Intervention de Pierre Radanne

Réunion du 27 avril 2016 à 9h45
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Pierre Radanne, président de l'association 4D :

Oui. Tout l'Accord s'appliquera, y compris ses dispositions reprenant une partie du protocole de Kyoto que n'avaient pas ratifié les États-Unis qui devront donc s'y conformer. En revanche, les engagements de réduction d'émissions de GES, exposés par les pays en développement et émergents dans leurs contributions nationales, ne deviendront contraignants qu'à partir du 1er janvier 2020, date à laquelle leur participation à l'Accord débute ; pour les pays développés, l'ensemble de l'Accord s'appliquera dès que les deux conditions de ratifications seront satisfaites.

Mesdames et Messieurs les députés, vous devez réinstaurer une fiscalité énergétique contracyclique, à l'image de ce que nous avons connu avec la taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers (TIPP) flottante. L'objectif n'est pas d'augmenter la fiscalité pesant sur l'énergie, mais de neutraliser les variations irrationnelles d'un à cinq du prix de l'énergie, liées à des opérations spéculatives, à des rapports de force entre les pays ou à une dépression de l'économie mondiale tirant la demande d'énergie à la baisse. Il ne s'agit pas d'accroître la moyenne du prix de l'énergie, mais d'écrêter les pointes et de combler les creux afin de donner un signal de stabilité aux opinions publiques. On a préféré ruiner des familles et des entreprises en 2008 plutôt que d'effacer la fiscalité dans certains pays ; cette décision n'était pas dictée par la sagesse, car il y a lieu de baisser le prix via la fiscalité lorsque celui-ci est excessif. On ne peut ouvrir le débat sur la fiscalité de l'énergie qu'en période de bas cycle.

L'Accord de Paris ouvre une fenêtre sur le changement complet de notre monde qui va s'opérer en l'espace d'une génération. Les scientifiques affirment que le travail doit avoir été fait d'ici à 2050. Dans les trente-cinq prochaines années, on constatera de fortes évolutions dans les stratégies d'acteurs, les situations, les contextes, les filières et les secteurs économiques. L'un de nos maîtres à tous, l'Allemand Carl von Clausewitz, expliquait que les soldats ne voyaient pas la totalité de la bataille et ne percevaient que leurs combats singuliers ; il nommait cette situation le « brouillard de guerre », et nous entrons dans un tel environnement. Dans cette période de transformations puissantes, nous recevrons des signaux contradictoires d'un jour à l'autre, si bien que la transition comportera un caractère illisible. Nous devons tenir un discours et offrir des perspectives stables aux gens, afin qu'ils comprennent les phénomènes en action. Des entreprises vivent du monde tel qu'il est et ne souhaiteront pas changer du jour au lendemain ; à l'inverse, d'autres entreprises sont ancrées dans le monde futur, mais rencontrent des difficultés de développement.

Il convient donc de mener une réflexion sur les processus de transition ainsi qu'une action de pédagogie considérable ; il n'y aura pas de contradictions qu'avec le traité TAFTA ! Nous constatons que plusieurs forces de la société agissent dans des sens divergents. On devra résoudre cette question majeure et commune à l'ensemble de l'humanité du changement climatique, mais ce ne sera pas simple.

Le président de la République et le ministre des affaires étrangères et du développement international avaient insisté sur le caractère juridiquement contraignant de l'Accord de Paris. Il s'agit d'un abus de langage, même si le terme inexact n'est pas « contraignant », mais « juridiquement ». L'Accord de Paris est politiquement contraignant. Haro sur le premier pays qui quittera le bateau ! Quitter la communauté de destin de l'humanité ne doit pas rester impuni. Il reste donc à affirmer la nature politiquement contraignante de cet Accord. Le texte anglais utilise les termes de « legally binding », qui ne signifient pas exactement « juridiquement contraignant » ; en français, « juridiquement contraignant » implique un pouvoir de sanction contre celui qui ne respecte pas son engagement, mais l'ONU ne dispose d'aucun pouvoir de sanction contre les États. L'Accord de Paris ne prévoit pas d'amendes proportionnelles aux manquements éventuels, et cet instrument manque. On a un problème de gouvernance mondiale, et il faudra réformer l'ONU pour placer l'intérêt supérieur de l'humanité au-dessus de l'intérêt particulier d'un État.

Il est paradoxal que notre pays souhaite un texte contraignant, alors que la triche relève d'un sport national. Dans la mesure où nous évoluons dans un système dénué de la moindre capacité de sanction, rien n'a été entrepris contre les nombreux pays n'ayant pas respecté les engagements pris dans le protocole de Kyoto car rien ne pouvait être fait. M. Laurent Fabius avait très bien compris la nécessité de créer un mouvement collectif impliquant l'ensemble des acteurs étatiques, économiques et financiers, afin que l'intérêt de chacun soit d'y participer. La mutation technologique à venir s'avérera inédite puisqu'elle ne bénéficiera pas qu'à ceux qui la produisent, et l'ensemble des pays de la planète, riches comme pauvres, devront l'accompagner. La croissance économique est vive dans le monde lors des périodes de changements complets de technologie ou lorsque l'on doit reconstruire après une guerre : dans les trente prochaines années, nous devrons investir pour protéger l'humanité et éviter que les catastrophes climatiques fassent trop de dégâts. Les contributions nationales ont exprimé une vision de long terme qui permet une mise en mouvement de l'humanité ; il reste à garantir le caractère politiquement contraignant de l'accord et à impliquer toutes les strates de la société, en mobilisant les États, les territoires, les entreprises, les acteurs financiers et l'épargne des ménages.

Les populations des pays du Nord et du Sud ne disposent d'aucun récit de réussite au XXIe siècle. On n'explique pas les possibilités d'amélioration des conditions de vie que portent les nouvelles technologies, le refus de gaspiller les ressources et la lutte contre la dégradation de l'environnement. Il convient d'élaborer un récit incarné et portant un projet politique. J'essaie donc de rédiger un récit de vie réussie au XXIe siècle avec M. Erik Orsenna. Dans l'optique de la Conférence de Marrakech, je vais suivre quinze familles marocaines vivant dans un pays appliquant l'Accord de Paris pour montrer qu'elles peuvent réussir leur vie. Je décrirai les décisions qu'elles auront à prendre, les technologies qui arriveront dans leur vie, les comportements qu'elles devront adopter et les politiques publiques qu'il convient de déployer pour les aider. Je souhaite raconter l'évolution de la société, depuis le haut, mais également depuis le bas, afin de bâtir une alliance avec chaque personne. Il importe de se pencher sur le récit de vie réussie et sur le projet collectif.

Le XXIe siècle sera en effet très différent des deux siècles précédents : la croissance démographique de l'humanité va s'achever et les ressources et l'environnement devront être efficacement gérés. Ce cahier des charges, complètement différent de celui des XIXe et XXe siècles, doit être présenté de façon simple aux gens. Des parents doivent pouvoir expliquer à un enfant de dix ans, qui vivra jusqu'en 2100, les changements qui surviendront dans sa vie. Cet enfant comprendra ainsi que son histoire différera de celle de ses parents et se trouvera dans les meilleures dispositions pour faire face à son existence. Hier, je suis intervenu dans une classe de cinquième à Cholet pour évoquer ces sujets : il faut réapprendre à parler aux gens, et cette tâche nous est commune.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion