Mission d'information sur les moyens de daech

Réunion du 5 avril 2016 à 14h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • daech
  • irak
  • libye
  • syrie

La réunion

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L'audition commence à quatorze heures cinq.

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Monsieur le rapporteur, chers collègues, nous accueillons cet après-midi M. Bernard Bajolet, directeur général de la sécurité extérieure, après avoir entendu précédemment les services de renseignements financiers et le directeur général de la sécurité nationale ; j'ajoute que nous entendrons le directeur général du renseignement militaire dans les semaines qui viennent.

Monsieur le directeur, vous comprenez aisément que dans le cadre des travaux de notre commission, nous ayons toute utilité à entendre de quelle manière les services extérieurs sont mobilisés, et comment ils organisent les coopérations nationale et internationale s'agissant du repérage et de l'utilisation des moyens de Daech, objet principal de notre travail.

Nous avons entendu lors des auditions précédentes un certain nombre d'acteurs de terrain et d'experts. Votre audition sera aussi pour nous l'occasion d'infirmer ou de confirmer les informations qu'ils nous ont transmises.

Nous sommes convenus que cette audition se déroulera à huis clos.

Puisque notre mission est désormais dotée des pouvoirs d'une commission d'enquête, je vais vous demander, conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance de 1958, de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, de lever la main droit et de dire : « Je le jure ».

M. Bernard Bajolet prête serment.

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Bernard Bajolet, directeur général de la sécurité extérieure, DGSE

Monsieur le président, madame et messieurs les députés, je ferai une introduction assez brève pour que vous puissiez ensuite me poser des questions.

La DGSE est un service intégré, qui réunit les différentes capacités de recueil de renseignement humain, de renseignement technique, de renseignement opérationnel, auquel il faut ajouter les renseignements qui nous sont fournis par nos partenaires.

Je n'ai pas besoin de revenir sur le renseignement humain, sinon pour rappeler que la DGSE a l'exclusivité de la recherche humaine clandestine à l'étranger.

Ensuite, mon service concentre l'essentiel des moyens du renseignement technique au sein de la communauté du renseignement. Ces moyens sont mutualisés, et donc mis à disposition des autres services de la communauté du renseignement. Certains d'entre eux, aujourd'hui la DGSI et la DRM, peuvent accéder aux outils mutualisés par des postes qui sont décentralisés auprès d'eux.

Enfin, le renseignement opérationnel est celui que nous ne collectons pas par l'intermédiaire de sources, mais que nous collectons nous-mêmes, en quelque sorte à main nue, directement.

C'est une grande originalité par rapport à la plupart des services étrangers qui n'ont pas le renseignement technique, comme c'est le cas pour la CIA ou le SIS britannique, ou qui n'ont pas non plus la capacité opérationnelle.

Je le mentionne parce que c'est une clé de compréhension pour nos modes d'action. En effet, ces différentes formes de recueil du renseignement ne sont pas superposées, mais étroitement imbriquées. Par exemple, au sein de chaque bureau de ma direction du renseignement, qui est chargée en particulier de l'acquisition du renseignement humain, travaillent des agents de la direction technique qui soutiennent les opérations de renseignement humain. Et de la même façon, le renseignement humain ou opérationnel soutient la recherche technique.

J'en viens au fond du dossier, qui intéresse votre commission. On constate sur le terrain, en Syrie et en Irak, un recul territorial de Daech : en Irak, avec la reprise de Baïji, du mont Sinjar ; de la reprise, mais partielle, de Ramadi ; en Syrie, avec la reprise de Kobané (dès janvier 2015), puis du barrage de Tichrine et Cheddadi. Toutes ces conquêtes, ou reconquêtes territoriales, sont largement dues à la composante kurde syrienne ; mais tout récemment, la reprise de Palmyre est le fait du régime appuyé par les Russes.

Ce recul territorial s'accompagne d'une attrition assez importante des personnels de « l'État islamique » puisque l'on estime que depuis 2014, celui-ci a perdu entre 7 000 et 10 000 hommes, qu'il peut cependant remplacer grâce aux nouveaux recrutements. Cela étant, ce recul ne doit pas empêcher une analyse lucide, parce que, dans la plupart – sinon la totalité – des cas que j'ai mentionnés, Daech a pratiqué une stratégie d'évitement : il a refusé le combat, reculé, retiré ses troupes pour justement éviter de les perdre et préserver ses capacités. De fait, au cours de ces combats, il a perdu beaucoup de blindés, des chars, des pièces d'artillerie, etc. Mais je tiens à dire que ce recul territorial ne signifie pas que la menace ait été réduite d'autant.

Puisque votre mission porte sur l'évaluation des moyens de Daech, je voudrais indiquer que ces moyens restent malgré tout importants. Nous évaluons le budget de l'EI – ce sont des estimations extrêmement générales puisque évidemment, celui-ci n'est formalisé nulle part – à environ 2 milliards de dollars par an.

