Après la remise, le 28 octobre 2015, du rapport de la commission d’enquête sur le bilan et le contrôle de la création, de l’organisation, de l’activité et de la gestion des autorités administratives indépendantes, les sénateurs Des Esgaulx, Dupont et Mézard ont fourni un travail de qualité avec ces deux propositions de loi, comportant six articles pour la proposition de loi organique et pas moins de cinquante pour la proposition de loi ordinaire.
On peut toutefois ne pas partager le jugement sans appel porté par le Sénat dans son rapport. Que ces entités poussent à s’interroger sur la manière dont nous concevons l’action publique, oui bien sûr. Qu’il faille remettre de l’ordre et de la clarté, bien évidemment. Considérer qu’elles formeraient un État dans l’État et entameraient de ce fait la crédibilité de l’action publique, il s’agit là d’un jugement que j’éviterai personnellement de porter.
Je crois, au contraire, que les autorités administratives indépendantes et les autorités publiques indépendantes ont pu, ces dernières années, apporter une crédibilité nouvelle à l’action publique en raison de leur indépendance vis-à-vis du pouvoir politique.
Ma propre expérience d’élue locale m’a conduite à apprécier la plus-value apportée par des organismes comme la Commission nationale du débat public par exemple. En associant les citoyens, en fondant leurs avis, leurs décisions, sur une approche qui se veut objective, voire technique et détachée de considérations d’ordre politique, ils ont pu faire évoluer nos concitoyens, ce qui n’aurait peut-être pas été possible si nous nous étions situés dans un rapport plus classique d’administration centrale à citoyens.
Les deux propositions de loi sont également importantes par leur ambition. Elles visent à mettre de l’ordre et à clarifier l’ovni juridique que représentent à bien des égards les autorités administratives indépendantes et les autorités publiques indépendantes. Cette catégorie juridique, qui a fait florès depuis plus de trente ans et l’invention de la première d’entre elles, la future CNIL, en 1978, est aujourd’hui source de confusion et de manque de lisibilité du droit. Le rapport du Sénat l’a amplement démontré. Aussi, je ne reviendrai pas sur les éléments qui fondent ce constat.
Les deux propositions de loi visent à instaurer un socle statutaire commun à l’ensemble de ces entités, dont la liste serait singulièrement réduite puisque la proposition de loi ordinaire en propose une liste limitative.
En conséquence, plusieurs entités aujourd’hui classées dans la catégorie des autorités administratives indépendantes ou autorités publiques indépendantes seraient amenées à perdre cette appellation, qui n’est pas neutre juridiquement puisqu’elle emporte certaines obligations. Je pense notamment à la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, qui oblige les membres de ces autorités à faire des déclarations d’intérêts et de situation patrimoniale.
La perte de la qualité d’autorité administrative indépendante ou d’autorité publique indépendante entraînerait de facto l’interruption de ces obligations qui vont dans le sens d’une plus grande transparence de la vie publique, une attente forte de nos concitoyens que notre majorité met en application depuis 2012. Il faut donc légiférer très prudemment en la matière. Je reste d’ailleurs perplexe en voyant certaines AAI perdre leur statut, l’Autorité de régulation des jeux en ligne par exemple.
Nous pouvons aussi nous appuyer sur les travaux de notre propre assemblée. Je pense particulièrement au travail mené par René Dosière et Christian Vanneste, qui a abouti au rapport d’information du 28 octobre 2010 sur les autorités administratives indépendantes.
Les textes de départ étaient déjà, il faut le dire, d’une grande qualité. Par leur architecture et leur clarté, ils répondaient à l’intention initiale de leurs auteurs, que nous sommes plusieurs ici à partager. Je pense notamment aux éléments suivants : la compétence unique de la loi pour créer une autorité administrative indépendante ou une autorité publique indépendante, le régime des incompatibilités, le renforcement du contrôle parlementaire, les règles encadrant le fonctionnement des autorités, notamment du point de vue budgétaire, les règles de déport en cas de conflit d’intérêts sur une affaire soumise à l’autorité, et les règles encadrant le personnel des autorités, particulièrement l’introduction de l’enjeu déontologique au-delà des seuls membres des autorités.
Les travaux que nous avons menés en commission mardi dernier ont permis, je le crois, d’enrichir encore le texte.
