L'affaiblissement de Daech en Syrie et en Irak est une certitude. Sur le front pétrolier, nous constatons une forte baisse de la production qu'il contrôle, des exportations et de ses revenus. La dernière estimation chiffrée donnée par le CENTCOM des États-Unis était de l'ordre de 30 000 barils par jour, Syrie et Irak confondus, pour le début de l'année 2016. Depuis, la poursuite de l'opération « Tidal Wave II » a continué à dégrader cette capacité. Il n'y a pas encore de chiffres plus récents, mais la production a certainement encore diminué.
La production devient donc extrêmement faible et parmi les trois usages du pétrole que j'évoquais : effort de guerre, fourniture de produits pétroliers aux populations et exportations hors des zones contrôlées par Daech, c'est la poursuite de l'effort de guerre qui est le plus important, quitte à sacrifier le reste. Cela pourra poser des problèmes avec les populations. Daech prétend être un État islamique, qui prend en charge les besoins des populations. La chute des revenus pétroliers met le modèle économique de Daech à rude épreuve, même si nous avons tous rappelé qu'il ne repose pas uniquement sur le pétrole.
Je pense donc que la fin de Daech en tant qu'entité politico-militaire contrôlant de façon durable des territoires et des populations en Syrie et en Irak est à notre portée. Cela ne voudrait pas dire la fin de Daech en tant que groupe terroriste, ni la disparition de son pouvoir d'attraction. Mais la spécificité de ce groupe est de contrôler un territoire et des populations de façon durable. Ce caractère unique a un impact direct sur son attractivité. Un certain nombre de personnes et de flux financiers se dirigent vers les plus forts, ceux qui montrent qu'ils sont capables d'occuper et de tenir un territoire. La fin possible de ce modèle serait évidemment un coup très dur porté à cette organisation, y compris en termes de communication et de propagande, même si cela ne signifie pas la fin de Daech sous tous ses aspects.
Monsieur le rapporteur, vous avez tout à fait raison de rappeler que l'industrie pétrolière exige une main-d'oeuvre qualifiée. Où Daech trouve-t-il ces qualifications ?
Dans certains cas, en prenant le contrôle d'actifs pétroliers, Daech a également pris le contrôle des personnels syriens ou irakiens qui s'y trouvaient. Ceux qui n'ont pas pu fuir n'ont eu d'autre choix que d'accepter de travailler pour Daech. De plus, Daech compte dans ses rangs des personnes ayant des compétences dans le domaine de l'industrie pétrolière.
De plus, Daech a un département ressources humaines très efficace, très professionnel, et ils essaient de démarcher certaines personnes dans des pays étrangers, y compris occidentaux. Évidemment, ils ne font pas cela à l'aveugle, ils vont tenter de repérer, au sein d'acteurs pétroliers, des personnes dont le nom, l'origine, ou les convictions religieuses laissent penser qu'ils pourraient être proches d'eux. Il leur arrive de se tromper, mais nous savons que des approches directes ont eu lieu.
M. Fromion souhaitait savoir qui exploitait le pétrole en Libye. C'est d'abord la compagnie nationale pétrolière, la National Oil Corporation (NOC). Comme dans tous les pays membres de l'Opep, la compagnie nationale joue un rôle extrêmement important.
Les choses se compliquent en Libye car deux compagnies nationales coexistent actuellement : la NOC traditionnelle, basée à Tripoli, et une deuxième compagnie créée par les détenteurs du pouvoir à l'est du pays, qui lui ont donné le même nom. L'accord de paix négocié sous l'égide des Nations Unies accorde la reconnaissance internationale à la NOC de Tripoli. Les États-Unis continuent de ne reconnaître que cette NOC, qui reste l'acteur essentiel en Libye en termes d'exploitation pétrolière et gazière.
Il y a aussi des acteurs étrangers en Libye : le groupe pétrolier ENI est le plus important, et l'on trouve aussi la compagnie espagnole Repsol, le groupe français Total, des compagnies américaines comme Occidental petroleum, et des compagnies allemandes ou autrichiennes. Il y a donc beaucoup de monde en Libye mais pour des raisons de sécurité, presque tout le monde s'est retiré en gardant ses permis d'exploitation. Aujourd'hui, c'est la compagnie pétrolière nationale qui est sur le front pétrolier et gazier sur l'ensemble du territoire. Mais si les compagnies étrangères sont parties temporairement, pour des raisons de sécurité, elles espèrent revenir lorsque les conditions sur le terrain le permettront.