Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Réunion du 17 février 2016 à 17h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • IRSN
  • déchets
  • démantèlement
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  • radioactivité
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  • stockage

La réunion

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Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Mercredi 17 février 2016

Présidence de M. Jean-Yves Le Déaut, député, président

La séance est ouverte à 17 heures

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jacques Repussard, directeur général de l'IRSN, dans le cadre de l'examen du rapport de l'IRSN sur « Les déchets de très faible activité, la doctrine doit-elle évoluer ? Réflexions de l'IRSN sur une gestion pérenne, équitable et responsable »

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Notre ordre du jour comporte trois points, dont le principal consiste en l'audition de M. Jacques Repussard, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), pour la présentation d'un rapport sur les déchets radioactifs à très faible activité (TFA). Nous aborderons ensuite deux autres points relatifs, d'une part, à la restitution des auditions publiques sur les mesures des performances des moteurs, après l'affaire des émissions des moteurs diesels intervenue en novembre 2015, et, d'autre part, aux problèmes législatifs soulevés par le développement des robots.

Nos collègues sénateurs nous rejoindront au cours de l'audition. En effet, le nouveau règlement du Sénat comportant des contraintes renforcées de présence, rend plus difficile leur participation à nos travaux. Même si l'OPECST est un organe commun aux deux chambres du Parlement, le Conseil constitutionnel a rappelé que chacune pouvait organiser ses réunions de façon indépendante puisque le règlement du Sénat ne pouvait s'imposer aux députés. Cette question, d'autant plus complexe que, au Sénat, les réunions du jeudi matin donnent lieu à une compétition entre les autres délégations et l'Office parlementaire, a été discutée avec le Président du Sénat, M. Gérard Larcher. Aussi, je remercie le sénateur Christian Namy de représenter le Premier vice-président de l'Office parlementaire, le sénateur Bruno Sido, excusé. Bien que ce dernier ait immédiatement précisé ne pouvoir être présent, nous avons été contraints de choisir cette date, en raison de la proximité du départ de M. Jacques Repussard. M. Denis Baupin, député, s'est également excusé de ne pouvoir être présent dès le début de cette réunion.

Avant de donner la parole à M. Jacques Repussard, je tiens à le remercier personnellement d'être venu ce soir, car il s'agit d'une de ses dernières participations à une manifestation publique, en tant que directeur général de l'IRSN. En effet, d'ici quelques jours, il prendra une retraite bien méritée. L'Office parlementaire n'a eu qu'à se féliciter de sa collaboration. Depuis le début de sa prise de fonction en 2003, il a toujours répondu positivement à nos sollicitations relatives à nos investigations dans les domaines de compétence de l'IRSN, nous faisant bénéficier à chaque fois de la qualité incontestable des services techniques de son institut.

Ces sollicitations ont été nombreuses, car l'Office parlementaire, depuis son origine, est tout particulièrement investi par le Parlement du suivi des questions nucléaires. Les deux derniers sujets sur lesquels nous avons consulté l'IRSN, en formation d'audition publique ouverte à la presse, celui du survol des centrales nucléaires par des drones, à l'automne 2014, et du défaut localisé d'homogénéité de la cuve de l'EPR de Flamanville, à l'été 2015, étaient particulièrement délicats. Je n'évoquerai pas la période qui a suivi l'accident de Fukushima, durant laquelle nos collègues, le député Christian Bataille et le sénateur Bruno Sido, ont mobilisé en permanence l'IRSN, tout comme l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN).

En tant que directeur général de l'IRSN, M. Jacques Repussard a eu le mérite d'établir une fonction nouvelle, puisqu'il a été nommé à la suite de la création de l'IRSN, par la loi n° 2001-398 du 9 mai 2001, à travers la fusion de l'Office de protection contre les rayonnements ionisants et de l'Institut de protection et de sûreté nucléaire. J'avais appelé de mes voeux cette modification législative dans un rapport au Premier ministre intitulé : « La longue marche vers l'indépendance et la transparence ».

Le directeur général a su asseoir cet organisme scientifique, en tant que bras technique indépendant de l'ASN, en le mettant en position de fournir librement des prestations techniques pour tout autre commanditaire, français ou étranger. La parfaite autonomie et l'expertise reconnue de l'IRSN constituent des composantes essentielles de la sûreté et de la sécurité nucléaire en France, pour la production d'énergie comme pour la radiologie et la radiothérapie. C'est donc avec un très grand intérêt que nous prendrons connaissance de ce nouveau rapport de l'IRSN, consacré à une question d'importance croissante pour la gestion des déchets radioactifs : celle du sort des déchets dits de très faible activité, ou TFA.

Comme vous le savez, l'Office parlementaire s'est constamment préoccupé de ce sujet, depuis un premier rapport publié, en 1990, par le député Christian Bataille, rapport qui a donné lieu, un an plus tard, à une première loi sur la gestion des déchets radioactifs qui porte son nom. J'ai moi-même publié, en 1992, le deuxième rapport de l'Office consacré à la gestion de ces déchets, plus précisément à celle des déchets très faiblement radioactifs qui nous préoccupent aujourd'hui. Ces deux rapports ont donc près de vingt-cinq ans et font date parmi les rapports de l'Office.

À l'époque, une réglementation française peu claire, imprécise, et parfois même incohérente, avait conduit à de multiples « affaires » de décharges de déchets qui avaient légitimement ému la population. Je me souviens que, à Saint-Aubin, j'avais rencontré Mme Monique Sené, ici présente. Mes principales recommandations portaient sur la clarification de la législation, la réhabilitation des anciens sites de stockage, une meilleure information de la population, le contrôle des sources radioactives utilisées dans l'industrie ou la médecine et l'étude des effets des faibles doses sur la santé humaine. Aussi bien les rapports de l'ASN que de l'IRSN ont largement traité de ces questions dans les années qui ont suivi.

Avant de laisser la parole à M. Jacques Repussard, je salue également les représentants des organismes de la filière qui ont eu l'amabilité de répondre à notre invitation : le Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire (HCTISN), l'Association nationale des comités et commissions locales d'information (ANCCLI), la Commission nationale d'évaluation des recherches et études sur la gestion des matières et déchets radioactifs (CNE), l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), AREVA et EDF. Je donne la parole à M. Jacques Repussard et, ensuite, à nos collègues parlementaires ici présents puis aux autres personnes présentent dans la salle.

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Jacques Repussard, directeur général de l'IRSN

Tout d'abord, je voudrais vous remercier pour les propos élogieux que vous venez de tenir à l'égard de l'institut que je dirige et de moi-même. Il est vrai que nous avons travaillé d'arrache-pied, depuis treize ans, pour constituer un outil national fondé sur la science, qui soit capable de répondre aux nombreuses questions posées par l'Autorité de sûreté nucléaire et les autres administrations concernées par les risques nucléaires et radiologiques.

L'IRSN est aussi un outil scientifique. Son statut d'établissement public autonome, placé sous la tutelle de cinq ministres, lui permet, à sa propre initiative sur un mode d'auto-saisine, à partir de ses propres études ou travaux de recherche, de formuler des suggestions, des pistes de réflexion et d'amélioration dans la gestion de ces risques. Ses suggestions sont fondées sur une approche scientifique d'évaluation de ces derniers, ce qui constitue sa marque de fabrique. Depuis environ un an, dans le cadre de cette mission, nous avons engagé, au sein de l'IRSN, avec nos experts dirigés par M. François Besnus, directeur des déchets et de la géosphère ici présent, une réflexion collective sur les évolutions possibles de la gestion des déchets de très faible activité.