Je souhaite profiter de l’occasion qui m’est donnée pour saluer la qualité du dialogue qui a eu lieu pour ce travail. Nous avons eu des échanges intéressants et exigeants. Notre groupe a souhaité accompagner ce texte pour les raisons que j’ai déjà indiquées, et nous avons été à l’initiative de plusieurs amendements que la commission a adoptés. Je salue aussi le travail de notre responsable pour le texte, Anne-Yvonne Le Dain.
Nous avons ainsi complété la liste des organismes conservant la qualité d’autorité. Je pense notamment à la Commission nationale du débat public, dont j’ai parlé, et au médiateur national de l’énergie.
La Commission nationale du débat public, rendant de véritables décisions, ne nous paraissait pas devoir être exclue, comme le Sénat le proposait, du champ des autorités administratives indépendantes. Je l’avais indiqué en commission : tant du point de vue des règles qui garantissent son indépendance qu’au regard de son statut administratif, elle répond aux critères déterminés par le Conseil d’État pour la qualification d’autorité administrative indépendante. Aussi je me réjouis que notre commission, à notre initiative et à celle de nos collègues écologistes, entre autres, ait souhaité l’inclure à nouveau dans la liste figurant en annexe de la proposition de loi ordinaire.
Notre groupe a également souhaité relever le niveau d’exigence du texte en matière de transparence et de déontologie, en cohérence avec plusieurs textes adoptés ces dernières années, qu’il s’agisse de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique ou, plus récemment, de la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires.
Cette orientation, portée par le groupe SRC, a conduit la commission à adopter plusieurs amendements que je tiens à souligner ici. À l’initiative de René Dosière, qui ne pouvait pas être présent aujourd’hui, les rémunérations et avantages du président et des membres de l’autorité seront inclus dans les informations présentées dans le rapport sur la gestion des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes remis chaque année en annexe du projet de loi de finances.
Les principes de dignité, de probité et d’intégrité applicables aux membres des autorités, ainsi que l’obligation de prévenir tout conflit d’intérêt, seront clairement affirmés. J’aurais souhaité, comme je l’ai précisé en commission des lois, que l’impartialité soit au nombre de ces principes, mais cela n’a pas été retenu. La possibilité de ne pas siéger, au-delà de la seule possibilité de ne pas délibérer, sera prise en compte dans les règles de déport. Les membres des autorités intervenant dans le domaine économique justifieront auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique des mesures prises en matière de gestion de leurs instruments financiers.
La séance d’aujourd’hui devrait permettre de mener notre travail à terme, en sécurisant ce qui a besoin de l’être et en posant de nouvelles garanties. Le texte doit clarifier le droit et non amener à déstabiliser des institutions dont notre démocratie a besoin pour bien fonctionner. C’est dans cet esprit que je défendrai un amendement cosigné avec Romain Colas visant à assurer la continuité des missions de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques. J’ai vu, monsieur le rapporteur, que vous aviez proposé un sous-amendement pour en sécuriser la rédaction. Je suis confiante dans notre capacité collective à faire aboutir ces deux propositions de loi.
Vous l’aurez compris, étant donné l’accompagnement dont ces textes ont bénéficié de la part des membres de notre groupe, je voterai ces deux propositions. Notre travail n’en sera pas pour autant achevé, puisque le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique que notre assemblée aura prochainement à examiner porte en son article 14 la même ambition de clarification des notions d’autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes.
Il en propose une liste limitative, mais ne mène pas le travail global qui a été le nôtre dans les présentes propositions de loi. Étant donné les règles du calendrier parlementaire, il nous faudra probablement recommencer une partie du travail mené aujourd’hui à l’occasion de l’examen de ce texte. Nous ferons ainsi oeuvre utile pour améliorer le fonctionnement de l’action publique.
Les autorités administratives indépendantes et les autorités publiques indépendantes sont de véritables innovations, qui ont apporté, je le pense, une réelle valeur ajoutée. Elles ont en contrepartie été victimes de leur succès, si l’on peut dire, et leur prolifération ces dernières années n’a pas plaidé en leur faveur. Confusion et manque de lisibilité ont été au rendez-vous.
Aussi, en remettant de l’ordre dans cette catégorie particulière d’acteurs publics que sont les autorités, nous les confortons et les consolidons pour les années à venir. « Plus l’homme a d’habitudes, moins il est libre et indépendant », estimait Emmanuel Kant. Par notre réforme même des autorités administratives indépendantes, nous fortifions ce qui fait leur particularité et leur force : leur indépendance.