Commission des affaires étrangères

Réunion du 26 avril 2016 à 18h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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Audition de M. Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international..

La séance est ouverte à dix-huit heures.

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Monsieur le ministre des affaires étrangères et du développement international, nous sommes heureux de vous recevoir pour une nouvelle audition fermée à la presse. Les sujets sont nombreux, d'autant que, depuis la précédente, le 1er mars dernier, votre agenda chargé a dû vous conduire à faire le tour du monde !

Commençons par les relations franco-allemandes. Le dix-huitième conseil des ministres franco-allemand s'est tenu le 7 avril dernier à Metz. Vous avez d'ailleurs remis à cette occasion le rapport sur l'intégration des sociétés française et allemande qui vous avait été commandé avant votre retour au Gouvernement. En réalité, tous les sujets d'actualité sont des sujets franco-allemands, mais l'accord avec la Turquie sur les migrations, qui comporte de nombreux volets, occupe plus particulièrement les esprits, et M. Erdoğan hausse le ton. Il rappelle ainsi à Mme Merkel qu'une libéralisation des visas avant la fin du mois de juin lui a été promise. Comment voyez-vous cela ?

Au Conseil européen du mois de juin prochain Mme Mogherini devrait enfin, après plusieurs reports, présenter la nouvelle stratégie globale de sécurité. Quelles en seront, selon vous, les orientations ?

Comment voyez-vous l'avenir du processus de Genève ? Les négociations de Genève sont interrompues – l'opposition syrienne a suspendu sa participation – et nous assistons, sur le terrain, à une escalade de la violence. La situation humanitaire est vraiment catastrophique. Quelles initiatives vous paraissent possibles ?

Le 16 avril dernier, vous étiez en Libye, avec Frank-Walter Steinmeier. Quelles sont les chances du gouvernement d'union nationale ? Le Conseil présidentiel vous paraît-il susceptible de reprendre en main la situation ?

Vous avez également convoqué une réunion préparatoire, le 30 mai, à Paris, en vue de la conférence internationale sur le conflit israélo-palestinien. Quels sont vos objectifs ?

Hier, je me suis rendue pour la deuxième fois à Kiev avec mes homologues allemands et polonais. Nous sommes dans une impasse. Tout d'abord, la situation sécuritaire et humanitaire dans le Donbass est très inquiétante, principalement du fait des séparatistes –évidemment appuyés par les Russes –, dont le moins qu'on puisse dire est qu'ils ne respectent pas toujours le cessez-le-feu. Par ailleurs, les observateurs de l'OSCE ne sont pas libres de procéder aux inspections nécessaires ni de se rendre aux endroits sensibles. Ce sont là autant de problèmes auxquels il pourrait être demandé aux Russes de remédier. Côté ukrainien, aucun progrès n'est enregistré en ce qui concerne l'adoption en deuxième lecture, par le Parlement ukrainien, de la loi constitutionnelle sur le statut spécial du Donbass. Les Accords de Minsk ne sont donc, pour l'instant, pas respectés. Un nouveau Premier ministre, proche de M. Porochenko, a été nommé, mais il ne semble pas pouvoir réunir, à court terme, la majorité qualifiée requise pour la révision constitutionnelle. Les responsables ukrainiens semblent en revanche être plus ouverts à l'élaboration d'une loi électorale pour le Donbass ; c'est un point positif. Par ailleurs, ce gouvernement semble vraiment déterminé à lutter efficacement – enfin ! – contre la corruption. La télé-déclaration des revenus et des patrimoines des élus et agents publics est en vigueur. Une réforme de la Justice est annoncée.

Quel regard portez-vous sur la situation, vous qui étiez à Moscou le 19 avril ? Comment voyez-vous le rôle de la Russie ? La position russe peut-elle évoluer ? Le président russe est-il prêt à exercer une plus forte pression sur les séparatistes pour que ceux-ci fassent les gestes attendus côté ukrainien ? Et quelle pression supplémentaire exercer sur les Ukrainiens pour qu'ils fassent eux aussi les gestes attendus ?

Le 22 avril, ce sont 175 pays qui ont signé l'Accord de Paris sur le climat. Je me réjouis personnellement que le Gouvernement ait décidé de soutenir la candidature de Laurence Tubiana à la succession de Mme Christiana Figueres au poste de secrétaire exécutive de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. Avant la suspension des travaux parlementaires, nous avions auditionné Mme Tubiana et nous avions été quelques-uns à regretter que sa candidature ne soit pas encore soutenue officiellement par le Gouvernement, mais elle l'est désormais, tant mieux. Nous espérons qu'elle pourra maintenant mener une campagne positive. Quelles sont, selon vous, ses chances ? Peut-être la question est-elle prématurée à ce stade.

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Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international

Merci, madame la présidente, de votre accueil. Je suis content de revenir devant votre commission pour un point d'étape, après plusieurs semaines d'une actualité internationale toujours riche et compliquée, parfois très préoccupante.

En ce qui concerne l'Europe, je voudrais insister sur la nécessité d'un renforcement des instruments européens et d'une reprise du contrôle effectif des frontières extérieures de l'Union européenne. De ce point de vue, nous avions tardé, tout d'abord, à prendre conscience de réelles insuffisances du contrôle des frontières extérieures et, ensuite, à exécuter les décisions prises. La mise en place d'un corps de garde-côtes devrait faire l'objet d'une décision du Conseil d'ici à la fin du mois de juin. Cela va dans le bon sens.

La Commission européenne va publier un premier rapport de suivi de la mise en oeuvre de la coopération entre l'Union européenne et la Turquie. À la suite de la conclusion de l'accord entre l'Union européenne et la Turquie, nous constatons une baisse significative des flux de la Turquie vers la Grèce. C'était indispensable, et c'était le premier objectif de cet accord, nécessaire aux yeux du Gouvernement, aussi critiqué et controversé soit-il. Sans cet accord, la Grèce serait aujourd'hui dans une situation terrible, bien plus grave sur le plan humanitaire qu'actuellement – et la situation actuelle n'est pourtant pas simple.

Le programme de relocalisation de réfugiés demandeurs d'asile de Grèce vers la France se poursuit, conformément à nos engagements, même si cela va, aux yeux de certains, un peu trop lentement. De même, dans le cadre de l'accord conclu entre l'Union européenne et la Turquie, la France prendra sa part de la réinstallation dans les États membres de l'Union européenne de réfugiés syriens en provenance de Turquie. Des initiatives importantes sont prises, par ailleurs, en matière d'aide humanitaire, par l'Europe et par la France, en faveur de la Grèce. En outre, au titre de la mise en oeuvre de l'accord entre l'UE et la Turquie, France et Allemagne ont décidé ensemble de mettre à disposition du personnel – 300 personnes chacun – et des moyens logistiques à la disposition de la Grèce.

Je reviens sur les décisions prises par le Conseil européen à propos de l'accord conclu entre l'Union européenne et la Turquie. Tout d'abord, malgré certaines critiques, nous avons veillé à ce que les principes du droit international soient précisément respectés en Grèce – cela concerne les réfugiés arrivés dans les îles grecques. La Grèce a pris les dispositions nécessaires pour permettre un examen individuel des demandes d'asile et prévoir une procédure d'appel. Par ailleurs, la France tient à rappeler que la libéralisation du régime des visas ne sera possible qu'une fois les soixante-douze critères effectivement remplis. C'est notre position et nous nous y tiendrons – quant aux autres demandes de libéralisation du régime des visas, émanant notamment de la Géorgie et de l'Ukraine, il faudra chaque fois veiller au respect des critères, dont certains sont liés à des exigences de sécurité.

Enfin, il n'y a rien de nouveau à propos de la négociation d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne, processus long par nature et dont l'issue n'est pas prédéterminée ; pour l'heure, quinze chapitres sur les trente-cinq de l'acquis communautaire sont ouverts depuis 2007.

Assurer la sécurité du territoire et des citoyens européens est une obligation, et nous devons passer à une étape beaucoup plus offensive, avec un pacte de sécurité européen. J'ai rencontré Mme Mogherini à plusieurs reprises, notamment la semaine dernière, pour une séance de travail suivie d'un point de presse et d'une intervention devant les spécialistes de l'Institut d'études de sécurité de l'Union européenne. La Haute Représentante doit présenter, en principe en juin, mais peut-être quelques semaines plus tard, une nouvelle stratégie de sécurité globale qui favorisera une approche européenne intégrée en matière de politique étrangère et de sécurité. Soyons clairs : pendant des décennies, l'Europe a vécu dans un climat de quiétude, personne n'imaginait qu'elle puisse être attaquée ou exposée au risque de guerre ; aujourd'hui, la menace est réelle, et d'une nature particulière. Il faut donc changer d'approche, nourrir une autre ambition. J'ai évoqué la protection des frontières extérieures de l'Union, mais il faut aussi une véritable stratégie globale de sécurité et de défense de l'Union européenne. Actuellement, les enjeux, pour l'Union européenne, tiennent principalement à la sécurité, il serait paradoxal qu'elle n'en tire pas toutes les conséquences en renforçant sa politique de sécurité et de défense commune. Pour ma part, j'ai fait des propositions, qui vont assez loin, peut-être plus – je ne veux pas en préjuger – que celles que la Haute Représentante fera elle-même, qui tiendront compte des différences d'approches et de moyens entre les pays. J'ai même évoqué la possibilité que les pays volontaires puissent, dans le cadre du traité sur l'Union européenne, aller ensemble plus loin en matière de sécurité.

En tout cas, la question est vraiment essentielle. Il s'agit de répondre à une interrogation fondamentale des citoyens européens sur l'Europe elle-même. S'ils n'ont plus le sentiment d'être protégés, cela met en péril leur confiance dans le projet européen. Il faudra donc être ambitieux, de même qu'en matière de sécurité intérieure. Je me réjouis d'ailleurs de l'adoption du PNR – ce fut très long, il faut maintenant en assurer la mise en oeuvre.

En ce qui concerne les négociations commerciales, l'accord avec le Canada peut être considéré comme équilibré. Il en va différemment du TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership). Matthias Fekl a fait un travail remarquable, rappelant sans cesse les positions de la France, extrêmement exigeantes, à nos partenaires mais aussi à l'opinion publique et à tous ceux – politiques, syndicats, mouvements associatifs – qui suivent de près cette négociation. Je l'ai encore répété à John Kerry, il y a quelques jours : nous n'accepterons pas un traité au rabais, qui mette en cause nos intérêts, notamment agricoles et agroalimentaires, qui soit déséquilibré et qui prévoie des conditions inacceptables de règlement des différends. À l'heure actuelle, les conditions d'un accord ne sont pas réunies. D'ailleurs, le Président de la République a eu plusieurs fois l'occasion de le rappeler. Il n'y a donc pas de raison de se fixer un calendrier arbitraire lié à la fin du mandat du Président Obama. Seule la substance compte et le Gouvernement ne cédera pas à des pressions visant à lui faire accepter un mauvais compromis.

Malheureusement, la longue liste de crises que vous avez dressée, madame la présidente, n'est pas exhaustive. Je me suis rendu à Tripoli avec Frank-Walter Steinmeier le 16 avril pour apporter un soutien public fort au gouvernement d'entente nationale de Fayez el-Sarraj, soutenu par la communauté internationale, particulièrement vigilante sur cette question libyenne. Il faut continuer à soutenir ce gouvernement légal d'entente nationale pour qu'il puisse pleinement agir.

Prochaine étape, il faut que le Parlement de Tobrouk puisse effectivement se réunir et apporter à son tour son soutien à ce gouvernement. Nous n'y sommes pas encore. Une majorité de parlementaires ont exprimé leur appui, mais il faudrait qu'ils puissent le faire formellement, pour consolider l'autorité du gouvernement, qui s'est installé à Tripoli et qui doit maintenant prendre le contrôle des différents ministères et s'y installer. La décision de réunir le Parlement appartient à son président, Aguila Salah Issa, qui multiplie les obstacles. Nous avons évidemment abordé cette question avec les pays voisins, notamment l'Égypte. Cette étape est indispensable pour donner toute sa force et sa légitimité à ce gouvernement. D'autres questions devront être traitées, comme celle de la place du général Haftar dans le dispositif. Tout cela sera de la responsabilité du gouvernement libyen qui doit pouvoir régler les problèmes du pays.

La question centrale, pour nous tous – pour la Libye, pour les pays voisins, pour l'Europe –, c'est la question sécuritaire, c'est la lutte contre Daech où beaucoup reste à faire. L'opération EUNAVFOR Sophia exerce une surveillance, et, le cas échéant, secourt les naufragés. Son mandat doit être élargi, y compris pour permettre, en Méditerranée centrale, la lutte contre les passeurs de migrants et les trafiquants d'armes, qui sont d'ailleurs souvent les mêmes personnes. Il faut donc poursuivre le travail avec nos partenaires européens. La question a été abordée au Conseil des affaires étrangères, la semaine dernière à Luxembourg, où j'ai pu mesurer qu'il restait du chemin à parcourir pour y parvenir. Peut-être faudra-t-il passer par le Conseil de sécurité, qui donnerait toute légitimité à cette nouvelle étape de l'opération. En tout cas, si rien n'est fait pour lutter contre les trafiquants d'êtres humains et les trafiquants d'armes, Daech en bénéficiera. Ne sous-estimons pas la gravité de la situation, d'autant que les routes migratoires en provenance de Libye arrivent directement en Italie, puis en France.

Je ne vous cacherai pas non plus l'inquiétude que nous inspire la situation en Syrie. Même si le prétexte est de frapper Al-Nosra, les récentes violations de la trêve autour d'Alep visent l'opposition modérée qui participe aux négociations de Genève. Il y a eu des morts et, malgré une amélioration, l'aide humanitaire est loin de parvenir là où les populations en ont vraiment besoin. La question a été abordée par les dirigeants du Quint, hier, à Hanovre. Il appartient aux Russes de faire pression sur le régime de Damas pour qu'il arrête ces actions militaires qui mettent en péril le processus de Genève.

J'ai eu, hier, un assez long entretien avec M. Hijab, le responsable de l'opposition modérée, qui a quitté Genève. Je l'ai encouragé à y revenir, personnellement, pour éviter de donner des arguments au régime qui au fond ne veut pas négocier. J'observe que, pour l'instant, toute la délégation du haut conseil de négociation n'est cependant pas partie et que la porte est toujours ouverte. Ce qu'il faut, c'est aboutir à une véritable transition politique. C'est très important et je l'ai évoqué avec le président Poutine et le ministre Lavrov lors de ma visite à Moscou.

L'objectif est de créer les conditions d'un vrai cessez-le-feu et d'un accès de l'aide humanitaire à tout le territoire. Il est aussi de préparer la mise en place d'un gouvernement de transition pour réformer la Constitution et organiser des élections libres. C'est le coeur de la négociation, la question la plus difficile. L'opposition a fait des propositions, pas le régime. Il faut poursuivre sur cette voie, en espérant ne pas revenir à la case départ, avec un abandon définitif du cessez-le-feu. Soyons conscients de la gravité de la situation.

Laurent Fabius avait annoncé une initiative en faveur de la paix au Proche-Orient, que nous sommes en train de concrétiser. Cela a nécessité énormément de contacts, d'échanges. Notre envoyé spécial, Pierre Vimont, qui est sous ma responsabilité, a fait un excellent travail pour expliquer la démarche et la méthode, en deux temps. Une première étape sera la réunion, ouverte par le Président de la République, puis présidée par moi-même, d'une vingtaine de pays à Paris le 30 mai – la date est maintenant annoncée. Sont invités les pays du Quartet, les membres permanents du Conseil de sécurité, un certain nombre de partenaires très engagés sur cette question, qui doivent être présents, comme le comité de la Ligue arabe. Il ne s'agit pas simplement de se réunir, mais de préciser la manière dont le processus de paix pourrait reprendre, sur la base de la seule solution possible, celle de deux États, Israël et la Palestine, vivant côte à côte, en paix et en sécurité, dans le respect des frontières de 1967. Nous prendrons évidemment en compte les travaux en cours, notamment ceux du Quartet, le rapport d'étape pouvant être finalisé avant le 30 mai, mais aussi les propositions de l'initiative arabe de paix. Nous ne prenons personne par surprise et agissons dans la transparence. Tout a été notamment expliqué à nos partenaires israéliens et palestiniens.

Certains doutent déjà que cela puisse marcher. Je ne saurais le prédire, mais notre responsabilité est de prendre une initiative et de ne pas nous résigner face à une spirale de la violence particulièrement inquiétante. Je mesure les contraintes, mais donnons une nouvelle chance à ce processus de paix.

À Moscou, j'ai eu un entretien intéressant et utile avec le Président Poutine, puis un long échange avec Sergueï Lavrov, mais aussi avec des représentants de la communauté française des affaires et des représentants de la société civile, avec lesquels nous avons parlé des droits de l'homme à la résidence de France.

La Russie est un partenaire de la France. Il n'est, selon nous, pas possible de considérer autrement ce grand pays, cette grande nation, qui veut jouer son rôle sur la scène internationale et dont l'aspiration a été sous-estimée après la fin de l'Union soviétique. Assumons-le et disons-le, y compris à nos interlocuteurs russes : « Vous êtes nos partenaires. » C'est ce que j'ai fait. Sur cette base, parlons-nous franchement et examinons nos points de convergence et de divergence. Nous avons donc dialogué de manière tout à fait directe sur toutes les questions, dans un meilleur climat que lorsque j'avais rencontré Vladimir Poutine, en novembre 2013, en marge du dernier séminaire intergouvernemental franco-russe que j'avais co-présidé avec Dmitri Medvedev. Mon entretien avec M. Poutine avait eu lieu un peu plus d'un mois avant la date alors prévue pour la signature de l'accord d'association entre l'Union européenne et l'Ukraine, dont la Russie s'était sentie exclue de la préparation. Un dialogue est nécessaire avec la Russie et c'est la raison pour laquelle je me suis réjoui, à Moscou, de la tenue d'une réunion du Conseil OTAN-Russie au niveau des ambassadeurs, qui était une première depuis le début de la crise ukrainienne. Cette réunion a effectivement eu lieu, dans un climat constructif, même si des désaccords ont été constatés. J'ai proposé qu'une nouvelle réunion de ce type, qui favorisera la transparence, soit organisée, si nécessaire, avant le prochain sommet de l'OTAN à Varsovie, en juillet prochain. Il faut affirmer des principes, défendre la sécurité de l'Alliance atlantique, rassurer les pays baltes et la Pologne, c'est légitime, mais en veillant à ne pas inquiéter la Russie. Évitons les attitudes agressives, mais parlons-nous franchement.

