Intervention de Jean-Paul Chanteguet

Séance en hémicycle du 17 mai 2016 à 15h00
Ratification de l'accord de paris — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Chanteguet, rapporteur pour avis de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire :

Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, monsieur le rapporteur, chers collègues, nous examinons aujourd’hui le projet de loi autorisant la ratification de l’accord de Paris adopté le 12 décembre 2015, afin que la France, qui a permis à la communauté internationale de s’entendre, soit le premier pays développé à s’engager et montre ainsi qu’elle est un acteur majeur, au niveau mondial, de la lutte pour le climat.

Je souhaite tout d’abord saluer cet accord, le meilleur qu’il était possible d’obtenir. Il définit notre ambition collective de maintenir l’élévation de la température moyenne de la planète au-dessous des 2 degrés Celsius par rapport aux niveaux préindustriels, avec l’objectif de limiter cette élévation à 1,5 degré. Il s’agit ensuite pour la première fois d’un accord universel, et le rythme de dépôt des instruments de ratification laisse penser que le double seuil nécessaire à son entrée en vigueur – au moins 55 pays représentant au moins 55 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre – pourrait être atteint dès 2017.

Ce succès obtenu est bien celui de la France, en particulier de ceux qui ont conduit les négociations sous la responsabilité du Président de la République : Laurent Fabius, bien sûr, vous-même, madame la ministre, et Laurence Tubiana. S’il est incontestable, ce succès diplomatique n’est cependant qu’un commencement, celui de la transition vers une autre société, décarbonée, vers une autre façon pour l’humanité d’habiter notre planète. Je souhaite donc insister devant vous sur l’urgence à agir rapidement dans quatre domaines.

En premier lieu, il faut bien prendre conscience que les résultats que nous pouvons attendre des contributions nationales sont insuffisants. La croissance des émissions qu’elles entraîneraient devrait se traduire par une hausse des températures de l’ordre de 2,7 degrés.

Aujourd’hui, le réchauffement climatique crée des conditions qui amplifient et démultiplient les catastrophes naturelles. Les rapports du GIEC, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, affirment clairement que tout retard pris sur des trajectoires dites « optimales » engendre un surcoût considérable, de telle sorte que les êtres humains risquent de ne plus avoir de prise sur un monde largement marqué par l’instabilité et la violence, qui affectent en premier lieu les régions les plus déshéritées et provoquent des exodes de population et des conflits pour l’appropriation des territoires, de l’eau et de la nourriture. Ces nouvelles inégalités viendraient s’ajouter à celles qui déstructurent déjà notre monde, dans lequel 1 % de la population possède autant que les 99 % restant. C’est la raison pour laquelle il est absolument nécessaire de revoir en profondeur les engagements de façon très anticipée et de conduire un maximum de pays à réévaluer fortement leurs contributions avant 2020, afin de revenir à un scénario soutenable.

En deuxième lieu, nous devons parvenir à fixer un prix du carbone. Il s’agit d’un outil très puissant pour lutter contre les changements climatiques et réorienter massivement les choix économiques.

Aujourd’hui, comme cela a été dit, seulement 12 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre sont couvertes par des systèmes de quotas, des taxes ou des normes d’émission. Dans mon rapport d’information sur le passage à un monde décarboné, j’avais souligné le caractère urgent de cette mesure. La résolution adoptée par l’Assemblée nationale le 25 novembre dernier nous a permis de la confirmer. Nous devons entraîner nos partenaires européens sur cette voie et articuler l’accord de Paris avec ceux qui doivent être négociés par l’OACI, l’Organisation de l’aviation civile, d’une part, et, d’autre part, l’OMI, l’Organisation maritime internationale, dans les domaines des transports aérien et maritime. Et comment, en cet instant, ne pas dénoncer les deux accords de libéralisation du commerce, le premier déjà négocié par l’Union européenne avec le Canada – le CETA, en français accord économique et commercial global –, le second toujours en négociation avec les États-Unis – le TAFTA, le Traité de libre-échange transatlantique –, qui, en totale contradiction avec la philosophie de l’accord de Paris, prévoient l’affaiblissement de la puissance publique en matière de souveraineté environnementale ?

Il faut, en troisième lieu, pérenniser et consolider la dynamique de l’agenda des solutions porté par le plan d’actions Lima-Paris. Ce programme vise à associer l’ensemble des acteurs de la société civile prenant des engagements opérationnels pour le climat. Une première série d’initiatives coopératives a été lancée lors du sommet de New York en septembre 2014 et cet élan a connu une très forte montée en puissance durant la préparation de la COP21. Cette démarche de mobilisation conjointe des acteurs étatiques et non étatiques est particulièrement judicieuse : les États seuls ne pourront pas tout et l’implication de tous est nécessaire. C’est pourquoi je souhaite voir émerger une gouvernance de ce plan qui soit pragmatique et permette d’en conserver la spécificité, car les villes, les territoires, les entreprises constituent autant d’espaces concrets où doivent s’inventer un urbanisme résilient, de nouvelles formes de l’économie – circulaire, fonctionnelle, sociale et solidaire –, ou encore une agriculture résiliente au changement climatique et favorable à la biodiversité.

Nous devons, en quatrième et dernier lieu, rappeler la nécessité d’impliquer l’ensemble des citoyens. Nous vivons avec le risque d’un emballement climatique qui menace notre planète, notre avenir et celui des générations futures. Demain, il nous faudra trouver d’autres façons de produire, de consommer, de travailler, de circuler et d’échanger. C’est dire si cette transition sera celle des citoyens, que l’on aura su convaincre de l’efficacité des mesures prises, et qui permettront le changement grâce à leur participation active, déjà à l’oeuvre dans de nombreux territoires. Les initiatives les plus robustes et les plus résilientes devront être repérées, diffusées et encouragées par une gouvernance internationale, garante de la réorientation des grands flux financiers.

En conclusion, je voudrais rappeler solennellement que la lutte contre le changement climatique s’impose non seulement pour sauver l’espèce humaine, en préservant ce qu’on appelle les biens communs au sein de l’espace géographique qu’est la planète et au sein de l’espace temporel que constitue l’ensemble des générations, mais également pour bâtir un monde plus juste et plus solidaire. Ce sont les raisons pour lesquelles je vous invite à adopter ce projet de loi.

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