Intervention de Ehab Badawy

Réunion du 2 mars 2016 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Ehab Badawy, ambassadeur en France de la République arabe d'Egypte :

Il y a dans ce triangle (Al-Arich, Rafah et Cheikh-Zoueid) entre 700 et 1 000, voire 1 200 terroristes, très bien armés. Ils ont une très grande connaissance des explosifs, y compris pour piéger les véhicules, et même le ciment ou les routes, ce qui rend la détection très difficile.

Dans la lutte qu'elle mène contre eux, l'Egypte souhaite éviter que les populations civiles ne basculent ainsi que les pertes inutiles. La réussite est une question de temps, en suivant le principe « lentement mais sûrement ».

Sur le plan économique, l'Egypte se situe à la base de la hiérarchie des besoins définie par Maslow. Elle veille à assurer à sa population les besoins essentiels, notamment en alimentation, et assure aussi le besoin de sécurité. Le pays s'est heurté à des difficultés immenses ces deux ou trois dernières années. Le doublement du Canal de Suez n'est qu'un élément d'un projet de développement plus global de l'ensemble de sa zone économique. C'est l'infrastructure nécessaire. La situation géographique de la zone est exceptionnelle, au confluent de l'Afrique et du Monde méditerranéen. Selon un schéma similaire à Singapour, c'est le développement industriel qui est visé. Les produits égyptiens entrent sans droits de douanes en Afrique. Le chef de l'Autorité économique du canal de Suez, un ancien ministre, doit se rendre bientôt en France. Il est essentiel que les entreprises françaises puissent tirer parti des relations excellentes entre nos deux pays.

Il faut espérer que ce projet soit un succès. La création d'environ deux millions d'emplois est en jeu. Il faut à l'Egypte une forte croissance pour que la situation s'améliore.

L'Egypte s'est toujours intéressée à la Syrie sans prendre part à cette guerre par procuration. Certains dans le pays pensent qu'elle a une diplomatie un peu trop sage. Toutefois, il n'appartient pas à un grand pays de 90 millions d'habitants de prendre un tel risque politique. Son économie est très dépendante des revenus du tourisme et du canal de Suez. La division de la Syrie serait la pire des options dans une telle situation. Il est clair que les frontières dans l'ensemble de la région ne sont pas des plus logiques, mais aussi que c'est le seul dénominateur commun. Si on les modifie, la situation sera insoluble. C'est ouvrir une boîte de Pandore qui va concerner jusqu'à l'Afrique.

Il est donc essentiel de préserver l'intégrité territoriale de la Syrie et l'intégrité de ses institutions, ainsi que de s'assurer que le pays ne deviendra pas une « deuxième Libye » et qu'un autre pouvoir est là pour prendre le relai. La région ne peut vivre de nouveau une telle situation. Elle a déjà beaucoup souffert à cause de l'idée que les islamistes s'en font. On ne teste pas de telles théories, on ne mène pas de telles expériences lorsqu'il s'agit de peuples entiers, de millions de gens.

La Libye est le principal danger dans la région. Elle doit faire l'objet de la plus grande attention de la part de la communauté internationale. C'est un concentré de toutes les difficultés, du fait de sa situation en bordure de Méditerranée, de la question des réfugiés et du terrorisme qui s'y installe. La France fait partie de la minorité de pays qui s'en préoccupe. Il y a clairement un manque d'attention et de leadership mondial sur ce dossier. En Syrie, le vide a été comblé par l'intervention russe. En Libye, il y a actuellement un vide.

Il faut se méfier de l'expression « islamistes modérés ». Il y a des musulmans modérés, mais il ne peut y avoir d'islamistes modérés, car les islamistes sont des idéologues. Si des islamistes semblent modérés, c'est comme en Tunisie pour des raisons tactiques. La stratégie reste inchangée. Leurs objectifs sont les mêmes : être à la droite de Dieu, bâtir un Etat islamique, établir un califat. C'est sur ce dernier point qu'il y a divergence, car chacun des chefs islamistes a une définition du califat qui lui est propre.

La situation en Libye est très difficile, mais il est clair qu'il ne peut pas y avoir d'exception pour ce pays en ce qui concerne l'islam politique.

Contrairement à ce que véhiculent les médias, l'Egypte ne souhaite pas intervenir en Lybie car la Cyrénaïque n'intéresse pas les autorités égyptiennes. Tout ce qui nous intéresse c'est notre sécurité. On espère qu'il y ait un jour une démocratie en Libye mais on ne souhaite pas avoir un pays morcelé.

Les choses sont très simples, pour combattre le terrorisme, il faut chercher celui qui est le plus à même de le combattre. Il se trouve qu'en Libye c'est le général Haftar et l'armée libyenne. Puisque nous, et le reste de la communauté internationale, sommes incapables d'intervenir, il faut soutenir ceux qui sont sur place et les aider à libérer leur pays du terrorisme.

Le général Haftar reste malgré tout très populaire et donc le seul à pouvoir rassembler le pays.

Actuellement un troisième gouvernement a été formé dans ce pays. Néanmoins, ce n'est pas en créant une nouvelle entité dépourvue de pouvoir que l'on pourra arranger les choses. Il faut chercher le pouvoir là où il est, et le légitimer.

S'agissant de la Palestine et de la bande de Gaza, nous faisons de notre mieux pour détruire les milliers de tunnels qui ont été creusés. Il se trouve que le meilleur moyen de est de les inonder. Les déclarations enragées du Hamas sont la preuve de l'efficacité de cette solution. En ce qui concerne le processus de paix et l'initiative française, l'Egypte a toujours été pour la paix dans la région et pense qu'une des causes majeures du terrorisme est le fait que la question palestienne n'a pas été résolue. Le seul espoir pour la région est que cette paix ait lieu un jour.

M. Okasha a été visé surtout en raison des controverses autour de sa personnalité. Notre paix avec Israël est très solide, elle a été testée à maintes reprises. Des Israéliens ont été tués aux frontières et inversement, mais les gouvernements ont toujours eu la sagesse de bien gérer ces crises. Néanmoins, après le long bombardement de la bande de Gaza et les affreuses images qui nous sont parvenues, l'opinion publique égyptienne a du mal à accepter une normalisation des relations avec Israël. Pourtant le monde arabe serait prêt à accueillir immédiatement Israël si ses dirigeants avaient le courage d'accorder aux Palestiniens leur Etat. Plus concrètement, tant que M. Netanyahu ne subira pas des pressions internes ou externes pour faire évoluer la situation, il n'agira pas. Indépendamment de la couleur politique - le Traité de paix israélo-égyptien de 1979 a été par exemple négocié avec la droite de Menahem Begin - il faut donc avant tout des pressions internes venues de la société elle-même.

S'agissant de la politique intérieure, les acteurs des deux premières révolutions ont voulu que les droits de l'homme soient respectés. Mais l'Egypte a un très mauvais héritage qui se manifeste à travers des policiers qui agissent de la même manière qu'il y a quatre décennies. Les officiers de police se moquent régulièrement par exemple de la fonction du vice-ministre de l'Intérieur pour les droits de l'homme. La situation évolue lentement et il y aura donc surement encore des bavures. Mais ceux qui commettent aujourd'hui des fautes sont punis.

Certains d'entre vous ont évoqué les droits de l'homme, en citant la situation des bloggeurs. Nos deux pays sont clairement dans une situation différente. Si un écrivain égyptien évoque, par exemple, expressément dans son oeuvre la sexualité ou les organes sexuels, une personne se dressera automatiquement contre lui et incriminera directement le Gouvernement pour avoir toléré de tels écrits. La liberté d'expression n'est pas aussi large qu'en France. Je fais partie de ceux qui considèrent qu'il faut laisser chacun s'exprimer dans la limite, comme en France, de ne pas offenser une catégorie de personne ou encore de l'interprétation de périodes de l'histoire qui peut être sanctionnée par la loi. Mais, comme je l'ai dit, la société égyptienne réagit différemment de la société française sur les questions de liberté. Nous avions déjà eu l'occasion avec Madame la Présidente d'évoquer certains dossiers individuels.

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