Intervention de Cécile Duflot

Réunion du 18 juillet 2012 à 16h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Cécile Duflot, ministre de l'égalité des territoires et du logement :

Je suis très heureuse de me présenter devant vous et je souhaite inscrire l'action de mon ministère dans un lien étroit avec les travaux de l'Assemblée. Les dossiers relevant du ministère de l'égalité des territoires concernent en effet l'ensemble des territoires de notre pays, qui présentent une grande diversité de situations. Il est donc très important que ces questions soient débattues en profondeur dans le cadre parlementaire. Vous pouvez compter sur ma disponibilité. Je souhaite que le Parlement prenne toute sa place dans ces débats.

Il arrive que les compositions gouvernementales nous appellent à ouvrir des champs nouveaux, de nouvelles friches pour l'action publique. C'est le cas avec le ministère de l'égalité des territoires.

Ce fut déjà le cas en 2007, lorsque le développement durable, que nous étions nombreux à promouvoir depuis le sommet de Rio, vint prendre toute sa place et recevoir toute la reconnaissance qui lui revenait au coeur de l'action de l'État. Cela fut notamment encouragé par le processus novateur que fut le Grenelle de l'environnement.

En 2012, c'est l'égalité des territoires qui tient lieu de nouvelle mission pour l'action publique. Le Président de la République l'avait lui-même placée au coeur de ses engagements lors de la campagne présidentielle. Il a réaffirmé cette volonté après son élection, avant qu'elle ne soit confirmée devant vous, il y a quelques semaines, dans le discours de politique générale du Premier ministre. C'est dans la poursuite de cette intention et à partir des grandes lignes qu'ils ont esquissées que j'ai souhaité bâtir le projet que je viens vous présenter aujourd'hui. Il s'agit là de l'un des grands desseins de notre communauté nationale, d'un grand projet pour la République et pour le Gouvernement.

Cet horizon n'appartient pas à un clan ou à un courant politique : c'est l'ensemble de la représentation nationale qui doit s'en saisir. Ma méthode sera simple : je ne connais pas de bonne politique qui ne soit en permanence concertée et co-élaborée avec le Parlement, et donc avec chacune et chacun d'entre vous.

Nous partageons le même constat : le territoire national se trouve aujourd'hui fragmenté et parcouru par des ruptures – rupture sociale, rupture culturelle, rupture face à l'État. Aujourd'hui, la promesse d'égalité devant la République et devant l'action de l'État n'est pas tenue. Nombreux sont les Français qui vivent sur un territoire ayant connu ces dernières années la fermeture d'un bureau de poste, d'une école ou la délocalisation d'une entreprise. On a longtemps cru que l'abandon et la relégation étaient réservés à quelques-uns, abandonnés de la République : nous nous sommes rendu compte bien tard qu'elles nous concernaient tous, de près ou de loin.

Elles sont venues se conjuguer aux espoirs déçus : lorsqu'une ville attend depuis des années un tramway ou un train, la création d'une école nouvelle ou d'un musée, lorsque les projets sont sans cesse retardés, voire oubliés, c'est dans la capacité des élus à faire de bons choix et dans leur volonté de se mettre au service de leurs concitoyens que l'on cesse de croire.

Le premier tour de l'élection présidentielle a été un premier coup de semonce. L'extrême droite a remporté des résultats records dans des territoires que l'on croyait jusque-là préservés. À bas bruit, les électeurs et les électrices sont venus nous appeler à un nouvel esprit de responsabilité.

Dans les campagnes, dans les quartiers, dans les villes petites et moyennes, à la désespérance sociale qui naît de la crise vient se mêler un sentiment de relégation et d'abandon de la puissance publique. Il n'est pas de territoire épargné ou protégé mais, où que l'on habite – dans les villes, les zones périurbaines ou les zones rurales isolées –, il existe aujourd'hui des territoires meurtris. Ce sentiment d'abandon ne vient pas de nulle part. Au cours des dix dernières années, l'action de l'État s'est trouvée désorientée et les citoyens ont souvent été désarçonnés.

