Intervention de Gwenegan Bui

Réunion du 2 mars 2016 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGwenegan Bui, rapporteur :

Je vous remercie Madame la présidente pour ces mots très sympathiques. Je voulais moi aussi vous remercier pour la qualité des travaux, les liens que nous avons noués au sein d'un espace caractérisé par une chose assez rare qu'est la capacité qu'y ont l'opposition et la majorité à travailler ensemble. Je ne désespère pas, la vie politique étant longue, de pouvoir revenir parmi vous.

Nous sommes saisis de deux projets de loi portant ratification d'un accord cadre global de partenariat et de coopération entre l'Union européenne d'une part et, respectivement, la République socialiste du Viêt Nam et la République des Philippines. Ces accords concernent une zone géographique sur laquelle nous avons commis avec M. Guillet, pour cette Commission, un rapport d'information sur l'Asie du Sud-Est il y a un an de cela. Nous avions voulu à cette occasion attirer l'attention de la Commission sur cette région, ses enjeux économiques, démographiques, environnementaux mais aussi de sécurité. Nous souhaitions la mise en mouvement de notre diplomatie pour renforcer notre présence. On ne peut pas dire que nous ayons été beaucoup suivis ; beaucoup reste à faire.

Un renforcement de certains partenariats bilatéraux nous paraissait indispensable, en complément d'une politique à l'égard de l'ensemble de la région, en phase d'intégration au sein de l'ASEAN, l'Association des Nations d'Asie du Sud-Est, l'acronyme français ANASE étant celui employé dans les accords soumis. Cette politique globale passe par la coordination de nos services à l'étranger et une action en direction du secrétariat de l'ASEAN, que malheureusement on ne voit guère prendre de l'ampleur, mais aussi par le développement des relations entre l'Union européenne et les pays d'Asie du Sud-Est, dans leur ensemble et individuellement.

Tel est précisément l'objet des deux accords-cadres qu'il nous est proposé de ratifier. Ils ont vocation à structurer les relations entre l'UE et le Viêt Nam, d'une part, les Philippines, d'autre part. Ces deux pays ont pour caractéristiques communes d'avoir connu un décollage économique remarquable ces dernières années, qu'il convient d'accompagner, et de présenter certaines faiblesses dans le jeu régional du fait de leurs relations complexes et tendues avec la Chine. Ils affichent aussi de nombreuses différences, la diversité étant la marque de cette région, qu'elle soit religieuse, politique, géographique, ethnique ou économique. La similitude des accords l'emporte néanmoins sur les spécificités de chaque, justifiant un examen commun et un rapport commun, choix également effectué par le Sénat qui a ratifié les deux projets de loi le 17 décembre dernier.

Le Viêt Nam est un des principaux marchés d'Asie du Sud-Est avec 90 millions d'habitants et une croissance soutenue, qui était de 5,9 % en 2014. Son PNB a été multiplié par 5 en quinze ans, si bien qu'il fait partie des pays à revenus intermédiaires avec un revenu par habitant de 1 895 dollars en 2013. L'UE est actuellement le 2e partenaire commercial et l'un des deux grands importateurs du Viêt Nam. Le commerce bilatéral est passé de 17,75 milliards de dollars en 2010 à 36,8 milliards en 2014. En juin 2015, 23 des 28 pays de l'UE avaient investi au Viêt Nam, avec plus de 2.100 projets en cours totalisant un montant de 38,4 milliards de dollars.

Après un accord politique en août dernier, la signature effective d'un accord de libre-échange entre l'Union européenne et le Viêt Nam est intervenue en décembre dernier. Il doit encore être avalisé par le Conseil et le Parlement européen. C'est le deuxième accord de ce type conclu dans la zone après Singapour en 2014. Les enjeux sont d'autant plus élevés que le Viêt Nam fait partie des douze pays du partenariat transpacifique (TPP) dont les négociations ont abouti en octobre dernier.

L'UE vient aussi de lancer des négociations pour un tel accord avec les Philippines. L'UE est le quatrième partenaire commercial des Philippines et le premier investisseur étranger pour 6,2 milliards d'euros. Les Philippines bénéficient déjà du régime spécial d'encouragement au développement durable et à la bonne gouvernance de l'Union européenne (SPG+) accordant des préférences commerciales sur un certain nombre de lignes tarifaires.

Sur le plan des aides, l'UE est le premier pourvoyeur d'aide non remboursable du Viêt Nam et allouera 400 millions d'euros d'aide publique au développement au Viêt Nam sur la période 2014-2020, avec une concentration sur le développement durable. Le montant de l'allocation attribuée aux Philippines a quant à elle été fixé à 325 millions d'euros, en forte hausse, affectés à la croissance inclusive pour 225 millions d'euros et au renforcement de l'État de droit pour 95 millions. Ce volet ciblera particulièrement le soutien au processus de paix à Mindanao. Le rôle de l'UE est apprécié dans le processus qui a mené à la signature de « l'accord de paix global sur Mindanao» signé le 27 mars 2014 par le gouvernement philippin et le Front islamique de Libération Moro. Son aide technique, financière et humanitaire constante l'est également.

Dans ces économies en pleine croissance, l'État de droit et le respect des droits humains demeurent encore largement perfectibles. On songe notamment au droit du travail, aux conditions des marins philippins, qui forment 20% des effectifs de la marine marchande mondiale, ou à la liberté d'expression et de réunion au Viêt Nam. L'Union européenne est le bon échelon pour l'approfondissement des dialogues sur ces sujets comme sur les enjeux globaux. Le contenu très centré sur les aspects économiques et commerciaux des accords existants n'était plus adapté à la nature des relations à développer.

La conclusion de nouveaux accords cadre de partenariat et de coopération traduit le souci, d'une part, de disposer d'un outil juridique dédié à chacun des pays de la zone, d'autre part, d'élargir de manière importante les champs de la coopération. Ils permettent d'accompagner les mutations politiques, juridiques et économiques, d'enrichir les liens qui existent avec l'Union européenne et de renforcer les convergences de vues par la mise en oeuvre d'une coopération plus étroite.

C'est en 2004 que l'Union européenne a proposé aux six membres fondateurs de l'ASEAN (Brunei, Malaisie, Indonésie, Philippines, Thaïlande, Singapour) de conclure des accords de ce type. Par décision du Conseil du 14 mai 2007, ce mandat a été étendu au Viêt Nam. Les négociations avec l'Indonésie ont été engagées en 2005. L'accord est entré en vigueur. Les négociations avec le Viêt Nam et les Philippines n'ont pas soulevé de problèmes particuliers. S'agissant du Viêt Nam, les négociations commencées en novembre 2007 se sont achevées en septembre 2010. L'accord cadre a été paraphé en octobre 2010, puis signé en juin 2012 à Bruxelles. S'agissant des Philippines, les négociations engagées en février 2009 se sont achevées en juin 2010. L'accord-cadre a été paraphé en juin 2010 puis signé en juillet 2012 à Phnom Penh.

Les accords de partenariat et de coopération conclus par l'UE avec les États tiers sont pour l'essentiel similaires. Les deux qui sont soumis à ratification ne se distingue pas foncièrement des accords conclus ou en négociation avec les autres États de la région. Je vous renvoie au rapport pour la présentation des différents articles qui, vous le verrez, ne sont pas prescriptif mais fixent un cadre utile au développement des relations entre l'Union européenne et chacun de ces pays, en bonne articulation avec les instances régionales et internationales et les partenariats existants à cette échelle.

L'accord conclu avec le Viêt Nam est plus dense. Il comporte 65 articles répartis en huit titres, ainsi que quatre déclarations annexées, quand l'accord avec les Philippines comporte 54 articles, également répartis en huit titres. On notera qu'un titre est dédié à la paix et la sécurité s'agissant du Viêt Nam, tandis qu'un titre est consacré à la coopération en matière de migration et de travail maritime avec les Philippines.

L'article 1er de chaque accord dresse la liste des principes généraux, au nombre desquels, les principes généraux du droit international, les principes démocratiques et des droits de l'Homme inscrits dans la Déclaration universelle des droits de l'Homme de l'Assemblée générale des Nations unies. Il souligne également que les Parties s'engagent à poursuivre leur coopération sur la voie de la réalisation intégrale des objectifs de développement adoptés au niveau international et à promouvoir le développement durable dans toutes ses dimensions. S'agissant du Viêt Nam, l'article est plus étoffé dans ses références à l'État de droit et au cadre juridique et politique de l'aide au développement. Un alinéa précise également que les parties reconnaissent le rôle significatif du commerce et des programmes préférentiels en matière de commerce dans le développement. On voit bien que les deux piliers sont présents : état de droit et commerce dans cette dimension de développement.

