Comme l'ont dit certains des orateurs qui m'ont précédé, c'est à une vieille histoire que nous avons affaire.
Dès le XIXe siècle et au début du XXe, on s'interrogeait sur les algies majeures que présentaient certains patients ; mais le phénomène était alors relativement confidentiel. En 1976, un chercheur américain puis deux chercheurs canadiens ont mis en forme la notion de fibromyalgie, qui constitue aujourd'hui un objet d'interrogation plus qu'un savoir. En 1981, l'Association de rhumatologie française valide la fibromyalgie sous un autre nom. C'est surtout aux États-Unis que les choses vont se jouer, le Collège américain de rhumatologie ayant entraîné un mouvement très important, notamment dans l'opinion, obtenant la reconnaissance au sein des classifications non d'une maladie, mais d'un « rhumatisme non spécifique ».
Les associations représentent des patients qui souffrent, ce que personne ne conteste, et elles ont leur légitimité. Toutefois, dès 2000, les majors de l'industrie pharmaceutique, notamment américaines, s'emparent du sujet, multiplient les conférences médicales jusqu'au plus haut niveau international et installent dans le monde entier cette notion de fibromyalgie. Je le répète, nul ne conteste que celle-ci fait souffrir des millions de gens, partout. Mais qu'est-ce que la fibromyalgie ? Nul ne le sait. D'autres que moi l'ont dit.
En 2007, l'Agence européenne refusera un traitement supposé agir sur la fibromyalgie, proposé par l'un des trois plus gros laboratoires au monde, parce que les éléments fournis sont relativement faibles.
Les associations ont exercé leur fonction légitime de lobbying, aux États-Unis d'abord, où l'on connaît la puissance des groupes de pression, puis en France. Les débats ont pris une telle ampleur que, dès 2003, on a parlé aux États-Unis de fibromyalgia wars autour de ce syndrome scientifiquement très méconnu, mais dont la réalité est en quelque sorte sociale.
La fibromyalgie pose un problème médical qui n'est pas résolu, mais aussi un problème public – ce sera probablement tout l'intérêt du travail du rapporteur. Les médecins et les patients sont en difficulté. Dès lors que le diagnostic de fibromyalgie est posé, la réalité devient incontournable : un patient qui souffre attend une réponse. Or celle-ci ne saurait être uniquement médicale – d'autant que le médecin peine à la trouver.
Dès lors, quatre questions me semblent se poser.
D'abord, comment autant de personnes peuvent-elles être « estampillées » fibromyalgiques, dont 75 % à 90 % de femmes alors que l'on ne se situe pas du tout ici dans un champ spécifiquement féminin ?
Ensuite, le rôle des laboratoires auprès de la puissance publique, mais aussi des associations, en France et dans le monde entier, mérite d'être étudié de près.
Troisièmement, nous devons nous montrer prudents face à un phénomène très difficile et surtout face à la douleur des patients.
Enfin, quel rôle la recherche publique peut-elle jouer ? À cet égard, la Haute Autorité de santé a donné quelques pistes.