Intervention de Cécile Untermaier

Séance en hémicycle du 17 mai 2016 à 21h30
Statut des magistrats et conseil supérieur de la magistrature - modernisation de la justice du xxie siècle — Présentation commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCécile Untermaier, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues rapporteurs, mes chers collègues, le projet de loi organique dont notre Assemblée est saisie – qui propose, avec le projet de loi ordinaire de modernisation de la justice du XXIe siècle, une réforme judiciaire d’ensemble – a pour objet d’adapter le statut de la magistrature aux exigences de notre temps. Il répond, en particulier, à la volonté d’une République exemplaire, clairement exprimée depuis 2012.

Cette volonté s’est déjà concrétisée dans le renforcement des garanties d’indépendance relatives à l’exercice de leurs fonctions par les magistrats, posé par la loi du 25 juillet 2013, qui interdit au ministre de la justice d’adresser aux magistrats du ministère public des instructions dans les affaires individuelles. Plus récemment, elle s’est traduite dans l’adoption conforme, par notre Assemblée, du projet de loi constitutionnelle portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature, CSM. En renforçant les garanties relatives à l’indépendance de certaines fonctions judiciaires et les obligations déontologiques des magistrats, le texte organique que nous examinons aujourd’hui constitue une nouvelle étape dans l’affirmation d’une République exemplaire. Il vise également à apporter des réponses aux contraintes budgétaires et gestionnaires auxquelles le ministère est confronté. Il propose ainsi d’ouvrir la magistrature sur la société, d’améliorer les perspectives de carrière des magistrats et d’en assouplir la gestion.

Confirmant ces orientations, la commission des lois a apporté plusieurs modifications au texte transmis par le Sénat. Souhaitant élargir les voies d’accès à la magistrature, nous avons tout d’abord étendu le recrutement sur titres à l’auditorat de justice aux juristes assistants nouvellement créés dans le cadre du plan de lutte antiterroriste. Ainsi, les docteurs en droit et les personnes titulaires d’un diplôme sanctionnant cinq années d’études supérieures dans le domaine juridique ou justifiant d’une qualification au moins équivalente pourront, à l’issue d’au moins trois années d’exercice professionnel en qualité de juriste assistant, être nommés directement auditeurs de justice.

Il s’agit d’une avancée importante. Toutefois, je considère qu’il convient de rendre cette voie d’accès plus attractive encore en réduisant la durée de scolarité, aujourd’hui de plus de deux ans et demi. En effet, ces personnes qui ont effectué en moyenne dix ans d’études universitaires en droit en ont une connaissance approfondie ; elles possèdent également une expérience professionnelle d’au moins trois années auprès de magistrats. Il faut enfin leur assurer une rémunération en rapport avec leur niveau de formation. Cette profession souffre actuellement d’un manque d’attractivité, pour diverses raisons qui ne sont pas uniquement liées à la difficulté du concours d’entrée à l’École nationale de la magistrature. Il ne faut donc pas décourager nos brillants candidats potentiels – notre jeunesse issue par le haut de l’université – de s’engager dans cette voie. Ils apporteront une diversité de culture très importante pour la qualité du jugement.

Par ailleurs, nous avons, quoiqu’encore insuffisamment, élargi et rendu plus attrayantes les conditions d’intégration temporaire de la magistrature. Afin de réduire la complexité des différents statuts en vigueur, nous avons fusionné les juges de proximité avec les magistrats exerçant à titre temporaire. Enfin, la présentation du texte gagne en lisibilité et en simplicité, et je tiens à remercier M. le ministre pour ce travail.

Nous avons renforcé les garanties d’indépendance relatives à certaines fonctions judiciaires et défini un cadre déontologique précis pour les magistrats. S’agissant tout d’abord des garanties en matière d’indépendance, nous avons rétabli la réforme du statut du juge des libertés et de la détention, qui avait été supprimée par le Sénat. Il convient en effet de conférer à ce juge le statut de juge spécialisé, avec les conséquences que cela emporte, notamment en matière de nomination et de rémunération. La nomination par décret du Président de la République, sur proposition du garde des sceaux et après avis conforme du CSM, présente l’avantage, d’une part, de prévenir tout changement d’affectation arbitraire et toute tentative d’intervention et, d’autre part, de transformer cette fonction souvent subie en une fonction choisie, puisque seuls les magistrats ayant postulé pourront se la voir attribuer.

La reconnaissance du statut de juge spécialisé emporte, en outre, une prime spécifique, qui devrait contribuer à renforcer l’attractivité de cette fonction. Ce statut répond à une exigence que nous avons rappelée à plusieurs reprises, au regard, d’une part, de l’accroissement des compétences du juge des libertés et de la détention et du raccourcissement des délais dans la prise de décision dans la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers, et d’autre part et surtout, de la réforme de la procédure pénale sur le point d’être adoptée à la suite du succès de la CMP, qui prévoit de nouvelles mesures pouvant être prises par le procureur de la République sur autorisation du juge des libertés et de la détention.

Certes, la fonction de juge des libertés et de la détention ne correspond pas à un plein-temps, notamment dans les juridictions de petite et moyenne taille, mais ce magistrat pourra se voir confier par le président du tribunal d’autres activités juridictionnelles, à l’image de ce qui se pratique pour le juge des enfants et le juge d’instruction. La vacance d’emploi sera également assurée par une plus grande souplesse dans la répartition des services. Ainsi la nomination par décret sur avis conforme du CSM permet de garantir l’indépendance du juge des libertés et de la détention, dont les attributions sont en constante extension et qui joue un rôle majeur en matière d’équilibre et de contrôle du pouvoir d’enquête.

Nous avons, enfin, sensiblement renforcé les obligations déontologiques des magistrats. Que ceux-ci n’y voient aucun signe de défiance à leur égard ! Il s’agit simplement de transposer des outils que le législateur a prévus dès 2013 pour les principaux décideurs publics – en tant que président de la commission des lois et rapporteur du texte, vous y avez eu votre part, monsieur le ministre – et, par la récente loi du 20 avril 2016, rapportée par Mme Descamps-Crosnier, pour les fonctionnaires et les membres des juridictions administratives et financières. Loin de gêner l’exercice des fonctions judiciaires, ces mesures déontologiques contribueront au contraire à restaurer la confiance de nos concitoyens dans leur système judiciaire.

C’est ainsi que notre commission des lois a créé un collège de déontologie des magistrats de l’ordre judiciaire. Cet organisme ne s’occupera que de questions individuelles et complétera donc utilement l’action du CSM, dont la compétence en matière de déontologie est limitée par la Constitution à des avis de portée générale. La commission des lois a également étendu l’obligation de déclaration d’intérêts au premier président et au procureur général de la Cour de cassation, ainsi qu’à l’ensemble des membres du CSM. Elle a aussi fait en sorte que les dispositions déontologiques applicables aux magistrats judiciaires soient les plus proches possibles de celles régissant les membres des juridictions administratives et financières. Enfin, poursuivant cette entreprise d’harmonisation et de diffusion d’une culture déontologique, la commission des lois a transposé aux membres du Conseil constitutionnel les obligations de déclaration d’intérêts et de situation patrimoniale. Il nous faut, en effet, prendre acte de la juridictionnalisation croissante de cet organe – dont témoigne encore, tout récemment, le nouveau mode de rédaction de ses décisions, qui vise à en approfondir la motivation.

Le projet de loi ordinaire comporte, en cohérence, des avancées similaires en matière de déontologie. C’est ainsi que la commission des lois a adopté des dispositions attendues s’agissant des juges consulaires. Nous débattrons en séance de l’opportunité de telles mesures s’agissant des conseils de prud’hommes ; là encore non par défiance, mais parce qu’au regard de l’acte de juger, un acte qui fait grief, il importe de garantir le justiciable de tout conflit d’intérêts dans le prononcé du jugement. Ces déclarations d’intérêts et de patrimoine comme ces collèges de déontologie ne sont que des outils au service de l’institution juridictionnelle et de ses acteurs, pour développer à la fois la pédagogie et la réflexion partagée sur une éthique dans le travail, affichée et attendue des citoyens.

Pour conclure, monsieur le ministre, je vous remercie à mon tour de l’excellent travail que nous avons mené avec votre cabinet et avec vous-même. Mes chers collègues, je vous invite à suivre notre commission des lois en adoptant ce projet de loi organique qui apporte de nombreuses avancées tant pour les magistrats que pour les justiciables.

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