Intervention de Bernard Bajolet

Réunion du 5 avril 2016 à 14h00
Mission d'information sur les moyens de daech

Bernard Bajolet, directeur général de la sécurité extérieure, DGSE :

À partir de quel moment pourra-t-on dire qu'on a vaincu Daech ? Pour ma part, je n'ai pas de doute que Daech sera vaincu un jour ou l'autre. En revanche, je ne peux pas vous dire quand. Ce réservoir de jihadistes dont j'ai parlé continuera à croître tant qu'une solution politique ne sera pas trouvée, en Irak comme en Syrie ou en Libye. Ensuite, une fois que cette solution politique sera trouvée, il persistera pendant un certain nombre d'années et continuera à représenter une menace. De même, Al-Qaïda a été vaincue, d'une certaine façon, sur le plan militaire, mais continue à représenter une menace, notamment en Afrique, comme on l'a vu encore tout récemment. Je sais que je ne réponds pas précisément à votre question, mais c'est ce que je peux vous dire à ce stade.

Vous m'avez interrogé sur les armes dont disposait Daech. Celui-ci s'est emparé au départ d'un stock extrêmement important, laissé par l'armée irakienne – fournie, pour l'essentiel, par les Américains – qui avait déserté Mossoul. Il vit encore largement dessus. En effet, les quantités allaient au-delà même de ce que les gens de Daech étaient capables d'utiliser. Ils en perdent de temps en temps, mais ils en ont encore un grand nombre.

Ensuite, jusqu'au mois d'octobre, tant qu'il avançait, Daech a saisi des armements dans des casernes en Syrie et des stocks d'armes de l'opposition syrienne. J'ai quelques exemples précis en tête.

Nous n'avons donc pas le sentiment, pour le moment, que Daech rencontre des difficultés d'approvisionnement, d'autant plus qu'il pratique une politique d'évitement. Cette politique lui permet de préserver, non seulement ses hommes, même s'il en a perdu beaucoup, mais aussi son matériel, même si une grande quantité de celui-ci a été détruite, par exemple tout récemment, à l'occasion de la prise de Cheddadi.

Dans tous les cas, je n'ai pas détecté d'approvisionnement en armes venant de pays voisins ou de pays de la région. Je ne dis pas qu'il n'y en a pas, je dis que je n'en ai pas détecté à ce stade. Mais on est évidemment très attentif sur ce point.

Enfin, à supposer – je vous ai donné ces chiffres avec beaucoup de prudence – que les revenus de Daech, en Irak et en Syrie, tournent autour de 2 milliards par an, ils lui permettent d'acheter pas mal de choses, y compris par des circuits criminels ou mafieux.

De fait, certains individus vont en Syrie, reviennent et repartent. Ce fut le cas d'Abdelhamid Abaaoud – impliqué dans le projet d'attentat de Verviers – qui est reparti pour la Syrie et qui est revenu. Je ne peux pas vous donner le nombre de ceux qui ont fait plusieurs fois le trajet, tout simplement parce que je ne les ai pas ici, et que je ne suis pas sûr que ceux dont on dispose soient exhaustifs.

Quel est l'état de l'opinion ? J'ai dit tout à l'heure qu'à Mossoul et Raqqa, Daech exerçait son emprise en terrorisant les gens. Beaucoup d'exécutions ont lieu dans chacune de ces deux villes. Mais en même temps, quand ceux qui sont sous l'emprise de Daech ont le choix entre subir le joug de Daech et subir celui des milices chiites, ils finissent par opter pour leur communauté d'origine. C'est la raison pour laquelle il faut trouver une solution politique. Dans les pays voisins, en revanche, on constate qu'une partie de la jeunesse est influencée par la propagande de Daech. Ce n'est certainement pas le cas de la majorité de la population, mais il est certain que l'absence de solution à certains problèmes régionaux – par exemple au problème palestinien – favorise la propagande de Daech ans les territoires palestiniens, à Jérusalem, à Gaza et en Jordanie.

Quelles sont les ressources de Daech ? À ce stade ; elles sont différentes en Libye, et en Syrie-Irak. Par exemple, en Libye, jusqu'à présent, l'EI n'a pas cherché à s'emparer de champs pétroliers, mais plutôt à les détruire. Ainsi, la récente incursion de Daech à Sidra avait pour objectif de détruire le puits pour priver l'ANL – Armée nationale libyenne – du général Hafter de ses ressources. Il faut toutefois rester vigilant parce qu'en effet Daech peut être tenté, à l'avenir, de s'emparer de champs pétroliers. Mais l'importance de la composante tribale en Libye fait qu'actuellement, il lui sera difficile d'affirmer son influence dans les zones de production pétrolières.

Vous avez d'autre part évoqué les trafics liés à l'immigration illégale. C'est en effet une des ressources, au moins indirectes, de Daech. En effet, quasiment tous les flux d'immigration clandestine sur la rive Sud de la Méditerranée transitent par la Libye, qu'il s'agisse des flux qui viennent d'Afrique de l'Ouest ou de l'Est. Quelques éléments, mais en petit nombre, viennent de Syrie, d'Irak, voire d'Afghanistan. Certains viennent de Somalie, d'Éthiopie et d'Afrique de l'Ouest, passant par le Niger, Arlit, remontant vers la Libye. À chaque fois, des tribus prennent le relais. C'est un phénomène que l'on a identifié de façon précise ; il y a plusieurs réseaux principaux et, naturellement, quand ces trafics passent par des zones contrôlées par Daech, celui-ci prend son écot.

Pour le reste, Daech contrôle Syrte, dans un rayon assez important autour de la ville, quasiment jusqu'à Jouffra. Il perçoit, comme c'est le cas en Syrie et en Irak, des taxes sur la population et sur les activités commerciales.

Enfin, on constate que c'est surtout le réseau Al-Qaïda qui est influent en Afrique. Certes, le chef de Boko Haram, Abubakar Shekau, s'est réclamé de Daech, mais le caractère de cette allégeance, acceptée par Baghdadi, est pour le moment essentiellement publicitaire. La menace en Afrique émane essentiellement d'AQMI et de Morabitoune, de la mouvance Al-Qaïda. On l'a malheureusement récemment constaté avec les attentats de Grand-Bassam et avant, à Ouagadougou et Bamako.

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