Commission des affaires européennes

Réunion du 3 mai 2016 à 16h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mardi 3 mai 2016

Présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente de la Commission

La séance est ouverte à 16 h 30

I. Examen du rapport d'information de Mme Marietta Karamanli et M. Hervé Gaymard sur la réforme du cadre européen des droits d'auteurs

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La Commission européenne a défini, dans sa communication « Vers un cadre moderne et plus européen pour le droit d'auteur » du 9 décembre 2015, ses priorités en matière de réforme des droits d'auteur.

Cette communication, qui s'inscrit dans le projet plus large d'institution d'un marché numérique unique, a orienté nos travaux, dans le sens à la fois d'une préservation des avantages inhérents au système actuel de droits d'auteur, mais aussi vers l'ouverture de débats nouveaux, qui nous paraissent tout aussi fondamentaux.

Les réflexions de la Commission Européenne, ainsi que les consultations publiques qu'elle a menées, doivent aboutir en septembre prochain à un « paquet » droit d'auteur. Vos rapporteurs ont souhaité se saisir en amont de ces questions, afin de faire le point sur le système de protection des droits tel qu'il est établi à l'heure actuelle et analyser les enjeux de sa sauvegarde dans un environnement profondément différent de celui qui présidait à l'écriture de la principale directive en la matière, dite « Société de l'information », datant de 2001.

Le programme de la Commission se distingue entre des actions à court terme et des projets de plus long terme. En premier lieu, la Commission a proposé un règlement sur la portabilité transfrontière des contenus culturels, qui permettrait aux citoyens européens d'accéder à leurs abonnements audiovisuels, de type Netflix, pour être concret, y compris lorsqu'ils ne sont pas dans leur État de résidence. Vos rapporteurs estiment que c'est une solution de bon sens, à même de faciliter la vie des personnes amenées à se déplacer souvent, pour des raisons personnelles ou professionnelles, sur le continent. Ils seront toutefois particulièrement attentifs à ce que cette portabilité soit considérée comme strictement temporaire, et que, partant, elle ne remette pas en cause le principe de territorialité.

Mais à l'automne prochain, la Commission souhaite revoir la réglementation des droits d'auteur à l'échelle européenne en adaptant la directive 2000129 qui en a défini les principales lignes. C'est un sujet polémique, surtout qu'il y a eu un rapport de notre collègue, députée européenne, Julia Reda qui avait des contours hardis et la réforme telle que proposée ne suivra pas les principales recommandations du rapport Reda. Ce dernier, dans une première version, constituait une atteinte forte au système de droit d'auteur en France Vos rapporteurs estiment toutefois que la Commission, ainsi qu'elle l'indique dans sa communication, n'a pas renoncé à des projets de long terme inscrits dans le rapport Reda, tels que l'institution d'un Code européen unique du droit d'auteur. Il conviendra donc de demeurer vigilant sur les évolutions futures du cadre réglementaire européen.

La position plus équilibrée actuelle de la Commission, que l'on doit en partie au travail du Parlement européen, la conduit toutefois à privilégier l'extension ou l'harmonisation des exceptions au droit d'auteurs dans des domaines restreints, à savoir :

– l'exception pour les personnes aveugles ou déficientes visuellement, définie dans le traité de Marrakech signé récemment ;

– l'exception, pour les organismes de recherche d'intérêt public d'appliquer les techniques de TDM (Text and Data Mining, fouille de textes et de données) aux contenus auxquels ils ont légalement accès, avec une sécurité juridique totale, à des fins de recherche scientifique ;

– l'exception pour la consultation à distance, sur des réseaux électroniques fermés, des ouvrages conservés dans les bibliothèques universitaires et de recherche et d'autres établissements analogues pour les activités de recherche et des études privées, soit l'exception pour « le livre numérique ».

La Commission souhaite également que soient clarifiés des points tels que la « liberté de panorama », comprise comme l'utilisation de photographies, séquences vidéo ou autres images d'oeuvres qui se trouvent en permanence dans des lieux publics ou les exceptions de citation dans le cadre d'enseignements à distance, tels que les MOOC.

Si cette volonté réformatrice s'appuie sur la stratégie pour un Marché Unique Numérique, définie le 6 mai 2015, destinée à aboutir à un continent connecté, vos rapporteurs ne sont pas convaincus de la nécessité de réviser la directive 200129.

Il ne s'agit pas d'un réflexe conservateur afin de préserver une corporation opposée à l'intérêt général des consommateurs. La faveur que vos rapporteurs portent au maintien de la réglementation en place, qui s'accompagnerait toutefois utilement des modifications qui vous seront présentées par ma collègue, tient à différentes raisons :

– la territorialité du financement de la création, tel qu'il existe actuellement en France, notamment dans les domaines du cinéma et audiovisuel, a permis l'émergence, le maintien et parfois la résilience de champions nationaux et européens. La production culturelle française, qui se porte actuellement très bien, doit beaucoup aux licences territoriales, qui permettent d'amortir des projets qui ne trouveraient pas nécessairement leur public à l'échelle européenne. Or, une harmonisation trop poussée des droits d'auteurs ou une portabilité dont le caractère temporaire ne serait pas assuré minerait ce principe vital ;

– la deuxième considération est la suivante : ce principe de territorialité ne contrevient pas par ailleurs à une forte circulation des oeuvres à l'échelle de l'Europe. Ce sont en effet des licences multi-territoriales, telles qu'elles existent notamment dans le domaine de la musique, qui permettent à des entreprises comme Universal ou des plateformes musicales en ligne telles que Deezer, d'assurer leur viabilité économique. La gestion collective des droits d'auteurs, telle qu'elle a récemment été valorisée dans le cadre de la directive 201426UE du 4 février 2014, est suffisamment plastique pour s'adapter aux nécessités que réclament une gestion internationale des droits d'auteurs. La SACEM, par exemple, est l'un des premiers organismes mondiaux de gestion des droits dans le cadre de licences destinées à de nombreux pays européens et qui s'étendent jusqu'au Brésil.

Vos rapporteurs ne voient donc aucune contradiction de principe entre le maintien des grands équilibres instaurés difficilement par la directive de 2001 sur la société de l'information et la nécessaire circulation des oeuvres dans les univers analogique et numérique.

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Cette commission a pu rappeler à plusieurs reprises que, au niveau européen, on a une grande diversité en termes de variété de mode d'expression culturelle. Le continent européen a la chance de bénéficier d'une très grande variété des modes d'expression culturelle, préservée notamment par les droits protégeant les oeuvres et leurs auteurs. La protection de la création doit permettre à la fois d'assurer une juste rémunération pour les artistes et ayants droit et de contribuer à la permanence du geste créateur au fil des générations. Cette diversité a fait l'objet de protections à l'échelle internationale, en témoigne la Convention de 2005 de l'UNESCO, et européenne, puisqu'elle est insérée dans le traité de Lisbonne. Nous avons été attentifs, au sein de cette Commission, à la préservation de cette diversité, réaffirmée par la Présidente Danielle Auroi dans son rapport sur le respect de la diversité des expressions culturelles, dans le cadre des négociations naissantes entres États-Unis et Union européenne.

La flexibilité nationale en la matière est une condition sine qua non du développement d'un environnement stable pour les créateurs et propice à la création. Le système de la copie privée, par exemple, assure une rémunération importante aux artistes et producteurs, tout en permettant une grande souplesse aux usages familiaux des oeuvres. Vos rapporteurs estiment donc qu'une harmonisation trop poussée, voire un droit d'auteur européen unique, n'est pas de nature à valoriser la création et maintenir cette diversité culturelle à laquelle nous sommes attachés.

La diversité de réglementation n'est pas forcément de nature à limiter les échanges.

La Commission européenne, à la suite du rapport Reda, indique que l'encadrement juridique actuel des droits d'auteur, divers en fonction des États membres et de la manière dont ceux-ci ont mis en place les exceptions actuellement facultatives, empêcherait la circulation des oeuvres et entraverait le potentiel économique du secteur. Il n'est pourtant pas prouvé que la législation actuelle relative aux droits d'auteur soit un obstacle essentiel à l'expansion économique des acteurs culturels. Bien au contraire, les études sur lesquelles s'appuie le présent rapport tendent à confirmer le fait que la valeur ajoutée des industries culturelles, en France et en Europe, est considérable. En France, elles représentent l'équivalent de l'agriculture et des industries alimentaires. En Europe, le secteur emploie plus de 7 millions de travailleurs et la création culturelle englobe 4,2% du PIB européen.

Il n'en demeure pas moins que la question de la réforme des droits d'auteurs soulève, pour vos rapporteurs, de vrais enjeux, dont certains sont également étudiés par la Commission aujourd'hui.