Dans l'actualité, les déchets de haute activité à vie longue et le projet CIGEO, bien connus de M. Christian Bataille, sont souvent évoqués. C'est un dossier important et complexe. Mais, à l'autre extrémité de la chaîne des déchets radioactifs, se trouvent des matières très faiblement radioactives, d'une activité inférieure à cent becquerels par gramme, correspondant à la limite définie pour ceux-ci.

Ces déchets sont produits, d'une part, à l'occasion du fonctionnement normal des installations nucléaires et, d'autre part, en quantités très importantes, lors du démantèlement de ces installations. La perspective de l'accroissement de la part des déchets de démantèlement, par rapport à celle des déchets issus de la gestion ordinaire et quotidienne des installations nucléaires, nous a conduits à nous interroger sur la pérennité des solutions en place, en prenant en compte leurs avantages et leurs inconvénients. Nous avons essayé de réfléchir dans un horizon d'accroissement des programmes de démantèlement, induisant des problèmes techniques de gestion des risques associés à l'évolution de la volumétrie de ces déchets. Cette réflexion a donné lieu à l'élaboration du rapport publié aujourd'hui, dont nous avons souhaité réserver la primeur à l'Office parlementaire, mais qui a été transmis hier à l'ASN et sera mis en ligne sur Internet ce soir.

Cette réflexion nous a d'abord amenés à considérer les tenants et aboutissants du problème, c'est-à-dire les avantages et les inconvénients, les forces et les faiblesses, de la doctrine actuelle. Comme vous l'avez rappelé, celle-ci a le mérite de reposer sur des textes clairs, des dispositifs de contrôle maîtrisés par l'ASN, avec l'appui de l'IRSN, et une pratique industrielle établie au cours du temps. Elle a permis de mettre fin aux incidents évoqués précédemment. Aujourd'hui, les problématiques de déchets radioactifs « sauvages » sont rarement évoquées si ce n'est, parfois, pour des sources provenant de l'étranger. Nous devons au dispositif actuel d'avoir globalement éliminé ces problèmes du paysage médiatique français.

La première grande force de ce dispositif découle d'une réglementation qui impose aux exploitants nucléaires un zonage des déchets radioactifs, permettant de bien connaître les lieux dans lesquels ceux de type TFA peuvent être produits, globalement leur caractérisation, c'est-à-dire le genre de radionucléides et le type de procédé qui a conduit à leur production. Ce cadre réglementaire extrêmement efficace permet de connaître ces caractéristiques en amont de la production des déchets.

En aval, ces déchets faisant l'objet dans la doctrine française actuelle d'une gestion spécifique, ils sont extraits des installations nucléaires où ils sont produits pour être déplacés vers le Centre industriel de regroupement, d'entreposage et de stockage (CIRES). Ce centre spécialisé, géré par l'ANDRA, permet de stocker sur place, de manière efficace, l'ensemble de ces déchets, indépendamment de leur degré de contamination. A côtés de déchets TFA réellement radioactifs, dont il faut vraiment s'occuper, se trouvent des déchets dont la radioactivité n'est pas avérée. Ces derniers ayant été produits dans certains zonages, ils sont néanmoins transportés au CIRES pour y être stockés.

Cela m'amène à évoquer les trois inconvénients de la gestion actuelle. D'abord, le CIRES étant une installation unique en France, elle concentre l'ensemble des déchets TFA. Même si leur radioactivité est très faible, elle se trouve concentrée en ce lieu unique. Par ailleurs, ce lieu n'est pas un espace infini. Nous estimons que, dans les quatre à six années à venir, il sera saturé, alors même que plusieurs millions de mètres cubes de déchets seront produits dans les dix à vingt prochaines années. Ce centre ne pourra donc pas physiquement abriter la totalité des déchets qui seront inéluctablement produits dans notre pays au cours de cette période. Cet exutoire unique sera saturé à court terme.

Une autre faiblesse de notre approche nationale concerne le modèle économique sur lequel s'appuie le CIRES. L'ANDRA doit assumer les coûts de gestion de cette installation. L'approche réglementaire conduit à des coûts relativement faibles et attractifs pour l'industrie nucléaire, en regard de son style de vie. De ce fait, il s'avère souvent plus économique pour les exploitants nucléaires d'envoyer dans le CIRES des déchets non radioactifs, plutôt que de les trier de façon très approfondie, pour séparer les déchets un petit peu radioactif de ceux qui ne le sont pas du tout. L'approche réglementaire ne s'y oppose pas. Finalement, le coût raisonnable du stockage se retourne contre celui-ci, puisque jusqu'à 30 % à 50 % de certains lots de déchets stockés au CIRES ne sont pas du tout radioactifs. Bien que ces coûts soient raisonnables, ils ne sont pas proportionnés au véritable risque radiologique. C'est un inconvénient de fond qui doit être pris en compte sur la durée.

Par ailleurs, ces coûts ne sont pas négligeables. S'ils sont faibles du point de vue de l'industrie nucléaire, ils sont très élevés pour un particulier ou une petite entreprise qui hérite d'un site contaminé contenant des produits radioactifs.

Enfin, un dernier inconvénient résulte de la façon spécifique dont le risque nucléaire et radiologique est géré dans notre pays, indépendamment des autres risques. De ce fait, les transferts de risques ne peuvent être facilement pris en compte. Le transport de milliers de tonnes de déchets par la route, d'un point A à un point B, induit évidemment des risques d'accident et de pollution. Ces autres risques pour la société ne sont pas pris en considération. En prenant un cas extrême, si le risque radiologique est nul, en l'absence de becquerels, le risque conventionnel est, lui, bien réel. Aujourd'hui, cette problématique n'est pas abordée.

Ce constat nous a amené à considérer que le statu quo ne tiendrait, de toute façon, pas très longtemps. Aussi, avons-nous essayé de réfléchir à la façon d'aborder la problématique de l'évolution de la doctrine qui nous apparaît indispensable à terme, mais sans urgence absolue. Nos réflexions nous ont conduits à constater qu'il ne s'agit pas d'abord d'une question technique mais de gouvernance des risques au sein de notre société : risques nucléaires, radiologiques et conventionnels. Pour avancer, il s'avère indispensable de travailler sur cette gouvernance des risques, en impliquant toutes les parties prenantes, avant d'aborder les aspects techniques de la question des déchets TFA. Cette réflexion sur la gouvernance devrait, de notre point de vue, être menée suivant trois axes intégrant non seulement le risque radiologique mais également le problème incontournable de la gestion des déchets radioactifs dans notre société.

Ces trois axes sont les suivants: pérennité, équité radiologique et responsabilité. La pérennité fait référence à la prochaine saturation du CIRES. L'industrie nucléaire n'étant plus aussi riche qu'autrefois, la gestion des coûts deviendra, dans les décennies à venir, un sujet plus important qu'il n'a pu l'être dans le passé. En conséquence, le choix d'un modèle économique et physique des flux de matières a besoin d'être appréhendé dans une perspective durable et globale, au sein de l'économie française. Globale, parce que certaines matières sont potentiellement réemployables, suivant la politique de durabilité de l'économie, de réutilisation de certaines matières premières ou de rareté. Cette problématique de durabilité doit être abordée dans son ensemble.

L'équité radiologique signifie que, en déplaçant les déchets radioactifs d'un point A, correspondant à une installation nucléaire, vers un point B, le CIRES de l'ANDRA, le problème du risque radiologique n'est pas réglé, mais déplacé. Si on réfléchit au-delà d'une génération – M. Christian Bataille connaît bien cette problématique – dans quelques générations, l'existence du CIRES aura été oubliée, l'ANDRA et l'ASN n'existeront plus ou auront été remplacées, mais la radioactivité sera toujours là, concentrée sur ce site. Est-il vraiment sage, dans une perspective de long terme, de concentrer les déchets à faible radioactivité sur une portion unique de notre territoire ?