Les années 1960 avaient vu naître une vaste ambition planificatrice et très centralisée. L'État voulait changer la France et la mettre à l'heure de son siècle, la transformer pour la moderniser. Ce furent alors les grandes heures de l'aménagement du territoire vu depuis Paris, avec certains succès, mais aussi avec les impasses dont nous avons su tirer les leçons.

Vint ensuite l'ambition, chère à Pierre Mendès-France et à Michel Rocard, de « décoloniser la province », ouvrant la voie à la décentralisation qui a marqué, depuis trente ans, une transformation profonde de l'action publique. Les collectivités se sont affirmées et ont pris en charge le territoire grâce aux grandes lois de décentralisation, à commencer par les lois Defferre. Les projets des collectivités se sont multipliés et notre démocratie est devenue plus vivante.

Pourtant, à l'heure d'en dresser le bilan, l'action publique n'a pas fixé de nouveau cap. Les transferts de compétences sont venus se confronter aux retraits des dotations publiques. Le laisser-faire est devenu autant une règle qu'une méthode. L'État a laissé les collectivités faire face seules au désengagement et au renoncement. Les élus locaux se sont alors trouvés en première ligne, défenseurs de la parole de leurs citoyens autant que prisonniers de l'incapacité à faire émerger de nouveaux projets. Faute de volonté politique nouvelle, c'est le territoire qui s'en est trouvé abîmé et morcelé. Les politiques se sont alors juxtaposées, sans être marquées par le sceau de la cohérence.

Dans les zones rurales, encore ouvrières ou isolées, les citoyens attendent mieux que d'être traités comme les clientèles de telle ou telle catégorie professionnelle. Dans les zones périurbaines est apparu le sentiment qu'elles concentrent toutes les difficultés, faute d'appartenir à un régime particulier : puisqu'on n'est l'objet d'aucun, on concentre les maux de tous.

La politique de la ville et des quartiers s'est trouvée ballottée dans l'attente d'un horizon nouveau. Les plans se sont succédé et les promesses ont été égrenées. Pourtant, à Clichy-sous-Bois, sept ans après les émeutes de 2005, le tramway n'est toujours pas arrivé et les copropriétés dégradées n'ont pas été rénovées. Le volontarisme de la rénovation urbaine a parfois laissé entendre que le soin du béton pouvait amener à laisser de côté la prise en compte des citoyens, de la vitalité de leurs quartiers, de la réalité de leur vie.

C'est à ces maux que l'égalité des territoires vise à apporter une réponse nouvelle. Elle nous appelle tout d'abord à un retour de l'État. L'État n'a plus vocation à décider de tout et pour tous, mais bien au contraire à décider et à gouverner avec. Il n'a pas pour vocation d'être seulement pourvoyeur de crédits et de budgets, ni un décideur éloigné, indifférent au terrain. Il s'agit de formuler avec les collectivités une méthode nouvelle pour l'action publique, reposant sur un nouveau type de contractualisation partagée et équitable, où l'État et les élus coproduisent les politiques et co-élaborent les solutions. Cette méthode repose aussi sur le dialogue et la concertation avec les citoyens. L'heure est révolue où l'élu pouvait décider de tout au nom d'un bien commun défini par lui seul, sans faire approuver ou partager sa vision et ses choix par ses concitoyens. L'État devra donc savoir planifier et protéger. Son rôle est de permettre à chacun de s'accomplir et, pour cela, d'ouvrir les possibles.

Le rôle de l'État, c'est ainsi d'être le garant de l'égalité – non pas de protéger les uns plutôt que les autres, mais d'affirmer qu'il y a une place pour chacun dans le giron de la République. L'égalité, ce n'est pas dresser une nouvelle liste de privilégiés, mais donner à tous les citoyens un même accès et un même droit pour choisir sa vie. Il n'y aura pas, sous ce gouvernement, des territoires favorisés, mais une même volonté d'apporter des réponses adaptées à chacun. Parce que l'égalité n'est pas l'uniformité, il nous faudra prendre en compte les situations particulières et spécifiques. Chaque territoire doit définir son projet pertinent et façonner son avenir. La mission de l'État est de l'y conduire, et non pas de le décider à sa place.