La question du partage de la valeur de la création au sein de la chaîne de production culturelle est fondamentale. Au sein de la nouvelle chaîne de valeurs, qui a émergé au profit d'acteurs récents tels que les plateformes numériques, la place des auteurs, des éditeurs et de producteurs, voire des distributeurs traditionnels, est interrogée voire menacée. En accord avec les réflexions actuelles de la Commission européenne, vos rapporteurs insistent sur le fait que les auteurs d'oeuvres culturelles doivent être correctement rémunérés, notamment lors d'actes qui relèvent de la communication au public de leurs oeuvres, par le biais de liens internet.

Les débats portent actuellement sur les agrégateurs d'actualité, à savoir les sites internet ou les applications synthétisant pour leurs utilisateurs les articles de presse traitant de l'actualité, et la question de savoir si les éditeurs de presse peuvent bénéficier d'un droit voisin lorsque leurs contenus sont diffusés par ce biais. Mais vos rapporteurs appellent à une réflexion effectivement plus large, afin de savoir comment réguler les actes de communication sur l'internet. Ce point mérite d'être pris en compte par la Commission européenne, alors que la jurisprudence de la CJUE en la matière est pour l'instant très défavorable aux créateurs.

La question d'une juste rémunération des auteurs se pose aussi dans le domaine de la recherche. En l'état du modèle actuel de l'édition scientifique, il est important que les chercheurs aient un contrôle accru sur leurs publications. A ce titre, le libre-accès, dit en « voie verte », soit le dépôt des copies en archives avec un accès ouvert au public, qui est actuellement discuté dans le cadre du Projet de loi pour une République Numérique, constituerait une réduction acceptable du droit qu'exercent les éditeurs, à deux titres :

– la réduction de la durée de l'embargo est de nature à permettre aux auteurs des articles de récupérer plus rapidement leurs droits et ainsi contribuer à la recherche, par nature collaborative en facilitant la diffusion de leurs travaux, tout en conservant le modèle de rémunération des éditeurs ;

– le droit de mettre gratuitement en ligne leurs publications après un certain délai permet la réappropriation de leurs droits d'auteurs par les chercheurs, alors que ceux-ci en sont trop souvent encore privés par le modèle classique dit du « lecteur-payeur ».

C'est par ailleurs pour favoriser la recherche, et aligner la France sur les standards d'autres pays tels que le Royaume-Uni, que vos rapporteurs sont favorables à la mise en oeuvre concrète de l'exception pour la fouille de textes et de données (dite text and data mining). Là-encore, il convient de s'assurer que cette exception ne serve que les buts de la recherche, et que l'utilisation de vastes bases de données de textes ou de données ne soit pas un moyen de détourner la rémunération des auteurs. Mais, à l'instar des exceptions de parodie ou de courte citation, l'usage d'extraits restreints et le contrôle de leur utilisation permettrait de clarifier et d'encourager ce mode de recherche fructueux et nécessaire à l'heure du big data.

De la même manière, le prêt de « livres numériques » dans un circuit fermé, dans des conditions proches ou similaires à celles qui encadrent le prêt de livres physiques, doit être encouragé. L'extension de l'exception pour les prêts en bibliothèque fait partie du programme de la Commission européenne, et à juste titre. L'utilisation d'outils technologiques destinés à s'assurer que l'usage de livres numériques n'entraîne pas une distribution massive et simultanée, qui possiblement condamnerait les autres modes de diffusion comme l'édition est nécessaire. Toutefois, ces outils ne doivent pas empêcher l'accès du plus grand nombre aux nouvelles formes de diffusion de la lecture et de la connaissance

C'est d'ailleurs en suivant cette même logique que vos rapporteurs prennent en compte très positivement la mise en application prochaine du traité de Marrakech, qui s'aligne sur les exceptions déjà présentes en France pour l'usage des oeuvres culturelles par les personnes handicapées.

Enfin, s'agissant de l'exception dite de « liberté de panorama », vos rapporteurs estiment que les réflexions doivent se prolonger, alors qu'elle est actuellement débattue dans le cadre du projet de loi pour une République Numérique. Si cette exception, mise en oeuvre en Allemagne notamment, pourrait (pouvait) limiter le risque de contentieux lorsque des photographies d'oeuvres disposées dans l'espace public sont affichées sur des plateformes telles que Facebook, susceptibles d'en tirer un bénéfice commercial via la vente de données, vos rapporteurs seront attentifs à ce que la limite distinguant une utilisation commerciale d'un partage gratuit de ces photos par les utilisateurs soit garantie et explicite. Cette nouvelle exception ne peut pas conduire à priver les auteurs, le plus souvent architectes, de leurs droits par des pratiques abusives et rémunératrices.

Par ailleurs, vos rapporteurs estiment que l'ouverture d'un débat sur la révision de la directive « société de l'information » pourrait s'accompagner, s'il doit avoir lieu, d'un débat sur la directive 200031CE, dite « commerce électronique ». Les auditions de différents acteurs de la chaîne culturelle, et en particulier de producteurs, ont en effet confirmé l'idée portée par M. Sirinelli dans son rapport au CSPLA (Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique), selon laquelle la réglementation obsolète relève sans doute d'avantage du statut des hébergeurs définis par la directive de 2000 que du statut du droit d'auteurs.

L'attention de vos rapporteurs se porte sur deux points en particulier :

– tout d'abord, le statut des hébergeurs de contenu, qui ne peuvent être tenus responsables à raison des contenus hébergés de manière passive, pourrait être utilement revu. Vos rapporteurs estiment en effet que des plateformes de distribution de contenus culturels ont émergé et connaissent un modèle économique qui n'était pas envisagé lors de la rédaction de la directive. De plus, vos rapporteurs s'interrogent sur les déséquilibres induits par ce modèle économique, au détriment des auteurs, dans la nouvelle chaîne de valeur culturelle et appellent à envisager toutes les modalités pour réduire l'écart de rémunération entre ces nouveaux distributeurs et les créateurs ;

– d'autre part, vos rapporteurs estiment que la protection des droits d'auteurs n'a de sens que si le piratage et la contrefaçon, qui en sont les principales exceptions de facto, sont combattus efficacement. Pour cela, ils souhaitent, à défaut d'une révision réglementaire, la mise en place d'instruments de droit souple et soutiennent la Commission européenne dans sa démarche visant à tarir les sources de financement des acteurs qui profitent du téléchargement illégal. En particulier, les outils technologiques permettant d'associer une oeuvre à une empreinte numérique et donc de garantir son bannissement automatique des plateformes dès lors que sa mise en ligne a été considérée comme contraire aux droits d'auteurs, peuvent être encouragés, à condition que ces derniers fassent l'objet d'un usage intelligent, compatible avec des exceptions essentielles telles que les exceptions de parodie et de courte citation.

La vigilance de notre commission doit rester importante dans ces matières. L'objectif d'un continent connecté où puissent circuler librement des oeuvres artistiques et culturelles ne peut se faire au détriment de la diversité culturelle, protégée par le Traité de Lisbonne. A contrario, l'objectif que s'est fixée, à terme, la Commission, d'un droit d'auteur unifié à l'échelle européenne, est gros d'un risque d'uniformisation culturelle, qui constituerait une perte irrémédiable pour nous et pour les générations à venir, car nous le pensons, la diversité culturelle loin d'être un facteur de limitation des échanges, est porteuse aussi de développement économique

C'est pourquoi la proposition de résolution qui est soumise à votre examen s'attache à limiter les effets d'une réforme trop poussée du cadre juridique actuel des droits d'auteurs et invite à progresser vers une juste rémunération des créateurs en la conciliant avec des usages sociaux qui évoluent et continueront d'évoluer.

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Nous avons eu l'occasion avec mes collègues Sandrine Doucet et William Dumas, en commission des Affaires culturelles, d'aborder la question des droits d'auteur à de nombreuses reprises. La première occasion a été celle de la transcription de la directive européenne des droits voisins. A ce titre, il y a un retard de transcription de directive européenne assez impressionnant. Nous avons reparlé de ces sujets lors de l'examen Projet de loi relatif à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine, et notamment ses articles 4 et 6 portant sur la question de rémunération équitable, pour les artistes-interprètes.

Ma première question porte sur la redéfinition de la chaine de valeur – qui va de la création à la diffusion en incluant ceux qui interprètent l'oeuvre – fait qu'on a une complexité dans la répartition des droits. Est-on suffisamment au fait sur la redéfinition de la chaîne de valeur ? La directive est en effet très liée à la directive « commerce électronique » et c'est aussi par l'égalité face au numérique qu'il est possible d'avoir un accès équitable aux droits d'auteurs.