Je précise que les ressources en hydrocarbures ne représentent que 25 à 30 % de l'ensemble. Celles-ci ont d'ailleurs diminué à cause des frappes aériennes qui ont été lancées à plusieurs reprises contre des sites pétroliers, notamment dans le Nord-Est de la Syrie, mais aussi à cause de la mauvaise qualité du pétrole qui est extrait de ces champs.

Pour l'essentiel, les ressources viennent de la perception d'« impôts ». Je pourrais vous donner des détails sur ces différents types de taxes, d'impôts qui s'apparentent, dans certains cas, à du racket pur et simple. Ensuite, plus récemment, à mesure que les revenus pétroliers baissaient, on a constaté l'augmentation d'autres sources de revenus, notamment celles tirées de divers trafics, dont le trafic d'antiquités.

Je disais tout à l'heure que Daech avait perdu une partie de ses moyens militaires au cours des affrontements. Il en conserve cependant un certain volume. Ils peuvent s'apparenter, pour simplifier, à une unité motorisée d'infanterie. Là encore, je pourrais vous donner quelques éléments si vous le souhaitez.

Pour autant, et en dépit de ces reculs, Daech reste extrêmement menaçante.

En Libye, les effectifs de Daech avoisinent les 3 000, alors qu'en Syrie et en Irak, on peut estimer le nombre de combattants à environ 30 000 – évidemment avec des hauts et des bas.

Daech n'est pas aussi fortement structuré en Libye qu'en Syrie et en Irak. L'organisation est surtout présente à Syrte et dans les environs, mais aussi à Sabratha – comme on l'a vu récemment avec une série d'attentats dirigés contre la Tunisie voisine – et dans d'autres localités comme Ajdabiya, Derna, etc. Avec, là aussi, un recul partiel, puisque l'armée nationale libyenne a récemment progressé assez nettement à Benghazi.

On ne constate pas pour le moment de transfert massif de la zone syro-irakienne vers la Libye. Je ne peux pas donner trop de détails, mais c'est une situation qu'il faut avoir à l'esprit.

Maintenant, en dépit de ces reculs et du sentiment que l'on peut avoir que Daech est contenu sur un plan militaire, la menace reste très forte pour deux raisons :

Première raison : l'absence de solution politique. En Irak comme en Syrie, l'emprise de Daech sur les territoires à majorité sunnite s'explique en grande partie par la marginalisation des Sunnites, à des dates et pour des motifs différents : pour la Syrie depuis les années soixante, et pour l'Irak depuis 2003.

En Irak, depuis 2003, les différents gouvernements qui se sont succédé à Bagdad n'ont pas été en mesure d'intégrer véritablement les Sunnites à l'exercice du pouvoir. Même si ils y sont représentés, ils ne le sont pas d'une façon qui permette à la population des zones considérées d'avoir le sentiment d'être reconnus à la mesure de leur poids démographique dans le pays. Le gouvernement irakien actuel en est conscient. Haïdar al-Abadi s'est attaqué à cette situation, mais pour le moment sans succès, notamment du fait des difficultés qu'il rencontre de la part de certains milieux politiques dans son propre pays. Et lorsque les milices chiites, qui n'obéissent pas au gouvernement de Bagdad, participent à la reconquête de certaines villes, on sent, de la part des populations, une absence d'adhésion. C'est un problème extrêmement sérieux.

Le même problème se présente en Syrie, où une solution politique ne pourra être trouvée que si le gouvernement représente de façon équilibrée l'ensemble des composantes de la population, ce qui n'est pas le cas actuellement.

C'est donc un enjeu important. Et tant que ce problème ne sera pas résolu, Daech, comme d'ailleurs les autres groupes salafistes, continueront à exercer leur emprise sur la communauté sunnite.

On pourrait dire la même chose en Libye, mais la situation y est très différente. La problématique sunnites-chiites ne se pose pas. Mais d'autres problématiques, également très compliquées, se présentent. Quoi qu'il en soit, là aussi, on ne pourra affronter sérieusement la menace que représentent Daech et les autres groupes terroristes que lorsque la situation politique sera définitivement stabilisée – même si l'on peut se réjouir que des progrès aient été faits ces derniers jours dans ce domaine.

Deuxième raison : en attendant la mise en oeuvre éventuelle de solutions politiques dans ces pays, la masse des combattants qui, à un moment ou un autre, ont été impliqués dans ce qu'il est convenu d'appeler le « jihad » – même si en arabe, cela a un sens complètement différent – continue à augmenter. Ainsi, dans la zone syro-irakienne, environ 2 000 ressortissants français ont été et sont impliqués, du côté des groupes terroristes, dans les affrontements en Syrie et en Irak : un peu plus de 600 se trouvent actuellement sur zone ; les autres sont déjà revenus, sont en instance de retour ou de départ, ou en transit vers la Syrie et l'Irak.

