Intervention de Noël Mamère

Réunion du 18 juillet 2012 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNoël Mamère, rapporteur  :

Le rapport que je vous présente porte sur la convention de Hong Kong qui vise à organiser le recyclage sûr et écologiquement rationnel des navires. La France est le premier pays à avoir signé cette convention censée mettre un terme aux conditions douloureuses, tant pour l'environnement qu'au plan économique et social, de l'activité de démantèlement des navires en fin de vie.

Vous vous souvenez sans doute de l'épisode du Clemenceau en 2003, qui avait fait beaucoup de polémiques, suivi un très long parcours le long des côtes d'Afrique de l'est pour finir en Inde où se trouve le plus grand chantier de démantèlement au monde, dans la baie d'Alang, avant de repartir vers le Royaume-Uni où subsiste aujourd'hui le seul chantier européen, sur le site d'Able-UK.

Cette affaire avait défrayé la chronique et mis en lumière la question du démantèlement des navires anciens, et même récents, ainsi que les conditions de travail sur les chantiers, qui se trouvent pour l'essentiel en Asie. Bien avant, la question avait aussi été soulevée par la catastrophe de l'Exxon Valdez en 1989, à la suite de laquelle les USA avaient imposé que les pétroliers, qui peuvent être causes de grandes catastrophes, en particulier de marées noires, soient construits avec des doubles coques. Imposée aux USA, cette disposition a ensuite été appliquée par l'Union européenne et l'on ne peut plus aujourd'hui construire de pétroliers à simple coque.

Cela étant, pour des raisons économiques, l'activité de démantèlement s'est délocalisée vers les pays asiatiques : parce que l'UE n'a pas les moyens, en termes de territoires, et que la protection de ses salariés conduit les armateurs à envoyer leurs navires au démantèlement dans des pays dans lesquels les règles sociales sont très en deçà de celles que nous connaissons au sein de l'UE. Le premier pays aujourd'hui sur ce créneau du démantèlement est l'Inde, suivie du Bengladesh, de la Chine et de la Turquie. Actuellement, plus de 1000 bateaux sont démantelés par an, soit quatre fois le chiffre qu'on avait dans les années 1980. Les ONG et l'Organisation internationale du travail, qui a collaboré à l'Organisation maritime internationale pour la rédaction de la convention de Hong Kong, estiment à quelque 2000 par an les décès pour cause d'accidents du travail, sans compter les blessés sur les chantiers de ces pays. Ce sont des conditions de travail épouvantables.

Ce n'est pas seulement pour des raisons sociales, - même si cette activité fait vivre des centaines de milliers de personnes -, mais aussi parce que le rythme des marées permet l'échouage des grands navires, de plus de 300 mètres, sur les plages. Cela pose la question de l'application de la convention de Bâle à ce secteur : un navire qui s'échoue sur une plage de Chittagong, au Bengladesh, ou d'Alang, en Inde, est-il considéré comme un navire ou comme un déchet, avec ce que cela suppose concernant le traitement des matériaux dangereux qu'il transporte, amiante, PCB, PVC, ammoniaque, hydrocarbures, eaux de ballast, etc. ? Or, aujourd'hui, si l'amiante est interdite dans les pays européens, les principaux pays de démantèlement n'appliquent pas ces normes et l'amiante n'y est donc pas interdite. Ce qui rend encore plus complexe la question des conditions environnementales, des conditions de travail et sociales du recyclage des bateaux en fin de vie. À cela s'ajoute les questions de coûts, selon lesquelles il est plus rentable pour un certain nombre d'armateurs d'envoyer leurs navires dans ces pays pour y être démantelés que d'appliquer les règlementations internationales.

La seule convention qui existait jusqu'à aujourd'hui est la convention de Bâle sur l'exportation des déchets, ce qui avait provoqué la polémique autour du Clemenceau, dont la carcasse, C 790, contenait encore 700 tonnes d'amiante à son arrivée au Royaume-Uni. La convention de Bâle était la seule à pouvoir apporter un peu de moralisation dans la question du démantèlement des bateaux. Les autres textes internationaux, OSPAR, qui interdit l'immersion des navires en fin de vie, ou encore la convention de Barcelone pour la Méditerranée et celle de Londres, n'ont pas suffi à arrêter le massacre de l'environnement et l'exploitation éhontée des travailleurs asiatiques. C'est ce qu'entend faire la convention de Hong Kong.

À leur décharge, il faut reconnaître que le Bengladesh, l'Inde ou le Pakistan, mettent d'ores et déjà en oeuvre un certain nombre des conditions posées par la convention de Hong Kong. Cela étant, dès lors qu'elle n'est pas ratifiée et donc pas encore en vigueur, il reste cependant toujours possible aux armateurs de contourner les obligations ; il leur suffit pour cela de changer de pavillon. Il faut savoir par exemple que 97 % de la flotte du Liberia est constituée de navires allemands et grecs. C'est ce qu'on appelle les pavillons de complaisance grâce auxquels on peut échapper aux lois internationales.

La convention de Hong Kong essaie précisément de mettre un terme à cette ignominie pour les travailleurs et l'environnement. Il faut savoir aussi que le prix de la ferraille est un facteur important : il est passé de 120 dollars à 1 100 dollars et permet de comprendre pourquoi il est plus rentable de démanteler que d'exploiter un navire même récent. L'Inde et le Bengladesh nourrissent leurs aciéries des métaux qu'ils récupèrent des bateaux démantelés. L'Union européenne est plutôt en pointe sur ces thématiques mais on est encore très loin de ce qu'il faudrait, à savoir notamment éliminer, avant la phase de démantèlement dans ces chantiers, tout ce qui est potentiellement dangereux pour que les coques ne le soient plus elles-mêmes pour les travailleurs et l'environnement.

La convention de Hong Kong comporte 21 articles et des annexes, qui sont inspirés de la convention de Bâle et du principe de précaution, et mettent en oeuvre un certain nombre de dispositions prises par l'OIT. Cela étant, l'article 17 de la convention donne quelques frissons. On se demande quand, concrètement, elle entrera en vigueur, lorsqu'on sait que l'article indique que ce sera 24 mois après que 15 Etats, dont les flottes marchandes représentent 40 % de la flotte mondiale et dont les propres capacités de recyclage s'élèvent à au moins 3 % de leurs flottes, l'auront ratifiée. Ces conditions laissent peu d'espoir de voir une application rapide de la convention. La France se veut exemplaire ; elle est le premier pays, avec quatre autres aujourd'hui, à l'avoir signée et sera le premier à la ratifier.

Cela étant, il ne faut pas dresser de tableau cataclysmique. Le Bengladesh, avec l'Inde, grâce à l'action de leurs Cours suprêmes respectives, ont commencé de mettre en place l'application des dispositions figurant dans la convention de Hong Kong. On reste toutefois loin de ce que l'on pourrait qualifier de situation décente.

Même si ce qui est proposé n'est qu'un pis-aller et que trop peu de pays s'apprêtent à ratifier, il me semble que, avec l'UE, notre pays ne pouvant jouer seul dans ce domaine, la France s'honorera en continuant d'être à la pointe du combat ; notre assemblée et notre Commission devraient être, avec le Parlement européen, avec le Conseil européen, à l'avant-garde sur la manière d'accélérer cette ratification. Malgré les réserves que j'ai pu exprimer, je vous propose donc d'approuver ce projet de loi.

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