Intervention de Pierre Morel-A-L'Huissier

Séance en hémicycle du 28 avril 2016 à 15h00
Autorités administratives et publiques indépendantes — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Morel-A-L'Huissier :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les autorités administratives indépendantes font partie de notre paysage institutionnel depuis la création de la CNIL en 1978, et leur importance, tant du point de vue de leur quantité que de leurs prérogatives, n’a cessé de croître.

Il existe aujourd’hui plus de quarante AAI, qui forment une mosaïque aux contours flous et régissent des pans entiers des politiques publiques, dans des secteurs aussi divers que les marchés financiers, le numérique, les données personnelles, la bioéthique ou l’audiovisuel.

Il est assez étonnant, au regard du rôle prépondérant joué par ces autorités dans l’administration publique, que depuis trente ans, aucun corpus juridique et déontologique commun ne soit venu clarifier le cadre de leur existence, d’autant plus que, dès 2001, le Conseil d’État avait alerté, dans son rapport public, sur les motifs parfois confus de la création de certaines d’entre elles.

Ce glissement a été favorisé par plusieurs lacunes, à commencer par l’absence d’un statut général qui s’appliquerait à toutes les autorités administratives indépendantes et fixerait des règles précises pour leur création. Actuellement, si les AAI sont souvent créées ex nihilo par la loi, elles sont parfois reconnues comme telles a posteriori par le juge administratif, le juge constitutionnel ou même de la doctrine. Ce n’est pas pensable dans un État de droit comme le nôtre.

Autre lacune : l’absence de règles de déontologie communes à toutes les AAI. Il n’y a aucune définition claire des incompatibilités qu’implique l’appartenance à ces entités, alors que la raison d’être de plusieurs d’entre elles consiste dans la régulation d’un secteur donné de la société, sur lequel leur autorité est non négligeable.

Dernière lacune : l’absence de règles de fonctionnement des AAI. Cette carence avait notamment été pointée du doigt par la commission d’enquête sur les autorités administratives indépendantes, dont le rapport s’intitule : « Un État dans l’État : canaliser la prolifération des autorités administratives indépendantes pour mieux les contrôler ». Ce sont les conclusions de cette commission d’enquête qui ont conduit au dépôt des deux propositions de loi au Sénat. Une clarification des règles de gestion des finances et du personnel ne serait en effet pas inutile.

Les deux textes qui nous sont soumis visent justement à combler ces lacunes. Tels qu’ils sont issus du Sénat, ils visent en effet à déterminer un statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes, statut qui, sauf volonté contraire expresse du législateur – c’est tout le problème : Jean-Luc Warsmann vient de le dire –, s’appliquerait à l’ensemble d’entre elles, et à en dresser une liste limitative.

Saluant cette démarche de rationalisation, le groupe Les Républicains de l’Assemblée nationale a souhaité inscrire ces propositions de loi dans sa niche du 28 avril, sans pour autant s’interdire de formuler un certain nombre de propositions ou de suggérer des modifications.

La proposition de loi organique, en premier lieu, entend réserver le régime de création des autorités administratives et publiques indépendantes au législateur, renforcer le contrôle des assemblées sur ces autorités et établir des incompatibilités entre le fait d’en être membre et l’exercice de certaines fonctions.

Le principe de création des AAI exclusivement par la voie législative se justifie amplement par la nature administrative de ces autorités : dès lors, leur indépendance ne peut être garantie si elles sont créées par le pouvoir réglementaire. Afin de respecter le principe démocratique de séparation des pouvoirs, il est indispensable que le pouvoir réglementaire ne soit pas seul décisionnaire et que le consentement du Parlement soit exigé.

Par ailleurs, il est essentiel que toute autorité administrative indépendante soit soumise à un contrôle rapproché du Parlement : dans la mesure où ces autorités ne procèdent pas du suffrage universel, ce contrôle par la représentation nationale est la condition sine qua non de leur légitimité démocratique. Ce contrôle est d’autant plus important que certaines autorités disposent d’un pouvoir normatif considérable, en tant que régulateurs sectoriels, et d’un pouvoir parajuridictionnel à travers la possibilité d’adresser des sanctions. Leur indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif doit donc être étroitement surveillée.

Quant à la proposition de loi ordinaire, elle participe du même souci de mise en oeuvre d’un statut général et d’un véritable contrôle par la représentation nationale. Il s’agit plus précisément de clarifier les conditions d’exercice du mandat par les membres de ces autorités et de définir un cadre déontologique impliquant notamment un régime contraignant d’incompatibilités. De plus, ce texte entend clarifier les règles de fonctionnement de ces entités, notamment en matière de finances et de gestion du personnel. Il s’agit donc aussi bien de contrôler plus fermement les structures existantes que de valoriser davantage leurs actions respectives, en leur donnant plus de visibilité et de lisibilité auprès de nos concitoyens.

À l’issue de la première lecture au Sénat et de l’examen de ces textes par la commission des lois de l’Assemblée nationale, je me félicite de l’équilibre trouvé.

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