Cette grande volonté de l'égalité des territoires s'accompagne de deux projets majeurs portés par le Gouvernement : l'acte III de la décentralisation et la transition écologique. C'est la raison pour laquelle vous trouverez dans mon propos de nombreuses propositions et de nombreux axes qui viendront recouper ces ambitions portées respectivement par Mme Marylise Lebranchu, ministre de la fonction publique, et Mme Delphine Batho, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.

Cela me donne l'occasion de rappeler qu'il ne peut y avoir d'égalité des territoires sans une pleine mobilisation interministérielle. Si le Gouvernement travaille en coordination permanente, les élus de la nation ont également la responsabilité de conserver une vision transversale et ambitieuse de ces chantiers. L'égalité des territoires n'est pas seulement l'affaire d'un ministère ou d'une ministre : comme en matière de développement durable, elle est un objectif pour l'ensemble de la communauté nationale. Il nous faudra donc toujours agir pour la prise en compte de cette orientation, qu'il s'agisse du débat sur l'école, de la lutte contre les déserts médicaux, des zones de sécurité ou de la mobilisation du Gouvernement face aux plans sociaux.

La feuille de route que je vous propose s'appuie sur trois chantiers : réparer les territoires meurtris, rénover le service public pour une nouvelle étape de la solidarité nationale et concrétiser la transition écologique dans les territoires.

Une politique de réparation est d'abord une politique de reconnaissance. Il ne me paraît pas excessif de parler de territoires meurtris. Que l'on vive en ville, à la campagne ou dans les zones périurbaines, la relégation est une vraie souffrance pour les populations et nous devons la prendre en compte. Ce sentiment d'abandon naît d'une désertion coupable : voilà ce qu'il nous faut réparer. Des décisions ont été prises pour organiser le retrait de l'État au nom d'une rationalité économique parfois inconséquente. Il s'agit de réparer le retard pris par l'action publique, ainsi que les effets pervers de certaines décisions politiques qui amènent aujourd'hui les citoyens à être victimes d'absurdités de notre époque.

Cette politique de reconnaissance passe par une réforme profonde et ambitieuse de la géographie prioritaire. Il existe aujourd'hui près de treize dispositifs de zonage différents, qui viennent se juxtaposer et sont parfois contradictoires. Il ne s'agit plus d'opposer le rural à l'urbain ou de multiplier les oubliés de la démocratie, ni de créer des quartiers déconnectés les uns des autres : je souhaite qu'une même politique vienne apporter des réponses plurielles. Seule une approche globale de chaque territoire peut nous permettre de traiter toutes les difficultés qui le traversent.

Cette révision de la géographie prioritaire sera bien entendu lourde de conséquences. Elle appellera entre nous des débats nombreux et peut-être houleux, mais notre ambition doit être de fonder l'action publique sur des critères nouveaux et objectifs qui ne mesureront pas le bonheur d'un territoire aux seuls indicateurs économiques, mais sauront prendre en compte la globalité de son développement et de sa bonne santé ou de ses difficultés sociales.

Notre premier objectif est de parler à la France des invisibles, aux oubliés de la démocratie qui, à force de n'appartenir à aucune catégorie et de ne faire l'objet d'aucune priorité, ont été progressivement délaissés par l'action publique. Je pense bien sûr aux zones rurales moyennes, où la vie active continue, mais où l'activité se fait plus rare et la culture plus lointaine. Les zones rurales à faible densité doivent aussi redevenir des pôles de développement et de vitalité citoyenne, où la qualité de vie peut se conjuguer avec un vrai sens donné à l'activité.

Je pense aussi à ceux qui, près de trente ans après le lancement des politiques d'aménagement décidées par l'État, n'ont toujours pas profité de tous les bénéfices qui avaient été annoncés. Je parle notamment des habitants des zones périurbaines, pour lesquels l'injustice n'est pas toujours sociale, mais parfois simplement spatiale. Lorsqu'on vit éloigné des services publics et des commerces de proximité, on est aussi en droit de réclamer une égalité entre les territoires, c'est-à-dire un même accès aux transports et à l'éducation. C'est aussi pour eux qu'un aménagement équilibré des territoires est nécessaire, pour que le mode de vie ne soit plus contraint, mais choisi – je pense notamment à la forte dépendance à l'automobile qui a été progressivement organisée et poursuivie. À tous ces citoyens, nous devons donner la possibilité de choisir leur manière d'habiter et de vivre.

