Intervention de Pierre Radanne

Réunion du 27 avril 2016 à 9h45
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Pierre Radanne, président de l'association 4D :

L'Accord de Paris est le meilleur possible : on ne pouvait pas rêver mieux ! En effet, le critère exclusif du succès de la COP21 résidait dans la capacité à obtenir un accord liant la totalité des pays de la planète.

La Convention de Rio de 1992 avait abouti à la signature d'un texte par 179 pays, puis le protocole de Kyoto avait incité les États développés à agir en leur fixant des obligations de réduction d'émission de gaz à effet de serre (GES) ; cette machine s'est enrayée en février 2001 lorsque les États-Unis ont affirmé qu'ils ne ratifieraient pas le protocole de Kyoto. Cette annonce a généré de nombreuses dissidences, plus ou moins graves, qui ont affecté la tenue des engagements pris pour la période allant jusqu'à 2020. Ainsi, les Japonais, les Australiens et les Néo-Zélandais n'ont pas rempli leur contrat, et le Canada et la Russie ont souhaité sortir du cadre de Kyoto. L'Union européenne (UE) s'est retrouvée isolée avec quelques petits pays pendant quinze ans, au milieu d'une dégradation générale de l'effort.

Cette période s'est achevée en décembre dernier à Paris, où la totalité des pays développés ont réintégré le processus et où les pays émergents, notamment la Chine, ont accepté des engagements réels. Cet Accord concerne 195 pays dans le monde, et ce succès s'explique par plusieurs raisons.

Tout d'abord, les instances internationales avaient demandé à chaque pays, démarche inédite dans l'Histoire, de présenter sa stratégie nationale pour lutter contre le changement climatique à l'horizon de 2030. Les pays les plus pauvres ne se projettent pas à quinze ans, et agissent dans une perspective annuelle voire de quelques années. La délégation sénégalaise a ainsi affirmé qu'elle avait réfléchi à long terme pour la première fois, ce qui avait changé le regard du pays sur lui-même. Au cours de la première décennie de ce siècle, les pays en développement ont modifié leur point de vue sur le changement climatique. En effet, les pays africains ont d'abord perçu ce sujet comme une nouvelle turpitude imposée par le colonisateur, celui-ci décidant de changer le mode de développement qu'il avait promu. Cependant, au fil des années, ces pays se sont aperçus que le changement climatique les touchait davantage que les autres, qu'ils y contribuaient, notamment par la déforestation équatoriale, mais qu'ils étaient bien dotés en énergies renouvelables et qu'ils avaient intérêt à amorcer la transition énergétique. En 2009, à l'issue de la conférence de Copenhague, une nouvelle vision du développement, reposant sur une efficacité énergétique, une agriculture adaptée au changement climatique et une protection du couvert forestier, a émergé.

Parmi les 195 pays, 189 ont remis leur document de politique nationale de lutte contre le changement climatique dans les quinze prochaines années. Ces orientations font apparaître une vision convergente du futur. Les pays développés, les émergents et ceux en développement partagent la même conception du développement à long terme, même si l'intensité du volontarisme varie selon les États. L'Éthiopie et le Vanuatu affirment qu'ils ne consommeront plus de combustibles fossiles en 2050, alors que ce type de proclamation aurait été inenvisageable dix ans plus tôt.

Les négociations ont dû prendre en compte les réticences de chacun, notamment celles exprimées par les pays producteurs de combustibles fossiles, les pays pétroliers ayant plaidé pour une transition énergétique lente.

Les Nations unies ont lancé un processus visant à mobiliser les secteurs industriel et financier, les grandes fondations, les organisations non gouvernementales (ONG) et les collectivités locales. La négociation ne concernait pas que les États, de nombreux acteurs de la société s'étant mis en mouvement. Les opinions publiques ont également beaucoup évolué depuis dix ans. En juin dernier, j'ai ainsi participé à une opération intitulée World Wide Views ; des conférences de citoyens ont été organisées en simultané dans 75 pays et ont réuni 10 000 personnes. Les populations des pays en développement sont dorénavant davantage sensibilisées au changement climatique que celles des pays développés.

M. Laurent Fabius, alors ministre des affaires étrangères et du développement international, et Mme Laurence Tubiana ont accompli un énorme travail ; jamais une conférence internationale n'avait été si bien préparée, ce résultat devant également beaucoup à l'action des postes diplomatiques français. Nos responsables ont très bien compris que les États les plus forts ne faisaient plus à eux seuls les négociations internationales et que chaque pays devait être convaincu. Pour ce faire, il faut comprendre les intérêts et les difficultés de chacun, car ces discussions se déroulent dans le cadre des Nations unies et non dans un système de rapport de forces. La présidence française a parfaitement compris cet environnement et a fait preuve d'une grande humilité tout en se montrant plus ferme à la fin de la négociation pour aboutir à un accord. Aucun pays n'a été écarté de la négociation, et cette méthode a été unanimement saluée. Cette conférence s'est d'ailleurs très bien passée, alors qu'elle s'est tenue très peu de temps après les attentats du 13 novembre 2015.

Dans de nombreux pays, y compris le nôtre, les avis sur l'Accord de Paris divergent fortement. Certains pays analysent l'Accord à partir des objectifs climatiques et se demandent si l'on s'est bien mis d'accord sur le niveau de réchauffement maximal à ne pas dépasser. Comme cette dimension est présente dans l'Accord, ces acteurs en ont une vision positive. Certains défendent un point de vue prospectif et attendaient que la COP21 débouche sur une convergence de vues sur le futur. Les engagements présentés à partir d'octobre 2015 ne permettent pas de contenir le réchauffement climatique à deux degrés, si bien qu'il faudra se pencher à nouveau sur cette question. Pour ce faire, on a proposé la méthode de l'escalier : on doit franchir une marche tous les cinq ans, et il s'avère interdit de redescendre. Chaque pays doit augmenter son niveau d'engagement tous les cinq ans. Je vous rappelle que l'escalier permet à chacun d'arriver aux étages quels que soient son rythme et sa condition physique. Dans la négociation sur le climat, tout le monde doit arriver en haut, mais la vitesse d'ascension varie. Il convient d'aider les plus faibles à monter l'escalier.

La lecture juridique et diplomatique de l'Accord est contrainte par le droit des Nations unies. Les capacités de l'Organisation des Nations unies (ONU) sont faibles – elle n'a par exemple pas le droit de présenter de texte –, et ce sont les États qui négocient. Les règles diplomatiques restent celles du traité de Westphalie de 1648 dans lequel fut créée la notion de souveraineté nationale. Chaque pays peut entrer et sortir d'un accord international, cette décision étant l'expression de sa souveraineté.

La lecture militante conduit certaines personnes à déplorer la timidité de l'Accord en matière d'efficacité énergétique ou d'énergies renouvelables. L'Accord est évidemment un compromis et constitue le plus petit dénominateur commun aux 195 parties. Il s'avère d'ailleurs illisible pour le commun des mortels, ce qui pose un problème démocratique (Approbations) ; une très grande distance sépare le processus de la négociation des populations. L'Accord de Paris prévoit de limiter le réchauffement climatique à moins de deux degrés, mais presque aucun de nos concitoyens ne comprend ce que cela signifie. L'effort pédagogique n'a pas été mené, et personne ne s'est donné la peine de traduire les dispositions de ce texte dans des termes clairs.

La lecture technologique de l'Accord se concentre sur les filières appelées à devenir prioritaires. Les acteurs économiques, territoriaux et financiers vont-ils s'engager ? Mobiliserons-nous suffisamment de moyens financiers ? À Copenhague, on avait évalué à 100 milliards de dollars par an le montant des transferts nécessaires entre le Nord et le Sud d'ici à 2020. À Paris, on a estimé que 80 milliards d'euros avaient déjà transité, même si les dons représentent une part trop faible de cette enveloppe par rapport aux prêts – notamment pour les pays les plus pauvres. En outre, il reste 20 milliards de dollars à trouver.

Une dynamique s'est enclenchée, mais elle reste peu sensible dans l'action de l'État et des collectivités territoriales car les machines politiques démarrent lentement. Ainsi, beaucoup de pays prévoient de renforcer leur cadre législatif et la France n'a pas achevé de traduire réglementairement la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte qu'elle a votée. La puissance publique devra consentir l'effort budgétaire indispensable à la mise en oeuvre des engagements pris.

Le secteur industriel, en particulier les producteurs d'énergies renouvelables, s'inscrit d'ores et déjà dans la dynamique enclenchée. Ces acteurs ont compris que l'Accord de Paris allait entraîner une massification des marchés, attestée par les stratégies nationales convergentes. De même, le secteur bancaire, jusqu'alors très peu actif dans la négociation relative au climat, s'est impliqué dans ce mouvement depuis la COP21. Les grands fonds de pension, les grandes banques internationales et les grands fonds financiers ont exposé la transition de leur soutien aux combustibles fossiles vers les solutions alternatives ; ainsi, 4 000 milliards de dollars d'aide aux énergies anciennes seraient réorientés vers les renouvelables. Le basculement de sommes aussi considérables se fera bien entendu progressivement, mais l'impulsion a été donnée.

Il conviendra enfin de gagner la bataille des opinions publiques. Les ratifications parlementaires de l'Accord de Paris ne sont pas, selon les termes du texte, obligatoires ; ainsi, les États-Unis pourront ratifier le texte par décret présidentiel et éviteront un passage au Congrès où les partisans de l'Accord ne sont pas majoritaires. Vu l'importance de la mutation prônée par l'Accord, les débats se révéleront difficiles dans de nombreux parlements.

À Paris, notre futur a changé de direction.

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