Il faut comparer cette masse importante, aux quelques dizaines – peut-être une quarantaine – de Français impliqués dans le « jihad » en Afghanistan pendant douze ans. Ce ne sont pas du tout les mêmes chiffres. Et encore, ces chiffres sont-ils très inférieurs à ceux qu'il faut avoir à l'esprit pour mesurer la menace. En effet, il faut raisonner en termes de francophones, et non pas en termes de Français. Comme vous le savez, la nationalité des ressortissants francophones, qu'elle soit française, belge ou celle de pays du Maghreb, importe peu à leurs yeux. Il y a plusieurs milliers de Tunisiens, peut-être 2 500 ou 3 000, qui sont impliqués dans la guerre en Syrie et en Irak, du côté des groupes terroristes. De même y a-t-il un grand nombre de Marocains, etc. Cette menace plane au-dessus de nous comme une épée de Damoclès. Elle est toujours extrêmement prégnante en dépit des attentats qui sont déjoués chaque mois, voire chaque semaine en France.

Face à cette situation, mon service s'est beaucoup rapproché de la DGSI. Ce rapprochement ne date pas des attentats du mois de janvier : il les avait précédés. Mais depuis, il s'est beaucoup renforcé, puisque nous avons maintenant des équipes communes et qu'une équipe de la DGSE est présente à Levallois. De la même façon, un groupe incluant les autres services de renseignement dépendant du ministère de la défense, de l'intérieur ou de l'économie travaille à Levallois, et chaque représentant des autres services a accès aux bases de données des autres, ce qui est vraiment important. Enfin, nous sommes engagés, avec nos collègues de la DGSI, mais aussi, en fonction du besoin d'en connaître, avec les autres services de la communauté du renseignement dans le cadre de la loi du 24 juillet, qui permet les échanges de données entre services. C'est un changement véritablement culturel, qui n'est pas spectaculaire, mais qui est beaucoup plus important que les changements d'organigramme qu'on a tendance à affectionner dans notre pays.

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Comment décririez-vous les différents matériels et équipements militaires dont dispose Daech en Irak et en Syrie ? Il semblerait qu'il dispose également d'équipements non conventionnels. Le confirmez-vous ?

Par ailleurs, avez-vous observé des moyens, des équipements militaires et des armements différents en Syrie et Irak d'un côté et en Libye de l'autre ?

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Bernard Bajolet, directeur général de la sécurité extérieure, DGSE

Je comparais tout à l'heure la capacité militaire de l'EI à une unité d'infanterie motorisée, avec des véhicules blindés, avec de l'artillerie, y compris anti-aérienne, et avec de l'anti-char. Ces moyens sont supérieurs à ceux d'une milice, mais inférieurs à ceux d'une armée.

S'agissant des moyens non conventionnels, nous avons relevé l'utilisation d'ypérite par Daech, qui partage ce « privilège » avec le régime syrien. Au cours des derniers mois, on a dénombré près d'une dizaine d'attaques avec utilisation d'ypérite. Nous pensons que cette ypérite n'est pas de très bonne qualité ; mais elle n'en reste pas moins dangereuse. Un certain nombre d'indices nous amène à penser qu'elle est fabriquée par Daech par ses propres moyens. Enfin, certains laboratoires de Daech font des recherches en matière biologique. L'organisation ne recule donc devant aucun moyen auquel elle pourrait accéder. Mais pour le moment, on n'y a rien d'autre à signaler.

En Libye, il n'y a pas de différence fondamentale dans les matériels utilisés. Nous avons cependant constaté qu'il y avait des chars.

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Bernard Bajolet, directeur général de la sécurité extérieure, DGSE

Les informations dont je dispose sont couvertes par le secret de la défense nationale.

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Bernard Bajolet, directeur général de la sécurité extérieure, DGSE

Non.

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Il n'est pas très difficile de savoir d'où ils viennent, mais j'aurais tout de même été intéressé de vous entendre sur le sujet.

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Je vous poserai plusieurs questions, monsieur le directeur.

Premièrement, vous avez évoqué certaines sources de financement, parmi lesquelles celles de quelques États du Golfe. Grâce aux contacts que vous avez dans cette partie du monde, savez-vous s'il s'agit de financements d'ordre privé, ou de financements qui ont été impulsés au-delà de la réalité privée ?

Deuxièmement, comment Daech se finance-t-il en Europe ? Avez-vous quelques éclaircissements à ce sujet, en particulier sur notre territoire ?

Troisièmement, vous avez parlé des bombardements. Nous pensons qu'ils ne sont pas suffisants. C'est une position qui est partagée par beaucoup. Une intervention au sol peut-elle être aujourd'hui envisagée ? Et par qui serait-elle menée ?

Enfin, on a évoqué l'expansion de Daech en Libye. Y a-t-il d'autres risques d'expansion ? Je pense notamment au Yémen.

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Bernard Bajolet, directeur général de la sécurité extérieure, DGSE

Les financements extérieurs jouent, dans l'ensemble des financements de l'organisation, un rôle tout à fait marginal. En outre, les financements en provenance du Golfe que nous avons identifiés sont d'ordre exclusivement privé.

Daech se finance-t-il en Europe ? Vraisemblablement, les opérationnels qui se déplacent en Europe bénéficient de financements de l'organisation. Je n'ai pas d'éléments d'information précis sur des financements endogènes. Il peut y en avoir, mais au moment où je vous parle, je n'ai pas d'informations.

Ensuite, je constate que les bombardements ont contribué à une attrition de Daech et donc à contenir l'organisation. Mais je disais aussi que sans solution politique, on viendrait difficilement à bout du problème.

La question des interventions au sol est d'ordre essentiellement politique. Il faut avoir à l'esprit les précédents, et évaluer la perception des populations locales. Ces différentes considérations doivent entrer en ligne de compte. En Libye, on connaît la très grande sensibilité de la population libyenne, et il est important de ne pas transformer la Libye en terre de jihad encore plus qu'elle ne l'est par des interventions militaires ouvertes.

Enfin, vous m'avez interrogé sur l'expansion de Daech. Daech, comme d'ailleurs Al Qaïda, a un certain nombre de relais. Daech a créé des wilayas à l'extérieur, avec plus ou moins de succès. Sa plus grande expansion à l'extérieur est la Libye.

Ailleurs, cela a moins bien marché, puisqu'en Algérie, l'implantation de Jound el-Khilafa n'a pas donné beaucoup de résultats : quelques dizaines d'individus. Al-Mourabitoune comporte une branche qui s'est ralliée à Daech, mais ce n'en est qu'une petite partie. Daech est aussi au Yémen, en concurrence avec AQPA qui contrôle un large territoire autour de Mukalla.

Il ne faut pas du tout négliger la menace que peut représenter, y compris pour notre pays, la mouvance Al Qaïda, dans la compétition mortifère qui l'oppose à Daech.

Enfin, une wilayat du Khorasan a aussi été créée par l'EI. Elle s'appuie essentiellement sur des éléments du TTP, Tehrik-e-Taliban du Pakistan, qui s'oppose actuellement aux Talibans.

Voilà pour l'essentiel.

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Monsieur le directeur, je vous poserai quelques questions.

D'abord, avez-vous une idée du nombre de personnes qui sont mobilisées, en Syrie, en Irak, pour recruter des combattants étrangers ? En effet, selon vous, malgré l'attrition de Daech, les entrées compensent à peu près les réductions d'effectifs. Connaît-on les moyens de propagande, notamment à travers les réseaux, et les mécanismes d'enrôlement de Daech ?

Ensuite, est-ce que Daech dispose d'un service d'action extérieure organisé et digne de ce nom ? A-t-il, comme on a pu le craindre en Belgique, la capacité d'organiser des actions du type « intrusion dans une centrale nucléaire » ?

Avez-vous identifié des moyens de guerre électronique qui permettraient de hacker des systèmes informatiques de pays occidentaux ? De notre côté, a-t-on les moyens de riposter ? Est-on capable d'attaquer des serveurs ou de répondre à leurs actions de propagande et d'intrusion dans les systèmes électroniques ?

Enfin, pouvez-vous nous donner une indication du poids que représentent nos services extérieurs en Syrie et en Irak, par rapport à l'ensemble des services extérieurs présents sur le territoire ?

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Monsieur le directeur, vous avez évoqué la situation des djihadistes. Un certain nombre quittent le pays et se dirigent vers la Turquie. Mais restent-ils en Turquie ? Selon certaines rumeurs en lien avec ce qui se passe en Azerbaïdjan et dans le Haut-Karabagh, ils auraient rejoint les Azéris.

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Monsieur le directeur, on sait très bien qu'un certain nombre de financements privés sont arrivés dans des banques turques, et que c'est le va-et-vient entre la Syrie du Nord et l'Irak pour récupérer de l'argent. Mais à votre connaissance, existe-t-il des liens directs qui permettent de réaliser un certain nombre de transactions financières, avec ce qui peut se substituer au système bancaire soit en Syrie soit en Irak ? Je parle des territoires sous contrôle de Daech.

Par ailleurs, il n'y a pas un calife qui soit mort dans son lit. Et ce n'est pas parce que l'on aura tué El Baghdadi et que l'on aura pris Mossoul que cela va cesser. Je voudrais donc savoir si on a une idée du degré d'adhésion de l'opinion arabo-islamique à cette politique de l'islam ou à cet islam politisé ? À mon sens, on est parti pour un temps certain.

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Bernard Bajolet, directeur général de la sécurité extérieure, DGSE

Le recrutement se fait essentiellement par la propagande, qui est une arme tout à fait essentielle. Daech est très organisé, avec une espèce de « ministère de l'information », comprenant quatre organes officiels principaux : Al-Furqan, Al-Itissam, al-Hayat et Al-Ajnad, qui diffusent beaucoup, avec des ramifications, une infographie soignée, et tout cela en plusieurs langues ; plus d'une centaine de produits de propagande par mois, mis en oeuvre par les comités médiatiques régionaux.

À propos des centrales nucléaires, je vous répondrai que tous les objectifs sensibles peuvent être visés par Daech. Dans ce contexte, les centrales doivent évidemment requérir notre attention vigilante. Voilà où nous en sommes.

Je vous confirme que Daech utilise des hackers, sans avoir pour autant, pour le moment, des capacités équivalentes à celles d'un État. En revanche, je ne pourrai pas vous parler de nos propres capacités, pas plus que de ce que nous représentons en Syrie ou ailleurs. Vous vous en doutez bien.

Ensuite, je n'ai aucune indication sur l'implication d'éléments en provenance de Syrie ou d'Irak, dans les évènements qui se passent en Azerbaïdjan – malgré un certain nombre d'interférences étrangères.

Maintenant, sachez que les financements privés font l'objet d'une grande attention et d'une coopération au sein du GAFI – groupe d'action financière – et au sein des institutions financières, pour éviter justement que les banques privées ne participent d'une façon ou d'une autre au financement de Daech.

Je vous précise que tous les califes ne sont pas morts de mort violente. Mais on peut toutefois observer une espèce de recul culturel et politique au cours de ces 12 derniers siècles. Il se trouve en effet que Raqqa était l'endroit que le calife Haroun-al-Rachid avait choisi pour construire une ville nouvelle. Charlemagne envoya à celui-ci ses ambassadeurs, dont l'un était un marchand juif de Verdun prénommé Isaac. Ceux-ci se rendirent à Bagdad, mais on leur dit que le calife était à Raqqa. Ils allèrent à Raqqa où le calife leur offrit le fameux éléphant blanc appelé Aboul Abbas qui fut ensuite envoyé à Charlemagne. On était alors dans une époque de dialogue et de diplomatie…

Je terminerai sur le degré d'adhésion des populations. J'ai constaté que toutes les personnalités éminentes de l'islam rejetaient complètement l'approche de Daech, qui n'a rien à voir avec l'islam. Je ne sais pas ce qu'en pense la rue. Malgré tout, nos collègues des pays arabes ou les dirigeants de ces pays avec lesquels nous discutons nous ont appris qu'en effet la propagande touchait une partie de la jeunesse, mais pas la très grande majorité de la population.

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J'ignorais les rumeurs selon lesquelles des troupes de Daech, ou assimilées, seraient impliquées en Azerbaïdjan. Mais avez-vous des informations selon lesquelles Erdogan serait en train – pour détourner l'attention de la Russie – de créer un foyer, qui semble très sérieux, à la frontière entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie ?

Par ailleurs, vous avez dit que 2 000 Français, et davantage de francophones, étaient impliqués. Les anciens responsables de services de renseignement français que nous avons rencontrés nous ont déclaré que l'on aurait intérêt à nouer des relations avec les services de renseignement sinon syriens, du moins russes, ou avec la coordination à Bagdad entre la Russie, l'Iran et la Syrie. Avez-vous, avec ces services de renseignement, des échanges et des informations qui concerneraient la sécurité intérieure ?

À l'origine, la révolution syrienne était multicommunautaire et avait des aspirations démocratiques. Très rapidement, elle a évolué vers une réalité, qu'en reconnaissant le Conseil national syrien comme le seul représentant, on a voulu occulter. L'hebdomadaire Marianne a sorti il y a quinze jours une note de la Direction de la prospective du Quai d'Orsay qui, semble-t-il, était restée secrète, et qui datait d'octobre 2012. Cette note attirait l'attention sur l'islamisation de cette résistance et des rebelles syriens, et mentionnait une voie de dialogue politique avec les puissances régionales concernées et ceux qui les finançaient, l'Arabie et le Qatar, et aidaient en priorité la coordination politique civile.

Tous les quinze jours, on a prévu la chute de Bachar el Assad. Il est toujours là. Vos correspondants locaux vous ont-ils donné un autre son de cloche ? Cette note, par exemple, vous a-t-elle servi à éclairer le Gouvernement et la Présidence de la République sur la situation réelle de la guerre civile sur le territoire syrien ?

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Monsieur le directeur, pouvez-vous nous en dire un peu plus sur l'organisation et l'organigramme hiérarchique, hommes ou femmes, de l'EI ?

Nous connaissons un certain nombre d'acteurs qui sont visibles et médiatisés, comme, par exemple, al-Baghdadi. Mais, nous savons qu'il y a d'autres personnes « derrière le rideau ». Comment se prennent les décisions stratégiques ? L'organisation est-elle verticale ? Y a-t-il des cercles, des nébuleuses disposant d'une certaine autonomie d'action comme c'est le cas pour Al-Qaïda ?

Enfin, pour prolonger la question de notre collègue Germain, j'aimerais que vous nous disiez si Daech a les moyens de sous-traiter ailleurs des cyberattaques puissantes, susceptibles de porter atteinte à nos infrastructures vitales.

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Bernard Bajolet, directeur général de la sécurité extérieure, DGSE

À propos de l'Azerbaïdjan, je ne peux que répéter ce que j'ai dit tout à l'heure : à ce stade, je n'ai pas d'éléments sur une interférence quelconque avec Daech ou d'autres groupes terroristes. En revanche, j'ai fait allusion à l'implication d'États, ce qui n'est pas non plus anormal. Mais je ne peux pas être plus précis.