Mais c'est peut-être dans les quartiers populaires que la politique de réparation est la plus urgente. De ce point de vue, l'action de François Lamy, avec qui je travaille au quotidien pour réformer la politique de la ville, sera déterminante. Il l'a déjà exprimé devant l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) et lors de ses déplacements, mais, en la matière, notre seul objectif est de rétablir la justice. Il faut en finir avec les zonages qui stigmatisent et discriminent, c'est-à-dire sortir d'une logique de ghetto pour entrer dans une logique de projet. À cette fin, il nous faudra tirer le bilan de la rénovation urbaine tout en poursuivant le Programme national de rénovation urbaine (PNRU), mais aussi savoir mieux conjuguer l'urbain et l'humain, en nous appuyant sur le savoir-faire citoyen. Nous devrons pour cela – et vous savez que c'est notre souci permanent – conjuguer les efforts communs des politiques de sécurité, de l'emploi et de l'éducation.

Il est regrettable que les gouvernements précédents n'aient jamais su tirer les leçons des événements de 2005 et n'aient voulu y voir qu'une question de sécurité urbaine. Ma conviction est profonde et certaine : nous ne devons pas être naïfs ou ignorants sur les questions de sécurité – et je sais combien Manuel Valls, le ministre de l'intérieur, est vigilant en la matière –, mais il n'est pas de réponse soutenable qui soit uniquement sécuritaire. S'il faut assurément garantir la sécurité de nos concitoyens pour leur permettre de faire des projets et de construire leur vie, à nous également de savoir faire avec les habitants des quartiers, de rétablir le socle sur lequel ils pourront construire.

En deuxième lieu, la République doit assurer l'égalité devant le service public. Ce second chantier consistera à restaurer la solidarité entre les territoires et la cohésion nationale. Pour relever ce défi, il nous faut une politique de péréquation rénovée entre collectivités riches et pauvres, entre territoires aisés et fragiles – là encore, les débats pourront être houleux. La péréquation que nous devons mettre en oeuvre se situe, bien entendu, entre les territoires, mais aussi au sein même d'un territoire, d'une région, voire d'un département. Je sais que, en la matière, il est difficile de passer de la parole aux actes, et je propose donc que, pour la prochaine loi de finances, nous poursuivions, avec mes collègues Manuel Valls et Marylise Lebranchu, la montée en charge progressive des dispositifs de péréquation. Nous prendrons ainsi le temps de la discussion avant d'envisager, comme je le souhaite, une étape plus significative qui permette d'assurer l'équité de notre système et sa lisibilité. Il est anormal que les mécanismes de solidarité ne soient plus compris que par une poignée d'experts, et que personne ne sache quel est l'effet, territoire par territoire, des différents fonds de péréquation qui s'additionnent. Les propositions des associations d'élus sont nombreuses : nous saurons nous en inspirer.

Ce chantier va de pair avec la refonte de la fiscalité locale, qui est portée par mes collègues. Il nous faudra des mesures au service de la justice, qui favorisent l'initiative et l'investissement des collectivités et assurent une véritable autonomie financière des collectivités locales.

Réussir l'objectif d'égalité des territoires, c'est aussi donner toute sa place à une mobilisation générale des collectivités locales vers cet objectif. Marylise Lebranchu a fixé le cap et ses orientations sont claires. Sa réforme nous permettra de mieux articuler les niveaux de collectivité, de clarifier les compétences et de mieux organiser l'action publique locale. À l'issue de cette réforme, je souhaite engager le développement d'un nouvel outil de contractualisation.

Une véritable coopération entre les collectivités devra reposer sur des espaces de dialogue. C'est le sens de la création du Haut Conseil des territoires, annoncée par le Premier ministre devant les sénateurs. Ce conseil devra permettre de mieux coordonner et faire converger l'action des collectivités, mais surtout d'établir des relations plus équilibrées et un dialogue apaisé avec l'État.

Nous avons la volonté de réhabiliter le service public, en fonction des besoins propres de chacun des territoires, en y affectant les moyens de droit commun, territoire par territoire, à raison de ses spécificités.