J'ai ainsi abordé très directement la question de l'Ukraine – vous-même avez pu prendre la mesure des difficultés à Kiev, madame la présidente. J'ai dit aux Russes que nous pouvions sortir de la situation dans laquelle nous nous trouvions, marquée notamment par les sanctions européennes. J'insiste cependant sur le qualificatif « européennes ». Les sanctions ont été décidées collectivement et ne peuvent être renouvelées ou levées que collectivement. Nous l'avons dit à plusieurs reprises, tant à Bruxelles que la semaine dernière à Luxembourg. Des progrès sont nécessaires, dont une part dépend des Russes, comme la fin effective des hostilités dans le Donbass, où il convient de permettre aux observateurs de l'OSCE d'accéder partout jusqu'à la frontière avec la Russie. J'ai obtenu une réponse de principe favorable. Quant aux échanges de prisonniers, qui sont également abordés dans le cadre des discussions du format dit « Normandie », j'ai évoqué le cas de Mme Savchenko. Le Président Poutine et Sergueï Lavrov m'ont dit être ouverts à un échange. Ce serait un petit geste, mais un geste concret.

Du côté ukrainien, il est important notamment que le statut du Donbass soit effectivement adopté, ce qui implique une réforme constitutionnelle et la réunion de la majorité requise à la Rada. Il conviendra de voir si la nomination d'un nouveau Premier ministre, M. Hroïsman, peut aider. Mais, les avancées ne sont pas suffisamment rapides et les Russes en prennent prétexte. L'autre élément, c'est la loi électorale. Avec Frank-Walter Steinmeier, nous tiendrons bientôt une nouvelle réunion au format Normandie, à Berlin, au début du mois de mai, qui pourrait être suivie, sous réserve que des progrès suffisants puissent être accomplis, par un sommet entre le Président Hollande, la Chancelière Merkel et MM. Poutine et Porochenko.

Thierry Mariani a déposé une proposition de résolution en faveur de la levée des sanctions, mais je vous mets en garde, mesdames et messieurs les parlementaires : pareille prise de position parlementaire unilatérale, même si elle n'engage pas l'exécutif, serait un signal de nature à nous affaiblir dans la négociation et à compliquer la position de la France dans ses discussions avec ses partenaires européens. Je suis personnellement favorable à ce que l'on s'achemine vers une levée des sanctions – et je l'ai dit aux Russes tout aussi franchement que je vous le dis aujourd'hui -, mais pour cela il faut réunir les conditions.

Avec mes interlocuteurs russes, nous avons aussi évoqué la Syrie, je l'ai dit, et le Haut-Karabagh, où la situation est préoccupante. Une trêve est intervenue le 5 avril, mais il faut reprendre des discussions de nature à favoriser une solution. Les Américains et les Russes sont disposés à ce que le Groupe de Minsk se réunisse au bon niveau, sans doute le niveau ministériel, pour examiner les conditions d'une reprise des négociations entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan. Harlem Désir est en ce moment même dans la région.

Pour la France, la signature, à New York, de l'Accord de Paris sur le climat est un succès politique et diplomatique ; tout le monde le reconnaît. Reste maintenant à le concrétiser. La France prendra sa part et le Président de la République souhaite que la France le ratifie très rapidement. Tous les pays européens risquent de ne pas avancer au même rythme. Il serait paradoxal que l'Europe traîne et peu cohérent avec le message qu'elle adresse à tous ses partenaires sur l'urgence d'une réponse au changement climatique qui est essentielle pour l'avenir de l'humanité.

J'ai bien sûr toute confiance en Mme Tubiana, ambassadrice pour le climat, que j'ai toujours soutenue. Le processus de sélection du successeur de Mme Figueres est en cours et la décision incombe au secrétaire général de l'Organisation des Nations unies, mais Mme Tubiana a la compétence et la notoriété internationale requises. Nous faisons naturellement tout notre possible pour convaincre que ce serait le bon choix.

J'ajouterai un mot sur l'aide au développement et la réforme de l'Agence française du développement et son rapprochement avec la Caisse des dépôts et consignations. Le Président de la République a tenu à ce que nous allions vite et nous nous acheminons finalement vers une convention entre AFD et CDC. Cela ne change rien à l'augmentation prévue de nos engagements financiers annuels en faveur du développement. Il s'agit d'atteindre le montant de 4 milliards d'euros d'ici à 2020, dont 2 milliards d'euros pour le climat, pour mettre en oeuvre nos engagements. L'État va donc faire en sorte que l'Agence puisse augmenter ses fonds propres et sa capacité d'intervention. La trajectoire qui avait été fixée sera donc entièrement respectée.

Naturellement, je suis à votre disposition, mesdames et messieurs les membres de la commission des affaires étrangères, pour répondre à vos questions

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Vous avez déjà abordé tous les sujets, monsieur le ministre, en y ajoutant celui de l'aide au développement, que je n'avais pas évoqué ! Nous allons évidemment continuer à travailler sur le rapprochement entre l'AFD et la Caisse des dépôts nouvelle manière.

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J'évoquerai la Libye.

Les négociations de l'ONU visaient à ce qu'il n'y ait plus qu'un seul gouvernement, et, finalement, avec celui de M. Fayez el-Sarraj, nous nous retrouvons avec trois gouvernements libyens. Sentez-vous une réelle dynamique sur le terrain ou plutôt des résistances ? Après tout, ce pays est très éclaté, organisé en tribus, privé d'État depuis longtemps, parce que, quoi qu'on dise, Kadhafi n'avait pas construit d'État : une tribu avait pris le pouvoir, et il n'y avait pas de structure étatique.