Ma deuxième question porte sur la « licence globale ». Vous avez rappelé que vous n'étiez pas favorable à un Code unique européen des droits d'auteur. Le système de licence globale porte néanmoins une réflexion complexe et intéressante sur la redistribution de la valeur. Quel est ici votre avis ? Ce sont les directives européennes qui permettent d'avancer en la matière.

Enfin, la volatilité de la connaissance a été pointée lors du débat sur le numérique. Je prendrais l'exemple de la plateforme européenne néerlandaise Elsevier, qui commercialise le produit des chercheurs, et donc celui du domaine public. Ce sont des articles financés par nos impôts. Pensez-vous qu'il faudrait restreindre ce système ? Votre rapport est au carrefour de différents projets législatifs, mais s'intègre pleinement dans des réflexions européennes.

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Ce rapport est très technique et très précis. Concernant la philosophie plus générale de la résolution, j'ai l'impression que les enjeux liés à la révolution numérique étaient moins présents que le reste, alors que le rapport de Julia Reda est un des coeurs du sujet.

En revanche plusieurs de vos propositions semblent aller tout à fait dans le bon sens et ouvrent même des horizons. Il en va ainsi de la prise en compte du traité de Marrakech dans la réforme des droits d'auteurs ou bien le développement de la lecture numérique en bibliothèque ou à distance. C'est donc un sujet qui mérite d'être approfondi.

Je reste très attachée au respect du droit d'auteur, et lorsqu'il a fallu en urgence défendre l'exception culturelle européenne, nous nous étions beaucoup mobilisés sur le sujet au sein de cette commission.

Il serait opportun de se saisir du projet de loi numérique et des textes européens pour observer de plus près le statut français et également examiner si de nouvelles dispositions ne permettraient pas de pallier un certain nombre d'inégalités pointées par plusieurs études.

Concernant la liberté de panorama par exemple, il parait un peu anticipé de se positionner a priori sur une position qui n'a pas encore été adoptée dans le cadre du débat sur la loi numérique, et qui peut donc encore évoluer. À propos du système actuel de copie privée, le rapport de M. Rogemont à la Commission des affaires culturelles avait pointé de nombreux dysfonctionnements.

Le fait que notre commission s'empare du sujet est une bonne chose, car c'est un sujet profondément européen. La commission des Affaires culturelles, qui s'emparera certainement de ce sujet, pourra nous apporter des précisions sur des aspects plus techniques, et finalement permettra de retravailler la question. Pour le moment je me cantonne à titre personnel et pour mon groupe à une position de sagesse.

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La Commission européenne peut-elle préciser son point de vue sur la problématique de la liberté de panorama, la question du libre accès, la préservation de la copie privée ?

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La question du numérique appliqué à la production scientifique appelle les remarques suivantes. Lorsque l'on interroge les scientifiques, des sciences dures ou des sciences humaines, un certain nombre nous répondent ainsi : « je ne suis pas forcement attaché au droit d'auteur car j'ai été payé pour ça dans le cadre de mes recherches ». C'est notamment le cas pour les chercheurs payés par l'argent public. Ils disent également : « je souhaite au maximum diffuser mon oeuvre, dans une stratégie de notoriété ». Les plus mercantiles disent « off the record » : « mon argent je le gagnerai en faisant des conférences, et pas par les modestes droits d'auteurs que je pourrais retirer », ce qui est la position de Jacques Attali, par exemple. Cependant, un certain nombre d'auteurs, aussi modestes fussent-ils, doivent compter sur leurs droits d'auteurs pour être rémunérés par leurs créations intellectuelles.

C'est un véritable sujet, puisque l'on ne retrouve pas cette question dans les autres compartiments du jeu des oeuvres de l'esprit. Dans ce domaine, il est vrai que des éditeurs scientifiques comme Elsevier ou Brill par exemple, ont acquis au fil du temps une forme de quasi-monopole de fait sur la diffusion de l'information scientifique et de la recherche. Cela n'est pas sans poser des problèmes aux auteurs, mais également aux bibliothèques. Le prix des abonnements numériques augmente. Les bibliothèques publiques -j'ai interrogés leurs gestionnaires- vous disent que les prix des abonnements ont grimpé alors qu'ils devraient être moins chers, puisque c'est du numérique. Nous avons là un véritable cas d'école, où, d'un point de vue irénique, se crée une diffusion formidable du savoir scientifique, tandis qu'en réalité il y a une partie de la rente qui est doublement captée par un diffuseur, d'abord parce que l'auteur n'a plus de droit, et ensuite parce que ces fichiers et ces revues sont achetées par des institutions publiques, payées par des contribuables, à des prix dirimants.

Je voudrais maintenant évoquer la question de la licence globale. Nous sommes conscients que c'est une question compliquée, et qu'elle ne peut pas être appliquée de la même façon dans tous les secteurs. Dans le cinéma et les séries télévisées en général, les oeuvres sont préfinancées. Il est donc relativement facile de mettre en place une licence globale, puisque les acteurs sont souvent payés une fois que le film a été préfinancé, et ne touchent plus de royalties par la suite. Cette situation spécifique diffère du domaine de l'écrit.

Dans ce domaine, les auteurs peuvent avoir un à-valoir plus ou moins élevé selon leur notoriété, mais ils jouissent également par la suite de droits d'auteur pendant 70 ans, à chaque fois qu'un livre est vendu. Il en va de même pour les ayants droits après le décès. La licence globale semble relativement facile à faire et praticable dans le domaine audiovisuel, les oeuvres diffusées étant préfinancées et « amorties » soit par le passage à la télévision soit grâce au système d'aides publiques à la création, comme c'est le cas en France avec le CNC, soit par les recettes en exploitation dans les salles, grâce aux fenêtres sur la diffusion publique des oeuvres possibles une fois leur sortie en salle. En revanche, pour le livre c'est une autre paire de manche. Je pense que c'est très compliqué, comme le montre le rapport Sirinelli.

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Les éléments évoqués tentent d'aborder les nouvelles pratiques, les nouvelles formes d'usage et je suis heureux d'entendre mon collègue Hervé Gaymard revenir sur les nouveaux modes de diffusion et de production. La question que je voudrais poser aux rapporteurs est de deux ordres.

La première relève de la rigidité du cadre juridique et des conventions internationales, que vous abordez notamment à propos des enjeux transfrontaliers, face aux évolutions de la diffusion, à l'évolution du financement et sa rapidité, ainsi que l'évolution des cadres contractuels. Aujourd'hui, des productions sont diffusées à partir du moment où elles sont financées, comme cela a déjà été évoqué. Certaines productions sont diffusées obtiennent un financement proportionnel à leur réception. Aujourd'hui, le cadre du droit d'auteur ne prend pas cela en compte. Cette évolution est liée à la nature même du marché. Qui aurait imaginé par exemple l'explosion du marché de l'impression ou de la lithographie numérotée telle qu'elle apparaît aujourd'hui, dans un marché mondial ? La licence globale est un parfait exemple de ce décalage. Un certain nombre de responsables de majors, dans le domaine de la musique, il y a quelques années, étaient vent debout contre la licence globale. Pour eux, aujourd'hui, le débat est dépassé. Ils gagnent bien plus d'argent avec la diffusion sur les plateformes en ligne que par la vente du produit lui-même. Comment abordez-vous cette distinction qui existe entre la rapidité des modes d'évolution de diffusion et de financement et la rigidité des cadres juridiques ?

Deuxièmement, les droits d'auteurs dans le domaine de la musique, et notamment de la musique électronique, illustrent ce problème. Par définition, elle est jouée sur scène, avec des disques ou des données numériques. Aujourd'hui, la Société des Auteurs, Compositeurs et Editeurs de Musique (SACEM) est inadaptée pour prendre en compte les droits d'auteurs dans ce domaine. De ce point de vue-là, des plateformes de droit d'auteurs à l'échelle mondiale émergent ex nihilo. Elles s'appuient sur du droit international, défendent et référencent les droits d'auteurs, et leur référencement est plus efficace que celui dont nous héritons.

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Avez-vous l'impression que tous les pays d'Europe ont la même volonté de lutter contre la contrefaçon ? Dans l'élaboration d'un précédent rapport nous n'avions pas eu l'impression que tous les États membres étaient sur la même ligne.

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Nous partageons plusieurs constats dans vos interventions. Nous n'avons pas toutes les réponses, car elles se construisent beaucoup plus au niveau de la Commission européenne et des autres États membres.