Il faudra rétablir l'égalité non seulement devant les charges publiques, mais également dans l'accès au service au public. Je veux que les effectifs, ainsi que toutes les dépenses d'intervention de droit commun de l'État qui ne sont pas destinées aux ménages, soient affectés sur la base d'un diagnostic territorial, d'un dialogue, puis d'un contrat passé entre l'État et les collectivités pour que chacun s'engage sur les moyens attribués à chacun des territoires. La crédibilité du Gouvernement dépendra de sa capacité à rétablir l'égalité et la justice dans la répartition des moyens de droit commun, à affecter les effectifs et à flécher les dépenses d'intervention vers les collectivités les plus démunies, à partir d'un diagnostic partagé.

Un bouquet de services adapté au territoire doit être offert à l'ensemble des Français et garantir que le temps d'accès au service public de la santé ou de l'éducation demeure raisonnable pour tous. L'heure est venue de conjuguer présence physique de proximité et téléservices, de désenclaver les territoires par une politique adéquate de transports et de développement de la couverture numérique.

En matière d'égalité des territoires, nous avons trois défis majeurs à relever pour la solidarité nationale.

Le premier est celui de l'aménagement numérique, pour répondre à l'engagement pris par le Président de la République d'une couverture haut débit, puis très haut débit, pour tous. C'est une nécessité en tant que politique d'investissement public dans les réseaux et en tant que politique d'aménagement équilibré du territoire, mais aussi comme levier de développement de nouveaux services, notamment par le secteur privé, selon un modèle à inventer, mais qui pourrait être celui de la transformation d'une partie de l'administration en plateforme, grâce à l'open data, sur laquelle se grefferaient des opérateurs proposant des services élaborés à partir des données de l'administration.

Cette couverture nécessaire ne doit pas être le prétexte pour diminuer la présence des services publics, au contraire. Rien ne remplace la chaleur humaine et je ne souhaite pas la déshumanisation du service au public – je m'inspire à cet égard du rapport de M. Jean-Paul Delevoye, président du Conseil économique, social et environnemental, qui insistait sur l'importance du lien humain : même si un service est parfaitement délivré par des moyens modernes, la présence d'une personne, la rencontre physique et l'écoute sont aussi importantes que l'administration de procédures.

Pour réussir, il nous faudra être aux côtés des collectivités qui planifient et déploient des réseaux, veiller à ce que les opérateurs tiennent leurs engagements et trouver des financements pour le Fonds pour l'aménagement numérique des territoires. Fleur Pellerin et moi y travaillerons.

Le deuxième défi consiste à assurer l'accès en un temps raisonnable aux services essentiels pour tous, en particulier à l'école et à la prise en charge de la petite enfance, à la santé et aux loisirs, pour pouvoir s'adapter à la spécificité des territoires, en particulier des territoires de montagne ou des territoires plus enclavés.

Je le sais, le temps d'accès ne suffit pas. Il ne suffit pas de pouvoir mettre un quart d'heure pour se rendre chez un généraliste : il faut encore qu'il soit disponible, donc que le nombre de médecins soit suffisant et qu'ils soient plus nombreux quand la population du territoire est plus âgée. Le Gouvernement travaille sur la disponibilité des soins généraux.

Plus largement, nous devons repenser les services publics de manière rénovée, sur l'ensemble du territoire. En 2000, le législateur a posé le principe de maisons du service public. En 2005, on en comptait 350 sur le territoire national, en y associant les relais services publics. Il est temps de tirer le bilan de cette expérience et, en améliorant ces établissements, d'en faire le point de départ d'une présence plus efficace et mieux répartie du service public. Nous devons aussi tirer les expériences de la présence de La Poste et des moyens de péréquation que cette entreprise met déjà en oeuvre sur le territoire. Penser l'égalité des territoires, c'est aussi savoir mieux répartir et rendre plus efficace l'action publique.

Enfin, la solidarité nationale, c'est aussi la mixité sociale, que nous devons renforcer pour aller vers plus d'égalité. Le premier pas en ce sens est le renforcement des obligations de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU), mais aussi le renforcement de l'effectivité de la loi qui fixera une obligation de résultat, assortie de pénalités importantes. L'objectif est bien de construire des logements sociaux là où l'on en manque. Le niveau des sanctions sera désormais un facteur déclenchant pour les collectivités qui doutaient de la détermination des pouvoirs publics en la matière.