Il faut prendre en compte non seulement la radioactivité de ces matières exprimée en becquerels par gramme mais aussi la dose induite pour la population. Cette dose n'est pas différente suivant que ces matières sont situées dans une installation nucléaire, dans une ancienne installation nucléaire déclassée, dans un centre de déchets ordinaire – on a évoqué les accidents du passé – ou dans un site ad hoc. Dans tous les cas, il existera toujours des populations à proximité et des acteurs économiques désireux de récupérer, un jour ou l'autre, des matières valorisables dont ils ignorent la radioactivité. Cette question de dosimétrie pour la population doit, elle aussi, être appréhendée de façon globale, dans le cadre d'une réflexion avec les acteurs de la société.

De la même manière, comme mentionné précédemment, si le service de gestion des déchets TFA est trop compliqué et coûteux, un certain nombre d'acteurs n'y auront pas recours. Les déchets radioactifs seront alors conservés sur les sites contaminés parce que les différents modes de gestion ne seront pas accessibles. Il s'agit donc également d'une iniquité, puisque certains producteurs de déchets disposent d'une filière et d'autres pas. Cette question d'équité doit être abordée, encore une fois, non sous l'angle technique, mais en considérant les problèmes globaux.

Enfin, la question de la responsabilité est majeure. Qui dit risque dit responsabilité de transfert des risques à autrui. En définissant des modes de gestion des déchets, il faut nécessairement mener une réflexion globale sur la façon d'assurer la répartition de la responsabilité ainsi que le contrôle de l'ensemble des risques, pas seulement du risque radiologique. Ce travail a déjà été réalisé.

Comme vous l'avez souligné, l'ASN a mis en place – et M. André-Claude Lacoste en a été un acteur central –, le système actuel. Mais celui-ci doit être revisité – probablement pas remis en cause dans son entièreté mais revisité –, au regard des conséquences en termes de responsabilité des deux autres approches. Comment consolider la pérennité et comment améliorer l'équité radiologique dans un système qui a, de toute façon, besoin d'être contrôlé ?

Cette réflexion sociétale – je reviendrai, en conclusion, sur la manière dont elle pourrait être conduite – peut déboucher sur un certain nombre d'orientations techniques en aval. Je fais un raccourci puisque nous avons également réfléchi aux conséquences techniques qu'un nouveau paysage politique pourrait induire dans notre pays.

Certaines orientations concernent la valorisation des matériaux, puisque ces déchets sont aussi, pour une part, des matériaux réemployables. Les opérations de démantèlement produisent notamment des bétons en grande quantité. Ces matériaux, quasiment exempts de radioactivité, pourraient être recyclés sur le site, d'autres sites nucléaires, voire non nucléaires, sous réserve, bien entendu, d'être à même de les trier. Une réflexion doit aussi être menée sur les déchets métalliques, puisqu'un certain nombre de métaux sont par nature réutilisables. Les démantèlements nucléaires produisent beaucoup de métaux décontaminables et largement réemployables. Certains ne le sont pas. Il faut évidemment être capable d'assurer un stockage ultime à ces derniers. Mais tous les autres pourraient, de notre point de vue, entrer dans des filières de fusion. C'est un sujet qui a déjà été abordé mais uniquement dans le cadre de la réglementation existante, ce qui interdit toute évolution significative.

Sous l'emprise de la première réflexion plus politique que j'évoquais tout à l'heure, on pourrait imaginer l'élargissement des procédés de fusion et le réemploi d'un certain nombre de produits recyclés dont la radioactivité serait complètement sans effet sur la population, compte tenu de l'extrême faiblesse de sa valeur. Cela pose la question de la viabilité d'une filière de valorisation des métaux, par fusion de métaux légèrement contaminés avec d'autres qui ne le sont pas. Encore faut-il que les lingots issus de ces fusions puissent être eux-mêmes mis sur un marché avec des débouchés crédibles.

Cela suppose de définir des exigences de traçabilité proportionnées au risque. En particulier, si le risque est quasi nul, il faut que la traçabilité impose uniquement le contrôle initial pour éviter une dérive mais que, ensuite le produit se trouve en quelque sorte libéré et ne soit plus soumis à une traçabilité infinie, ingérable dans le temps. Cela suppose aussi que les débouchés ne soient pas uniquement internes à l'industrie nucléaire, incapable de recycler elle-même la totalité de ces métaux. Ces dispositions sont effectives dans d'autres pays et envisageables en France, à condition d'avoir convenablement traité les prérequis évoqués précédemment. Cette question de la valorisation des matériaux irrite évidemment un certain nombre d'acteurs. Mais les seuils de libération existent dans le droit européen. La directive 201359Euratom du conseil de l'Union européenne les prescrit. Ils ne sont pas utilisés en France, mais ils ont une existence juridique avérée dans le droit européen. Il faut apprendre à s'en servir correctement.

Une deuxième orientation porte sur la diversification des options de stockage, puisque j'ai critiqué l'idée de tout concentrer en un seul point. Bien entendu, le CIRES est un outil majeur pour la gestion des déchets radioactifs. Comme pour CIGEO, il ne faut pas gaspiller cette ressource rare. Un certain nombre de déchets TFA sont radioactifs et le resteront durablement. Ils présentent une toxicité et génèrent une dose potentielle. Ils doivent être stockés dans un lieu sûr. Le CIRES constitue une bonne réponse dans ce cas. Mais il ne faut pas gâcher sa capacité avec des déchets qui n'ont rien à y faire.

Si ces derniers ne peuvent être recyclés et que leur degré de radioactivité ou de toxicité est tel que l'usage du CIRES apparaît surdimensionné, le risque associé au transport en grandes quantités sera plus élevé que le risque radiologique. Aussi, serait-il envisageable de recourir de manière maîtrisée à des centres de stockage conventionnels qui stockent déjà des produits amiantés plus dangereux que certains produits radioactifs. On pourrait imaginer que les règles de stockage dans les centres surveillés par la direction générale de la prévention des risques (DGPR) permettent d'accueillir des déchets faiblement radioactifs, évidement dans des conditions contrôlées. Cela réduirait les risques routiers de transport, les coûts et permettrait d'avoir une gestion équitable des risques radiologiques résiduels à l'échelle du territoire.

En résumé, ces orientations conduiraient à gérer ces déchets en utilisant des seuils de libération conventionnelle et des spécifications d'acceptation dans les centres de stockage, comme cela existe pour les polluants autres que radioactif. Les centres conventionnels disposent de règles de gestion permettant un contrôle des entrées pour assurer la conformité du stockage à sa mission. On pourrait leur ajouter une règle radiologique.

Encore en amont du dispositif, une troisième orientation envisageable concerne la limitation de la production des déchets. Aujourd'hui, la façon dont la doctrine est pratiquée fait que tout le monde considère normal d'enlever tout ce qui pourrait être contaminé, de façon à avoir la quasi-certitude de l'absence de becquerels dans un bâtiment déclassé. Cela conduit à créer ce que j'appelle des déchets « administrativement radioactifs », ne présentant aucune radioactivité mais issus de zones déchets. Il est plus simple de les traiter comme des déchets radioactifs plutôt que de contrôler s'ils sont vraiment radioactifs. Cette pratique génère de très grandes quantités de matières dites radioactives alors que, en fait, elles ne contiennent que peu de becquerels et donc des coûts et des risques, autres que radiologiques, très élevés.

