Intervention de Hervé Gaymard

Réunion du 3 mai 2016 à 16h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHervé Gaymard, co-rapporteur :

La Commission européenne a défini, dans sa communication « Vers un cadre moderne et plus européen pour le droit d'auteur » du 9 décembre 2015, ses priorités en matière de réforme des droits d'auteur.

Cette communication, qui s'inscrit dans le projet plus large d'institution d'un marché numérique unique, a orienté nos travaux, dans le sens à la fois d'une préservation des avantages inhérents au système actuel de droits d'auteur, mais aussi vers l'ouverture de débats nouveaux, qui nous paraissent tout aussi fondamentaux.

Les réflexions de la Commission Européenne, ainsi que les consultations publiques qu'elle a menées, doivent aboutir en septembre prochain à un « paquet » droit d'auteur. Vos rapporteurs ont souhaité se saisir en amont de ces questions, afin de faire le point sur le système de protection des droits tel qu'il est établi à l'heure actuelle et analyser les enjeux de sa sauvegarde dans un environnement profondément différent de celui qui présidait à l'écriture de la principale directive en la matière, dite « Société de l'information », datant de 2001.

Le programme de la Commission se distingue entre des actions à court terme et des projets de plus long terme. En premier lieu, la Commission a proposé un règlement sur la portabilité transfrontière des contenus culturels, qui permettrait aux citoyens européens d'accéder à leurs abonnements audiovisuels, de type Netflix, pour être concret, y compris lorsqu'ils ne sont pas dans leur État de résidence. Vos rapporteurs estiment que c'est une solution de bon sens, à même de faciliter la vie des personnes amenées à se déplacer souvent, pour des raisons personnelles ou professionnelles, sur le continent. Ils seront toutefois particulièrement attentifs à ce que cette portabilité soit considérée comme strictement temporaire, et que, partant, elle ne remette pas en cause le principe de territorialité.

Mais à l'automne prochain, la Commission souhaite revoir la réglementation des droits d'auteur à l'échelle européenne en adaptant la directive 2000129 qui en a défini les principales lignes. C'est un sujet polémique, surtout qu'il y a eu un rapport de notre collègue, députée européenne, Julia Reda qui avait des contours hardis et la réforme telle que proposée ne suivra pas les principales recommandations du rapport Reda. Ce dernier, dans une première version, constituait une atteinte forte au système de droit d'auteur en France Vos rapporteurs estiment toutefois que la Commission, ainsi qu'elle l'indique dans sa communication, n'a pas renoncé à des projets de long terme inscrits dans le rapport Reda, tels que l'institution d'un Code européen unique du droit d'auteur. Il conviendra donc de demeurer vigilant sur les évolutions futures du cadre réglementaire européen.

La position plus équilibrée actuelle de la Commission, que l'on doit en partie au travail du Parlement européen, la conduit toutefois à privilégier l'extension ou l'harmonisation des exceptions au droit d'auteurs dans des domaines restreints, à savoir :

– l'exception pour les personnes aveugles ou déficientes visuellement, définie dans le traité de Marrakech signé récemment ;

– l'exception, pour les organismes de recherche d'intérêt public d'appliquer les techniques de TDM (Text and Data Mining, fouille de textes et de données) aux contenus auxquels ils ont légalement accès, avec une sécurité juridique totale, à des fins de recherche scientifique ;

– l'exception pour la consultation à distance, sur des réseaux électroniques fermés, des ouvrages conservés dans les bibliothèques universitaires et de recherche et d'autres établissements analogues pour les activités de recherche et des études privées, soit l'exception pour « le livre numérique ».

La Commission souhaite également que soient clarifiés des points tels que la « liberté de panorama », comprise comme l'utilisation de photographies, séquences vidéo ou autres images d'oeuvres qui se trouvent en permanence dans des lieux publics ou les exceptions de citation dans le cadre d'enseignements à distance, tels que les MOOC.

Si cette volonté réformatrice s'appuie sur la stratégie pour un Marché Unique Numérique, définie le 6 mai 2015, destinée à aboutir à un continent connecté, vos rapporteurs ne sont pas convaincus de la nécessité de réviser la directive 200129.

Il ne s'agit pas d'un réflexe conservateur afin de préserver une corporation opposée à l'intérêt général des consommateurs. La faveur que vos rapporteurs portent au maintien de la réglementation en place, qui s'accompagnerait toutefois utilement des modifications qui vous seront présentées par ma collègue, tient à différentes raisons :

– la territorialité du financement de la création, tel qu'il existe actuellement en France, notamment dans les domaines du cinéma et audiovisuel, a permis l'émergence, le maintien et parfois la résilience de champions nationaux et européens. La production culturelle française, qui se porte actuellement très bien, doit beaucoup aux licences territoriales, qui permettent d'amortir des projets qui ne trouveraient pas nécessairement leur public à l'échelle européenne. Or, une harmonisation trop poussée des droits d'auteurs ou une portabilité dont le caractère temporaire ne serait pas assuré minerait ce principe vital ;

– la deuxième considération est la suivante : ce principe de territorialité ne contrevient pas par ailleurs à une forte circulation des oeuvres à l'échelle de l'Europe. Ce sont en effet des licences multi-territoriales, telles qu'elles existent notamment dans le domaine de la musique, qui permettent à des entreprises comme Universal ou des plateformes musicales en ligne telles que Deezer, d'assurer leur viabilité économique. La gestion collective des droits d'auteurs, telle qu'elle a récemment été valorisée dans le cadre de la directive 201426UE du 4 février 2014, est suffisamment plastique pour s'adapter aux nécessités que réclament une gestion internationale des droits d'auteurs. La SACEM, par exemple, est l'un des premiers organismes mondiaux de gestion des droits dans le cadre de licences destinées à de nombreux pays européens et qui s'étendent jusqu'au Brésil.

Vos rapporteurs ne voient donc aucune contradiction de principe entre le maintien des grands équilibres instaurés difficilement par la directive de 2001 sur la société de l'information et la nécessaire circulation des oeuvres dans les univers analogique et numérique.

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