Intervention de Jean-Marc Ayrault

Réunion du 26 avril 2016 à 18h00
Commission des affaires étrangères

Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international :

Je ne partage pas cette hiérarchie des crises. Si l'on attend d'avoir réglé le problème syrien, le problème libyen, le problème irakien… Vous savez parfaitement, monsieur le député, que la situation se dégrade de jour en jour. Il y a encore eu cet attentat dans un bus en Israël, il y a des morts palestiniens relativement nombreux et il y a une espèce de spirale. Et puis il y a un désespoir qui s'installe, en particulier dans la jeunesse. Prenons-y garde. La propagande de Daech progresse, notamment dans la jeunesse palestinienne. Pour l'instant, Daech n'est pas présent dans les territoires palestiniens, mais attention ! Je retire de mes discussions avec les uns et les autres, au Liban, en Jordanie ou avec les Palestiniens, le sentiment que la propagande de Daech est active. On ne peut y répondre qu'en reprenant une initiative politique. C'est une porte étroite, j'en suis conscient, mais ne rien faire, ce serait se résigner et l'initiative française est plutôt bien perçue. Je ne dis pas que c'est gagné d'avance, je suis tout à fait réaliste.

Était-il possible d'éviter un accord avec la Turquie ? À nos yeux, non. Certes, cette solution est imparfaite et certaines évolutions en Turquie, notamment les insupportables atteintes à la liberté de la presse, sont tout à fait contraires aux valeurs et principes de l'Union européenne. Mais, il y a un accord, qui s'accompagne, je le rappelle, d'une aide financière non négligeable. L'Union européenne vient en aide au pays qui, avec la Jordanie et le Liban, accueille le plus de réfugiés syriens – peut-être sont-ils maintenant 2,7 millions. Il faut aussi prendre compte cette situation et donc discuter, négocier avec la Turquie. Ce n'est pas sans risque mais je pense qu'il fallait le faire et je ne peux répondre à l'avance à la question que vous posez, monsieur Lellouche. Faisons déjà en sorte que cet accord fonctionne et respectons nos engagements.

Je ne répéterai pas tout ce que j'ai dit tout à l'heure sur les négociations commerciales. Selon moi, il n'y a pas d'échanges commerciaux sans régulation. L'approche libérale peut conduire à des crises majeures et des déséquilibres fondamentaux. Telles que les choses se présentent, nous ne pouvons, aujourd'hui, conclure d'accord avec les États-Unis. Je note d'ailleurs avec beaucoup d'intérêt une prise de conscience très forte de l'opinion publique, de la société civile, en France, c'est incontestable, mais pas seulement. J'ai ainsi été très surpris de lire dans The Guardian un article reprenant tous les arguments avancés en France. De même, si 57 % des Allemands étaient, il y a quelques semaines, en faveur d'un accord, ils ne sont aujourd'hui plus que 17 %. À Hanovre, une manifestation a rassemblé 35 000 personnes ! En France, les manifestants contre le traité transatlantique sont moins nombreux. Il y a là quelque chose qui est en train de bouger et il faut revoir la manière dont est conduite cette négociation, même si nous ne sommes pas hostiles par principe à un accord – celui avec le Canada est plutôt satisfaisant.

À propos du Haut-Karabagh, j'ai parlé avec les ministres des affaires étrangères d'Arménie et d'Azerbaïdjan avec un même objectif : le cessez-le-feu. Nous étions dans une logique de guerre, avec des morts, etc., et il était indispensable que tout le monde s'y mette pour que cela s'arrête. Les Russes, les Américains ont joué leur rôle, comme nous avons joué le nôtre. Au cours de nos derniers échanges, la semaine dernière, John Kerry a proposé que nous nous réunissions très vite, dans le cadre du groupe de Minsk. En tout cas, nous n'allons pas en rester là, c'est évident.

Notre réseau consulaire continuera d'évoluer, monsieur Mariani, notamment pour mieux gérer l'argent public. C'est pourquoi il a fallu revoir la taille d'un certain nombre de postes diplomatiques. Je n'en suis pas moins pragmatique et suis prêt à examiner cette possibilité de recourir à un consul honoraire, là où il n'est pas possible de faire autrement. Quant au chantier de la dématérialisation, qui intéresse particulièrement les Français de l'étranger établis loin des postes consulaires, j'ai pu assister, en visitant les services du ministère des affaires étrangères à Nantes à une démonstration : une nouvelle valise permettra de prendre prochainement les données biométriques pour les passeports. Cela fonctionne très bien. Voilà une solution pratique qui peut être mise en oeuvre très rapidement.

Aujourd'hui, Mayotte connaît une situation dramatique, mais le sujet, complexe, ne dépend pas que du ministère des affaires étrangères. Je n'ai donc pas vraiment de solution ce soir, et ce n'est pas une négociation internationale qui réglera le problème. La diplomatie a beaucoup de vertus et le ministère des affaires étrangères a aussi des responsabilités interministérielles, mais nous sommes un peu aux limites de son champ de compétence.

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