Je souhaite que nous réfléchissions également au levier que constituent les documents d'urbanisme pour favoriser la planification de la mixité sociale à l'échelle pertinente et éviter la ségrégation urbaine, ainsi que pour favoriser la densité et lutter contre l'étalement urbain. Plutôt que de majorer uniformément les droits à construire, au mépris des décisions prises par les collectivités pour organiser leur territoire, je préfère que chacune, à son échelle, élabore des documents d'urbanisme de qualité, concertés avec les populations.

Mais nous devons voir plus loin. Nous devons refaire la ville et prévoir une place pour ses habitants, jeunes et vieux : pour le geste architectural, en interrogeant la pertinence des normes ; pour la conception de quartiers qui prennent en charge dès leur conception la logistique et les services, ainsi que les relations avec le reste des espaces, urbains comme ruraux, en privilégiant les circuits courts qui s'appuient sur des réseaux de chaleur intelligents et sur des modes de transport durable. Je veux éviter le risque d'un urbanisme générique, d'une ville sans qualité et sans identité, d'une ville du court terme qui se plie aux seuls impératifs financiers et sécuritaires.

Le troisième chantier consiste à pérenniser le développement durable dans les territoires. Les lois Grenelle I et Grenelle II ont fait naître pour les collectivités et pour l'État de nombreuses obligations nouvelles, notamment en matière d'aménagement du territoire. Ces dispositions doivent être saluées, mais elles doivent être aujourd'hui pérennisées. Vous le savez, ma collègue Delphine Batho a une mission particulièrement ardue : conduire la France sur la voie de la transition écologique. Le rôle du ministère de l'égalité des territoires et du logement est d'accompagner ce grand dessein national et de le concrétiser dans les territoires. Telle est mon ambition.

Le sujet le plus évident est bien entendu celui de la rénovation thermique du bâti. Le Président de la République nous a fixé un objectif ambitieux, avec la rénovation de 1 million de logements par an. Nous proposerons dès le mois de septembre, au cours de la conférence environnementale, des mesures d'urgence pour que l'ensemble des professionnels du bâtiment puissent s'approprier cette mission de grande envergure.

À cet égard, j'ai délibérément choisi de ne pas aborder ici les enjeux de logement, qui ne relèvent pas des compétences de votre commission. Mais, comme ils sont l'un des piliers essentiels de l'égalité des territoires et de ma mission, je répondrai bien volontiers aux questions que vous me poserez à ce sujet. La régulation du marché locatif, la mise à disposition du foncier public, gratuite pour les collectivités locales qui ont des projets de logement social, et la construction de 500 000 logements par an, dont 150 000 logements sociaux, sont les objectifs que le Gouvernement s'est fixés pour résoudre les crises du logement : ils devraient influer directement sur un aménagement équilibré et durable des territoires.

Cette politique ne saurait se limiter aux seuls bâtiments. Une politique raisonnée d'aménagement du territoire doit assurer la mixité sociale, la conciliation des espaces naturels, agricoles et urbanisés, et développer la capacité de chaque territoire à trouver le sentier de son développement. Je souhaite contribuer à la diversification des modèles de développement par le tourisme, par l'économie rurale, par l'économie sociale et solidaire et par la politique territoriale de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, qui sont autant de leviers pour articuler différemment au niveau régional les liens villes-campagnes autour de circuits courts, de solidarités nouvelles et de filières régionales créatrices de valeur autour d'un tissu de PME qui doivent être mieux accompagnées.

Je pense en premier lieu aux régions, dont le rôle d'instances de planification des stratégies de développement durable doit être renforcé. Je ne prendrai qu'un exemple. Demain, les services de l'eau doivent renouveler leurs infrastructures, alors même que la consommation baisse déjà et doit continuer de baisser, car l'eau est une ressource trop précieuse pour être gaspillée. Assurer dès aujourd'hui la fourniture d'eau potable pour tous à un prix qui incite à la sobriété sans grever le budget des ménages modestes est un défi. Dans ce domaine comme dans d'autres, il faudra inventer des solutions nouvelles. Je souhaiterais mettre en place des mécanismes de solidarité effectifs entre territoires d'un même bassin versant.