Ensuite, la réouverture de l'ambassade de France à Tripoli est-elle envisageable ? Certains échos en ce sens nous sont parvenus. J'étais moi-même à Tripoli, avec notre collègue Myard, la dernière fois que l'ambassade a sauté… J'imagine que le Quai d'Orsay prendra toutes les mesures pour assurer la sécurité de nos fonctionnaires.

Enfin, je vous interrogerai une nouvelle fois sur la présence de forces spéciales en Libye. Je l'avais déjà fait lors de votre précédente audition, je le dis sans mauvais esprit, et vous n'aviez pas répondu, sans doute parce que vous n'en aviez pas le temps ou que vous n'aviez pas retenu ma question. Depuis lors, sans vraiment confirmer cette présence, M. Jean-Yves Le Drian nous a dit en substance qu'il serait irresponsable qu'un ministre français de la défense ne cherche pas à voir de plus près ce qui se passe en Libye. C'était une forme de confirmation ; en tout cas, la présence de ces forces n'a fait l'objet d'aucun démenti. Bref, j'insiste : quelle est l'importance de ces forces spéciales ? quelle est leur mission ? J'attends moins des garanties que des éclaircissements.

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Monsieur le ministre, j'ai un petit peu de mal à croire que votre scénario selon lequel le régime des visas ne sera libéralisé en Turquie que si les soixante-douze critères sont remplis tiendra la route. Jugez-en par l'attitude fine et intelligente des Turcs qui sont en train de vous faire une négociation de bazar très compliquée. En réduisant les flux de migrants, ils prouvent que nous leur avons donné, grâce à Mme Merkel, la clé des frontières européennes. Ils prouvent également que les services turcs étaient en grande partie responsables de l'afflux de migrants. Or M. Erdoğan a pris un engagement devant les Turcs et joue beaucoup de choses en politique intérieure – notamment la réforme constitutionnelle. Si vous ne lui accordez pas la libéralisation promise, il ne marchera plus. Quel est alors votre plan B ?

En ce qui concerne la Libye, nous sommes d'accord sur le diagnostic, depuis longtemps, mais la charte des Nations unies prévoit ce qui s'appelle la légitime défense. Daech nous envoie des migrants et des terroristes par la Libye, et, depuis des mois, nous tournons un peu comme la poule devant le couteau. Nous répétons qu'il faut un gouvernement, mais ne devons-nous pas prendre nos responsabilités d'État adulte s'il n'y a pas de gouvernement et prendre les mesures nécessaires pour nous prémunir d'un afflux de migrants en direction de l'Italie et de la France ? Il faut peut-être s'agiter au niveau du Conseil de sécurité, se donner les moyens légaux d'une intervention de l'OTAN ou de l'Union européenne.

Où en est-on des clarifications américaines sur la levée des sanctions sur l'Iran ? J'ai examiné un peu le détail de la question dans le cadre d'une mission d'information menée avec Karine Berger et je peux vous dire que c'est très ambigu – pour le dire très gentiment. Les Américains ont annoncé la levée des sanctions mais, en réalité, elles sont maintenues : les chambres de compensation américaines qui doivent permettre le financement des contrats sont toujours bloquées. Cette affaire a-t-elle été évoquée à Hanovre ? Si les sanctions ne sont pas levées, si les transferts financiers ne sont pas possibles, il ne se passera rigoureusement rien et nous risquons une nouvelle inflammation dans cette région du monde.

Enfin, j'ai été quelque peu étonné que votre homologue polonais affirme il y a quelques jours que la Russie représentait, selon lui, une menace supérieure à l'État islamique. Sans doute est-ce la perception qu'en ont les pays du groupe de Visegrád et les États baltes, mais il y a là un clivage problématique, car nous considérons, pour notre part, que la première menace qui pèse sur nous est l'État islamique. Comment la France réagit-elle à cette déclaration, ainsi qu'au retour d'un certain nombre de moyens militaires américains en Europe centrale ? Il ne faudrait pas raviver des combats d'hier, alors que nous devons être prêts aux combats de demain. Allons-nous rejouer la guerre froide pour nous faire plaisir, ou la France s'y opposera-t-elle ? De même, en ce qui concerne la Turquie, laisserons-nous, sans rien dire, Mme Merkel continuer de mener les opérations ? Je suis un petit peu étonné de la discrétion de notre diplomatie sur tous ces sujets.

Quant au dossier palestinien, pardonnez-moi, mais vous le rouvrez alors qu'entre la Syrie, l'Irak et le Yémen, tous les autres, au Moyen-Orient, sont déjà grand ouverts, sans aucune solution en perspective. Vous ressortez la question palestinienne comme si elle était aujourd'hui l'alpha et l'oméga d'un Moyen-Orient en crise pour bien d'autres raisons ! Je ne comprends donc pas très bien, au-delà du fait que vous reprenez une initiative antérieure à votre nomination.

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Vous avez évoqué le TAFTA (Trans-Atlantic Free Trade Agreement) et les négociations sur les échanges commerciaux internationaux, qui sont aujourd'hui l'objet d'une importante prise de conscience de l'opinion publique, et des éléments peut-être passés sous silence auparavant ressurgissent. Se pose ainsi la question des accords de partenariat économique avec les pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique), qui prévoient une suppression des droits de douane et une libéralisation des échanges. N'y a-t-il pas là quelque risque de déséquilibre qui justifierait d'envisager différemment ces échanges ?