Toutefois, concernant la redéfinition de la chaine de valeur, nous insistons dans la résolution pour faire en sorte qu'il y ait un meilleur partage de la rémunération, avec une contribution plus forte des plateformes. Ce débat doit avancer au niveau de la Commission européenne. La question du statut des hébergeurs se pose également. Comme l'indique notre rapport, il faudrait plutôt revoir la question du statut des hébergeurs dans la directive de 200029CE plutôt que celui des droits d'auteur.

Je suis également attentive à la question des nouvelles utilisations et des nouveaux outils qui permettent l'accès à la connaissance et aux créations. Il faut assurer les droits d'auteur, mais d'un autre côté, en matière de publications scientifiques, nous contribuons en tant que contribuables mais également en tant que pouvoir public. Si nous finançons la recherche, on constate un certain blocage au niveau des éditeurs, qui peuvent décider du jour au lendemain de ne pas publier certains travaux pour de multiples raisons. Quand nous avons auditionné des éditeurs, nous avons senti que, sous la pression, ils seront amenés à s'adapter.

Cette résolution est une première étape, un premier point, en attendant le positionnement des instances européennes en septembre, ce qui nous donnera une deuxième occasion de revenir sur le sujet. Nous avons donc voulu envoyer un signal à la Commission européenne et rappeler plusieurs sujets avant que celles-ci ne communiquent définitivement sur le sujet.

Concernant la contrefaçon, je pense que tous les moyens ne sont pas mis en oeuvre pour lutter contre ce fléau. Nous appelons la Commission européenne à se saisir de ce problème et ce, par tous les moyens possibles. Quand on s'attaque au piratage, on assure mieux l'accès aux oeuvres, le droit d'auteur.

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En ce qui concerne la contrefaçon et le téléchargement illégal, je n'ai pas de vision panoramique en la matière, mais pour ce que je connais de l'Allemagne, les autorités peuvent être beaucoup plus strictes. Je pense que la situation est très hétérogène selon les pays européens.

Je souhaite revenir sur la question de la licence globale. Je pense que la situation est vraiment très différente entre la musique, les images et l'écrit. Nous ne pouvons pas globaliser les différentes situations. D'abord, ce ne sont pas les mêmes supports. Ensuite, les différentes industries culturelles ne sont pas dans la même situation. L'industrie du disque a été sinistrée par le couple « MP3 IPod », ce qui est moins le cas pour le cinéma et pour le livre. Nous ne pouvons pas raisonner pour tous les compartiments du jeu de la même manière.

En France, il y a eu un accord entre les éditeurs et les auteurs qui s'apparente à une licence globale. C'est ce qui se passe pour le site de bandes-dessinées comme Izneo, qui présente une offre légale, attractive, mais ce n'est pas un franc succès, sans qu'il y ait pour autant un problème de piratage

Ce qui est passionnant dans ces évolutions, c'est que c'est souvent contre-intuitif, les prévisions ne se vérifient souvent pas. Nous devons donc rester tous vigilants et humbles.

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Je soumets la résolution au vote. Au vu des arguments exposés, je passe de l'abstention à un vote favorable.

La Commission a adopté, à l'unanimité, la proposition de résolution ci-après :

« L'Assemblée nationale,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu l'article 167 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union européenne,

Vu la directive 200129CE du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information,

Vu la directive 2006116CE du 12 décembre 2006 relative à la durée de protection du droit d'auteur et de certains droits voisins, modifiée par la directive 201177UE du 27 septembre 2011,

Vu la directive 201228UE du 25 octobre 2012 sur certaines utilisations autorisées des oeuvres orphelines,

Vu la directive 201426UE du 26 février 2014 concernant la gestion collective du droit d'auteur et des droits voisins et l'octroi de licences multiterritoriales de droits sur des oeuvres musicales en vue de leur utilisation en ligne dans le marché intérieur,

Vu la communication de la Commission européenne du 6 mai 2015 au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions : « Stratégie pour un marché unique numérique en Europe » COM(2015) 192 final,

Vu la communication de la Commission européenne du 9 décembre 2015 au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions : « Vers un cadre moderne et plus européen pour le droit d'auteur » COM(2015) 626 final,

Considérant que l'Union européenne, en vertu de l'article 167 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, s'attache à préserver la diversité culturelle et à valoriser la création artistique et culturelle, tout en contribuant à améliorer la diffusion des oeuvres dans tous les États membres,

Considérant que la Commission européenne a annoncé un programme de réforme du cadre juridique actuel des droits d'auteur, qui consiste en une proposition de règlement sur la portabilité de l'accès aux oeuvres et une proposition de directive pour adapter les exceptions aux environnements numérique et transfrontière,

Considérant que l'objectif poursuivi par la Commission européenne, à savoir l'instauration d'un marché unique numérique, est légitime, mais ne saurait aboutir à l'uniformisation des modes de protection des droits d'auteur dans toute l'Union européenne, et doit se faire dans le cadre d'un strict respect du principe de subsidiarité,

Considérant que l'Union européenne dispose d'une compétence pour mener des actions pour appuyer, coordonner ou compléter l'action des États membres dans le domaine culturel, et que, en vertu de l'article 167 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union européenne, les actes juridiquement contraignants que la Commission propose ne doivent pas nécessiter une harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des États membres,

Considérant que le caractère actuellement facultatif des exceptions au droit d'auteur, en droit européen, confère aux États membres une souplesse suffisamment grande pour protéger les créateurs et assurer la circulation des oeuvres,

Considérant, en particulier, que le principe de territorialité, sur lequel se fonde le modèle de financement de nombreuses filières culturelles, et notamment les secteurs audiovisuels et cinématographiques, doit être préservé,

Considérant que l'émergence de plateformes actives dans le classement, le référencement et la présentation des contenus implique de redéfinir le régime de responsabilité des hébergeurs tel qu'il est défini par la directive 200031CE du 8 juin 2000,

Considérant, par ailleurs, que l'irruption de ces plateformes de distribution des contenus numériques a perturbé la chaîne de valeur culturelle traditionnelle, au détriment des auteurs et des éditeurs,

Considérant que la lutte contre le piratage et la contrefaçon doivent être une priorité pour assurer une mise en oeuvre effective des droits d'auteur et une juste rémunération pour les créateurs,

1. Prend acte de la volonté de la Commission européenne d'engager une large réforme des droits d'auteur dans le cadre de l'instauration d'un marché unique numérique ;

2. S'inquiète d'une éventuelle prolifération des exceptions obligatoires aux droits d'auteur, susceptible de restreindre le potentiel d'adaptation des États membres ;

3. Rappelle qu'elle est attachée au maintien de la durée de protection des droits d'auteur en vigueur actuellement ;

4. Demande :

- le respect du principe de territorialité des droits et, partant, une définition précise et adéquate de la durée de portabilité transfrontière des contenus culturels ;

- la valorisation des solutions contractuelles transfrontières existantes ;

- la prise en compte de la nécessité, dans le cadre de l'exception pour le livre numérique, de garantir la viabilité économique de l'édition tout en favorisant le développement de la lecture numérique en bibliothèque et à distance, sur des réseaux électroniques fermés ;

- la prise en compte de la position française en matière de « liberté de panorama » (l'utilisation de photographies, séquences vidéo ou autres images d'oeuvres qui se trouvent en permanence dans des lieux publics), telle qu'elle sera définie dans la loi pour une République Numérique ;

- l'amélioration de la libre diffusion des résultats de la recherche publique, dans le cadre d'un libre-accès en « voie verte » (dépôt des copies en archives avec un accès ouvert au public), système qui garantit les droits des chercheurs scientifiques et des organismes de recherche tout en permettant l'accessibilité des autres chercheurs aux publications ;

- l'ouverture de réflexions destinées à redéfinir le statut et les responsabilités des hébergeurs, au sein de la directive « commerce électronique » ;

- le respect du système actuel de copie privée ;

5. Souhaite la prise en compte du traité de Marrakech, signé le 30 avril 2014, dans la réforme des droits d'auteur, et donc la création d'une exception visant à faciliter l'accès des aveugles, des déficients visuels et des personnes ayant d'autres difficultés de lecture des textes imprimés aux oeuvres publiées ;

6. Souhaite aboutir à un meilleur partage de la rémunération au sein de la chaîne de valeur culturelle, par une plus grande contribution des plateformes qui tirent un profit de la distribution des contenus en ligne ;

7. Appelle la Commission européenne à employer tous les moyens à sa disposition pour lutter contre le piratage et la contrefaçon et invite à l'adoption d'une charte de bonnes pratiques pour développer l'usage d'outils technologiques intelligents, destinés à empêcher l'usurpation des droits d'auteur dans l'environnement numérique. »

II. Examen du rapport d'information de MM. Razzy Hammadi et Arnaud Richard sur la mise en oeuvre du plan Juncker

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Madame la Présidente, chers collègues, dans le cadre de la poursuite de nos travaux sur l'investissement en Europe, nous vous présentons aujourd'hui notre rapport sur la mise en oeuvre du Plan d'investissement pour l'Europe, dit « Plan Juncker ». Avec mon collègue Arnaud Richard, nous avons travaillé, depuis 2012, sur le Pacte européen pour la croissance et l'emploi. Nous avons ainsi produit deux rapports, et vous avez pu constater que la nature trans-partisane de ceux-ci n'a, à aucun moment, altéré une nécessaire lucidité et objectivité.