Je pense ensuite aux départements, dont le rôle d'appui aux communes et à leurs groupements en territoire rural est fondamental, notamment en matière d'ingénierie urbaine.

Je pense enfin à l'échelon de proximité, qui doit programmer les déplacements urbains comme l'aménagement dans une stratégie qui doit demeurer cohérente avec les dispositifs favorisant la cohésion sociale. Je n'ai pas de doute : l'avenir est à l'intercommunalité et à la coopération entre les communes, plutôt qu'à leur compétition. Les élus, au service de leurs habitants, doivent aborder la question du meilleur échelon pour une planification urbaine de qualité et favoriser le développement de plans locaux d'urbanisme intercommunaux (PLUI). Ce dispositif est lui aussi un sujet de débat important, mais il a permis d'apporter des réponses beaucoup plus confortables, y compris pour certains élus locaux.

Le rôle de l'État est de fixer les objectifs stratégiques, au coeur desquels se trouve bien sûr la transition écologique.

L'une de ces réalisations est aussi, et avant tout, le désenclavement des territoires, auquel mon collègue Frédéric Cuvillier et moi-même, qui travaillons beaucoup ensemble, notamment sur le Grand Paris, attachons une importance toute particulière. Notre outil le plus efficace en la matière est une politique de multimodalité, qui doit évidemment être menée avec les collectivités locales.

Un réel désenclavement suppose l'accès à un centre urbain ou économique en un délai raisonnable. Nous proposerons à cette fin des schémas régionaux. Aux régions de décliner les objectifs d'amélioration de l'accessibilité et de la desserte des territoires.

Il faut répondre dès aujourd'hui aux attentes des voyageurs. Le schéma national des infrastructures de transport (SNIT) comprend des investissements de 250 milliards d'euros : notre capacité de financement étant d'environ 2 milliards d'euros par an, il faudrait 125 ans pour le réaliser. Nous devons donc prioriser : c'est l'enjeu auquel s'attache le ministre des transports.

De la même manière, j'ai la responsabilité du Grand Paris, qui est un grand enjeu de désenclavement. Là aussi, il nous faudra à la fois favoriser les réseaux de proximité, fixer des priorités et dresser une gouvernance nouvelle qui donne toute leur place aux collectivités. Mais le Grand Paris n'est pas seulement un projet de transports : il s'agit, en ayant l'ambition de l'égalité des territoires, de dresser les contours d'un développement équilibré de la région capitale.

Enfin, au niveau national, il faudra donner un nouvel élan à une politique territorialisée de soutien à l'innovation et à la transition écologique, ainsi qu'aux outils d'anticipation et d'accompagnement des mutations économiques. Il faut pour cela structurer les métiers de l'aménagement du territoire et développer une ingénierie publique innovante, décentralisée et écologique. Il nous faudra tirer un bilan de la politique des pôles de compétitivité. Une évaluation solide des coûts et des bénéfices de telles politiques devra s'accompagner d'une réorientation de leurs activités. Nous devons faire en sorte que ces politiques soient mieux utilisées et mieux orientées vers l'objectif de transition écologique. C'est une condition nécessaire pour l'égalité des territoires, que nous devrons nous attacher à remplir tout au long de la mandature.

Vous le voyez, la feuille de route est vaste et ambitieuse. Elle s'inscrit dans le contexte difficile de la crise économique, qui la rend du reste encore plus nécessaire. Si notre feuille de route est claire, c'est parce que, malgré les contraintes liées au redressement des finances publiques, le Président de la République a fixé un cap précis : faire qu'en 2017 un jeune vive mieux qu'en 2012. Il nous faudra faire face aux contraintes du présent, mais en ayant toujours le souci de l'avenir et du lendemain.

Tel est le défi auquel je vous invite – auquel je nous invite. Je souhaite que nous partagions nos hypothèses et que nous élaborions ensemble des réponses adaptées et responsables. Pour chacun des sujets que j'ai évoqués, pour chacune des ambitions que j'ai tracées, je compte sur votre soutien, sur vos initiatives et sur vos propositions. C'est parce que la représentation nationale en prendra toute la mesure que l'égalité des territoires deviendra une réalité pour les Français.

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