Il serait, bien entendu, aussi possible de réduire la radioactivité en amont, sous réserve de suivre l'approche sociétale évoquée plus tôt. Mais cela suppose de parvenir à développer des méthodes de caractérisation radiologique des sites et des bâtiments qui soient opérationnelles, valables sur le plan scientifique, pas trop coûteuses, techniquement efficaces et contrôlables. Cela suppose également de définir des scénarios d'usage qui permettraient, comme pour les polluants conventionnels, d'assurer le contrôle de la destination d'un certain nombre de sites dépollués radiologiquement mais sur lesquels on ne pourrait, par exemple, construire une école maternelle. Cette doctrine, progressivement développée sous l'égide du ministère de l'écologie pour les polluants conventionnels, y compris problématiques comme les métaux lourds, est crédible. Elle a été vérifiée et acceptée par la société. Je pense qu'elle donne satisfaction. Il n'y a aucune raison pour qu'elle ne puisse pas être appliquée à des polluants radiologiques faibles. Enfin, cela passe aussi par la notion de niveau de dose permettant réellement de justifier ces scénarios, donc de déterminer en remontant vers les becquerels des seuils opérationnels de gestion afin de maîtriser l'avenir radiologique de ces sites.

Ce sont des pistes techniques. Mais, il me semble que ce serait une impasse de s'engager dans ces dernières avant d'avoir mené la réflexion politique. C'est probablement la raison pour laquelle les débats en cours au sein de groupes de travail comme celui du PNGMDR n'avancent guère. Tous les acteurs au sein de ces groupes se sentent bridés par la doctrine actuelle et leur vision de la position des différents acteurs au sein de la société. Si le dispositif réglementaire n'est pas intangible, il constitue néanmoins pour eux une donnée. Dans ce contexte, il est évidemment impossible d'avancer. Il faut donc engager un travail sociétal de fond, ce qui suppose une réflexion au sein du HCTISN et du groupe de travail du PNGMDR.

Des outils existants et validés, comme les conférences de citoyens, permettent de préciser les problématiques et d'évaluer la possibilité d'un consensus sur un certain nombre de sujets. Ces approches devraient éviter d'aborder les questions techniques, pour se pencher sur la problématique durable de la gestion des risques : équité, responsabilité et pérennité. Par la suite, ou en parallèle mais dans un deuxième temps, il faut engager un travail technique pour définir de nouveaux outils et des règles d'encadrement. Cela suppose des études de scénarios et de définition d'outils. L'IRSN est prêt à s'y engager s'il est sollicité. Dans ce rapport, nous avons conduit un travail exploratoire. Pour aller plus loin, il faut un consensus avec l'ASN et avec les ministères de tutelle, en particulier la DGPR. Mais nous pensons vraiment que ce travail technique est possible, à condition de desserrer un peu le cadre de pensée.

Pour que ces matières ne soient plus confinées dans un site de stockage spécifique ou une installation nucléaire de base tout en évitant de retomber dans les errements du passé, il faut également engager une réflexion technico-économique avec les filières industrielles. Mais celle-ci ne pourra, elle non plus, avoir lieu sans un travail politique préalable. En effet, les industriels, soucieux de leur bilan, cherchent à minimiser les conséquences des risques radiologiques. De ce fait, ils demanderont l'abaissement de tel seuil de libération, l'allégement de telle contrainte, etc. Ces demandes ne seraient évidemment pas audibles par la société. Aussi un travail politique permettant de définir une vision partagée et raisonnée des règles du jeu à venir, un cadre fixant des limites politiques, est-il indispensable. L'industrie nucléaire a un avenir dans notre pays, mais uniquement au sein de la société. Son encadrement politique passe aussi par celui des déchets qu'elle produit. Une fois un tel cadre défini, les industriels du nucléaire, mais aussi les autres (métallurgistes, constructeurs automobiles, entreprises de génie civil, etc.) pourront légitimement travailler.

Je termine en disant que cette perspective peut apparaître ambitieuse. Mais j'attire l'attention, notamment celle des parlementaires et des administrations, sur le fait que, si rien n'est engagé pour résorber ces difficultés, la gestion actuelle va buter à très court terme sur des difficultés majeures. Leur coût sera extrêmement élevé pour notre pays. Son industrie nucléaire n'en a pas besoin aujourd'hui.

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Je vous remercie d'avoir réservé à l'Office parlementaire ces conclusions et ce rapport ainsi que d'avoir souligné qu'il s'agit de pistes de réflexion pour engager un débat sociétal. Vous avez même suggéré que le HCTISN s'en saisisse, ce qui semble être déjà le cas. Je vais ouvrir le débat en donnant la parole à deux vice-présidents de l'Office parlementaire : le sénateur Christian Namy et le député Christian Bataille, qui représente l'OPECST au sein du conseil d'administration de l'ANDRA, puis aux autres parlementaires qui souhaiteraient intervenir.

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Christian Namy, sénateur

Je prends connaissance de votre position sur le recyclage des métaux avec d'autant plus d'intérêt qu'un tel projet avait été lancé, voici deux ou trois ans, dans le département de la Meuse. Compte tenu de l'intérêt de celui-ci, une étude avait été engagée avec le concours de Tractebel et d'une société de fonderie de Vaucouleurs. Je suis d'autant plus heureux d'entendre vos conclusions que nous n'avions été suivis ni par Tractebel, malgré leur participation à l'étude, ni par les opérateurs, que ce soit EDF, Areva ou le CEA. Votre étude nous conduira probablement à reconsidérer ce projet, même si, comme vous le soulignez très justement, des freins significatifs existent, notamment au plan politique, qu'il faut vraiment desserrer très rapidement.

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Jacques Repussard, directeur général de l'IRSN

Vous illustrez mon propos de façon très concrète. Effectivement, attacher à ces matières des critères de traçabilité sans limite de temps, leur retire tout intérêt économique. Pourtant, ceux-ci sont induits par le cadre réglementaire et le consensus actuels. Aussi, faut-il d'abord engager cette réflexion politique, en gardant à l'esprit des exemples comme le vôtre. Il n'y a pas de raison que des initiatives qui réussissent dans d'autres pays ne puissent aussi réussir dans le nôtre.

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Monsieur le président, après vous je veux saluer le travail réalisé depuis longtemps sur ce sujet par M. Jacques Repussard. En général, notre société écarte les avis des personnes qui ne sont plus en fonction. Je crois qu'il faudra cependant trouver une formule pour les prendre en compte, car ceux de personnalités comme M. Jacques Repussard, M. André-Claude Lacoste et d'autres, présentes dans cette salle, sont très utiles et le resteront sur ces sujets délicats et compliqués. Comme l'a dit M. Jacques Repussard, s'agissant des déchets à haute activités, il est presque assez facile d'élaborer une doctrine, alors que plus les déchets sont faiblement radioactifs plus le débat devient tout autant sociétal que technique.

J'ai bien entendu votre message : à la fin des fins, il revient aux autorités politiques de prendre position. Vous nous donnez un avis, un point de vue, et nous ne pouvons rester sur une forme de perplexité et refuser de statuer. Je relève que notre pays, qui a fortement développé l'industrie nucléaire, est incapable, contrairement à d'autres en Europe, d'arbitrer sur des sujets tels que les seuils de libération. Ce terme précis que vous avez employé concerne pourtant des déchets très faiblement radioactifs d'une grande banalité, qui relèvent de manipulations ordinaires. Nous sommes à la limite du débat technique et du débat sociétal. Bien entendu, la tentation serait de ne rien décider. Je crois qu'il appartient effectivement à l'autorité politique, après avoir entendu l'IRSN et tous les avis techniques, de trancher sur le sort des bétons et métaux très faiblement contaminés, en tout cas à un niveau inférieur à ceux présents dans la nature.

Une doctrine doit donc être établie. Vous avez souligné qu'au fond nous nous trouvions devant un vide juridique. Pour l'instant, il n'existe pas de démarche adaptée au recyclage de quantités assez massives de déchets. Je crois que c'est l'honneur du Parlement et de l'Office de se saisir de ce sujet complexe. L'audition d'aujourd'hui est un premier élément. Je pense qu'il faudra évoluer, définir ce que doit être l'orientation, et finalement la décision de l'autorité politique. Nous ne pouvons rester dans cette situation paradoxale où une doctrine est fixée pour les déchets à haute activité, alors que pour ceux faiblement ou les très faiblement radioactifs, on manque du courage nécessaire pour arbitrer.

