Je suis très heureuse d'être parmi vous aujourd'hui.
La question des droits des femmes est plus que jamais essentielle, et l'accès à la décision est probablement un sujet transversal dans le monde. En effet, on assiste à deux phénomènes contradictoires. Dans un monde à construire, à inventer, on peut se demander où sont les femmes sur des sujets aussi importants que la société numérique, l'intelligence artificielle, les sociétés post-conflit, la lutte contre l'extrémisme. Ce point est très important, car ce monde nouveau doit se définir avec les femmes, ce qui n'a jamais été le cas – le monde s'est construit par et pour les hommes et les systèmes de gouvernance demeurent masculins.
Dans le même temps, on assiste à un affaiblissement du droit international et à une stagnation de la place des femmes dans les instances politiques – la place des femmes dans les parlements mondiaux se situe aux alentours de 26 % et même la Suède, en haut du classement en matière de représentation des femmes, a reculé aux deux dernières élections.
Aujourd'hui, nombreux sont ceux qui pensent que le combat pour les droits des femmes était une parenthèse de l'histoire et qu'il faut à présent mettre en oeuvre les cadres législatifs existants. Mais faut-il inventer autre chose ?
Pour ma part, je suis tout à fait favorable à l'idée d'être extrêmement proactifs sur la question des scrutins et de la composition des listes électorales. On a même pensé dans certains pays accompagner des formules très innovantes, et qui vont très loin, comme la recevabilité des listes sous réserve qu'elles soient paritaires. Mais il est vrai qu'un certain nombre de pays réfléchissent aux « mesures temporaires spéciales » envisagées dans la convention CEDAW pour éliminer les formes de discriminations à l'égard des femmes. Ainsi, l'accès des femmes, notamment dans les parlements, est essentiel.
La loi reste l'élément de base. On pourrait penser que l'ère du temps – la pression intellectuelle, la pression des médias – est suffisante. Or il n'en est rien. Dans tous les pays où l'égalité avance, c'est grâce à l'autorité de la loi. Ma proposition en 1996 de quotas de femmes à hauteur de 30 % avait été très mal accueillie, mais nous avons eu raison de nous orienter vers ce choix.
Mme Michelle Bachelet m'a dit récemment : « Si je n'avais pas été ministre de la défense, je ne serais jamais devenue présidente du Chili ». Concernant les responsabilités que j'exerce à l'ONU et à l'OTAN, je remarque que l'OTAN a souvent plus d'impact que l'ONU, preuve que des stéréotypes extraordinairement violents sont à l'oeuvre. Le pouvoir se conquiert, et nous devons faire en sorte que les femmes se sentent légitimes partout. Il est scandaleux de rester dans un schéma en deçà des droits des femmes – en deçà du « droit d'avoir des droits », selon la formule d'Hannah Arendt.
Nous, Français et Européens, avons trois devoirs.
D'abord, un devoir d'exemplarité sur l'activisme politique en faveur des droits des femmes. Dans un monde où les droits des femmes ne sont pas une priorité dans certains pays – Brunei Darussalam vient de rétablir la lapidation –, la France et l'Europe doivent être en première ligne. Ensuite, un devoir de responsabilité sur la qualité et l'efficacité de nos process, d'où mon soutien à l'égalité « réelle ». Il faut combler l'écart qui existe actuellement entre l'égalité consacrée et l'égalité réelle, ce qui exige d'être créatifs, inventifs.
Enfin, nous avons un devoir de solidarité. Alors que les droits des femmes sont le curseur des démocraties, mais également la cible des terroristes partout dans le monde, les femmes doivent se montrer de plus en plus combattantes. Nous, Européens, légiférons non seulement pour nous-mêmes, mais aussi pour le monde. Moins nous sommes concernés par les principes universels, plus nous nous affaiblissons dans notre façon de penser le monde et de nous exprimer. Comment encourager un pays à faire mieux en matière de parité politique si nos parlements stagnent à 26 % de femmes ?
En définitive, nous devons relever le défi de l'autorité, le défi de la légitimité dans le monde. Porter la voix de la France dans le monde, comme je peux le faire, reste une grande fierté, mais aussi un pouvoir. Veillons cependant à ne pas accréditer l'idée que la France et l'Europe sont très en avance, car cette avance se réduit – il n'y a pas de progrès inéluctable, ni dans la vie, ni dans le monde. Après huit années passées au Comité des droits des femmes de l'ONU, je suis convaincue que la liberté des femmes précède l'égalité hommes-femmes.
C'est ce que l'on appelle l'empowerment ou les principes d'autonomisation. C'est l'idée d'être libre dans sa tête et légitime partout, de ne pas avoir à s'excuser d'être là. C'est également la possibilité d'être ce que l'on est, ce que l'on veut, et de se sentir libéré de la pression sociale. Les stéréotypes sont une injonction sociale, or dans les écoles de ma circonscription, j'observe que l'injonction sociale résiste à la volonté politique. Je pense en cet instant à cette jeune fille de quinze ans qui s'est jetée hier sous un train parce qu'elle ne supportait pas qu'une photo d'elle circule de téléphone portable en téléphone portable, elle était probablement amoureuse et n'a pas osé dire « non ». Il faut que les filles apprennent à dire non, à être à la place qui est la leur, sans réserve, sans intimidation. Tout reste à faire d'une certaine façon, mais faute d'aller beaucoup plus loin sur ces sujets, la France risque de faire perdre espoir, non seulement aux Françaises, mais aussi aux femmes dans le monde. (Applaudissements.)