Avant de laisser la parole à Arnaud Richard pour présenter un premier bilan du Plan, un peu moins d'un an après l'entrée en vigueur du Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS), et avant de revenir, pour ma part, sur les perspectives et les limites qui nous semblent devoir être mentionnées, je voudrais souligner que la réalisation de ce rapport nous a conduit à revoir certaines de nos positions et appréciations sur le Plan Juncker et ses effets. Il a pu nous arriver d'avoir des mots assez durs, notamment concernant le Pacte européen pour la croissance et l'emploi et j'insiste sur ce point car, concernant le Plan Juncker, le ton sera très différent.

Vous le savez, nous avions exprimé un certain nombre de critiques et d'inquiétudes sur des points du règlement qui nous semblaient susceptibles de se révéler problématiques et nous avons été agréablement surpris de constater, lors de nos différentes auditions – avec la Banque européenne d'investissement (BEI), avec les équipes des commissaires européens en charge du dossier - , que la plupart de ces inquiétudes n'avaient aujourd'hui plus lieu d'être. Il a également été frappant de relever que le sentiment de réussite du Plan est assez unanimement partagé. Les appréciations sont positives chez les acteurs privés, chez les collectivités, les États, mais aussi bien évidemment à l'échelle de l'Union européenne.

De manière générale, le Plan Juncker est, jusqu'à présent, un succès, comme en témoignent les premiers bilans chiffrés réalisés par les différentes institutions et, tout particulièrement, pour la France. Je laisse désormais la parole à Arnaud Richard pour détailler ces éléments.

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Merci à mon collègue Razzy Hammadi, je confirme le plaisir que nous avons eu à travailler ensemble sur ces sujets. Je voudrais revenir sur le contexte dans lequel le Plan Juncker a été conçu, sur les principes qui ont présidé à sa mise en oeuvre et sur ses premières réalisations, dix mois presque jour pour jour après l'entrée en vigueur du règlement instaurant le Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS), véritable bras armé du Plan Juncker.

Le Plan d'investissement pour l'Europe a été lancé, fin 2014, par le nouveau président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, dans un contexte marqué par un sous-investissement durable et préoccupant en Europe.

En effet, la crise économique et financière a brutalement freiné la dynamique d'investissement. Pour mémoire, fin 2014, le montant total des investissements en Europe était de 15 % inférieur à celui de 2007, résultat du ralentissement de la croissance ainsi que des politiques d'assainissement budgétaire menées, notamment à partir de 2009.

En dépit de liquidités suffisantes, voire abondantes, le constat d'un sous-investissement durable en Europe, a suscité une vive réaction de la part des institutions européennes, dont l'engagement de la Commission européenne est une illustration. Consciente du risque que cette situation sous-optimale nuise à la reprise économique et mette en péril les objectifs de la stratégie Europe 2020, la nouvelle Commission a fait de la relance de l'investissement sa principale priorité et annoncé son intention et sa détermination à mobiliser « jusqu'à 300 milliards d'euros supplémentaires d'investissements publics et privés dans l'économie réelle au cours des trois prochaines années » à travers un ambitieux plan d'action se déclinant en trois volets complémentaires : la création d'un Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS) qui constitue le premier pilier du Plan, d'une plateforme européenne de conseil en investissement, véritable guichet unique en Europe, et d'un portail européen de projets, qui constituent le second pilier du Plan, et d'un plus vaste chantier de réforme de l'environnement règlementaire, qui constitue le troisième pilier.

Le FEIS, créé par le règlement du 25 juin 2015, que nous avions eu l'occasion de commenter dans notre précédent rapport, en juillet 2015, est opérationnel depuis le 4 juillet dernier et la plateforme européenne de conseil en investissement depuis septembre 2015. Le portail européen de projets, dont la mise en place était attendue pour février 2016, est encore en phase de pré-lancement mais devrait être opérationnel très prochainement. Ainsi, presque tous les outils du Plan sont désormais opérationnels, ce qui explique notamment les premiers succès de sa mise en oeuvre.

Pour mémoire, le Plan Juncker repose sur un certain nombre de principes qu'il convient de rappeler. Le FEIS est doté d'une capacité initiale de 21 milliards d'euros décomposés comme suit : seize milliards de garanties - dont huit proviennent directement du budget de l'Union européenne - et cinq milliards au titre de la contribution de la BEI au Fonds. Les États membres, comme les États tiers, peuvent contribuer au fonds, directement ou indirectement.

Le dispositif « Juncker » a vocation à financer des projets dans des secteurs prioritaires d'intérêt commun, clairement identifiés et répondant aux objectifs et aux politiques de l'Union européenne. On peut citer notamment les secteurs de la recherche & développement, de l'énergie, des infrastructures de transports ou encore de l'éducation. Cela est important compte tenu de l'origine initiale des fonds.

Le Plan répond à un principe d'additionnalité : il est supposé ne financer que des projets qui n'auraient pas pu voir le jour sans son intervention. Le Plan finance les « meilleurs projets », sans qu'il ne soit établi ni ciblage géographique ni ciblage thématique.

Le succès du Plan dépend des synergies et des partenariats qui se jouent dans sa mise en oeuvre. À cet égard, la coopération entre la BEI et le FEIS, d'une part, et entre la BEI et les banques nationales de développement, comme la Caisse des dépôts et consignations en France ou la KfW en Allemagne, d'autre part, sont particulièrement promues et nécessaires pour permettre au Plan de déployer tous ses effets.

Un peu moins d'un an après la mise en oeuvre du Plan Juncker, un bilan globalement satisfaisant, quoiqu'inégal peut d'ores et déjà être dressé. Les données disponibles au 12 avril 2016 font apparaître que la BEI a approuvé plus de 220 opérations réparties dans 25 des 28 États membres de l'Union européenne. Au total, les montants mobilisés sur les deux volets du Plan atteignent 82,1 milliards d'euros et représentent 26 % de l'objectif cible de 315 milliards d'euros. Les différents observateurs s'accordent par ailleurs pour saluer les résultats particulièrement impressionnants enregistrés s'agissant des petites et moyennes entreprises (PME) et des entreprises de taille intermédiaire (ETI). Dans chacun de vos territoires, vous devez en ressentir les effets car la capacité d'investissement donnée aux PME dans notre pays vient de la réussite, grâce à la BPI, du Plan Juncker.

La mise en oeuvre du Plan Juncker a donc été particulièrement rapide et devrait s'accélérer dans les mois à venir, quand l'ensemble des dispositifs du Plan seront opérationnels. Lors des auditions, la BEI nous a d'ailleurs indiqué que l'accélération de la mise en oeuvre du Plan constituait l'une de ses priorités pour 2016 puisqu'elle ambitionne de parvenir à 50 % des 315 milliards d'euros d'ici la fin de l'année.

Toutefois, la mise en oeuvre du Plan se caractérise aujourd'hui par son absence d'uniformité. Les pays sont inégalement concernés par le Plan Juncker : les chiffres font apparaître un peloton de tête composé de la France, de l'Italie, du Royaume-Uni et de l'Espagne. Avec 30 projets retenus dans le cadre du Plan Juncker - 11 sur le volet géré par la BEI et 19 sur le volet géré par le FEI - notre pays est le principal bénéficiaire du Plan, sur chacun de ses deux volets. Le rapport recense notamment les éléments qui ont émergé lors des auditions pour expliquer le « succès » du Plan en France. Parmi eux, on note la qualité et l'efficacité du dispositif national de soutien public à l'investissement qui expliquent également le « succès » du Plan chez nos voisins italiens et britanniques notamment.

Les secteurs bénéficient inégalement du Plan Juncker. La mise en oeuvre semble largement axée sur les projets relatifs aux énergies renouvelables et à l'efficacité énergétique. Toutefois, nous constatons que les objectifs climatiques de l'Union européenne ne sont qu'indirectement et tacitement pris en compte dans l'analyse des projets. Or, établir comme critère au soutien apporté aux projets financés dans le cadre du « Plan Juncker » leur compatibilité avec les objectifs et politiques de l'Union européenne ne suffit pas à éviter de potentielles tensions ou contradictions entre certains objectifs de court et de plus long terme. Il est ainsi possible, voire probable, que les objectifs environnementaux de l'Union européenne pâtissent, à long terme, de la priorité donnée à plus court terme, à la relance de l'investissement. En effet, la transition écologique et énergétique présente d'évidents effets à long terme mais son apport à la croissance et à l'emploi n'est pas toujours immédiatement perceptible. Nous pensons qu'il pourrait être envisagé d'introduire, de façon explicite et éventuellement contraignante, des critères relatifs au climat et à l'énergie dans l'évaluation des projets soumis au FEIS.

Voici, mes chers collègues, le bilan que nous pouvons faire de ces premiers mois de mise en oeuvre du Plan Juncker. Je laisse désormais la parole à mon collègue Razzy Hammadi pour conclure nos propos.

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Nous pouvons, pour expliquer l'efficacité du Plan Juncker, rappeler les éléments suivants. Premièrement, la BEI est la notée triple A. Deuxièmement, deux mille personnes travaillent et permettent à l'institution de réaliser quatre-vingts milliards d'euros de flux par an. Ces données sont à comparer au rapport personnels-flux financiers enregistrés par une banque commerciale traditionnelle. S'agissant de la France, c'est 2,2 milliards d'euros investis et vous vous rappelez des doutes qui avaient pu être évoqués sur les effets de levier. Les sommes qui permettront d'être mobilisées à ce jour représentent 12,9 milliards d'euros.

Les effets du Plan étaient insoupçonnés et notamment les effets psychologiques sur des banques commerciales. De grandes banques françaises interpellent les acteurs de la BEI ou de la BPI, en arguant que ce sont elles qui devraient financer certains projets alors que quelques semaines auparavant elles avaient refusé le dossier. Par ailleurs, nous pouvons évoquer la question des délais, extrêmement rapides et les exemples ne manquent pas.

Dans la mise en oeuvre du Plan Juncker, la souplesse est incontestablement le maître mot. Il permet de mobiliser une large palette d'instruments financiers, et c'est sur ce point qu'il y a une forme d'inégalité devant la réussite du Plan Juncker. Notamment des prêts garantis contre garantie, les instruments de marché de capitaux, la participation sous forme de fonds propres ou de quasi fonds propres. Il est nécessaire de rappeler qu'une des réussites en France du Plan Juncker est la BPI qui est le premier opérateur public parapublic à avoir signé une convention avec la BEI lui permettant d'être le premier filtre pour les financements de volumes inférieurs c'est-à-dire de 10 à 100 millions d'euros. Les éventuelles contributions des Etats membres au FEIS ou à des plateformes d'investissement demeurent pour le moment plus théoriques que pratiques étant donné qu'aucun État n'a pour l'heure choisi d'abonder directement le fond.

Dans la mise en oeuvre du Plan Juncker, la souplesse est incontestablement le maître mot et explique sans doute les premiers succès, si rapides, du Plan. Cette souplesse est véritablement quelque chose de formidable et représente une évolution culturelle majeure, en particulier pour la BEI.

Les éventuelles contributions des États membres au FEIS ou à des plateformes d'investissement – qui demeurent pour le moment plus théoriques que pratiques étant donné qu'aucun État n'a, pour l'heure, choisi d'abonder directement le Fonds - pourront, en principe, bénéficier des clauses exceptionnelles du Pacte de stabilité et de croissance (PSC). En effet, le 24 juin 2015, juste avant l'approbation du règlement instaurant le FEIS, la Commission européenne a mis fin au débat qui s'intensifiait sur le sujet et procédé à cette annonce de nature politique. Cette dernière n'a, pour l'heure, pas reçu de traduction juridique mais lors des auditions, les services de la Commission européenne nous ont indiqué qu'ils travaillaient à l'élaboration d'une note pour préciser les contours de cette annonce.

Le Plan Juncker permet de combiner les ressources des fonds structurels européens avec les financements du FEIS. Une brochure publiée par la Commission européenne précise les différentes modalités de combinaison envisageables - et le détail figure dans le rapport - mais il convient d'insister sur les potentialités qu'offrent ce type de combinaison. Plusieurs projets ont été mis en place ou le seront en bénéficiant de cette possibilité véritablement prometteuse. C'est notamment le cas du projet « IF TRI en Nord-Pas-de-Calais » : un fonds d'investissement, créé par le Conseil régional et la Chambre de commerce et d'industrie, ayant vocation à investir dans l'économie à faible intensité en carbone dans la région recevra, outre des financements privés et une participation du FEIS, une partie des fonds structurels européens attribués par l'Union européenne au Nord-Pas-de-Calais.

Par ailleurs, certaines des inquiétudes que nous avions notamment exprimées dans notre précédent rapport peuvent aujourd'hui être nuancées voire complètement levées. S'agissant de l'estimation de l'effet de levier (1 :15 pour mémoire), il semble que les premiers résultats confirment l'optimisme des institutions européennes. La Commission européenne comme la BEI estiment même qu'il est probable que l'effet de levier final soit supérieur à cette évaluation et l'on constate déjà que sur certains projets financés par le FEI, l'effet de levier est plus important que 1 :15.

Nous avions exprimé un certain nombre de craintes quant à la structure de gouvernance du FEIS. L'analyse du dispositif déployé nous a permis de les dissiper et il faut saluer les garanties mises en oeuvre dans le règlement en matière d'indépendance, de responsabilité et de contrôle. Les experts indépendants qui composent le comité d'investissement du FEIS, les multiples obligations de rendre des comptes devant les institutions européennes – et notamment dans le cadre d'auditions devant le Parlement européen – ou dans des rapports devant être établis sur une base régulière, sont autant d'éléments rassurants et qu'il convient de relever.

Si ces éléments sont incontestablement positifs et encourageants, d'autres restent à préciser. Des écueils sont à éviter et une réflexion sur l'après Plan Juncker est à mener dès à présent avec sérieux et ambition. Il convient de se montrer vigilants car le Plan Juncker n'est pas exempt de potentiels effets pervers. Ainsi, l'absence, revendiquée et nécessaire, de quotas géographiques ou thématiques se révèle, paradoxalement, être une source d'inquiétude. En effet, les porteurs de projets ayant, jusqu'à présent, sollicité etou obtenu le soutien du FEIS ou du FEI sont principalement originaires des « grands États membres » et certains États ne sont que peu ou pas du tout représentés alors qu'ils auraient particulièrement besoin d'en bénéficier, en particulier s'agissant de certains pays d'Europe de l'Est ou du Sud, particulièrement touchés par la crise.

C'est la raison pour laquelle nous pensons que les institutions européennes doivent désormais trouver comment faire en sorte que l'ensemble des Européens bénéficient des investissements réalisés dans le cadre du Plan Juncker sans que ceux-ci ne soient pour autant fléchés. Dans cette perspective, nous pensons qu'il pourrait être envisagé de concentrer les efforts de la plateforme européenne de conseil en investissement sur les porteurs qui en ont le plus besoin, quitte à identifier clairement les pays qui ne disposent pas de structures locales pouvant efficacement remplir ce rôle. Par ailleurs, le comité de pilotage du FEIS pourrait introduire, dans ses lignes directrices, des éléments permettant de favoriser la diversification des interventions du Fonds afin de limiter une excessive concentration géographique.

Le Plan Juncker souffre encore d'un déficit de communication auprès de ses potentiels bénéficiaires. Il nous semble important de renforcer, dans les mois à venir, la communication sur les mécanismes, les succès mais aussi sur les échecs et insuffisances du Plan, afin d'améliorer l'appropriation du Plan par tous les acteurs. Nous partageons également le point de vue du Sénat quant à la nécessité d'associer plus étroitement les collectivités locales à la mise en oeuvre du Plan, en particulier dans un contexte marqué par la rationalisation de l'investissement public.

Des réflexions doivent être menées, dès à présent, sur l'après Plan Juncker. Si le règlement instaurant le FEIS prévoit que l'avenir du Plan dépendra des résultats de l'évaluation qui sera faite, au plus tard le 5 juillet 2018, de l'application du règlement et donc des succès du Plan Juncker, il nous semble nécessaire d'adopter, en matière d'investissement, une vision ambitieuse. En effet, la principale faiblesse du Plan Juncker réside très probablement dans son caractère limité, étant donné le déficit annuel dont souffre l'Europe en matière d'investissement. Si les estimations diffèrent quant au montant (de 100 à 400 milliards d'euros par an), le diagnostic est unanimement partagé : l'Union européenne doit remédier à cette situation de sous-investissement et trouver des moyens complémentaires d'y parvenir.

La question de la pérennisation du Plan Juncker nous semble devoir être posée, notamment dans le cadre des discussions sur la révision à mi-parcours du cadre financier pluriannuel. Je pense qu'il y a là un enjeu fondamental qui est de se battre pour multiplier par deux ou trois l'effet du Plan Juncker, ainsi que son volume.

La transition énergétique, les réussites actuelles, la mobilisation des fonds structurels, la prise en compte de ces investissements et de l'apport dans la quote-part des différents pays au regard des critères du pacte de stabilité, sont des arguments qui peuvent être décisifs et pour lesquels une initiative de notre commission dans le cadre des coopérations, des collaborations que nous avons avec les autres parlementaires me semble ici pertinente et porteuse de débouchés concrets dans les semaines et mois qui viennent.

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Je vous remercie, Messieurs les Rapporteurs. Je voulais simplement faire une remarque sur ce que vous avez dit. Il faut prendre en compte le climat et le plan climat, mais il faut également que des décrets d'application plus précis de la loi transition énergétique soient pris dans notre pays.

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Votre satisfaction et votre optimisme sont partagés. Depuis ma rencontre avec le Vice-Président Katainen et le Président Juncker, je crois que c'est un plan qui répond d'abord à une situation économique qui méritait une réponse européenne. Je suis tout à fait d'accord pour dire que c'est d'une souplesse extraordinaire : il faut présenter des dossiers qui répondent aux objectifs, mais le Plan peut intervenir de façon extrêmement rapide. Je souhaiterais savoir comment il est possible de passer de vingt-et-un milliards d'euros, à trois-cent-quinze milliards euros ? C'est d'une précision incroyable. Comment expliquez-vous ce chiffre ? Enfin, la Commission est-elle consciente qu'il va falloir faire un deuxième et un troisième Plan Juncker ?

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Je vais prendre un exemple concret mais avec des chiffres fictifs : dans une laiterie de la Somme, sur les 120 000 € d'investissement, une dizaine de millions d'euros sont apportés par la collectivité territoriale qui porte le financement, la sauvegarde de l'emploi, les fonds de restructuration. L'entreprise apporte elle-même entre deux et trois millions d'euros. La Banque européenne d'investissement apporte de l'argent frais par le biais d'un prêt et, au-delà, elle apporte une garantie supplémentaire. L'investissement de la BEI va permettre de mobiliser d'autres institutions, notamment la BPI, qui va apporter de l'argent supplémentaire. Ainsi, lorsque les banques privées traditionnelles vont voir toutes ces garanties – les garanties de la BEI, financement BEI, l'approche financière de la BPI, la garantie de la collectivité territoriale et les fonds propres de l'entreprise — alors elles n'hésitent plus à apporter un financement supplémentaire.

Concernant l'effet de levier de 1 :15, le chiffre correspond à une estimation historique de l'effet de levier que connaît traditionnellement la BEI dans ses activités classiques. Quand elle investit, il s'agit de projets dans lesquels elle va investir 1 mais le volume final sera de 15. Aujourd'hui, nous constatons que nous sommes au-delà du 15 et il y a de multiples raisons à cela : il y a le phénomène de rattrapage notamment parce que nous avons été en sous-investissement, de l'argent peu cher et bien d'autres phénomènes.

Les projets bénéficiant de ces investissements sont ceux qui font face à des difficultés de financement sur le plan du financement traditionnel. Dans un projet classique, ce sont les banques du secteur privé qui fournissent un financement. Dans ces cas il n'y a pas de problème et l'action de la BEI n'est pas nécessaire. En revanche, le financement de la BEI va être indispensable dans les cas où l'investissement demandé est trop élevé lorsque les banques privées ne répondent pas favorablement et ne sont pas intéressées par le projet. La question qui se pose est celle du financement : le projet qui est finançable et celui qui ne l'est pas. C'est sur ce point qu'intervient la BEI, et notamment sur les financements des infrastructures.

Sur les projets qui sont présentés et contenus dans le rapport, il y a beaucoup d'entreprises privées notamment de PME, nous sommes donc sur des tickets de plus de dix millions d'euros. Nous ne sommes pas encore à des investissements pour des entreprises de moins de dix millions, ce qui se comprend au regard de l'ingénierie financière que nécessite un dossier de financement tel que ceux soumis à la BEI.

Pour terminer, je souhaiterais attirer votre attention sur un point. Je pense qu'au niveau national il faudrait avoir un éclairage supplémentaire pour éviter de gaspiller de l'argent dans certains domaines. Je vous donne un exemple précis. Dans certaines infrastructures de transports concernant notamment l'Ile-de-France et le Grand Paris, pour des raisons idéologiques, nous avons refusé de faire appel à des financements de ce type. Cela a suscité la nécessité de trouver des subventions, puis il y a eu des bricolages, en considérant que le prix du mètre carré du bureau, suffirait à financer des wagons. Enfin, nous avons créé des taxes afin de boucler les financements. Dans le même temps en Seine-Saint-Denis, dans mon département, nous finançons avec des contrats de partenariat public privé des établissements scolaires, notamment des collèges.

Nous serions plutôt favorables à ce que l'État prenne sa responsabilité pédagogique pour indiquer, en fonction des projets, s'il est conseillé ou pas de faire appel au Plan Juncker, et ainsi apporter son soutien aux entreprises. Certaines régions ont compris, d'autres sont plus en retard. Pour ma part, je trouve cela dommage, il s'agit de centaines de millions d'euros pour le pays que nous aurions pu, et que nous pouvons encore mobiliser. Je tiens à le rappeler, la France est aujourd'hui le champion d'Europe de la mobilisation du Plan Juncker.

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Merci pour ce rapport extrêmement intéressant sur un sujet biblique : la multiplication des euros et des parts de 1 :15. Monsieur Juncker a vu qu'il était possible de relancer l'investissement en Europe.

Je souhaiterais poser quelques questions. Je crois, tout d'abord, qu'il faut saluer l'extrême flexibilité procédurale qui a été mise en place, et qui contraste avec l'administration française mais aussi avec l'administration européenne en général. En effet, il suffit de regarder les règlements d'engagement des fonds structurels pour constater que nous avons finalement mis beaucoup de souplesse dans la mise en oeuvre et, en particulier, pour les fonds structurels qui peuvent servir de fonds propres à l'engagement du Plan Juncker.

Ce qui m'amène à être dubitatif sur le fait que certains pays de l'Est ne l'aient pas mis en oeuvre car ils ont un fonds de cohésion qui est surabondant et souvent sous-consommé et donc qui pourrait être mobilisé sur un certain nombre de travaux d'infrastructures. Je suis un peu étonné de cela, il est vrai que ces pays n'ont pas une administration aussi sophistiquée que la nôtre, bien qu'il ne faille pas toujours les considérer avec condescendance ; mais ces États membres utilisent fréquemment la BEI en guise de conseil en matière d'investissement. Cette répartition est assez surprenante, bien que flatteuse pour la France mais elle apparaît comme extrêmement injuste envers certains pays. D'où ma première interrogation.

Par ailleurs, je voudrais revenir sur la question du coût. Vous indiquiez que la BEI était souple et moins chère. La BEI, dans cette période de surabondance du crédit à des taux extrêmement faibles, ne peut pas être extrêmement moins chère que les banques commerciales. Ne peut-on pas expliquer la faiblesse du coût par le montant sophistiqué de garantie qu'offre la BEI, dans une période où les banques ne veulent pas prendre de risques ou ne peuvent plus en prendre du fait des accords de Bâle instaurés après la crise. Je pense que ce point mérite d'être développé. Après la crise, nous avons fait remarquer aux banques qu'il n'était plus possible d'investir aussi facilement et aussi légèrement que par le passé – notamment en Grèce – et le résultat, est que nous sommes en surabondance de crédit avec des taux d'intérêt historiquement très faibles voire négatifs.

Par ailleurs, je voudrais faire une remarque. Je me félicite du bon fonctionnement du Plan Juncker et que les français en aient tiré le meilleur parti. Mais ce n'est pas clair pour tout le monde. Effectivement, il est regrettable que nous ne soyons pas informés et que nos compatriotes ne sachent pas dans quel domaine le Plan Juncker a investi. Il serait souhaitable que les présidents de régions soient davantage associés pour mobiliser ces crédits sur des projets régionaux d'importance. Je déplore, une fois de plus, que tout ce qui vient de l'Europe ne soit pas clairement identifié par nos concitoyens. La mise en place d'une campagne de communication serait nécessaire. Nous avons parlé du Plan Juncker à de nombreuses reprises et il s'est évaporé dans la visibilité de nos compatriotes. Vous nous indiquez aujourd'hui que ce plan est un vrai succès. Je pense qu'il mériterait d'être valorisé.