À propos des francophones, j'apporterai une précision. Comme je l'ai déjà dit, 2 000 Français sont impliqués, soit qu'ils se trouvent sur le terrain, soit qu'ils soient en route, soit qu'ils soient revenus, etc. Mais le nombre de francophones est évidemment supérieur au nombre des Français. De la même façon, de nombreux russophones sont impliqués : à peu près 4 000 russophones, dont la moitié de nationalité russe. C'est une menace pour les nombreux pays concernés. De la même façon, plusieurs milliers de Saoudiens représentent une menace pour l'Arabie saoudite. Sans compter les Jordaniens, etc. Mais nous sommes plus particulièrement concernés par les francophones.

Ensuite, dans le domaine du contreterrorisme, la coopération est extrêmement poussée, y compris avec des services avec lesquels nous sommes moins intimes. Nous coopérons avec les services russes, y compris sur la Syrie et l'Irak. Vous me permettrez de ne pas en dire plus à ce stade.

En revanche, nous n'avons pas actuellement de contacts avec les services syriens. Si la question venait à se poser, il faudrait s'interroger sur la capacité que peuvent avoir, dans le domaine du contreterrorisme, lesdits services – dont ce n'est pas la priorité – et sur les conditions politiques qu'ils pourraient y mettre.

Sur la perspective de la chute, ou non, de Bachar el Assad, je répondrai qu'un certain nombre d'évènements – et pas seulement l'intervention russe la plus récente – ont contribué à son maintien. Je ne vais pas m'étendre là-dessus.

Je ne vous détaillerai pas non plus l'organigramme de l'EI. Il apparaît toutefois que Daech s'appuie sur un certain nombre de relais locaux, et veille à utiliser, pour exercer son autorité sur place, des personnalités et des tribus reconnues par la population. C'est le cas en Syrie. Dans l'entourage de al-Baghdadi, il y a beaucoup d'Irakiens. Mais dans les wilayas décentralisées, Daech s'appuie en grande partie sur des relais locaux.

Peut-on parler de guerre électronique ? Il ne faut jamais sous-estimer l'adversaire. Daech recourt en effet à des hackers. J'ai dit tout à l'heure que c'était une organisation qui disposait de certaines capacités en la matière. Certes, elles sont encore limitées, mais c'est en effet un point qu'il convient de continuer à regarder de près.

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Monsieur le directeur, merci d'être parmi nous.

Ma première question est d'ordre assez général. À partir de quel moment considérez-vous que nous aurons gagné contre Daech ? Pour l'opinion publique, le fait de gagner Palmyre, et peut-être demain Mossoul, de pouvoir imaginer Baghdadi un jour au bout d'une perche, préfigure la défaite de Daech. Mais c'est un peu comme l'Hydre de Lerne : à chaque fois, une tête repousse ! On se trouve confronté à un ennemi multiforme : un État sans territoire, qui va, qui vient et qui continue à exister, indépendamment de ce que nous pourrions considérer comme des victoires. Quand pensez-vous que nous en aurons fini avec Daech, ou du moins que nous l'aurons mis à terre ? En d'autres termes, comment détermine-t-on l'objectif de guerre ?

J'en viens à ma seconde question. Notre mission s'intéresse principalement au financement de Daech puisque nous avons considéré que c'était un des angles par lequel on pouvait tenter de vaincre ces barbares.

Tout à l'heure, vous êtes resté silencieux sur la provenance des armes dont ils disposent. On sait qu'au départ, ces armes venaient essentiellement des casernes irakiennes. Mais au rythme où les gens de Daech tirent et bombardent, ils doivent renouveler leur approvisionnement et on imagine qu'il leur faut, pour y parvenir, avoir des échanges avec des puissances étrangères. Donc, si l'on veut s'attaquer au financement de Daech, on doit, par indices successifs, comprendre par quels circuits ils passent pour réaliser ces transactions. Pourriez-vous nous en dire plus ? Sauf si tout est décidément couvert par le secret…

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Monsieur le directeur, vous nous avez dit que 2 000 ressortissants français étaient impliqués dans le djihad et 600 se trouvaient sur zone. En même temps, il semblerait de certains fassent des aller-et-retours, qu'ils soient revenus ou qu'ils soient sur le départ. Y a-t-il effectivement des ressortissants français qui aient fait plusieurs aller-et-retours ? Connaît-on leur nombre ?

Je souhaite ensuite rebondir sur la question de notre collègue Myard. Vous avez dit que l'absence de solution politique tenait en partie au manque d'adhésion de la population. En même temps, vous avez dit que la majorité de la population n'était pas favorable à Daech, hormis la jeunesse. L'opinion a évolué dans le temps ? Peut-on encore parler d'adhésion ? Aujourd'hui, doit-on parler d'un certain laisser-faire, d'une espèce de fatalisme ?

M. Eduardo Rihan Cypel, vice-président, remplace M. Jean-Frédéric Poisson à la présidence.

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Monsieur le directeur, la Libye est dans une situation très singulière, dans la mesure où elle n'a pas de frontière avec l'Irak, la Syrie, etc. Peut-on imaginer que Daech puisse acquérir en Libye une certaine autonomie ? Arriverait-il donc à survivre à une extinction ou à un relatif affaissement de ses structures en Syrie et en Irak ? L'implantation de Daech en Libye peut-elle constituer un noyau en Afrique ?

Ses ressources financières sont-elles suffisamment solides pour permettre au dispositif de perdurer ? Je prends deux exemples : le pétrole libyen et les migrants, qui sont plus de 500 000 en Libye, et dont le transit constitue une véritable manne.

En d'autres termes, Daech peut-il espérer prospérer en dehors du foyer tel que nous le connaissons ? Peut-il se propager à partir de la Libye vers le Nord de l'Afrique, voire vers le Sud de l'Afrique, au-delà de la bande sahélo-saharienne ?

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Bernard Bajolet, directeur général de la sécurité extérieure, DGSE

À partir de quel moment pourra-t-on dire qu'on a vaincu Daech ? Pour ma part, je n'ai pas de doute que Daech sera vaincu un jour ou l'autre. En revanche, je ne peux pas vous dire quand. Ce réservoir de jihadistes dont j'ai parlé continuera à croître tant qu'une solution politique ne sera pas trouvée, en Irak comme en Syrie ou en Libye. Ensuite, une fois que cette solution politique sera trouvée, il persistera pendant un certain nombre d'années et continuera à représenter une menace. De même, Al-Qaïda a été vaincue, d'une certaine façon, sur le plan militaire, mais continue à représenter une menace, notamment en Afrique, comme on l'a vu encore tout récemment. Je sais que je ne réponds pas précisément à votre question, mais c'est ce que je peux vous dire à ce stade.

Vous m'avez interrogé sur les armes dont disposait Daech. Celui-ci s'est emparé au départ d'un stock extrêmement important, laissé par l'armée irakienne – fournie, pour l'essentiel, par les Américains – qui avait déserté Mossoul. Il vit encore largement dessus. En effet, les quantités allaient au-delà même de ce que les gens de Daech étaient capables d'utiliser. Ils en perdent de temps en temps, mais ils en ont encore un grand nombre.

Ensuite, jusqu'au mois d'octobre, tant qu'il avançait, Daech a saisi des armements dans des casernes en Syrie et des stocks d'armes de l'opposition syrienne. J'ai quelques exemples précis en tête.

Nous n'avons donc pas le sentiment, pour le moment, que Daech rencontre des difficultés d'approvisionnement, d'autant plus qu'il pratique une politique d'évitement. Cette politique lui permet de préserver, non seulement ses hommes, même s'il en a perdu beaucoup, mais aussi son matériel, même si une grande quantité de celui-ci a été détruite, par exemple tout récemment, à l'occasion de la prise de Cheddadi.

Dans tous les cas, je n'ai pas détecté d'approvisionnement en armes venant de pays voisins ou de pays de la région. Je ne dis pas qu'il n'y en a pas, je dis que je n'en ai pas détecté à ce stade. Mais on est évidemment très attentif sur ce point.

Enfin, à supposer – je vous ai donné ces chiffres avec beaucoup de prudence – que les revenus de Daech, en Irak et en Syrie, tournent autour de 2 milliards par an, ils lui permettent d'acheter pas mal de choses, y compris par des circuits criminels ou mafieux.

De fait, certains individus vont en Syrie, reviennent et repartent. Ce fut le cas d'Abdelhamid Abaaoud – impliqué dans le projet d'attentat de Verviers – qui est reparti pour la Syrie et qui est revenu. Je ne peux pas vous donner le nombre de ceux qui ont fait plusieurs fois le trajet, tout simplement parce que je ne les ai pas ici, et que je ne suis pas sûr que ceux dont on dispose soient exhaustifs.

Quel est l'état de l'opinion ? J'ai dit tout à l'heure qu'à Mossoul et Raqqa, Daech exerçait son emprise en terrorisant les gens. Beaucoup d'exécutions ont lieu dans chacune de ces deux villes. Mais en même temps, quand ceux qui sont sous l'emprise de Daech ont le choix entre subir le joug de Daech et subir celui des milices chiites, ils finissent par opter pour leur communauté d'origine. C'est la raison pour laquelle il faut trouver une solution politique. Dans les pays voisins, en revanche, on constate qu'une partie de la jeunesse est influencée par la propagande de Daech. Ce n'est certainement pas le cas de la majorité de la population, mais il est certain que l'absence de solution à certains problèmes régionaux – par exemple au problème palestinien – favorise la propagande de Daech ans les territoires palestiniens, à Jérusalem, à Gaza et en Jordanie.

Quelles sont les ressources de Daech ? À ce stade ; elles sont différentes en Libye, et en Syrie-Irak. Par exemple, en Libye, jusqu'à présent, l'EI n'a pas cherché à s'emparer de champs pétroliers, mais plutôt à les détruire. Ainsi, la récente incursion de Daech à Sidra avait pour objectif de détruire le puits pour priver l'ANL – Armée nationale libyenne – du général Hafter de ses ressources. Il faut toutefois rester vigilant parce qu'en effet Daech peut être tenté, à l'avenir, de s'emparer de champs pétroliers. Mais l'importance de la composante tribale en Libye fait qu'actuellement, il lui sera difficile d'affirmer son influence dans les zones de production pétrolières.

Vous avez d'autre part évoqué les trafics liés à l'immigration illégale. C'est en effet une des ressources, au moins indirectes, de Daech. En effet, quasiment tous les flux d'immigration clandestine sur la rive Sud de la Méditerranée transitent par la Libye, qu'il s'agisse des flux qui viennent d'Afrique de l'Ouest ou de l'Est. Quelques éléments, mais en petit nombre, viennent de Syrie, d'Irak, voire d'Afghanistan. Certains viennent de Somalie, d'Éthiopie et d'Afrique de l'Ouest, passant par le Niger, Arlit, remontant vers la Libye. À chaque fois, des tribus prennent le relais. C'est un phénomène que l'on a identifié de façon précise ; il y a plusieurs réseaux principaux et, naturellement, quand ces trafics passent par des zones contrôlées par Daech, celui-ci prend son écot.

Pour le reste, Daech contrôle Syrte, dans un rayon assez important autour de la ville, quasiment jusqu'à Jouffra. Il perçoit, comme c'est le cas en Syrie et en Irak, des taxes sur la population et sur les activités commerciales.

Enfin, on constate que c'est surtout le réseau Al-Qaïda qui est influent en Afrique. Certes, le chef de Boko Haram, Abubakar Shekau, s'est réclamé de Daech, mais le caractère de cette allégeance, acceptée par Baghdadi, est pour le moment essentiellement publicitaire. La menace en Afrique émane essentiellement d'AQMI et de Morabitoune, de la mouvance Al-Qaïda. On l'a malheureusement récemment constaté avec les attentats de Grand-Bassam et avant, à Ouagadougou et Bamako.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous n'avez pas évoqué, au début de votre propos, la traite humaine parmi les revenus de Daech. Au-delà de ce que vous venez de nous dire sur la dîme prélevée sur les réseaux de traite dans les territoires contrôlés par Daech, est-ce qu'il y a une stratégie « capitalistique » de construction de revenus durables sur ces réseaux de traite ? Et quelle est la proportion des revenus de Daech tirés de la traite humaine ?

Par ailleurs, vous nous avez parlé d'un ministère de l'information, avec des moyens de propagande très bien pensés. Peut-on parler d'une théorisation de la nécessité de provoquer une guerre civile dans les sociétés occidentales, ou est-ce que ces moyens de propagande ne servent qu'à recruter, pour prendre la relève de ceux qui sont tombés au combat ?

Permalien
Bernard Bajolet, directeur général de la sécurité extérieure, DGSE

Le trafic d'êtres humains est une des activités de Daech, aussi bien en Syrie qu'en Libye, mais elle semble ne lui rapporter que quelques millions de dollars. Ce n'est pas très important, mais Daech tire profit de tout.

Le trafic d'antiquités est une source plus importante de revenus, que ce soit en Irak ou en Syrie – Apamée ; Palmyre ; Doura Europos, un site sélucide ; Mari, un site sumérien du IVe millénaire avant J.-C. ; Ebla, un site du IVe millénaire avant J.-C., près d'Hama. Les gens de Daech se livrent à des fouilles sous le contrôle d'une sorte de « directeur des antiquités », et privilégiant les objets de petite taille, qu'ils peuvent revendre.

Ils procèdent de façon essentiellement opportuniste. Il n'y a pas de politique financière. Il n'y a même pas de politique fiscale cohérente et rationnelle. Les impôts prélevés varient d'une ville à l'autre ; il y a des impôts sur le transport des biens, dont le taux peut varier, même s'il est en général de 20 % ; il y a des taxes sur les marchandises, qui ne sont pas les mêmes pour les Chrétiens que pour les autres. À Raqqa, un impôt spécial, ou djizia, est prélevé sur les Chrétiens ; il est de 4 dinars or – ce qui fait 795 dollars – par an. De la même façon, Daech ayant mis la main sur des terrains agricoles très fertiles en Syrie, prélève une taxe qui n'est pas la même sur les terres irriguées et non irriguées, etc. Tout cela se cumule.

Il y a une certaine décentralisation dans la gestion de ce soi-disant État qui n'est d'ailleurs ni État ni islamique. Encore une fois, c'est une gestion extrêmement opportuniste.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur le directeur, je vous remercie, au nom de l'ensemble des membres de notre commission, pour votre disponibilité. Et vous pouvez assurer de notre soutien vos équipes et vos hommes, qui interviennent au risque de leur vie.

L'audition prend fin à quinze heures quinze.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur les moyens de DAECH

Réunion du mardi 5 avril 2016 à 14 h.

Présents. –.M. Kader Arif, M. Gérard Bapt, M. Xavier Breton, M. Jean-Louis Destans, M. Olivier Faure, M. Yves Fromion, M. Jean-Marc Germain, M. Serge Janquin, Mme Sandrine Mazetier, M. Alain Moyne-Bressand, M. Jacques Myard, M. Jean-Frédéric Poisson, Mme Marie Récalde, M. Eduardo Rihan Cypel, M. François Rochebloine.

Excusés. –.M. Alain Claeys, M. Jean-Claude Pérez, M. Axel Poniatowski.