Intervention de Francis Perrin

Réunion du 5 avril 2016 à 16h15
Mission d'information sur les moyens de daech

Francis Perrin, président de Stratégies et politiques énergétiques, SPE :

En ce qui concerne les ressources pétrolières de la Libye, à la fin de l'année 2010, avant le début de la guerre, la production pétrolière était de l'ordre de 1,5 ou 1,6 million de barils par jour. Elle est effectivement tombée ces derniers temps autour de 400 000 barils par jour, soit une division par quatre, ce qui est considérable.

Mais la Libye conserve un potentiel pétrolier et gazier extrêmement important pour l'avenir. C'est l'une des raisons de la présence de Daech dans ce pays, bien que ce ne soit pas la seule ; la proximité de l'Europe entre également en compte.

Bien sûr, Daech aimerait contrôler des ressources pétrolières et une chaîne de valeur en Libye, mais comme ils n'ont pas réussi à le faire pour l'instant, il ne leur reste qu'à essayer de détruire. Cela ne veut pas dire que leur objectif ne soit pas de contrôler, mais Daech se heurte sur le terrain à une forte résistance d'acteurs libyens, y compris de certaines milices. Il ne s'agit pas d'enfants de choeur, mais ce ne sont pas des amis de Daech pour autant car ces acteurs locaux voient l'implication de Daech d'un très mauvais oeil, qu'ils considèrent à juste titre comme un acteur étranger.

Il ne faut pas sous-estimer la capacité de Daech de contrôler des actifs pétroliers et une chaîne de valeur pétrolière en Libye à l'avenir. Ce n'est pas le cas pour l'instant, mais ce n'est pas une raison pour se désintéresser de la Libye. Il faut au contraire essayer de capitaliser sur cette situation pour éviter que cela ne devienne le cas à l'avenir, comme c'est encore en partie le cas en Syrie et en Irak.

Le président Duseux répondra à votre question sur les produits pétroliers, mais il convient de rappeler certains éléments de contexte particulièrement importants. La production pétrolière actuelle en Irak et en Syrie est très faible, pour les raisons que j'ai évoquées. Il faut déduire de cette production ce dont Daech a besoin pour ses efforts de guerre et ce qu'il commercialise dans les zones qu'il contrôle directement. Au vu de la forte baisse de la production, il apparaît rapidement qu'il ne reste plus grand-chose à exporter aujourd'hui, ce qui n'était pas le cas par le passé.

Par ailleurs, les produits pétroliers de Daech n'ont pas une origine normale. Ce sont des produits marqués par le sang. Pour les commercialiser, Daech va privilégier les circuits courts, qui sont les plus sûrs. Il ne va pas chercher à exporter ces produits à l'autre bout du monde, en Europe ou ailleurs sur les grands marchés pétroliers, il n'en a pas la capacité, il lui manque la logistique nécessaire et les contacts. Ce serait prendre beaucoup de risques pour un gain minime.

De plus, les compagnies pétrolières ne manquent pas de pétrole. Le marché pétrolier est marqué par un excédent de production, c'est pourquoi les prix sont très bas. Aujourd'hui, une compagnie pétrolière ne va pas se battre pour acheter un pétrole suspect, elle va contacter des acteurs légitimes et légaux du jeu pétrolier mondial, des pays producteurs et exportateurs de pétrole, leurs compagnies nationales, d'autres compagnies privées et des négociants ayant pignon sur rue plutôt que de traiter dans des conditions plus que louches avec des intermédiaires qui auraient été adoubés par Daech.

Enfin, les volumes sont aujourd'hui tellement faibles qu'à supposer que les grandes compagnies pétrolières n'aient aucune morale et aucun scrupule, ce que pourrait leur offrir Daech est aujourd'hui ridiculement faible. Les grands acteurs pétroliers ont besoin de grands volumes et ces grands volumes se trouvent en Arabie Saoudite, en Russie, auprès de la Sonatrach, de la Saudi Aramco ou d'autres compagnies pétrolières, plutôt qu'auprès d'un groupe qui n'est plus en mesure d'offrir grand-chose aujourd'hui.

Il est exact que dans un passé pas si ancien, les autorités turques ont fermé les yeux sur différents trafics dans lesquels Daech était impliqué, dont le pétrole et les produits pétroliers faisaient partie. Comme vous le savez, l'une des faiblesses de Daech est qu'ils n'ont pas beaucoup d'amis et que lorsqu'ils en ont, ils ne les gardent pas puisqu'ils sont en guerre contre tout le monde. Daech s'est retourné contre la Turquie et y a conduit des attentats sanglants, ce qui a amené les autorités turques à considérer ce groupe avec un oeil différent. Même si les services turcs pourraient être beaucoup plus efficaces, aujourd'hui la Turquie n'est plus une des principales voies de la contrebande de pétrole et de produits pétroliers par Daech, comme c'était le cas il y a quelques années. Le marché est encore plus local que par le passé, il concerne essentiellement la Syrie, l'Irak, et un petit peu la Turquie et la Jordanie, ce n'est plus un problème majeur. Il y a encore certainement quelques pressions à exercer sur nos amis turcs. Nos amis américains savent très bien leur tordre le bras ; ils ont manifestement un peu plus de pouvoir de conviction en ce domaine que l'Union européenne.

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