Intervention de Nicole Gnesotto

Réunion du 4 mai 2016 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Nicole Gnesotto, présidente du conseil d'administration de l'Institut des hautes études de la défense nationale :

Monsieur Lamblin, votre question est difficile. Les crises durables que j'évoquais ne se situent pas toutes au Moyen-Orient. Pensons à la Russie. La remise en cause par les Russes de l'ordre européen porte sur la démocratie comme destin de l'Europe. Ce qui a irrité profondément M. Poutine, ce n'est pas tant que l'Ukraine et la Géorgie puissent entrer dans l'OTAN, mais que la démocratie soit susceptible de devenir le système institutionnel de ces pays, et donc peut-être un jour de la Russie. C'est une question majeure qui n'a rien à voir avec l'islamisme, même si, en Russie, les revendications liées à l'islam radical ont été fortes, en Tchétchénie notamment, et sont loin d'être apaisées. Certains expliquent même l'intervention de M. Poutine en Syrie, au mois de septembre dernier, par sa volonté de mater directement les djihadistes susceptibles de venir dans son pays.

Par ailleurs, la déconstruction du Sahel relève d'autres phénomènes que ceux qui sont à l'oeuvre au Moyen-Orient. Boko Haram ne repose pas du tout sur la même idéologie que Daech, même s'il y a des collaborations logistiques et des relations d'allégeance. Les causes de ces crises africaines sont à chercher ailleurs que dans une idéologie anti occidentale.

Votre question demeure : les crises qui secouent le Moyen-Orient – en Irak, en Égypte, en Syrie, en Érythrée, au Yémen – sont-elles juxtaposées ou relèvent-elles d'une même cause, la révolution islamiste ? Je ne suis pas du tout spécialiste de ces questions. Vous savez que deux thèses s'opposent en ce domaine, celle de Gilles Kepel et celle d'Olivier Roy. Ce que je crois, c'est que ces crises sont le révélateur d'un échec de la mondialisation. Si l'on excepte le Qatar et les Émirats arabes unis, toute la zone du Moyen-Orient, qui regroupe 500 000 millions d'habitants, se situe en dehors de la dynamique de modernisation économique portée la mondialisation, même si l'on a cru un temps que l'Égypte pourrait s'insérer dans ce processus. L'idéologie de l'islamisme radical se nourrit d'abord d'une énorme frustration économique et sociale, qui se traduit par une haine de l'Occident, une haine d'Israël, une haine des mauvais musulmans – n'oublions pas que plus de 60 % des victimes du terrorisme de Daech sont des musulmans. Et si cette analyse est juste, c'est avant tout aux États de cette zone d'en tirer les conséquences. Il y a de la part de l'État islamique une volonté de créer un discours unificateur sur la responsabilité des Occidentaux dans l'exploitation du Moyen-Orient afin de masquer la responsabilité des gouvernements arabes dans l'échec de la mondialisation dans cette région.

En Afrique, l'ensemble des clignotants sont au rouge, excepté en Afrique du Sud. Je ne crois pas aux statistiques de la Banque mondiale qui laissent penser que l'Afrique serait un nouvel Eldorado de la mondialisation, la Chine de demain. Je vois plutôt des États qui se décomposent, des sociétés qui se paupérisent, une corruption qui étend son emprise. Et tout le monde sait – c'est un phénomène très ancien – que, lorsque les États s'affaiblissent, ce sont les mafieux qui prospèrent. Malgré tout, l'Afrique connaît des embryons de société civile. Les décolonisations anglaise et française ont laissé des traces. On ne peut pas dire que les Africains ne réussiront pas le pari de la modernisation économique.

Dans les pays du Moyen-Orient, il n'y a pas un développement suffisant de la classe moyenne. On observe une fuite des capitaux et un exode des plus éduqués, sauf en Iran. C'est la raison pour laquelle ce pays fera partie, avec la Turquie et Israël, des piliers de notre politique dans cette région, en remplacement des monarchies arabes qui se sont montrées si peu fiables.

Madame Nieson, les raisons financières ont sans aucun doute pesé dans la constitution de l'Europe de la défense. En période de crise économique, les gouvernements préfèrent se consacrer aux dépenses sociales plutôt qu'aux interventions extérieures. Seulement, le désinvestissement des États européens des questions de défense est bien antérieur à la crise de 2008. Dès 1991, avec la fin de la guerre froide, ils se sont mis à opérer des coupes sévères dans leur budget de défense. La France en a fait de même, jusqu'à ce que, récemment, le président de la République décide de maintenir les crédits alloués au ministère de la Défense. Ce sont donc avant tout des raisons politiques qui jouent en ce domaine. La peur pousse beaucoup de pays européens à augmenter à nouveau leur budget de défense. C'est le cas en particulier de la Pologne, voisine de la Russie, qui tient à montrer aux Américains qu'elle est une bonne alliée afin d'éviter qu'ils ne la laissent tomber.

Le concept de sécurité globale, Monsieur Comet, implique qu'il y ait une seule politique au niveau de l'Union européenne alors qu'aujourd'hui une multiplicité de politiques prévaut : la politique de sécurité intérieure est gérée en grande partie par la Commission pour ce qui concerne notamment la défense des infrastructures critiques – c'est le cas, par exemple, du port de Rotterdam – ; la lutte contre le terrorisme relève des États ; la question des réfugiés dépend à la fois de la Commission et un peu du Conseil, car les accords de Schengen sont du ressort de ces deux institutions. La mise en place d'une politique de sécurité globale, déclinée selon plusieurs dimensions, empêcherait que des politiques parcellisées n'entrent en contradiction comme c'est parfois le cas aujourd'hui.

Comment concilier le renseignement européen avec la souveraineté des nations ? m'avez-vous encore demandé. Je vais vous dire très franchement que je ne vois pas en quoi la souveraineté de la France pourrait être mise en cause si elle acceptait de partager ses fiches S avec la Belgique et l'Allemagne, et dans une moindre mesure avec l'Italie, l'Espagne et le Maroc.

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