L'article 2 présente les objectifs de la coopération.

Dans l'accord avec le Viêt Nam, les Parties prévoient de développer le commerce et l'investissement entre elles et de supprimer les obstacles au commerce et à l'investissement. Nos entreprises françaises ont connu des difficultés et il est nécessaire de lever ces obstacles pour un climat serein. Les Parties annoncent également vouloir coopérer dans le domaine de la justice et de la sécurité en vue de lutter notamment contre la criminalité organisée, le blanchiment de capitaux, les drogues illicites, la prolifération des armes de destruction massive, le commerce illicite des armes légères et de petit calibre ainsi que contre le terrorisme. D'autre coopérations sectorielles, très diverses, sont également prévues notamment dans les domaines suivants : la fiscalité, la santé, l'éducation et la formation, la culture, le tourisme, les transports, l'urbanisme et l'aménagement du territoire, l'emploi et les affaires sociales, la science et la technologie.

Dans l'accord avec les Philippines, les objectifs de la coopération portent sur un très grand nombre de domaines, qu'ils soient politique, économique, social ou relatif à la justice et la sécurité. Les Parties prévoient de mettre en place une coopération en matière de lutte contre le terrorisme et la criminalité transnationale, dans le domaine des droits de l'homme, dans la lutte contre les crimes graves de portée internationale, contre la prolifération des armes de destruction massive et des armes légères et de petit calibre, ainsi que pour la promotion d'un processus de paix et de prévention des conflits. Les Parties prévoient une coopération dans tous les domaines d'intérêt commun liés aux échanges et aux investissements. Les Parties annoncent également vouloir coopérer dans le domaine de la justice et de la sécurité, notamment en matière de coopération judiciaire, de drogues illicites, de blanchiment de capitaux, de lutte contre la criminalité organisée et la corruption, de protection des données ainsi que des réfugiés et déplacés internes, ainsi qu'en matière de migration et de travail maritime. Enfin, la compréhension interpersonnelle, le dialogue et l'interaction efficaces avec la société civile doivent être mis en avant.

Concernant l'application des accords, le Titre VII crée un comité mixte, composé de représentants des deux Parties, afin de veiller au bon fonctionnement et à la bonne application de l'accord. S'agissant du Viêt Nam, le comité mixte se réunit « normalement » chaque année. La périodicité des réunions est d'au moins une fois tous les deux ans s'agissant des Philippines. Ces réunions ont vocation à régler les problèmes d'application.

Chaque accord entre en vigueur le premier jour du mois suivant la date à laquelle la dernière partie a notifié à l'autre l'accomplissement des procédures juridiques nécessaires à cet effet. Les deux accords-cadres se substituent à l'accord relatif à la coopération dans les domaines commercial, économique et du développement conclu en juin 1980 entre la Communauté économique européenne et l'ASEAN, ainsi qu'à l'accord de coopération CEE-Viêt Nam de 1995 s'agissant de ce dernier pays auquel l'accord de 1980 n'a été étendu qu'en 1999. Chaque accord est conclu pour cinq ans et automatiquement prorogé pour des périodes successives d'un an, sauf notification écrite emportant effet six mois après sa réception.

En conclusion, ces accords-cadres de partenariat et de coopération renforcent le partenariat économique tout en élargissant le champ de la coopération, notamment en intégrant des questions politiques. Peu contraignants, ils manifestent essentiellement la volonté des parties de s'engager dans une relation globale qui ne se limite pas à la seule dimension économique et commerciale. À ce jour, la France est un des derniers États européens avec la Grèce et l'Italie et, s'agissant des Philippines, l'Irlande, à ne pas avoir ratifié ces accords. La ratification par la France est donc très attendue. Le Viêt Nam a notifié sa ratification le 20 décembre 2013 ; les Philippines n'ayant à ce jour pas procédé à cette notification.

Les accords-cadres ne faisant qu'accompagner des évolutions positives en matière de développement économique et de progression de l'État de droit, je vous propose d'en autoriser la ratification.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion