Intervention de Marietta Karamanli

Réunion du 3 mai 2016 à 16h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarietta Karamanli, co-rapporteure :

Cette commission a pu rappeler à plusieurs reprises que, au niveau européen, on a une grande diversité en termes de variété de mode d'expression culturelle. Le continent européen a la chance de bénéficier d'une très grande variété des modes d'expression culturelle, préservée notamment par les droits protégeant les oeuvres et leurs auteurs. La protection de la création doit permettre à la fois d'assurer une juste rémunération pour les artistes et ayants droit et de contribuer à la permanence du geste créateur au fil des générations. Cette diversité a fait l'objet de protections à l'échelle internationale, en témoigne la Convention de 2005 de l'UNESCO, et européenne, puisqu'elle est insérée dans le traité de Lisbonne. Nous avons été attentifs, au sein de cette Commission, à la préservation de cette diversité, réaffirmée par la Présidente Danielle Auroi dans son rapport sur le respect de la diversité des expressions culturelles, dans le cadre des négociations naissantes entres États-Unis et Union européenne.

La flexibilité nationale en la matière est une condition sine qua non du développement d'un environnement stable pour les créateurs et propice à la création. Le système de la copie privée, par exemple, assure une rémunération importante aux artistes et producteurs, tout en permettant une grande souplesse aux usages familiaux des oeuvres. Vos rapporteurs estiment donc qu'une harmonisation trop poussée, voire un droit d'auteur européen unique, n'est pas de nature à valoriser la création et maintenir cette diversité culturelle à laquelle nous sommes attachés.

La diversité de réglementation n'est pas forcément de nature à limiter les échanges.

La Commission européenne, à la suite du rapport Reda, indique que l'encadrement juridique actuel des droits d'auteur, divers en fonction des États membres et de la manière dont ceux-ci ont mis en place les exceptions actuellement facultatives, empêcherait la circulation des oeuvres et entraverait le potentiel économique du secteur. Il n'est pourtant pas prouvé que la législation actuelle relative aux droits d'auteur soit un obstacle essentiel à l'expansion économique des acteurs culturels. Bien au contraire, les études sur lesquelles s'appuie le présent rapport tendent à confirmer le fait que la valeur ajoutée des industries culturelles, en France et en Europe, est considérable. En France, elles représentent l'équivalent de l'agriculture et des industries alimentaires. En Europe, le secteur emploie plus de 7 millions de travailleurs et la création culturelle englobe 4,2% du PIB européen.

Il n'en demeure pas moins que la question de la réforme des droits d'auteurs soulève, pour vos rapporteurs, de vrais enjeux, dont certains sont également étudiés par la Commission aujourd'hui.

La question du partage de la valeur de la création au sein de la chaîne de production culturelle est fondamentale. Au sein de la nouvelle chaîne de valeurs, qui a émergé au profit d'acteurs récents tels que les plateformes numériques, la place des auteurs, des éditeurs et de producteurs, voire des distributeurs traditionnels, est interrogée voire menacée. En accord avec les réflexions actuelles de la Commission européenne, vos rapporteurs insistent sur le fait que les auteurs d'oeuvres culturelles doivent être correctement rémunérés, notamment lors d'actes qui relèvent de la communication au public de leurs oeuvres, par le biais de liens internet.

Les débats portent actuellement sur les agrégateurs d'actualité, à savoir les sites internet ou les applications synthétisant pour leurs utilisateurs les articles de presse traitant de l'actualité, et la question de savoir si les éditeurs de presse peuvent bénéficier d'un droit voisin lorsque leurs contenus sont diffusés par ce biais. Mais vos rapporteurs appellent à une réflexion effectivement plus large, afin de savoir comment réguler les actes de communication sur l'internet. Ce point mérite d'être pris en compte par la Commission européenne, alors que la jurisprudence de la CJUE en la matière est pour l'instant très défavorable aux créateurs.

La question d'une juste rémunération des auteurs se pose aussi dans le domaine de la recherche. En l'état du modèle actuel de l'édition scientifique, il est important que les chercheurs aient un contrôle accru sur leurs publications. A ce titre, le libre-accès, dit en « voie verte », soit le dépôt des copies en archives avec un accès ouvert au public, qui est actuellement discuté dans le cadre du Projet de loi pour une République Numérique, constituerait une réduction acceptable du droit qu'exercent les éditeurs, à deux titres :

– la réduction de la durée de l'embargo est de nature à permettre aux auteurs des articles de récupérer plus rapidement leurs droits et ainsi contribuer à la recherche, par nature collaborative en facilitant la diffusion de leurs travaux, tout en conservant le modèle de rémunération des éditeurs ;

– le droit de mettre gratuitement en ligne leurs publications après un certain délai permet la réappropriation de leurs droits d'auteurs par les chercheurs, alors que ceux-ci en sont trop souvent encore privés par le modèle classique dit du « lecteur-payeur ».

C'est par ailleurs pour favoriser la recherche, et aligner la France sur les standards d'autres pays tels que le Royaume-Uni, que vos rapporteurs sont favorables à la mise en oeuvre concrète de l'exception pour la fouille de textes et de données (dite text and data mining). Là-encore, il convient de s'assurer que cette exception ne serve que les buts de la recherche, et que l'utilisation de vastes bases de données de textes ou de données ne soit pas un moyen de détourner la rémunération des auteurs. Mais, à l'instar des exceptions de parodie ou de courte citation, l'usage d'extraits restreints et le contrôle de leur utilisation permettrait de clarifier et d'encourager ce mode de recherche fructueux et nécessaire à l'heure du big data.

De la même manière, le prêt de « livres numériques » dans un circuit fermé, dans des conditions proches ou similaires à celles qui encadrent le prêt de livres physiques, doit être encouragé. L'extension de l'exception pour les prêts en bibliothèque fait partie du programme de la Commission européenne, et à juste titre. L'utilisation d'outils technologiques destinés à s'assurer que l'usage de livres numériques n'entraîne pas une distribution massive et simultanée, qui possiblement condamnerait les autres modes de diffusion comme l'édition est nécessaire. Toutefois, ces outils ne doivent pas empêcher l'accès du plus grand nombre aux nouvelles formes de diffusion de la lecture et de la connaissance

C'est d'ailleurs en suivant cette même logique que vos rapporteurs prennent en compte très positivement la mise en application prochaine du traité de Marrakech, qui s'aligne sur les exceptions déjà présentes en France pour l'usage des oeuvres culturelles par les personnes handicapées.

Enfin, s'agissant de l'exception dite de « liberté de panorama », vos rapporteurs estiment que les réflexions doivent se prolonger, alors qu'elle est actuellement débattue dans le cadre du projet de loi pour une République Numérique. Si cette exception, mise en oeuvre en Allemagne notamment, pourrait (pouvait) limiter le risque de contentieux lorsque des photographies d'oeuvres disposées dans l'espace public sont affichées sur des plateformes telles que Facebook, susceptibles d'en tirer un bénéfice commercial via la vente de données, vos rapporteurs seront attentifs à ce que la limite distinguant une utilisation commerciale d'un partage gratuit de ces photos par les utilisateurs soit garantie et explicite. Cette nouvelle exception ne peut pas conduire à priver les auteurs, le plus souvent architectes, de leurs droits par des pratiques abusives et rémunératrices.

Par ailleurs, vos rapporteurs estiment que l'ouverture d'un débat sur la révision de la directive « société de l'information » pourrait s'accompagner, s'il doit avoir lieu, d'un débat sur la directive 200031CE, dite « commerce électronique ». Les auditions de différents acteurs de la chaîne culturelle, et en particulier de producteurs, ont en effet confirmé l'idée portée par M. Sirinelli dans son rapport au CSPLA (Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique), selon laquelle la réglementation obsolète relève sans doute d'avantage du statut des hébergeurs définis par la directive de 2000 que du statut du droit d'auteurs.

L'attention de vos rapporteurs se porte sur deux points en particulier :

– tout d'abord, le statut des hébergeurs de contenu, qui ne peuvent être tenus responsables à raison des contenus hébergés de manière passive, pourrait être utilement revu. Vos rapporteurs estiment en effet que des plateformes de distribution de contenus culturels ont émergé et connaissent un modèle économique qui n'était pas envisagé lors de la rédaction de la directive. De plus, vos rapporteurs s'interrogent sur les déséquilibres induits par ce modèle économique, au détriment des auteurs, dans la nouvelle chaîne de valeur culturelle et appellent à envisager toutes les modalités pour réduire l'écart de rémunération entre ces nouveaux distributeurs et les créateurs ;

– d'autre part, vos rapporteurs estiment que la protection des droits d'auteurs n'a de sens que si le piratage et la contrefaçon, qui en sont les principales exceptions de facto, sont combattus efficacement. Pour cela, ils souhaitent, à défaut d'une révision réglementaire, la mise en place d'instruments de droit souple et soutiennent la Commission européenne dans sa démarche visant à tarir les sources de financement des acteurs qui profitent du téléchargement illégal. En particulier, les outils technologiques permettant d'associer une oeuvre à une empreinte numérique et donc de garantir son bannissement automatique des plateformes dès lors que sa mise en ligne a été considérée comme contraire aux droits d'auteurs, peuvent être encouragés, à condition que ces derniers fassent l'objet d'un usage intelligent, compatible avec des exceptions essentielles telles que les exceptions de parodie et de courte citation.

La vigilance de notre commission doit rester importante dans ces matières. L'objectif d'un continent connecté où puissent circuler librement des oeuvres artistiques et culturelles ne peut se faire au détriment de la diversité culturelle, protégée par le Traité de Lisbonne. A contrario, l'objectif que s'est fixée, à terme, la Commission, d'un droit d'auteur unifié à l'échelle européenne, est gros d'un risque d'uniformisation culturelle, qui constituerait une perte irrémédiable pour nous et pour les générations à venir, car nous le pensons, la diversité culturelle loin d'être un facteur de limitation des échanges, est porteuse aussi de développement économique

C'est pourquoi la proposition de résolution qui est soumise à votre examen s'attache à limiter les effets d'une réforme trop poussée du cadre juridique actuel des droits d'auteurs et invite à progresser vers une juste rémunération des créateurs en la conciliant avec des usages sociaux qui évoluent et continueront d'évoluer.

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