Monsieur Jacques Repussard, vous avez utilisé le qualificatif pittoresque de déchets administrativement radioactifs. Il s'agit d'une question complexe qui concerne la société. Nous sommes vraiment dans notre fonction à l'Office parlementaire, parce qu'il n'est pas facile de communiquer et d'informer l'opinion sur une matière aride, faisant souvent l'objet de développements assez démagogiques. On imagine assez facilement l'ouverture d'un journal télévisé de vingt heures sur un sujet comme celui-là. Les parlementaires que nous sommes ont un rôle difficile et délicat. Il nous faut écouter les experts puis traduire leurs propos pour l'opinion. En tout cas, vous avez été clair en exhortant les parlementaires et élus à prendre leurs responsabilités, après avoir reçu votre message. Pour conclure, je veux, après M. Jean-Yves Le Déaut, vous renouveler nos remerciements pour les informations très pertinentes que vous nous apportez depuis des années, et encore aujourd'hui

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Bien que je n'eusse pas entendu les propos liminaires, j'ai compris que cette réunion était pour partie liée à la prochaine fin des fonctions de directeur général de l'IRSN de M. Jacques Repussard. Aussi, voudrais-je également témoigner de l'utilité pour les parlementaires d'avoir pu travailler et dialoguer avec lui, sur des sujets tels que la loi de transition énergétique, la reconnaissance du statut de l'IRSN, la possibilité de rendre publics ses travaux, etc. Chacun connaît la divergence qu'il peut y avoir entre nous sur les questions nucléaires. Il est d'autant plus important d'avoir des interlocuteurs techniques et scientifiques de qualité, à même de nous apporter des informations pertinentes, avec un degré de transparence qui mérite d'être souligné.

Sur le sujet des seuils de libération, je n'ai entendu que la fin de la discussion en cours. Ce débat est engagé depuis un moment. Il pose à la fois des questions de sécurité de nos concitoyens, des questions économiques importantes et des questions très sensibles en termes de communication, comme l'indiquait à l'instant M. Christian Bataille. À cet égard, il serait utile de connaître la réglementation en vigueur à l'étranger. En effet, il n'est pas forcément nécessaire de tout réinventer en France, même si l'importance du nucléaire dans notre pays rend ces questions plus sensibles que dans d'autres, compte tenu du volume supérieur des déchets et des territoires plus nombreux concernés. Malgré tout, connaître la réglementation existant à l'étranger permettrait d'éclairer ce débat.

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Il me semble que la page onze du rapport répond à la question, mais je laisse la parole à M. Jacques Repussard.

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Jacques Repussard, directeur général de l'IRSN

En deux mots, dans notre environnement juridique une directive européenne sur la protection radiologique définit un seuil de libération pour les déchets TFA utilisé par la plupart des États membres. Il a fait ses preuves dans de nombreux pays, y compris dans ceux disposant d'une industrie nucléaire. Bien entendu, l'utilisation de ce dispositif en France ne va pas de soi, compte tenu de notre histoire et de notre patrimoine de réflexion sur les risques radiologiques. C'est pourquoi j'appelle de mes voeux une réflexion de société, une réflexion politique, avant de se lancer dans l'application de ce seuil de libération. Sa seule existence ne suffit pas à convaincre les parties prenantes. En tout cas, nul besoin d'aller chercher des modèles dans des pays lointains puisque la directive européenne fournit les outils juridiques nécessaires.

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Je crois que les questions posées dans ce rapport sont de bonnes questions. Sa conclusion confirme l'intérêt de la réflexion confiée à un groupe de travail du HCTISN. Il serait intéressant d'avoir les conclusions de celui-ci, après celles de l'IRSN. Je pense qu'émettre des suggestions entre dans les missions d'organismes tels que l'IRSN ou l'ASN. La loi relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire a séparé les responsabilités dévolues à l'ASN, avec l'appui technique de l'IRSN, portant sur la gestion courante du secteur nucléaire, de celles de l'État qui décide notamment des normes.

Ce sujet de la fixation des normes est complexe. À côté des questions de sécurité, évoquées par M. Denis Baupin, existent également des questions de perception du public. Le risque est souvent le risque perçu. Ainsi, dans le cadre de l'élaboration de mon rapport de 1992, alors que l'ANDRA cherchait, probablement avec quelques maladresses de communication, des formations géologiques diversifiées adaptées au stockage des déchets radioactifs dans quatre départements : l'Ain, l'Aisne, le Maine-et-Loire et les Deux-Sèvres – finalement, aucun de ceux-ci n'a été par la suite retenu – je me suis rendu à La Renaudière, aux confins de la Loire-Atlantique et du Maine-et-Loire.

Il était envisagé de stocker dans d'anciennes mines d'uranium à ciel ouvert des déchets issus du retraitement de la monazite, importée d'Australie par Rhône-Poulenc, pour en extraire du lithium et des terres rares. Ceux-ci comportaient une radioactivité résiduelle. Lorsque je suis arrivée sur ce site, trois-cents personnes m'attendaient, pensant que je représentais le Gouvernement. J'ai évidemment expliqué qu'il n'en était rien. L'une d'entre elles a résumé la situation avec un accent local difficile à restituer : « Eh bien Monsieur, nous vivions tranquilles ici, et voilà maintenant qu'ils veulent nous mettre de la radioactivité ». Il vivait sur un site d'extraction d'uranium mais, pour lui, toute terre provenant de l'extérieur présentait un danger, à partir du moment où elle était radioactive. Comme indiqué par M. Jacques Repussard, cet effort préalable de discussion est donc indispensable.

Une autre question pertinente posée dans ce rapport et, à l'instant, par M. Denis Baupin, concerne la situation à l'étranger. Ce rapport montre qu'il existe deux voies : celle de la réduction des volumes et de la réutilisation, notamment dans le domaine nucléaire, avec une traçabilité des déchets, ou, au contraire, celle du stockage. Les deux n'ont évidemment pas le même coût. Il faut essayer de définir une stratégie et une politique prenant en compte à la fois ce coût et la perception du public.

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Victor Roux-Goeken, journaliste à Contexte

Je vais poser trois questions. Je voudrais comprendre l'économie générale de cette filière de déchets. Vous avez parlé de coût raisonnable. Quel est le coût par tonne du traitement de ce type de déchets et quel serait le coût des solutions alternatives que vous avez exposées ? Par ailleurs, pourquoi la France n'applique-t-elle pas le seuil de libération évoqué : par manque de courage politique ou parce que le débat n'est pas porté au sein de la société ? Enfin, quelle suite faut-il donner à ce problème : un débat national, un projet de loi, etc. ?

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Jacques Repussard, directeur général de l'IRSN

Les coûts du système actuel varient selon les producteurs. Comme indiqué, pour la filière nucléaire il s'agit de grands volumes, avec des coûts de préconditionnement pris en charge directement par les exploitants. Si mes informations sont exactes, le coût de stockage au CIRES est d'environ cinq cents euros par mètre cube. Mais un petit producteur se verra facturer par l'ANDRA, en fonction du travail technique à réaliser pour caractériser les déchets, peut être mille, deux mille, voire quatre mille euros. L'ANDRA exposant un certain nombre de frais qui peuvent devenir totalement prohibitifs, les produits contaminés restent souvent là où ils sont.