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Vous êtes passé très rapidement sur le Haut-Karabagh. Dans la nuit du 1er au 2 avril, l'Azerbaïdjan a lancé une attaque considérable, dramatique. Cette guerre a duré quatre jours mais… en fait, elle se poursuit. Pratiquement tous les jours, il y a des morts. La communauté internationale doit réagir vigoureusement, d'autant que des gens de Daech oeuvrent peut-être sous le couvert de l'Azerbaïdjan, et vous savez la force des liens entre la Turquie et ce pays. Nous devons agir. Le Groupe de Minsk oeuvre, certes, mais il faudrait déjà que les observateurs puissent très rapidement se rendre sur la ligne de contact – peut-être le font-ils en ce moment. Il y a déjà eu plus de 200 morts côté arménien et bien autant, sinon plus, côté azéri. Cette fois, ce sont des victimes civiles, des personnes âgées, des enfants…

Cerise sur le gâteau, l'Azerbaïdjan a tout simplement porté plainte contre moi, et j'ai été convoqué au tribunal de grande instance de Nanterre, parce qu'au mois de septembre dernier, à la suite d'événements graves, mais bien moindres que ce qui vient de se produire, j'avais déclaré dans un communiqué que ce pays se comportait comme un Etat terroriste. Je suis aujourd'hui mis en examen ! Même si je fais confiance à la justice, il est inacceptable qu'un pays étranger, d'où toute démocratie est absente, puisse porter plainte contre un parlementaire.

Dans le même ordre d'idées, Mme Marlène Mourier, maire de Bourg-les-Valence, a reçu aujourd'hui, à sa mairie, la visite d'un huissier venu lui intimer l'interdiction de nouer des relations avec la ville de Chouchi et le Haut-Karabagh car ce pays n'est pas reconnu internationalement. Comme d'autres élus, de toutes sensibilités, tels le maire de Sarcelles François Pupponi, ceux de Vienne et de Villeurbanne, comme le département de la Drôme, elle a signé une charte d'amitié.

Je suis allé onze fois au Haut-Karabagh, je connais ce pays, qui ne demande qu'à vivre libre et en paix. C'est une véritable démocratie, qui pourrait servir d'exemple à d'autres pays de la région.

Enfin, monsieur le ministre, quel sentiment vous inspire l'élection présidentielle de dimanche dernier en Autriche ?

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Monsieur le ministre, pardonnez-moi d'ajouter une crise à toutes celles que vous avez énumérées.

Mayotte, dans l'archipel des Comores, connaît une situation extrêmement difficile. La France a évidemment une responsabilité nationale, car Mayotte est un département français, mais, à mon sens, elle a surtout une responsabilité internationale, si elle veut mener une politique cohérente, tant en matière de développement qu'en ce qui concerne les migrations.

Ne devrait-on pas prendre une initiative, monsieur le ministre, madame la présidente, soit au plan gouvernemental soit au plan parlementaire, pour nouer de nouveaux contacts et mener une politique d'intervention et d'influence à l'égard de Madagascar, de l'Union des Comores et des pays africains proches – le Mozambique, le Kenya, la Tanzanie et l'Afrique du Sud ? Le moment n'est-il pas venu d'avoir une véritable politique régionale, plutôt qu'une approche locale centrée sur le seul département de Mayotte ?

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Comme mon collègue Pierre Lellouche, je suis assez surpris que les propos du ministre polonais des affaires étrangères ne suscitent pas de réaction. Certes, la levée des sanctions doit être décidée de manière solidaire avec nos partenaires européens, mais encore faut-il que cette solidarité soit réciproque. Or, sur ce dossier, j'ai l'impression que la France suit toujours certains pays européens – les États baltes, le Royaume-Uni, la Pologne – et absolument pas ses propres intérêts.

Ma première question concerne les sanctions économiques. La diplomatie économique reste, à juste titre, l'une des priorités du Gouvernement. Or, en ce qui concerne la Russie, la principale sanction, qui pénalise les entreprises françaises, c'est le défaut de réponse des banques. Victimes de leur taille, nos banques ne veulent absolument pas s'approcher de la ligne rouge et, par précaution, pour ne pas s'exposer à des sanctions comme celles qui ont frappé BNP Paribas, elles sont aux abonnés absents lorsqu'elles sont sollicitées pour de grands projets. Le problème se posera d'ailleurs dans les mêmes termes avec l'Iran. Les sanctions rendent les entreprises de ces pays radioactives – je reprends là la formule d'un responsable de chambre de commerce – et nos banques, ayant de forts intérêts aux États-Unis, refusent de s'en mêler. En revanche, les entreprises allemandes obtiennent des financements, car leurs banques, en majorité régionales, n'ont pas d'intérêts aux États-Unis. Les entreprises italiennes rencontrant quasiment le même problème, le gouvernement italien vient de créer, au niveau de la Cassa depositi e prestiti, équivalent italien de la Caisse des dépôts et consignations, un grand fonds de garantie en faveur des exportations vers ces deux pays afin de pallier la frilosité des banques. Ne pourrions-nous faire nôtre une pareille initiative ? Cela réglerait un certain nombre de problèmes rencontrés par nos entreprises.

Ma deuxième question porte sur le réseau diplomatique. Dans vingt-six pays, nous serons représentés par des postes de présence diplomatique ; la messe est dite, n'y revenons pas, mais nous pouvons au moins limiter les dégâts. Il n'y aura plus de consuls dans ces vingt-six pays, mais, comme je l'ai déjà fait observer à votre prédécesseur, les consuls peuvent parfois être remplacés par des consuls honoraires – dans ma propre circonscription, il y a des volontaires, dont je peux vous donner la liste. Le Quai d'Orsay répond qu'on ne met pas un consul honoraire où il y a un ambassadeur. J'ai cherché, en vain, en vertu de quel texte. Peut-être est-ce un usage qui pouvait se justifier jusqu'à présent parce qu'il y avait de grandes ambassades dans ces pays mais ce n'est plus le cas aujourd'hui. Prenons l'exemple très concret de la toute petite communauté française de Moldavie. Il faudra aller en Ukraine pour régler un certain nombre de problèmes ! Vous imaginez les problèmes que cela pose, avec des frontières à franchir. Et un consul honoraire devrait s'établir non à Chisinau mais dans la deuxième ville du pays… où il n'y a pas un Français ! Pourquoi donc ne pas permettre de nommer des consuls honoraires dans les capitales des pays où sont établis les postes de présence diplomatique ? Cela ne coûte rien. Par ailleurs, où les appels d'offres concernant la délivrance des documents officiels à distance en sont-ils ? C'est aussi un enjeu pour notre réseau diplomatique et consulaire. À ma connaissance, une entreprise française de premier plan qui inonde le monde de ses produits n'est plus dans la course.

