Intervention de Anne-Yvonne Le Dain

Séance en hémicycle du 28 avril 2016 à 15h00
Autorités administratives et publiques indépendantes — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAnne-Yvonne Le Dain :

C’est un texte peu courant qu’il nous est donné d’étudier aujourd’hui. Il pose la question de la place de tout un chacun dans nos sociétés démocratiques. Le terme même d’indépendance est sujet à plusieurs interprétations. Dans le dictionnaire, il renvoie à des concepts aussi importants que l’autonomie ou l’affranchissement. Or, entre ces trois termes, des océans s’ouvrent. Selon une autre définition, est indépendant celui qui refuse toute sujétion. N’est-ce pas considérable, surtout pour des autorités administratives ou publiques indépendantes ?

Ce concept n’est pas nouveau puisque, comme certains l’ont rappelé, cela fait une quarantaine d’années que l’on crée peu ou prou une autorité indépendante par an – il en existe quarante-deux actuellement. Il paraît donc tout à fait pertinent d’y mettre un peu d’ordre. Le sénateur Jacques Mézard, avec ses collègues qui ont défendu au Sénat ce projet aujourd’hui repris par Jean-Luc Warsmann ici, a montré combien il était temps que le politique se saisisse de cette question et redise que la création des autorités indépendantes relève fondamentalement de la loi.

C’est la loi qui construit la société, qui la solidifie, la rend visible et lisible et, partant, attaquable, réfutable et contestable, si certains s’en saisissent. Au contraire, des dispositifs créés de manière parallèle, périphérique ou intérieure à des administrations, sont par nature délicats à modifier. S’intéresser à cette question est de facto éminemment politique. C’est d’ailleurs bien ce que M. le secrétaire d’État a laissé entendre dans son discours.

Ce sujet n’est donc pas anodin. Si ce n’est pas un gros texte, c’est un grand texte, car il pose des fondamentaux, notamment en définissant des interdits. Par exemple, des présidents de grandes collectivités ou d’établissements publics ne pourront pas être membres d’autorités administratives indépendantes. Ce n’était pas le cas jusqu’à présent. Autre exemple : il ne sera possible d’être membre que de deux autorités différentes. Cela n’était ni écrit ni dit nulle part.

Nous posons des fondamentaux qui vont dans le sens d’un approfondissement de la démocratie, en définissant que c’est le peuple souverain, représenté ici et au Sénat par ses élus réunis, qui se permet de créer ces autorités et leur confie leur indépendance, et non pas tel ou tel corps administratif par une proclamation individuelle.

Je voudrais, à cet égard, citer un homme qui l’est peu dans notre pays : Gustave Le Bon, un intellectuel français qui a écrit beaucoup de livres, et parmi eux, en 1912, La Révolution française et la psychologie des révolutions. Il y écrit ces lignes très fortes, et un peu étonnantes, sur lesquelles je vous invite à réfléchir.

« Les vraies forces directrices d’un pays, ce sont les administrations composées d’éléments impersonnels que les changements de régime n’atteignent jamais. Conservatrices des traditions, elles ont pour elles l’anonymat et la durée, et constituent un pouvoir occulte devant lequel tous les autres finissent par plier. Son action est même devenue telle qu’il menace de former un État anonyme plus fort que l’État officiel. La France en est ainsi arrivée à être progressivement gouvernée par des chefs de bureau et des commis. »

Gustave Le Bon écrivait cela en 1912. L’approfondissement de la démocratie qu’a connue le XXe siècle, notamment sous la forte impulsion des guerres mondiales, qui nous auront marqués, et des guerres coloniales, qui nous auront meurtris parce que nous avons meurtri d’autres personnes, nous a permis d’échapper à cette situation. Mais réfléchissons tout de même au fond de ces propos. C’est là un risque à ne pas prendre.

Des autorités autonomes et indépendantes, créées ex abrupto et placées au-dessus de la loi et des élus du peuple, seraient par nature et par fonction celles qui diraient la vérité, une vérité qui serait le gage de l’état de santé de la société à un instant donné, alors même que leur indépendance ne serait que la marque de leur anonymat, parce qu’elles n’auraient pas été soumises au verdict suprême qu’est le suffrage universel. N’oublions pas qu’il s’agit d’un débat entre le politique et l’administratif, entre l’élu et le nommé. Ce n’est pas un détail.

Il me semble important d’aborder un autre point, dans ce texte qui définit, en quelque sorte, la place de l’élu, du peuple souverain et de son administration : celui de l’expertise. Il est évident que les élus ne peuvent pas être experts en tout. C’est pourquoi il est important, dans nos sociétés démocratiques où les compétences s’affinent et où les connaissances s’approfondissent et s’élargissent, que des fonctionnaires de haut niveau apportent leur concours à l’approfondissement démocratique. Plus que nécessaire, cela est indispensable. Toutefois, apporter un concours ou un éclairage ne signifie pas dominer, imposer, voire soumettre.

Le texte permet de recadrer la place des uns et des autres, en posant le principe que les choses sont révisables et, partant, réfutables – le monde peut donc changer. Il n’est pas inscrit dans un marbre quelconque qu’il y aurait d’un côté une autorité indépendante, par nature experte et compétente, et donc incontestable, et de l’autre une assemblée élue, gentiment conviviale, comme la nôtre ou le Sénat, voire comme les assemblées délibérantes des collectivités territoriales. Ces sujets ne sont pas abstraits, mais très concrets au contraire : ils posent la question de la place de l’élu, du fonctionnaire et de l’intellectuel.

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