La séance est ouverte.
La séance est ouverte à vingt et une heures trente.
L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi organique, adopté par le Sénat, relatif aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu’au Conseil supérieur de la magistrature (nos 3200, 3716) et du projet de loi, adopté par le Sénat, de modernisation de la justice du XXIe siècle (nos 3204, 3726).
La Conférence des présidents a décidé que ces deux textes donneraient lieu à une discussion générale commune.
Je formule ce rappel au règlement au titre de l’article 58, alinéa 1, relatif à la bonne organisation de nos travaux, pour déplorer une nouvelle fois les conditions dans lesquelles notre assemblée est amenée à travailler, compte tenu du calendrier que nous impose le Gouvernement. Je ne remets nullement en cause la qualité du travail de nos rapporteurs, ni l’engagement des administrateurs de la commission des lois, mais je voudrais rappeler que l’audition du garde des sceaux et l’examen en commission ont eu lieu alors que nous débattions dans cet hémicycle du projet de loi travail.
Par ailleurs, un très grand nombre d’amendements ont été déposés en commission par le Gouvernement ou par les rapporteurs et nous n’avons eu connaissance des projets de loi modifiés que le mardi soir suivant. Nous avons donc disposé de moins de deux jours pour déposer des amendements sur deux textes très denses et très techniques, qui comptent près de 200 articles. Nous avons dû les déposer, alors que nous ne disposions pas des rapports, qui ont été publiés par la suite.
Tout le monde ici s’accordera pour dire que les textes dont nous allons débattre à partir de ce soir sont très importants et qu’ils mériteraient une discussion et un débat démocratiques de qualité. Or, nous allons en être privés en partie, puisque le Gouvernement a également fait le choix de la procédure accélérée.
Je tenais à faire ces remarques, monsieur le président, pour appeler une nouvelle fois votre attention ainsi que celle de la Conférence des présidents, sans me faire la moindre illusion sur les leçons qui pourraient être tirées de mon intervention.
Je vous remercie. D’autres que vous se sont également exprimés à ce sujet.
Monsieur le président, madame, messieurs les rapporteurs et monsieur le président de la commission des lois, depuis trois mois et dix-neuf jours, j’ai eu, à plusieurs reprises, l’honneur de m’adresser à votre assemblée. Je l’ai fait pour défendre le projet de loi constitutionnelle portant réforme du CSM afin de renforcer l’indépendance de la magistrature.
Je l’ai fait pour présenter le projet de loi réformant la procédure pénale, que nous aurons l’occasion de réétudier jeudi prochain après une CMP réussie la semaine dernière.
J’ai aussi eu l’honneur de dire mon appui à la proposition de loi portant réforme de la prescription en matière pénale portée, et de quelle façon, par Alain Tourret et Georges Fenech.
À chaque fois, mon ambition était précise, concrète et pragmatique. À mes yeux en effet les idées ne sont pas vraies ou fausses : elles sont utiles ou elles ne le sont pas. Je suis ainsi convaincu qu’à vouloir tout embrasser, on risque de ne rien pouvoir résoudre ; et que prétendre apporter des réponses à tout, c’est la garantie de se perdre dans les apparences.
C’est avec ce même esprit que je viens vous présenter un texte qui parle d’avenir. Vous connaissez sans doute la phrase de Woody Allen : « Je m’intéresse à l’avenir, parce que c’est là que j’ai décidé de passer mes prochaines années. »
Sourires.
De la même manière, s’intéresser à l’avenir de la justice comme à la justice de l’avenir, c’est nous conjuguer au futur et nous projeter dans nos prochaines années. Nous n’avons pas envie d’y retrouver les préoccupations et les problèmes du présent. C’est l’unique ambition de ce projet de loi baptisé de modernisation de la justice du XXIe siècle.
Pour dessiner le chemin, pour connaître la route à suivre, il y a deux méthodes : soit on part des grandes théories, soit on part du réel. Car être pragmatique, ce n’est pas renoncer aux grandes ambitions. Qu’est-ce que le réel ? Le réel, c’est la vie des citoyens, des justiciables qui patientent des heures, des jours, des mois, avant leur audience devant le juge ou avant de recevoir la décision qui peut bouleverser leur vie. Pour le dire avec les mots de Montesquieu, « souvent l’injustice n’est pas dans le jugement, elle est dans les délais ».