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Si vous me le permettez Madame la Présidente, je souhaiterais répondre à Gilles Savary. Je pense qu'il ne faut pas bouder notre plaisir, le constat d'une telle réussite ne se fait pas tous les jours. Nous ne sommes pas passés du scepticisme à de la béatitude. Au début, le plan était sibyllin. Nous sommes les premiers à avoir indiqué que l'annonce du Président Juncker nous paraissait devoir être précisée.

Nous nous sommes rendus compte que les prêts, les garanties, les contre-garanties, des instruments de marché de capitaux, mais aussi des participations sous forme de fonds propres et une BEI qui n'avait plus peur d'investir, étaient un moteur extrêmement puissant. Comme nous l'avons dit, je pense qu'il faut revoir en France la façon de financer les grandes infrastructures. Les tours de tables, entre la région, l'État, les différentes collectivités pour financer les infrastructures constituent un ancien modèle bien moins innovant que celui présenté aujourd'hui.

Sur la question relative au Plan qui cela ne fonctionne pas dans certains pays, je pense que dans certains États, il manque des banques nationales de développement – la Bulgarie est en réflexion pour créer une telle structure –. En France, nous avons fait un travail remarquable et nous réfléchissons à des infrastructures financées par le secteur privé au travers de garanties, prêts, fonds propres. C'est une vraie remise en cause nécessaire de notre ancien modèle.

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Pour être très clair, nous avons demandé à nos interlocuteurs si, en l'absence de la BEI et du Plan Juncker, les 12.9 milliards auraient été pu être mobilisés en France. La réponse est non. Les presque treize milliards d'euros d'investissement commencent à avoir des conséquences macroéconomiques. Un tel investissement, quel que soit le levier, est très important pour une économie.

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Le point constamment soulevé par celles et ceux qui opèrent sur le Plan, c'est que le politique n'intervient pas dans le choix des projets. Il faut que ce soit des projets viables au sens économique et pas du point de vue des politiques.

La commission a ensuite adopté, à l'unanimité, la proposition de résolution suivante :

« L'Assemblée nationale,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu le traité sur l'Union européenne,

Vu le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne,

Vu le règlement (UE) n° 20151017 du Parlement européen et du Conseil du 25 juin 2015 sur le Fonds européen pour les investissements stratégiques, la plateforme européenne de conseil en investissement et le portail européen de projets d'investissement et modifiant les règlements (UE) n° 12912013 et (UE) n° 13162013 du 11 décembre 2013,

Vu la communication de la Commission européenne du 22 juillet 2015 intitulée « Travailler ensemble pour l'emploi et la croissance : la contribution des banques nationales de développement au plan d'investissement pour l'Europe » (COM (2015) 361 final),

Vu le document de la Commission européenne du 22 février 2016 : Les fonds structurels et d'investissement européens et le Fonds européen pour les investissements stratégiques. Complémentarités. Assurer la coordination, les synergies et la complémentarité,

Vu la résolution européenne n° 46 du Sénat du 7 décembre 2015 sur la mise en oeuvre du plan d'investissement pour l'Europe,

Considérant que la relance de l'investissement en Europe constitue un enjeu fondamental de la reprise de la croissance ainsi que la principale priorité de la Commission européenne pour les années à venir ;

Considérant que le Plan d'investissement pour l'Europe, lancé par la Commission européenne fin 2014 pour remédier au déficit d'investissement observé en Europe, repose sur trois piliers complémentaires dont les principaux sont aujourd'hui opérationnels ;

Considérant les premiers résultats encourageants -quoiqu'inégaux - de la mise en oeuvre du Plan quelques mois après l'entrée en vigueur du règlement instaurant le Fonds européen pour les investissements stratégiques ;

1. Salue les efforts déployés au cours de l'année 2015 pour la mise en oeuvre du Plan d'investissement pour l'Europe ainsi que la rapidité avec laquelle le Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS) a été instauré ; constate que la plupart des inquiétudes qui avaient pu être exprimées au lancement du Plan ont été dissipées, en particulier s'agissant de la structure de gouvernance du FEIS ;

2. Se félicite des premiers résultats encourageants enregistrés par le Fonds européen d'investissement (FEI) ainsi que par le FEIS, moins d'un an après sa mise en oeuvre ; souligne toutefois que si les montants déjà mobilisés permettent d'être raisonnablement optimistes quant à la réussite finale du Plan, les résultats encore très inégaux nécessitent de repenser certains principes qui président au déploiement du Plan, en particulier s'agissant de l'absence initiale de ciblage thématique ou géographique des projets ;

Sur la mise en oeuvre opérationnelle du Plan :

3. Regrette le retard pris par la Commission européenne pour mettre en place le portail européen de projets d'investissement et invite celle-ci à y remédier dans les meilleurs délais ;

4. Considère que les rôles respectifs de la plateforme européenne de conseil en investissement et du portail européen projets d'investissement doivent encore être précisés afin que ces deux outils fournissent assistance et visibilité aux porteurs de projets et renforcent l'effectivité du Plan ;

5. Estime que le critère d'additionnalité, qui conditionne l'éligibilité des projets au soutien du FEIS risque, à terme, de limiter le nombre de projets à financer et souligne le rôle que devrait jouer le comité de pilotage du Fonds pour déterminer, à l'avenir, quels projets et investissements stratégiques pourront être retenus dans le cadre du Plan ;

6. Accueille favorablement l'annonce par la Commission européenne de la possibilité de faire bénéficier les éventuelles contributions des États membres au FEIS des clauses exceptionnelles du Pacte de stabilité et de croissance mais souligne que ces clauses ne seront, le cas échéant, appliquées qu'aux pays concernés par le volet préventif du Pacte ;

7. Soutient la démarche partenariale promue par la Commission européenne dans la mise en oeuvre du Plan ; salue le rôle central d'intermédiaire entre les échelons européens et locaux joué par le Commissariat général à l'investissement depuis l'annonce du lancement du Plan d'investissement ; invite les États membres à coopérer efficacement et effectivement avec la BEI, directement ou par l'intermédiaire de leur banques nationales de développement ;

8. Souligne, à cet égard, la nécessité de renforcer la communication sur les modalités de coopération offertes dans le cadre du Plan d'investissement, ainsi que sur les possibilités de combiner différents fonds européens ; insiste sur les opportunités qu'offrent ces cofinancements pour les porteurs de projets et regrette qu'elles soient, à ce stade, encore largement méconnues ; invite notamment les autorités de gestion des fonds structurels à s'inspirer des exemples prometteurs déjà réalisés pour maximiser les potentialités offertes par le Plan et en augmenter l'efficacité ;

9. Insiste, à l'instar du Sénat, sur la nécessité de renforcer l'association des collectivités locales à la mise en oeuvre du Plan, en particulier dans un contexte marqué par le recul de l'investissement public ;

Sur les effets non escomptés résultant de la mise en oeuvre du Plan :

10. Rappelle que le déploiement du Plan doit pleinement prendre en compte les objectifs relatifs à la cohésion sociale et territoriale de l'Union européenne ; exprime des inquiétudes quant à certains effets pervers résultant de la mise en oeuvre du Plan et appelle notamment les institutions européennes à trouver des moyens pour limiter la tendance préoccupante déjà observée à la concentration géographique des financements accordés ;

11. Considère que certains outils pourraient opportunément être mobilisés pour procéder à un ciblage plus fin des besoins et des projets ; invite, à cet égard, le comité de pilotage du FEIS à définir des lignes directrices idoines et les institutions européennes à envisager de concentrer les efforts de la plateforme européenne de conseil en investissement sur les porteurs de projets qui en ont le plus besoin, quitte à identifier certains territoires qui ne disposent pas de structures locales pouvant efficacement remplir ce rôle ;

12. Appelle, de manière générale, à une meilleure prise en compte des objectifs climatiques de l'Union dans la mise en oeuvre du Plan d'investissement ;

Sur les perspectives :

13. Invite les États membres et la Commission européenne à lancer dès à présent une large réflexion sur l'après 2018 et à faire preuve d'une ambition constante en matière d'investissement ; considère que la question de la pérennisation du Plan et des moyens associés devrait faire l'objet de discussions et de propositions ambitieuses lors des négociations du prochain cadre financier pluriannuel. »

La séance est levée à 18 h 10