicules. Ces dernières années ont, en effet, été marquées par une progression constante des normes, de la norme Euro 1 à la norme Euro 6. Cette tendance devrait se poursuivre par la mise en place annoncée de la norme WLTP et par celle du test RDE, qui permettra des mesures plus proches des conditions réelles d'utilisation des véhicules. L'article 65 de la loi sur la transition énergétique en est l'un des symboles marquant à travers le renforcement des contrôles pollution lors des contrôles techniques obligatoires. Il faudra cependant veiller à la publication du décret d'application de cet article et à la mise en place effective des nouvelles normes et du test RDE.

2. Les normes de pollution sont essentielles pour stimuler une évolution des véhicules qui permette la réalisation des objectifs de la transition énergétique et de l'amélioration de la qualité de l'air. Il faut donc en défendre l'utilité et la nécessité tout en accélérant et approfondissant les évolutions déjà envisagées. C'est un objectif réaliste, puisque les constructeurs, qui conçoivent généralement les améliorations de leurs véhicules cinq ans avant de les produire en série, ont déjà largement entamé ce processus. Il faut, toutefois, veiller à ce que les normes ne soient pas dévaluées par des seuils de tolérance ou de flexibilité dans leur application.

3. Il est nécessaire de rétablir la confiance dans les annonces des constructeurs, ce qui nécessite de mettre à plat leurs méthodes de mesure, de les questionner, et de s'interroger sur la manière de réaliser des mesures dans les conditions réelles d'utilisation des véhicules, et pas seulement au seul moment de l'homologation, avant mise sur le marché. Les mesures réalisées en situation théorique (souvent avec des véhicules de présérie, et sans tenir compte des différences de pression des pneus, des écarts de température, des accélérations possibles ou de l'usage de la climatisation…) ne sont plus suffisantes. Les témoignages que nous avons entendus ont montré que c'était un objectif réalisable. L'Ademe a ainsi annoncé qu'elle pouvait réaliser des évaluations des pollutions en situation réelle. Ce type de mesure devrait ensuite déboucher sur des propositions de modification de la réglementation européenne qui doit être plus précise sur les conditions de mesure des émissions de polluants en termes de vitesse, de température, d'accélération, de pression des pneus et d'usage de la climatisation et sur un contrôle du parc roulant. Tant que les niveaux de consommation et de pollution des véhicules ne seront pas mesurés dans des conditions représentatives de leur usage, leur communication aux fins de promotion des véhicules doit être prohibée.

La confiance suppose également que l'homologation des véhicules s'effectue à partir de tests représentatifs de l'usage et qu'elle résulte d'une autorité indépendante. Il importe que des mécanismes permettant d'assurer un contrôle tant de l'indépendance des organismes en charge des homologations que du respect d'un même niveau d'exigence dans tous les États membres de l'Union européenne soient mis en place. La mondialisation du marché automobile plaide pour une approche européenne mais il faut que l'Union prenne ce type de décision

4. Pour aboutir à des décisions rationnelles, il serait souhaitable de lancer un débat sur les critères à retenir pour mesurer les émissions polluantes, ce qu'on cherche à mesurer (le CO2, les NOx, les divers types de particules, le NH3 …) et le réalisme des objectifs à atteindre.

5. Les mesures envisagées ne pourront être efficientes qu'avec le concours des constructeurs et de l'aval de la filière. C'est pourquoi nous proposons de mettre en place un plan de soutien aux garagistes et aux centres de contrôle technique pour qu'ils s'équipent des appareils de mesure nécessaires (les témoignages recueillis lors de l'audition publique suggèrent que le coût d'une telle incitation est relativement faible). Nous proposons également d'évaluer l'impact sur les consommateurs d'une remise à niveau de leur véhicule et de mettre en place les mesures de soutien financier qui permettront d'assainir le parc automobile.

6. La lutte contre la pollution ne sera efficace que si l'on assiste à un véritable changement de comportement vis-à-vis des véhicules automobiles. Nous ne sommes pas pessimistes car on en voit déjà les prémisses, qu'il s'agisse de l'autopartage, du covoiturage, et d'une timide apparition de véhicules différents, moins lourds, plus petits, et donc moins polluants. La description que nous en avions faite dans notre rapport sur les mobilités sereines et durables de 2014 s'est, depuis lors, confirmée.

Ces propositions sont d'une actualité brûlante. La Commission européenne a fait de nouvelles propositions, le 28 janvier 2016, pour renforcer l'indépendance des contrôles. Elle propose notamment d'instaurer une Agence européenne d'homologation, qui serait financée par un impôt récolté auprès des industriels. Ceux-ci seraient passibles de sanctions financières s'ils ne mettaient pas en conformité leurs véhicules. Ce sont les conditions parfaites pour que les conclusions que nous demandons à l'OPECST d'adopter puissent s'appliquer et avoir un certain retentissement.

Par contre, le Parlement européen a entériné, le 3 février, les propositions du comité technique du 28 octobre 2015, qui affaiblissent singulièrement les normes euro 5 et euro 6 : les véhicules diesel pourront dépasser les normes d'émissions de NOx de 110 % à partir de septembre 2017, puis de 50 % à partir de janvier 2020 (par rapport à la norme Euro 6 adoptée en 2007 qui limitait les émissions de NOx à 80 mgkm). C'est une décision malheureuse, qui affaiblit la mise en oeuvre de tests d'émission en conditions de conduite réelle, proposée, par ailleurs, au moment où la qualité de l'air devient une préoccupation de plus en plus importante.

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