M. André-Claude Lacoste serait peut-être plus qualifié que moi pour répondre à votre deuxième question. Il me semble qu'un certain nombre d'incidents relatifs à la présence inopinée de déchets radioactifs en des lieux inappropriés, perçus comme une menace pour l'industrie nucléaire et son image, ont conduit à surréagir, en cherchant une façon radicale d'empêcher que des déchets radioactifs, de quelque nature que ce soit, en particulier issus de l'industrie nucléaire, se trouvent en contact avec la population. Aussi, sont-ils confinés soit dans des zones déchets inaccessibles au public au sein des installations nucléaires, soit dans un centre spécialisé, avec des transports par camions entre les deux. Si ce principe est systématiquement appliqué et contrôlé par une autorité compétente comme l'ASN, tout risque de trafic de déchets et d'incident se trouve éliminé. Il ne reste plus que de très rares dysfonctionnements mineurs, par exemple relatif à des métaux contaminés importés d'Inde etc. Mais ceux-ci ne concernent pas la filière nucléaire française. Ce dispositif a représenté un grand progrès. Je ne pense pas qu'il faille regretter sa mise en oeuvre sous l'égide de l'ASN. Mais s'il est bien adapté à la production ordinaire de déchets par l'industrie nucléaire en fonctionnement, il ne l'est malheureusement pas, quantitativement, à la problématique du démantèlement qui va générer des millions de mètres cubes.

Évidemment, le démantèlement n'était pas le problème posé à l'administration française voici vingt ou trente ans. Aujourd'hui, devant ce sujet du démantèlement la pire des choses serait de ne pas voir qu'existe une impasse qui va compliquer, voire retarder le démantèlement des installations, au détriment, sur le plan économique, de la filière française du démantèlement.

L'apprentissage du démantèlement, c'est-à-dire du retour d'un certain nombre d'installations nucléaires, ou de ce qu'il en reste, dans la société, est une problématique de très grande importance. Si l'on désire réduire la part de la production nucléaire française, trouver une solution adaptée est incontournable, sauf à reporter ad vitam æternam le démantèlement, ce qui serait dangereux et économiquement inopportun. Aussi, est-il temps à présent de se préoccuper de cette problématique Ce sujet étant politique avant d'être technique, je suis heureux que MM. Jean-Yves Le Déaut et Christian Bataille s'en saisissent.

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Dans son dernier rapport, la CNE avait insisté sur le fait qu'il faudrait instruire cette question du seuil de libération des déchets TFA, en raison des grandes quantités de déchets attendues à la suite des démantèlements. Par ailleurs, ce qui apparaît tout à fait remarquable dans le rapport présenté par M. Jacques Repussard, c'est que, alors que cette question est souvent traitée sous un seul angle, il s'agit là d'un travail de fond, fondé sur une réflexion complète et suggérant une méthodologie. À ce jour, aucune méthodologie n'avait été proposée de façon explicite pour aborder ce problème.

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Monique Séné, vice-présidente de l'ANCCLI

Cela fait longtemps que je travaille sur ces sujets. Je suis ravie que l'IRSN apporte une pierre à l'édifice et il faudra l'utiliser. Je vous ai indiqué qu'un groupe de travail avait été constitué au sein du HCTISN pour traiter de cette question. Il a commencé à travailler mais malheureusement ne vient de se réactiver que récemment. Vous n'aurez donc pas tout de suite ses conclusions. Ce groupe est d'ailleurs présidé par un représentant de l'ASN.

Si ce seuil de libération pour les déchets TFA n'a pas été retenu, c'est en particulier à la suite d'une décision de l'ASN. Il est vrai que celle-ci résulte des nombreux problèmes survenus en France. Il y en a d'ailleurs encore. Ainsi, convient-il de rappeler que les mines d'uranium sont des sites de stockage. Initialement, dans les années 1950, les seuils de radioactivité pour les stériles miniers étaient relativement élevés, car le traitement du minerai n'était, à l'époque, pas très poussé. Quant aux résidus de monazite stockés sur un site, ils induisent toute la chaîne de radioactivité de l'uranium, soit treize descendants, dont le radium qui donne, par la suite, le radon.

Il est vrai que les transports doivent être étroitement surveillés. Mais de nombreux stockages existent déjà sur les sites de centrales, par exemple la bute de Bugey, mais aussi à Cadarache, à Marcoule ou à Saclay. Ainsi, le problème de fûts anciens qui s'étaient délités à Saint-Aubin, dans l'Essonne, n'a été résolu que cette année, alors qu'il avait été en principe identifié en 1990, en réalité cinq ou six ans auparavant.

Vous avez dessiné des pistes, mais n'oubliez pas qu'une transparence absolue sera nécessaire vis-à-vis de la population. S'il revient bien au Gouvernement de prendre la décision finale, il faut veiller à bien mener le débat, en évitant d'en définir à l'avance les conclusions. Il faudra fournir une information détaillée et complète. En particulier, vous évoquez uniquement la radioactivité des déchets, mais ceux-ci présentent également des caractéristiques chimiques. Les ions radioactifs n'existent pas isolément, ils ont une forme physico-chimique qu'il faut également prendre en compte pour le traitement des déchets. Suivant les métaux en jeu, ils ne peuvent être stockés dans n'importe quel site de stockage de déchets conventionnels. Une grande vigilance sera donc nécessaire.

Il en va de même pour le seuil de libération. Il faudra examiner comment il est mis en oeuvre à l'étranger. Je tiens à souligner que, s'il est appliqué en Allemagne et en Suède, ces pays ont néanmoins quelques difficultés à écouler les métaux récupérés. Il ne suffit pas de les fondre, au risque de ne savoir que faire avec le métal obtenu, si ce n'est dans l'industrie nucléaire. Il sera également nécessaire de déterminer comment des inspecteurs peuvent effectuer un suivi efficace. En cas d'incident, la filière s'écroulerait.

Compte tenu des enjeux, l'ensemble de la population devra être associée. Il sera nécessaire de trouver des modalités adaptées, un débat public n'étant pas à mon sens suffisant. Pour sa part, l'ANCCLI pourra porter ce sujet auprès de la population. Par l'intermédiaire des commissions locales d'information, une communication conséquente sera possible. Je vous encourage à vous pencher sur ce sujet car nous allons effectivement être confrontés à des très grandes quantités de déchets de ce type.

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Je pense qu'existe un problème de pédagogie politique et de communication vis-à-vis de l'opinion. En tant qu'élu non scientifique, je constate que nous prenons notre douche avec de l'eau recyclée sans que cela pose problème, que nous utilisons dans la vie quotidienne des produits recyclés réutilisables de diverses natures, sans que cela pose problème, etc. Mais dès que l'on touche à la matière nucléaire, le recyclage bute sur une question de communication à l'égard de l'opinion.

Ainsi, à la page onze du rapport présenté par M. Jacques Repussard se trouve une citation claire sur le plan scientifique : « un encadrement réglementaire au titre de la radioprotection sous réserve de la démonstration préalable du respect d'une dose individuelle au public ne dépassant pas 10 µSv et d'une dose collective inférieure à 1 mSv.an-1, quels que soient les usages qui peuvent être faits de ces déchets ». C'est scientifiquement très rigoureux mais il faut le traduire pour le public.

Les scientifiques ont une grande responsabilité dans cette traduction pour l'opinion. Ils ont la capacité d'inquiéter l'opinion avec une accumulation de détails scientifiques qui peuvent créer de l'affolement sur un sujet, alors qu'il serait possible de l'aborder tranquillement. Nous avons, par conséquent, une responsabilité politique collective. Les élus doivent traduire les contraintes et les scientifiques essayer de dire la vérité d'une manière claire, sans embrouiller, parce que nous connaissons l'empire des médias et des réseaux sociaux,= et nous savons bien que tout cela pourra être déformé sans que nous puissions intervenir.