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Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international

Oui, cher Jean Glavany, il y a une dynamique sur le terrain en Libye. Il n'y a maintenant plus qu'un gouvernement. Évidemment, il faut le consolider. Il prend aujourd'hui le contrôle de la banque centrale, ce qui n'est pas rien – la question financière est essentielle, en particulier dans ce pays –, et également de la compagnie nationale pétrolière. Je ne reviens pas sur la période Kadhafi, mais beaucoup de choses étaient réglées par une politique de redistribution. Son interruption a contribué au désordre. Le contrôle des ressources de l'État est donc essentiel. C'est la première étape.

La Tunisie, pour sa part, a rouvert immédiatement une ambassade, pour envoyer un signal politique. Malheureusement, les locaux actuels de l'ambassade de France ne sont pas utilisables, en l'état, surtout, parce qu'ils ne sont pas sécurisés de façon satisfaisante. Or la sécurité est cruciale. Nous avons donc évoqué, avec le Premier ministre Fayez el-Sarraj, de nouveaux locaux. Les Libyens vont nous aider et M. Steinmeier, avec qui j'ai fait ce déplacement, et moi-même envisageons la possibilité de locaux communs, pour rétablir rapidement une présence.

Je n'ai pas de commentaires à faire sur la présence de forces spéciales en Libye. Les forces spéciales dépendent du ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian. Je fais toute confiance au ministre de la défense pour vous répondre.

Monsieur Lellouche, je comprends votre point de vue, mais il faut quand même tirer les leçons du passé – cela ressort de mes discussions. Tout le monde est d'accord, il faut avant tout un gouvernement en Libye qui puisse réunir toutes les forces du pays. N'oublions pas les erreurs de 2011, avec ces frappes aériennes de l'OTAN qui n'ont été suivies d'aucune initiative politique et ont laissé place au chaos. Nous ne pouvons pas refaire la même chose.

Un problème sécuritaire se pose, mais ce pays que vous connaissez tous bien – certains d'entre vous s'y sont rendus – sera plus vigilant que jamais face au risque d'une ingérence étrangère. Je l'ai constaté lors de mes deux rencontres avec M. Fayez el-Sarraj, et lors de nos échanges téléphoniques.

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Comprenons-nous bien : je ne prétends pas qu'il faille coloniser la Libye. Je disais simplement qu'une opération maritime de protection des frontières européennes n'était pas absurde en l'absence de gouvernement libyen.

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Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international

La protection des frontières européennes, oui, mais, en l'occurrence, il s'agit de la Libye. J'ai dit très clairement qu'il me paraissait nécessaire de faire évoluer la mission européenne EUNAVFOR Sophia, avec si nécessaire une couverture par le Conseil de sécurité, mais la légitime défense, qu'est-ce que cela veut dire ? Des frappes aériennes ? Des troupes au sol ?

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Donc vous attendez un gouvernement libyen ?

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Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international

Non, je n'attends pas un gouvernement. Vous vous trompez.

Le gouvernement libyen doit demander une aide internationale. Il faut respecter sa souveraineté. Et nous n'apporterons pas d'aide sans une telle demande, qu'il est prêt à faire. Nous l'avons constaté à Luxembourg, où les vingt-huit ministres des affaires étrangères et de la défense ont eu une visioconférence avec M. Fayez el-Sarraj, qui voulait d'abord un soutien pour la formation des garde-côtes. Cela ne nous paraît pas suffisant – en tout cas, ce n'est pas suffisant pour la France. J'ai plaidé auprès de nos partenaires européens en faveur d'une évolution de l'opération Sophia pour permettre d'intercepter les navires, les passeurs et aussi les trafiquants d'armes. Cette proposition suscite des divergences au sein de l'Union européenne, mais la question reste ouverte et il est possible d'avancer, le cas échéant au moyen d'un mandat du Conseil de sécurité. Une intervention unilatérale en Libye n'est pas possible, personne ne nous suivrait, soyons-en vraiment conscients. Cela ne veut pas dire qu'on ne va rien faire, ce qui serait irresponsable. Mais, il y a la manière.

Plusieurs d'entre vous, mesdames et messieurs les députés, ont évoqué les sanctions américaines, qui pénalisent nos entreprises, en particulier les banques, notamment en Russie. Je l'ai dit très clairement à plusieurs reprises à nos alliés américains : ils doivent faire quelque chose car les banques ne prendront jamais le risque d'être condamnées à payer des milliards de dollars d'amende et cela compromet des projets industriels, des projets économiques. La réponse de John Kerry est que la question est du ressort de la justice américaine, non du gouvernement américain, mais je ne m'en contente pas. D'ailleurs, les Américains sont en train de se rendre compte qu'eux-mêmes sont dans une impasse, pas seulement économique mais aussi politique.

Nous avons constaté que les Iraniens respectaient l'accord sur le nucléaire, même s'il faut être extrêmement attentif sur certains points, notamment le volet recherche. Les essais balistiques sont inacceptables, nous l'avons fait savoir, mais ils n'entrent pas dans le champ de l'accord. De leur côté, les Iraniens s'agacent de ne pas voir les retombées économiques de la levée annoncée des sanctions. Cela devient un problème politique d'application de l'accord, et c'est ce qui est en train, je l'espère, de faire bouger les Américains.

Les déclarations du ministre polonais des affaires étrangères sont évidemment excessives. Faut-il exiger, aussitôt, pour faire bonne mesure, une condamnation par la France ? C'est un peu plus compliqué que cela. Il faut parler avec la Pologne, grand pays européen, que nous avons invitée à la réunion préparatoire du 30 mai. Certes, nous avons des désaccords avec les autorités actuelles, mais il y aussi des débats à l'intérieur même de la société polonaise. Frank-Walter Steinmeier a pris une initiative intéressante : il propose de relancer le Triangle de Weimar, quelque peu tombé en désuétude, avec une réunion, symboliquement, à Weimar, à la fin du mois d'août. J'espère avoir l'occasion, auparavant, de me rendre en Pologne, notamment pour une discussion en toute franchise. J'ai évoqué indirectement la question tout à l'heure, monsieur Lellouche, lorsque j'ai dit qu'il me paraissait important de bien préparer, en toute transparence vis-à-vis de la Russie et dialoguant avec elle, la réunion de l'OTAN à Varsovie.

Si j'en crois vos propos, monsieur Lellouche, la reprise du processus de paix au Proche-Orient serait un problème secondaire.

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Ce n'est pas ce que je voulais dire. Je pense que votre action serait plus forte sur l'affaire israélo-palestinienne si nous connaissions des avancées sur les autres fronts, qui sont sanglants. Je ne comprends pas très bien comment vous allez faire évoluer quoi que ce soit dans les conditions actuelles.

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Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international

Je ne partage pas cette hiérarchie des crises. Si l'on attend d'avoir réglé le problème syrien, le problème libyen, le problème irakien… Vous savez parfaitement, monsieur le député, que la situation se dégrade de jour en jour. Il y a encore eu cet attentat dans un bus en Israël, il y a des morts palestiniens relativement nombreux et il y a une espèce de spirale. Et puis il y a un désespoir qui s'installe, en particulier dans la jeunesse. Prenons-y garde. La propagande de Daech progresse, notamment dans la jeunesse palestinienne. Pour l'instant, Daech n'est pas présent dans les territoires palestiniens, mais attention ! Je retire de mes discussions avec les uns et les autres, au Liban, en Jordanie ou avec les Palestiniens, le sentiment que la propagande de Daech est active. On ne peut y répondre qu'en reprenant une initiative politique. C'est une porte étroite, j'en suis conscient, mais ne rien faire, ce serait se résigner et l'initiative française est plutôt bien perçue. Je ne dis pas que c'est gagné d'avance, je suis tout à fait réaliste.

Était-il possible d'éviter un accord avec la Turquie ? À nos yeux, non. Certes, cette solution est imparfaite et certaines évolutions en Turquie, notamment les insupportables atteintes à la liberté de la presse, sont tout à fait contraires aux valeurs et principes de l'Union européenne. Mais, il y a un accord, qui s'accompagne, je le rappelle, d'une aide financière non négligeable. L'Union européenne vient en aide au pays qui, avec la Jordanie et le Liban, accueille le plus de réfugiés syriens – peut-être sont-ils maintenant 2,7 millions. Il faut aussi prendre compte cette situation et donc discuter, négocier avec la Turquie. Ce n'est pas sans risque mais je pense qu'il fallait le faire et je ne peux répondre à l'avance à la question que vous posez, monsieur Lellouche. Faisons déjà en sorte que cet accord fonctionne et respectons nos engagements.

Je ne répéterai pas tout ce que j'ai dit tout à l'heure sur les négociations commerciales. Selon moi, il n'y a pas d'échanges commerciaux sans régulation. L'approche libérale peut conduire à des crises majeures et des déséquilibres fondamentaux. Telles que les choses se présentent, nous ne pouvons, aujourd'hui, conclure d'accord avec les États-Unis. Je note d'ailleurs avec beaucoup d'intérêt une prise de conscience très forte de l'opinion publique, de la société civile, en France, c'est incontestable, mais pas seulement. J'ai ainsi été très surpris de lire dans The Guardian un article reprenant tous les arguments avancés en France. De même, si 57 % des Allemands étaient, il y a quelques semaines, en faveur d'un accord, ils ne sont aujourd'hui plus que 17 %. À Hanovre, une manifestation a rassemblé 35 000 personnes ! En France, les manifestants contre le traité transatlantique sont moins nombreux. Il y a là quelque chose qui est en train de bouger et il faut revoir la manière dont est conduite cette négociation, même si nous ne sommes pas hostiles par principe à un accord – celui avec le Canada est plutôt satisfaisant.

À propos du Haut-Karabagh, j'ai parlé avec les ministres des affaires étrangères d'Arménie et d'Azerbaïdjan avec un même objectif : le cessez-le-feu. Nous étions dans une logique de guerre, avec des morts, etc., et il était indispensable que tout le monde s'y mette pour que cela s'arrête. Les Russes, les Américains ont joué leur rôle, comme nous avons joué le nôtre. Au cours de nos derniers échanges, la semaine dernière, John Kerry a proposé que nous nous réunissions très vite, dans le cadre du groupe de Minsk. En tout cas, nous n'allons pas en rester là, c'est évident.

Notre réseau consulaire continuera d'évoluer, monsieur Mariani, notamment pour mieux gérer l'argent public. C'est pourquoi il a fallu revoir la taille d'un certain nombre de postes diplomatiques. Je n'en suis pas moins pragmatique et suis prêt à examiner cette possibilité de recourir à un consul honoraire, là où il n'est pas possible de faire autrement. Quant au chantier de la dématérialisation, qui intéresse particulièrement les Français de l'étranger établis loin des postes consulaires, j'ai pu assister, en visitant les services du ministère des affaires étrangères à Nantes à une démonstration : une nouvelle valise permettra de prendre prochainement les données biométriques pour les passeports. Cela fonctionne très bien. Voilà une solution pratique qui peut être mise en oeuvre très rapidement.

Aujourd'hui, Mayotte connaît une situation dramatique, mais le sujet, complexe, ne dépend pas que du ministère des affaires étrangères. Je n'ai donc pas vraiment de solution ce soir, et ce n'est pas une négociation internationale qui réglera le problème. La diplomatie a beaucoup de vertus et le ministère des affaires étrangères a aussi des responsabilités interministérielles, mais nous sommes un peu aux limites de son champ de compétence.

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Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international

On ne m'a pas interrogé à ce propos. Parlons-en la prochaine fois, si vous le voulez bien.

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Merci, monsieur le ministre, d'avoir répondu à toutes les questions, avec précision et concision.

Information relative à la commission

Au cours de sa réunion du mardi 26 avril 2016 à 18 heures, la commission des affaires étrangères a nommé :

– M. Philippe Gomès, rapporteur, sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre la France et la Nouvelle-Zélande concernant le statut des forces en visite et la coopération en matière de défense (n° 3499)

La séance est levée à dix-neuf heures quinze.