Intervention de Myriam El Khomri

Séance en hémicycle du 3 mai 2016 à 15h00
Nouvelles libertés et nouvelles protections pour les entreprises et les actif-ve-s — Présentation

Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social :

Le temps du Parlement, mesdames et messieurs les députés, est au contraire celui de l’exigence. Alors oui, sans nier le contexte, je suis impatiente de revenir au texte, à ses principes fondamentaux et à ses termes exacts.

Grâce à une concertation exigeante – les partenaires sociaux savent le temps que j’ai consacré à ce dialogue depuis ma prise de fonction –, grâce au travail remarquable du rapporteur Christophe Sirugue et des membres de la commission des affaires sociales, des membres de la commission des affaires économiques et de son rapporteur pour avis Yves Blein, de la délégation aux droits des femmes, des membres de la commission des affaires européennes, notamment de Philippe Cordery, nous pouvons être fiers de ce texte.

Un mot encore. La vie politique peut être faite d’impopularité. En la matière, je peux faire valoir une certaine expérience. C’est la vie. Mais ceci s’efface devant l’esprit de responsabilité et la fidélité aux convictions.

J’ai écouté, discuté, réfléchi, mais je crois être restée la même. Mes convictions, je ne les trahis pas. Je crois que l’administration de la chose publique a besoin de constance, de rigueur intellectuelle, de discipline même. La loyauté et l’esprit de droiture m’ont été inculqués par ceux qui m’ont amenée à la politique. Sans les citer, je veux qu’ils sachent, en particulier aujourd’hui, ce que je leur dois.

Ce projet de loi, personne ne nous l’a imposé. Le Président de la République l’a voulu, comme le produit d’une analyse sans concession de notre monde du travail et de sa législation. Ce projet de loi, je le porte avec énergie et conviction car je le crois juste et nécessaire. Et c’est cette conviction profonde que je veux partager avec vous.

Si je nourris l’ambition de vous convaincre, c’est parce que ce projet de loi repose sur trois piliers aussi solides que solidaires : un dialogue social qui doit être le moteur de notre transformation, une dynamique économique créatrice d’activité et d’emploi, un modèle social renouvelé, qui dote nos concitoyens de protections adaptées à notre siècle.

Mais avant de revenir en détail sur ces trois piliers, je voudrais tout de même partager avec vous quelques convictions, nées du diagnostic lucide qui doit être le nôtre.

J’ai trente-huit ans. J’appartiens à cette génération qui n’a connu les Trente Glorieuses qu’à travers les livres d’économie et d’histoire et qui s’est construite dans un autre environnement : celui de la crise, du chômage de masse, de la montée des inégalités.

Au ministère du travail, comme mes prédécesseurs, je mesure chaque jour les conséquences sociales de la dureté du chômage. Beaucoup de nos concitoyens sont prisonniers d’une précarité durable, enchaînant petits boulots, contrats à durée déterminée – CDD –, intérim, périodes de chômage. Pour ceux-là, notamment les plus fragiles – les femmes, les jeunes, les seniors, ceux qui n’ont pas eu accès à un premier niveau de qualification –, le contrat à durée indéterminé, le CDI, et l’emploi stable sont devenus un horizon quasi inaccessible.

L’hyperflexibilité est là, sous nos yeux : 90 % – je dis bien 90 % – des recrutements se font à durée déterminée et la moitié – la moitié ! – de ces contrats pour une durée inférieure à une semaine. C’est cela, la réalité.

Face à une telle situation, l’unité nationale devrait aller de soi. Je me réjouis d’ailleurs qu’avec Clotilde Valter, secrétaire d’État à la formation professionnelle et à l’apprentissage, nous soyons parvenus à déployer un plan de formation inédit en partenariat avec la quasi-totalité des régions, par-delà les clivages. Nous le devons absolument aux millions de nos concitoyens qui sont privés d’emplois, car – ne l’oublions pas, ne l’oublions jamais – derrière l’aridité des statistiques il y a autant de femmes, d’hommes, de familles, condamnés à l’angoisse, à la frustration, parfois même à l’humiliation.

On fait souvent le procès aux responsables politiques d’être coupés des réalités. Pour ma part, je m’insurge et revendique avec la plus grande force ma proximité avec cette génération qui subit les obstacles et tente de les franchir sans se décourager.

Il faut donc être capable de cerner le réel en regardant la France et le monde en face, car nous connaissons aujourd’hui des mutations profondes, rapides, de plus en plus rapides même. L’économie de service emporte tout, la numérisation des tâches se généralise, l’ubérisation des professions et le travail détaché se répandent, tout cela dans un monde ouvert et concurrentiel.

À la lumière de cette réalité, notre droit du travail ne remplit plus suffisamment son rôle, tant les contournements sont nombreux.

Notre pays est souvent décrit comme une « société de défiance ». Quatre Français sur cinq disent ne pas faire confiance aux autres. Tous sont persuadés que l’égoïsme gouverne les relations sociales, que la vie commune est un jeu à somme nulle, où personne ne peut gagner qu’au détriment d’autrui.

Dans ces conditions, la confiance n’est plus seulement une vertu, c’est une forme de défi commun. Je crois plus que jamais, à la force du dialogue et de l’écoute comme socle d’une confiance retrouvée et d’une possible réconciliation.

Le décréter, fût-ce à la tribune de votre assemblée, n’y suffira pas, me direz-vous. Alors construisons-le ensemble, en posant des actes. Ce projet de loi en est un.

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