J'ai bien entendu l'interrogation sur la raison pour laquelle le pouvoir politique n'a pas eu, en quelque sorte, le courage de prendre ce problème à bras le corps. Je crois qu'il faut le faire mais ce ne sera pas facile, car nous allons être confrontés à des affirmations infondées et à des contre-vérités. Il faudra expliquer à l'opinion publique des choses aussi compliquées que des microsieverts et des millisieverts. Toutes les démagogies sont possibles sur un tel sujet. Il faut en être conscient.

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Jacques Repussard, directeur général de l'IRSN

Mme Monique Sené a évoqué les anciennes mines d'uranium. Il se trouve que, à la demande de la DGPR et de l'ASN, nous avons mené des campagnes dans plusieurs départements, autour du Massif Central, sur l'impact dosimétrique des anciennes mines, par exemple pour l'alimentation du bétail. Mme Audrey Lebeau-Livé, présente à mes côtés, a été rapporteur de ce projet. En fait, en faisant preuve de pédagogie, il n'est pas si difficile que cela de montrer aux habitants l'absence d'impact dosimétrique notable. La population s'intéresse à ces sujets, encore faut-il lui apporter des informations réellement transparentes. Par exemple, les résultats des mesures dans les petits cours d'eau en aval des mines confirment l'absence de problème radiologique dans le territoire, compte tenu des mesures prises et de la gestion assurée par AREVA. Bien entendu, l'uranium est omniprésent. Mais les mines n'induisent pas de radioactivité supplémentaire à l'origine de problèmes sanitaires. Nous pouvons le démontrer. Pour que la population l'accepte, encore faut-il faire l'effort d'aller à sa rencontre et de réaliser des mesures là où les habitants les jugent utiles, non uniquement là où nous l'estimons nécessaire. Sous ces réserves, il est possible de progresser avec la population et les élus. C'est un travail mais il doit être entrepris.

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André-Clause Lacoste

Quelques mots d'abord sur l'histoire. J'assume la responsabilité d'avoir participé à la mise au point de la doctrine actuelle sur les déchets TFA. Vous avez rappelé la petite série de scandales survenus à l'époque à propos des déchets de faible activité. Aussi, je sentais la nécessité de « tailler carré ». Il s'agissait de mettre fin à cette série de scandales en prenant les mesures adéquates pour assurer la tranquillité nécessaire à une réflexion sur la gestion de l'ensemble des déchets, en particulier des déchets de haute activité. Clairement, j'ai le sentiment que nous avons « taillé carré », sans raffiner. Il m'apparaît tout à fait sain, vingt ans plus tard, que le sujet soit revisité. Je pense que ce sera tout à fait intéressant.

Je donnerai seulement deux exemples des contradictions qui vont apparaître. Nous avons tendance à dire que le démantèlement va produire des masses considérables de déchets. Quand vous parlez aux grands industriels français des déchets, les quantités provenant du secteur nucléaire leur apparaissent dérisoires. De même, nous avons tendance à dire que les déchets TFA contiennent très peu de radioactivité, alors que les industriels estiment que cette radioactivité est tout de même bien empoisonnante. Ces exemples illustrent simplement le type de débats à venir pour mettre au point une nouvelle doctrine aussi largement partagée qu'il est possible.

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Avant de mettre fin à ce débat, je voudrais indiquer à Mme Monique Sené que je n'ignore pas que la monazite contient les descendants de l'uranium, y compris du radium, dont la désintégration génère du radon, tout comme avec le granit. En France, dans les régions granitiques que sont la Bretagne, le Massif Central et les Vosges, il faut se préoccuper du radon généré par les roches naturelles transformées par le temps. Je crois que l'intérêt du rapport de l'IRSN et des autres travaux menés, comme mentionné précédemment, au sein du HCTISN et de la CNE, consiste à revisiter cette question au regard des volumes considérés, faibles pour les industriels mais potentiellement importants, comme indiqué par M. Jacques Repussard au début de son exposé, par rapport à la capacité résiduelle de l'unique site de stockage aujourd'hui disponible. Avant d'engager de nouveaux démantèlements, il serait souhaitable que ce problème fût traité. Cette question reste ouverte et doit, comme tous l'ont reconnu, être discutée avec la société.

Avant de vous remercier de votre participation, je voudrais associer dans un même hommage, M. André-Claude Lacoste, parti à la retraite voici quelques années, et M. Jacques Repussard, car, après beaucoup d'approximations, leur génération a eu la lourde charge de traiter ces questions de gestion des déchets radioactifs.

À une certain époque, la transparence faisait défaut, d'où le titre de mon rapport de 1999 au Premier ministre Lionel Jospin : « La longue marche vers l'indépendance et la transparence ». Aujourd'hui, grâce à eux, à tous les organismes créés depuis par la loi, et à l'ANCCLI dont le rôle est essentiel, la transparence a été améliorée. Nous pouvons discuter sans nous fâcher d'un sujet comme celui des déchets TFA, ce qui n'était pas forcément le cas voici vingt ans. On a « taillé carré », comme l'a indiqué M. André-Claude Lacoste. À présent, il faut envisager, pour prendre en compte la masse de déchets issus des démantèlements, de modifier un certain nombre de règles, en respectant bien entendu la sûreté essentielle des populations et en expliquant, avant de prendre une position assumée. Je remercie tous les participants d'être venus à cette réunion.

Je demande à mes collègues parlementaires de rester pour écouter les conclusions de M. Denis Baupin sur son rapport relatif à la mesure des émissions de particules et de polluants par les véhicules. Son co-rapporteur, la sénatrice Fabienne Keller ne pouvait être présente aujourd'hui, pour les raisons indiquées précédemment.

– Présentation des conclusions relatives à l'audition publique sur « L'état de l'art en matière de mesure des émissions de particules et de polluants par les véhicules. Regards croisés » du 13 novembre 2015, par M. Denis Baupin, député, et Mme Fabienne Keller, sénatrice

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Le 13 novembre 2015, nous avons organisé une audition publique sur l'état de l'art en matière de mesure des émissions de particules et de polluants par les véhicules ; thème que nous avions précisé en indiquant que nous souhaitions permettre des regards croisés.

Cette audition publique, qui faisait suite à notre rapport sur « Les nouvelles mobilités sereines et durables : concevoir et utiliser des véhicules écologiques », a été organisée dans un contexte particulier, à la suite du scandale provoqué par la société Volkswagen qui avait installé, sur ses voitures, un logiciel permettant de fausser la mesure de leurs émissions polluantes.

Les preuves de cette tricherie jetaient, en effet, le discrédit sur les normes édictées par les pouvoirs publics afin de réduire la pollution liée au secteur des transports. Elles sapaient la confiance que les consommateurs pouvaient avoir dans les annonces des constructeurs qui, jusqu'alors, n'étaient mises en cause que de façon marginale. Elles nuisaient à la mise en place, depuis plusieurs années, de politiques volontaristes en matière d'environnement et de santé publique.

Aussi était-il utile de rassembler tous les acteurs de la filière pour s'interroger sur la réalité de l'application des normes, sur les mesures qu'il faudrait prendre pour éviter la répétition d'un tel scandale, et sur la capacité du secteur automobile dans son ensemble à réaliser des mesures en conditions réelles de conduite, puis à réadapter les véhicules d'un certain âge qui ne sont plus en mesure de respecter les objectifs poursuivis. Il fallait aussi réfléchir à la manière d'assurer, de manière indépendante, une surveillance de l'application des normes.

Tous les acteurs de la filière sont venus : les constructeurs, les équipementiers, les garagistes, les centres de contrôle technique, afin de dialoguer avec des représentants des ministères chargés de l'industrie et de l'environnement et un haut fonctionnaire de la Commission européenne. Tous, sauf un, Volkswagen, qui avait pourtant été invité.

Les ONG qui défendent l'environnement et les associations de consommateurs étaient là, elles aussi.

Depuis lors, les tests mis en place sur une centaine de véhicules roulants par la ministre de l'écologie, Mme Ségolène Royal, ont déjà montré que, en dehors de toute volonté de tricher, les émissions réelles de polluants sont beaucoup plus fortes que les émissions théoriques annoncées par les constructeurs. La preuve en a été apportée pour les voitures Renault, et nous attendons les résultats complets qui concernent aussi les autres marques.

Quelles conclusions tirons-nous de cette audition ?

Nous avons retenu plusieurs idées fortes :

1. Le scandale récent ne doit pas faire oublier les avancées importantes réalisées en matière de réduction programmée des émissions de polluants par les véhicules. Ces dernières années ont, en effet, été marquées par une progression constante des normes, de la norme Euro 1 à la norme Euro 6. Cette tendance devrait se poursuivre par la mise en place annoncée de la norme WLTP et par celle du test RDE, qui permettra des mesures plus proches des conditions réelles d'utilisation des véhicules. L'article 65 de la loi sur la transition énergétique en est l'un des symboles marquant à travers le renforcement des contrôles pollution lors des contrôles techniques obligatoires. Il faudra cependant veiller à la publication du décret d'application de cet article et à la mise en place effective des nouvelles normes et du test RDE.

2. Les normes de pollution sont essentielles pour stimuler une évolution des véhicules qui permette la réalisation des objectifs de la transition énergétique et de l'amélioration de la qualité de l'air. Il faut donc en défendre l'utilité et la nécessité tout en accélérant et approfondissant les évolutions déjà envisagées. C'est un objectif réaliste, puisque les constructeurs, qui conçoivent généralement les améliorations de leurs véhicules cinq ans avant de les produire en série, ont déjà largement entamé ce processus. Il faut, toutefois, veiller à ce que les normes ne soient pas dévaluées par des seuils de tolérance ou de flexibilité dans leur application.

3. Il est nécessaire de rétablir la confiance dans les annonces des constructeurs, ce qui nécessite de mettre à plat leurs méthodes de mesure, de les questionner, et de s'interroger sur la manière de réaliser des mesures dans les conditions réelles d'utilisation des véhicules, et pas seulement au seul moment de l'homologation, avant mise sur le marché. Les mesures réalisées en situation théorique (souvent avec des véhicules de présérie, et sans tenir compte des différences de pression des pneus, des écarts de température, des accélérations possibles ou de l'usage de la climatisation…) ne sont plus suffisantes. Les témoignages que nous avons entendus ont montré que c'était un objectif réalisable. L'Ademe a ainsi annoncé qu'elle pouvait réaliser des évaluations des pollutions en situation réelle. Ce type de mesure devrait ensuite déboucher sur des propositions de modification de la réglementation européenne qui doit être plus précise sur les conditions de mesure des émissions de polluants en termes de vitesse, de température, d'accélération, de pression des pneus et d'usage de la climatisation et sur un contrôle du parc roulant. Tant que les niveaux de consommation et de pollution des véhicules ne seront pas mesurés dans des conditions représentatives de leur usage, leur communication aux fins de promotion des véhicules doit être prohibée.

La confiance suppose également que l'homologation des véhicules s'effectue à partir de tests représentatifs de l'usage et qu'elle résulte d'une autorité indépendante. Il importe que des mécanismes permettant d'assurer un contrôle tant de l'indépendance des organismes en charge des homologations que du respect d'un même niveau d'exigence dans tous les États membres de l'Union européenne soient mis en place. La mondialisation du marché automobile plaide pour une approche européenne mais il faut que l'Union prenne ce type de décision

4. Pour aboutir à des décisions rationnelles, il serait souhaitable de lancer un débat sur les critères à retenir pour mesurer les émissions polluantes, ce qu'on cherche à mesurer (le CO2, les NOx, les divers types de particules, le NH3 …) et le réalisme des objectifs à atteindre.

5. Les mesures envisagées ne pourront être efficientes qu'avec le concours des constructeurs et de l'aval de la filière. C'est pourquoi nous proposons de mettre en place un plan de soutien aux garagistes et aux centres de contrôle technique pour qu'ils s'équipent des appareils de mesure nécessaires (les témoignages recueillis lors de l'audition publique suggèrent que le coût d'une telle incitation est relativement faible). Nous proposons également d'évaluer l'impact sur les consommateurs d'une remise à niveau de leur véhicule et de mettre en place les mesures de soutien financier qui permettront d'assainir le parc automobile.

6. La lutte contre la pollution ne sera efficace que si l'on assiste à un véritable changement de comportement vis-à-vis des véhicules automobiles. Nous ne sommes pas pessimistes car on en voit déjà les prémisses, qu'il s'agisse de l'autopartage, du covoiturage, et d'une timide apparition de véhicules différents, moins lourds, plus petits, et donc moins polluants. La description que nous en avions faite dans notre rapport sur les mobilités sereines et durables de 2014 s'est, depuis lors, confirmée.

Ces propositions sont d'une actualité brûlante. La Commission européenne a fait de nouvelles propositions, le 28 janvier 2016, pour renforcer l'indépendance des contrôles. Elle propose notamment d'instaurer une Agence européenne d'homologation, qui serait financée par un impôt récolté auprès des industriels. Ceux-ci seraient passibles de sanctions financières s'ils ne mettaient pas en conformité leurs véhicules. Ce sont les conditions parfaites pour que les conclusions que nous demandons à l'OPECST d'adopter puissent s'appliquer et avoir un certain retentissement.

Par contre, le Parlement européen a entériné, le 3 février, les propositions du comité technique du 28 octobre 2015, qui affaiblissent singulièrement les normes euro 5 et euro 6 : les véhicules diesel pourront dépasser les normes d'émissions de NOx de 110 % à partir de septembre 2017, puis de 50 % à partir de janvier 2020 (par rapport à la norme Euro 6 adoptée en 2007 qui limitait les émissions de NOx à 80 mgkm). C'est une décision malheureuse, qui affaiblit la mise en oeuvre de tests d'émission en conditions de conduite réelle, proposée, par ailleurs, au moment où la qualité de l'air devient une préoccupation de plus en plus importante.

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Christian Namy, sénateur

Serait-il possible d'avoir des précisions sur le fonctionnement du système de dépollution mis en place par Renault, qui ne fonctionne qu'à certaines températures ?

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Ce système est propre à Renault, qui a du reste fait preuve d'une grande transparence dans sa présentation, ce qui n'est pas toujours l'attitude des autres constructeurs

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Ce système ne fonctionne que dans 20 % du temps, quand la température est inférieure à 17 degrés. Mais tout dépend du pays où l'on se trouve, ce qui rend la question complexe.

Je trouve très intéressantes les propositions de conclusion sur les avancées sur la réduction de la pollution, sur la définition des pollutions, sur les normes qui sont essentielles pour promouvoir des véhicules différents, et sur la manière de rétablir la confiance. Je rajouterai que, en matière de contrôle technique qui n'intervient qu'à l'issue d'un délai de quatre ans, il faudrait prévoir que les références de pollution devant être respectées par les véhicules soient faites dès leur construction et qu'elles prennent la forme de fourchettes de pollution plutôt que de chiffres précis, qui risquent d'inciter les constructeurs à donner des chiffres au-dessous de ce qui peut être mesuré en utilisation normale.

Je terminerai mon propos en relevant que vos propositions sont, en effet, d'une actualité brûlante et qu'il serait intéressant de préciser la position que le Parlement européen a prise le 3 février dernier. Je propose à l'Office d'adopter vos conclusions.

L'OPECST a alors adopté à l'unanimité les conclusions de ses deux rapporteurs.

La séance est levée à 19 heures