Le réel, c’est la représentation qu’ont les Français de leur justice : 95 % la jugent trop complexe ; 88 % la trouvent trop lente ; 60 % l’estiment inefficace. Le réel, c’est l’expérience quotidienne des magistrats, des greffiers, des fonctionnaires et de tous ceux qui font oeuvre de justice, et qui vivent les lourdeurs administratives, l’encombrement des dossiers, les emplois du temps saturés et les bureaux surchargés. C’est cela le réel ! Il porte leurs visages et leurs questions, et à chacune d’entre elles, nous devons apporter une réponse.
C’est pourquoi nous avons cherché à raisonner à partir des inquiétudes, des préoccupations, des attentes et des besoins des citoyens, des justiciables et des juridictions. Chaque disposition, chaque mesure, chaque amendement a été pensé et réfléchi, comme on compose un bouquet de fleurs japonais. J’ai lu qu’on disait de ce texte qu’il était « fourre-tout ». Je n’en nie pas l’apparence, mais je revendique que cette originalité soit porteuse de cohérence.
Il a été présenté en conseil des ministres en juillet 2015, puis débattu en novembre 2015 au Sénat qui l’a sévèrement arasé. Il n’ouvre pas de nouveaux chantiers, puisque le temps et les finances nécessaires nous manquent. Il n’allume pas de nouveaux brasiers, mais il éclaire des problèmes par des solutions et cherche à résoudre des conflits par l’apaisement. L’apaisement, l’efficacité, la confiance ou l’indépendance ne sont pas des mots qui se décrètent, mais des graines qui se sèment.
Ce projet de loi vise en quelque sorte à faire de la justice un jardin à la française, avec les outils dont elle aura besoin pour être cultivée. C’est pourquoi il convient de distinguer les deux textes.
S’agissant du projet de loi organique, je tiens à saluer la rapporteure Cécile Untermaier pour sa constance, sa permanence, sa vigilance et sa ténacité dans les discussions menées avec le Gouvernement. Si les relations entre l’exécutif et sa majorité sont confiantes, elles peuvent néanmoins être parfois marquées du sceau du désaccord. Nous en avons eu, et Mme la rapporteure a su faire preuve de compréhension en commission. Il reste des points sur lesquels nous aurons l’occasion de débattre. Mais je tiens à saluer son incroyable travail et la qualité des échanges que nous avons eus.
Quant au projet de loi ordinaire, les rapporteurs, Jean-Michel Clément et Jean-Yves Le Bouillonnec, constituent un duo inhabituel à la commission des lois, dans la mesure où la coutume est plutôt au rapporteur unique. Vu l’importance du travail, sans doute avez-vous jugé bon d’en choisir deux. Le Gouvernement se félicite de cette décision, puisque cela lui faisait deux adversaires
Sourires
ou deux partenaires. Cela a parfois été utile pour progresser sur certains points.
Mais, pour l’essentiel des dispositions, nous avons su nous retrouver afin de proposer un texte qui porte aujourd’hui de vrais changements. Je vous remercie, messieurs les rapporteurs, de la disponibilité dont vous avez fait preuve à l’égard de l’exécutif et de ceux qui constituent le cabinet du garde des sceaux.
Concernant le projet de loi organique, le Président de la République a souhaité que le jardin à la française que j’évoquais tout à l’heure ait la forme de l’indépendance, de la transparence et de l’exemplarité. C’est la raison pour laquelle je vous propose des avancées importantes en matière statutaire, comme la création d’un statut pour le juge des libertés et de la détention qui sera nommé comme juge spécialisé.
C’est la suite logique de l’accroissement continu des pouvoirs que nous lui avons donnés depuis sa création par la loi du 15 juin 2000, tant en matière civile que pénale. Il est devenu, comme c’était sa vocation, le juge protecteur des libertés individuelles et il contrôle de plus en plus les actes et les décisions les plus intrusives. Il a donc besoin de garanties statutaires,…
…car sa fonction n’est pas suffisamment valorisée aujourd’hui, afin d’attirer des magistrats confirmés qui seront dotés de larges pouvoirs.
Je vous propose des dispositions visant à ouvrir le corps de la magistrature pour favoriser le détachement ou l’intégration d’autres profils que ceux qui sont recrutés par la voie classique du concours. Je vous propose encore la mise en place, au sein de la magistrature, de règles édictées pour satisfaire les exigences de transparence de la vie publique – les déclarations d’intérêts et, pour certains magistrats, les déclarations de patrimoine. J’ai été le rapporteur de la loi relative à la transparence de la vie publique : vous savez combien je suis, comme vous, attentif à ces questions. Je suis donc très heureux de pouvoir défendre de nouvelles avancées dans ce domaine.
Il y a, dans ce projet de loi organique, bien d’autres dispositions, mais je vous ferai la grâce d’un inventaire, car, comme disait Voltaire, « le secret d’ennuyer est celui de tout dire ».
S’agissant du projet de loi ordinaire, je ne citerai pas Voltaire, mais Portalis. Il faut toujours citer Portalis dans un discours à l’Assemblée nationale.
Sourires.
Il a écrit que « les lois ne sont pas de purs actes de puissance ; ce sont des actes de sagesse, de justice et de raison. Le législateur […] ne doit point perdre de vue que les lois sont faites pour les hommes, et non les hommes pour les lois. » Le projet de loi que je vous propose vise justement à créer les conditions permettant à la justice d’être mieux adaptée aux attentes des justiciables et aux besoins des juridictions. En somme, je vous propose une justice faite pour les hommes !
Le titre II, par exemple, favorise le recours aux modes alternatifs de résolution des litiges. Les titres III et V renforcent l’efficacité du fonctionnement de la justice. Nous proposons par exemple la systématisation de la sanction de certains délits routiers par une peine forfaitisée, tout en respectant le droit actuel. Autrement dit, parce que je ne veux pas allumer de nouveaux brasiers, je ne vous propose pas la contraventionnalisation. Mon unique perspective est que ces délits soient plus rapidement et plus sévèrement sanctionnés.
Nous donnons à l’action de groupe un socle procédural commun, décliné en matière de discriminations au travail, mais désormais aussi en matière de santé, d’environnement ou de données numériques. Nous aurons ainsi un vrai bloc cohérent plutôt que des dispositions éparses dans des textes thématiques.
Nous supprimons les tribunaux correctionnels des mineurs…
…puisqu’ils ne traitent que 1 % des contentieux…
…et qu’ils s’avèrent moins sévères que les tribunaux pour enfants.
Le candidat François Hollande en avait pris l’engagement…
…dans un courrier adressé à l’Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille, le 26 avril 2012. Le Sénat avait voté cette suppression en juin 2014, mais dans cet hémicycle, le débat a souvent rebondi, sur des propositions de loi du groupe GDR, des amendements du groupe écologiste ou des propositions de députés socialistes. Tous réclamaient la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs. Tous les groupes de la majorité ont déposé des amendements en ce sens. Le Gouvernement y a donné un avis favorable pour deux raisons.
Il doit y avoir une primauté de l’exécutif quand nous traitons de la délinquance des mineurs.
Par ailleurs, il est essentiel que la justice des mineurs soit davantage spécialisée et que les réponses soient plus individualisées.
Le titre IV, enfin, recentre le juge sur sa mission essentielle de trancher les litiges par l’application du droit. C’est aussi une forme de reconnaissance du métier de juge, une marque de valorisation et de respect.
Nous proposons de supprimer l’homologation des plans de surendettement des particuliers, dont 98 % ne font l’objet d’aucun litige. Par ailleurs, il y a eu 168 000 pactes civils de solidarité en 2013. Nous souhaitons donc transférer l’enregistrement des PACS aux officiers d’état civil, et y ajouter le transfert de la procédure de changement de prénom.
En contrepartie, de nouvelles mesures de simplification en matière d’état civil sont proposées aux communes, notamment la possibilité de ne plus avoir, à certaines conditions, l’obligation d’établir un double original de l’état civil. Personne ne sera perdant, ni l’État ni les collectivités territoriales.
Enfin, concernant le divorce par consentement mutuel, il n’y aura plus besoin du juge.
C’est d’abord une question de bon sens étymologique ! Je suis allé consulter le Littré. Le consentement suppose un accord, le fait de s’accorder sur quelque chose, d’accepter qu’une chose se fasse. Le juge est celui auquel on attribue le soin de résoudre une question, d’arbitrer un différend. S’il n’y a pas de différend, s’il n’y a pas de désaccord, le couple n’a pas besoin d’un juge.
Pardonnez cette tautologie, mais le juge est fait pour juger. Qui venait voir Saint Louis sous son chêne, sinon des personnes qui étaient en désaccord ? C’est une question de bon sens, c’est une mesure logique. Pourquoi faire attendre les couples qui se sont mis d’accord sur tout pendant sept mois avant que leur divorce ne soit prononcé ? Évidemment, cette procédure ne se fera qu’à certaines conditions, en l’absence de difficultés et dans le respect du droit des enfants ; sinon, la procédure traditionnelle sera maintenue. Mais au total, avec cette nouvelle proposition, les époux seront mieux protégés, en particulier la personne la plus faible, financièrement ou psychologiquement, qui aura dorénavant obligatoirement un avocat. Aujourd’hui – j’ai vu bien des confusions à ce sujet dans la presse –, cela ne se fait pas toujours : un divorce par consentement mutuel peut se faire avec un seul avocat, il n’y a nulle obligation d’en avoir deux. Demain, il y aura deux avocats, un par partie, donc l’équilibre, l’équité et la protection seront garantis à ceux qu’il faut en faire bénéficier.
Le divorce par consentement mutuel sans passer par un juge représente un gain de temps pour un couple, un désencombrement des journées pour le juge et une simplification logique pour le fonctionnement de la justice. Nous discuterons évidemment de cette question importante, mais il est bon que le juge consacre son temps à la protection des plus faibles et que les audiences soient réservées aux divorces par contentieux, laissant le soin de régler les divorces par consentement mutuel aux avocats. Ainsi, l’équilibre sera garanti et la protection, assurée.
Mesdames et messieurs les députés, ce projet de loi est le fruit de ce que Paul Valéry appelait la « coopération des esprits ». Nous ouvrons maintenant la discussion générale en séance publique. Bien des amendements ont été déposés, mais je suis convaincu que nos échanges seront marqués de la même conception, pour aller dans le sens de l’intérêt général, celui du bon fonctionnement de la justice.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
La parole est à Mme Cécile Untermaier, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, sur le projet de loi organique.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues rapporteurs, mes chers collègues, le projet de loi organique dont notre Assemblée est saisie – qui propose, avec le projet de loi ordinaire de modernisation de la justice du XXIe siècle, une réforme judiciaire d’ensemble – a pour objet d’adapter le statut de la magistrature aux exigences de notre temps. Il répond, en particulier, à la volonté d’une République exemplaire, clairement exprimée depuis 2012.
Cette volonté s’est déjà concrétisée dans le renforcement des garanties d’indépendance relatives à l’exercice de leurs fonctions par les magistrats, posé par la loi du 25 juillet 2013, qui interdit au ministre de la justice d’adresser aux magistrats du ministère public des instructions dans les affaires individuelles. Plus récemment, elle s’est traduite dans l’adoption conforme, par notre Assemblée, du projet de loi constitutionnelle portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature, CSM. En renforçant les garanties relatives à l’indépendance de certaines fonctions judiciaires et les obligations déontologiques des magistrats, le texte organique que nous examinons aujourd’hui constitue une nouvelle étape dans l’affirmation d’une République exemplaire. Il vise également à apporter des réponses aux contraintes budgétaires et gestionnaires auxquelles le ministère est confronté. Il propose ainsi d’ouvrir la magistrature sur la société, d’améliorer les perspectives de carrière des magistrats et d’en assouplir la gestion.
Confirmant ces orientations, la commission des lois a apporté plusieurs modifications au texte transmis par le Sénat. Souhaitant élargir les voies d’accès à la magistrature, nous avons tout d’abord étendu le recrutement sur titres à l’auditorat de justice aux juristes assistants nouvellement créés dans le cadre du plan de lutte antiterroriste. Ainsi, les docteurs en droit et les personnes titulaires d’un diplôme sanctionnant cinq années d’études supérieures dans le domaine juridique ou justifiant d’une qualification au moins équivalente pourront, à l’issue d’au moins trois années d’exercice professionnel en qualité de juriste assistant, être nommés directement auditeurs de justice.
Il s’agit d’une avancée importante. Toutefois, je considère qu’il convient de rendre cette voie d’accès plus attractive encore en réduisant la durée de scolarité, aujourd’hui de plus de deux ans et demi. En effet, ces personnes qui ont effectué en moyenne dix ans d’études universitaires en droit en ont une connaissance approfondie ; elles possèdent également une expérience professionnelle d’au moins trois années auprès de magistrats. Il faut enfin leur assurer une rémunération en rapport avec leur niveau de formation. Cette profession souffre actuellement d’un manque d’attractivité, pour diverses raisons qui ne sont pas uniquement liées à la difficulté du concours d’entrée à l’École nationale de la magistrature. Il ne faut donc pas décourager nos brillants candidats potentiels – notre jeunesse issue par le haut de l’université – de s’engager dans cette voie. Ils apporteront une diversité de culture très importante pour la qualité du jugement.
Par ailleurs, nous avons, quoiqu’encore insuffisamment, élargi et rendu plus attrayantes les conditions d’intégration temporaire de la magistrature. Afin de réduire la complexité des différents statuts en vigueur, nous avons fusionné les juges de proximité avec les magistrats exerçant à titre temporaire. Enfin, la présentation du texte gagne en lisibilité et en simplicité, et je tiens à remercier M. le ministre pour ce travail.
Nous avons renforcé les garanties d’indépendance relatives à certaines fonctions judiciaires et défini un cadre déontologique précis pour les magistrats. S’agissant tout d’abord des garanties en matière d’indépendance, nous avons rétabli la réforme du statut du juge des libertés et de la détention, qui avait été supprimée par le Sénat. Il convient en effet de conférer à ce juge le statut de juge spécialisé, avec les conséquences que cela emporte, notamment en matière de nomination et de rémunération. La nomination par décret du Président de la République, sur proposition du garde des sceaux et après avis conforme du CSM, présente l’avantage, d’une part, de prévenir tout changement d’affectation arbitraire et toute tentative d’intervention et, d’autre part, de transformer cette fonction souvent subie en une fonction choisie, puisque seuls les magistrats ayant postulé pourront se la voir attribuer.
La reconnaissance du statut de juge spécialisé emporte, en outre, une prime spécifique, qui devrait contribuer à renforcer l’attractivité de cette fonction. Ce statut répond à une exigence que nous avons rappelée à plusieurs reprises, au regard, d’une part, de l’accroissement des compétences du juge des libertés et de la détention et du raccourcissement des délais dans la prise de décision dans la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers, et d’autre part et surtout, de la réforme de la procédure pénale sur le point d’être adoptée à la suite du succès de la CMP, qui prévoit de nouvelles mesures pouvant être prises par le procureur de la République sur autorisation du juge des libertés et de la détention.
Certes, la fonction de juge des libertés et de la détention ne correspond pas à un plein-temps, notamment dans les juridictions de petite et moyenne taille, mais ce magistrat pourra se voir confier par le président du tribunal d’autres activités juridictionnelles, à l’image de ce qui se pratique pour le juge des enfants et le juge d’instruction. La vacance d’emploi sera également assurée par une plus grande souplesse dans la répartition des services. Ainsi la nomination par décret sur avis conforme du CSM permet de garantir l’indépendance du juge des libertés et de la détention, dont les attributions sont en constante extension et qui joue un rôle majeur en matière d’équilibre et de contrôle du pouvoir d’enquête.
Nous avons, enfin, sensiblement renforcé les obligations déontologiques des magistrats. Que ceux-ci n’y voient aucun signe de défiance à leur égard ! Il s’agit simplement de transposer des outils que le législateur a prévus dès 2013 pour les principaux décideurs publics – en tant que président de la commission des lois et rapporteur du texte, vous y avez eu votre part, monsieur le ministre – et, par la récente loi du 20 avril 2016, rapportée par Mme Descamps-Crosnier, pour les fonctionnaires et les membres des juridictions administratives et financières. Loin de gêner l’exercice des fonctions judiciaires, ces mesures déontologiques contribueront au contraire à restaurer la confiance de nos concitoyens dans leur système judiciaire.
C’est ainsi que notre commission des lois a créé un collège de déontologie des magistrats de l’ordre judiciaire. Cet organisme ne s’occupera que de questions individuelles et complétera donc utilement l’action du CSM, dont la compétence en matière de déontologie est limitée par la Constitution à des avis de portée générale. La commission des lois a également étendu l’obligation de déclaration d’intérêts au premier président et au procureur général de la Cour de cassation, ainsi qu’à l’ensemble des membres du CSM. Elle a aussi fait en sorte que les dispositions déontologiques applicables aux magistrats judiciaires soient les plus proches possibles de celles régissant les membres des juridictions administratives et financières. Enfin, poursuivant cette entreprise d’harmonisation et de diffusion d’une culture déontologique, la commission des lois a transposé aux membres du Conseil constitutionnel les obligations de déclaration d’intérêts et de situation patrimoniale. Il nous faut, en effet, prendre acte de la juridictionnalisation croissante de cet organe – dont témoigne encore, tout récemment, le nouveau mode de rédaction de ses décisions, qui vise à en approfondir la motivation.
Le projet de loi ordinaire comporte, en cohérence, des avancées similaires en matière de déontologie. C’est ainsi que la commission des lois a adopté des dispositions attendues s’agissant des juges consulaires. Nous débattrons en séance de l’opportunité de telles mesures s’agissant des conseils de prud’hommes ; là encore non par défiance, mais parce qu’au regard de l’acte de juger, un acte qui fait grief, il importe de garantir le justiciable de tout conflit d’intérêts dans le prononcé du jugement. Ces déclarations d’intérêts et de patrimoine comme ces collèges de déontologie ne sont que des outils au service de l’institution juridictionnelle et de ses acteurs, pour développer à la fois la pédagogie et la réflexion partagée sur une éthique dans le travail, affichée et attendue des citoyens.
Pour conclure, monsieur le ministre, je vous remercie à mon tour de l’excellent travail que nous avons mené avec votre cabinet et avec vous-même. Mes chers collègues, je vous invite à suivre notre commission des lois en adoptant ce projet de loi organique qui apporte de nombreuses avancées tant pour les magistrats que pour les justiciables.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, sur le projet de loi ordinaire.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi organique et le projet de loi ordinaire dont nous entamons l’examen en séance sont très importants car ils tendent à mettre en oeuvre les préconisations issues des travaux menés depuis 2013 pour favoriser la justice du XXIe siècle. C’est en prolongement de ces travaux que nous souhaitons rendre son ambition d’origine au titre du projet de loi ordinaire, mais également pour rendre hommage au vaste chantier lancé par votre prédécesseur, Mme Christiane Taubira,
Murmures sur les bancs du groupe Les Républicains
auquel beaucoup parmi nous ont eu la possibilité de participer.
Ces projets de loi sont d’autant plus importants qu’ils modifient en profondeur notre organisation judiciaire, dans la perspective de rapprocher la justice des citoyens, d’améliorer l’efficacité des procédures judiciaires et d’en réduire les délais. Vous avez, monsieur le ministre, parfaitement rappelé l’envergure de la démarche en présentant les principaux enjeux de ces deux projets de loi. Je souhaite profiter de cette intervention pour vous indiquer les principales modifications apportées par la commission des lois sur les sujets que j’ai particulièrement suivis ; Jean-Michel Clément reprendra, quant à lui, ceux qu’il avait la charge de porter. Ensemble, nous formions un duo de co-rapporteurs dont je n’ai eu qu’à me féliciter et dont les conclusions ou avis traduisent une totale convergence de vues, que les administratrices des services de la commission des lois, vos collaborateurs et les membres de la Chancellerie – toujours d’égale humeur autant que de compétence – ont largement permis d’accompagner.
Pour rapprocher la justice du citoyen et favoriser les modes alternatifs de règlement des différends, la commission a notamment prévu qu’il serait possible de désigner plusieurs associations membres d’un conseil départemental de l’accès au droit, y compris une association oeuvrant dans le domaine de la conciliation. Elle a obligé les professionnels du droit et du chiffre à proposer à leurs clients une relation numérique dans un format garantissant l’interopérabilité des échanges, autorisé la clause compromissoire dans les relations entre particuliers et généralisé l’expérimentation de médiation obligatoire avant la saisine du juge par les parents aux fins de modification d’une décision fixant les modalités de l’exercice de l’autorité parentale ou la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant, sauf en cas de violences intrafamiliales – je salue au passage Mme la présidente de la Délégation aux droits des femmes. La commission a également créé une liste de médiateurs établie par chaque cour d’appel.
Pour améliorer l’organisation et le fonctionnement des juridictions, la commission a également prévu qu’en cas de vacance d’emploi, d’absence ou d’empêchement du juge des libertés, ce dernier soit remplacé par un magistrat du premier grade ou, seulement à défaut, par un magistrat du second grade. Elle a supprimé le dispositif de mutualisation des greffes, créé un corps de juristes assistants auprès des juridictions judiciaires…
…et modernisé la prestation de serment des assesseurs du tribunal pour enfants en supprimant la référence à son caractère religieux. Enfin, elle a imposé aux conseils de l’ordre de communiquer au Conseil national des barreaux la liste des avocats inscrits au tableau de l’ordre et confié à ce dernier la mission d’établir un annuaire national.
En matière pénale, la commission a adopté plusieurs articles additionnels visant à remplacer la collégialité obligatoire et systématique de l’instruction prévue à compter du 1er janvier 2017 par des dispositions permettant que seules les décisions essentielles de l’instruction puissent être prises par une formation collégiale. Entendant votre appel, monsieur le garde des sceaux, le président de la commission des lois et les deux rapporteurs ont même déposé un amendement visant à supprimer la collégialité de l’instruction, compte tenu des progrès réalisés depuis 2007.
En outre, la commission a amélioré le fonctionnement et l’organisation de la justice des mineurs à travers la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs, la réintroduction de la convocation par officier de police judiciaire aux fins de jugement devant le juge des enfants, le développement de la césure du procès pénal des mineurs, l’instauration d’un principe de cumul entre les peines et les mesures éducatives, et l’autorisation donnée au juge de recourir à la force publique pour l’exécution des mesures éducatives de placement.
De plus, la commission a adopté trois articles additionnels tendant à améliorer la répression de certaines infractions routières, à travers des mesures de lutte contre l’insécurité routière, la forfaitisation du délit de conduite sans permis et sans assurance, et de nouvelles sanctions pour lutter contre les contournements de la loi.
La commission des lois a également adopté cinq articles additionnels relatifs à la procédure devant la Cour de cassation, après avoir restreint le champ de la représentation obligatoire.
Poursuivant le triple objectif de simplifier les démarches des usagers, de faciliter la tâche des officiers de l’état civil et de recentrer les juridictions sur leurs missions essentielles, nous avons rétabli le transfert de l’enregistrement des PACS aux officiers de l’état civil, créé une nouvelle procédure de divorce par consentement mutuel, porté le délai de déclaration de naissance de trois à cinq jours et simplifié les démarches de vérification de l’état civil.
Dans le même souci d’allégement des procédures, la commission a supprimé l’homologation judiciaire de certaines décisions des commissions de surendettement et transféré au maire ou à l’Agence nationale de l’habitat certaines compétences aujourd’hui dévolues au ministère public.
Voilà, mes chers collègues, le petit travail que nous avons effectué dans le cadre de ce petit projet de loi.
Sourires.
L’énoncé de ces mesures, qui sera poursuivi par M. Clément, est tout de même copieux ! Nous avons bien travaillé.
En achevant les travaux des rencontres organisées par la Chancellerie, à l’UNESCO, sur cet enjeu de la justice du XXIe siècle, Christiane Taubira évoquait une réflexion de Saint-Exupéry que vous ne pourrez pas renier, monsieur le garde des sceaux, tant elle traduit à la fois la démarche que vous engagez dans vos lourdes responsabilités et la force des éléments qui habitent vos terres bretonnes – les vôtres aussi, d’ailleurs, monsieur le président Le Fur !
Sourires.
« Si tu veux construire un bateau, fais naître dans le coeur des femmes et des hommes le désir de la mer. »
Et si nous pouvions, en replaçant nos concitoyens au coeur de la justice, faire naître, renaître ou accentuer en eux et entre eux le désir de la justice ? Mes chers collègues, c’est aussi cela, notre responsabilité.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
La parole est à M. Jean-Michel Clément, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République sur le projet de loi de modernisation de la justice du XXIe siècle.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, madame et monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, l’examen de ce projet de loi, que j’ai l’honneur de rapporter aux côtés de mon collègue Jean-Yves Le Bouillonnec, aura été l’occasion pour nous de procéder à un vaste état des lieux de notre justice, plus de deux ans après le début des travaux entrepris par l’ancienne garde des sceaux, Christiane Taubira, à qui je veux aussi rendre hommage ce soir.
Vous reprenez, monsieur le garde des sceaux, ce nécessaire chantier, en y apportant tout votre engagement pour faire de ce texte, non pas un condensé d’aménagements, comme je l’ai entendu ici ou là, mais une vraie réforme, pour peu que l’on prenne le temps de mesurer les orientations prises. Je citerai par exemple le développement de la conciliation et de la médiation préalablement à toute solution judiciaire, l’idée d’agir collectivement, avec l’action de groupe, qui heurte l’ordonnancement habituel de notre droit, l’unicité des juridictions sociales, dont d’aucuns ont dépeint la complexité, et l’ouverture de la procédure participative dans certaines situations de divorce. Cette ouverture devrait, selon moi, permettre aux auxiliaires de justice que sont les avocats de mesurer ce que peut apporter le recours à ces procédures au règlement de bien d’autres conflits qui encombrent souvent les juridictions.
Les nombreuses auditions et les visites en juridictions que nous avons réalisées avec mes collègues rapporteurs ont permis de mesurer l’engagement et la volonté constante de l’institution judiciaire et des auxiliaires de justice d’améliorer l’accès de nos concitoyens à la justice. Je souhaite ici dire ma reconnaissance à tous ceux qui s’engagent, souvent bénévolement, pour que notre justice fonctionne mieux au quotidien.
Comme mon collègue Jean-Yves Le Bouillonnec, mon propos vise à présenter les résultats des travaux menés par notre commission sur les sujets dont j’ai eu plus particulièrement la charge.
Tout d’abord, je me félicite de l’aboutissement de la réflexion commune de nos collègues sénateurs, du Gouvernement et de la commission des lois, qui permet de vous proposer une réforme d’ampleur de l’organisation et du fonctionnement des juridictions chargées des contentieux de la Sécurité sociale, de l’incapacité et de certains litiges relevant des commissions départementales des affaires sociales. L’article 8 du texte adopté par la commission me semble équilibré. La différence essentielle entre ce nouveau texte et celui adopté par le Sénat tient au transfert des contentieux des tribunaux des affaires de Sécurité sociale – TASS –, des tribunaux du contentieux de l’incapacité – TCI – et d’une partie du contentieux des commissions départementales d’aide sociale – CDAS – au tribunal de grande instance, et non à une nouvelle juridiction, dénommée par le Sénat « tribunal des affaires sociales ».
Par ailleurs, la commission a précisé le cadre juridique de l’action de groupe devant le juge judiciaire et le juge administratif. Le socle est ainsi défini. La commission a retenu une acception plus large que le Sénat s’agissant du champ des victimes susceptibles d’être concernées – elle a inclus les personnes morales – et de celui des personnes ayant qualité à agir au nom du groupe – elle a retenu les associations agréées et les associations déclarées depuis au moins cinq ans dont l’objet statutaire comporte la défense des intérêts auxquels il a été porté atteinte.
Pour ce qui concerne plus particulièrement l’action de groupe en matière de discrimination, y compris celle visant un employeur, la commission a précisé le champ des personnes ayant qualité à agir et ajouté les préjudices moraux à la liste des préjudices pouvant faire l’objet d’une réparation dans ce cadre. C’est un point important parce qu’en matière de discrimination, les préjudices sont le plus souvent d’ordre moral. La commission a, par ailleurs, complété la liste des motifs de discrimination établie à l’article 1er de la loi du 27 mai 2008, afin de l’harmoniser avec celle précisée dans le code pénal. Il nous a en effet semblé utile, à l’issue de nos auditions, de prévoir l’élargissement de cette liste dans le cadre du présent projet de loi, sans attendre l’examen du projet de loi « Égalité et citoyenneté ».
La commission a enfin ouvert la voie aux actions de groupe en matière d’environnement et de protection des données à caractère personnel, suivant en cela votre avis, monsieur le garde des sceaux.
En matière de justice commerciale, nous avons trouvé un compromis satisfaisant sur la durée des mandats pouvant être exercés par les juges : ceux-ci ne pourront exercer que quatre mandats successifs, et une limite d’âge à 75 ans est prévue sans désorganiser les juridictions, comme le craignaient les magistrats consulaires. Nous avons également introduit une disposition permettant aux justiciables de saisir directement la commission nationale de discipline si leur démarche est dûment motivée.
Nous avons fait, par ailleurs, un certain nombre de propositions visant à rendre effective l’extension de la compétence des tribunaux de commerce aux artisans, que le Gouvernement a souhaité expertiser en vue d’un examen en séance. Ainsi, nous espérons que des avancées seront possibles sur ce point.
Nous sommes aussi revenus aussi sur les suppressions ou modifications introduites par le Sénat, qui avaient pour effet de fragiliser certaines procédures collectives comme la procédure de sauvegarde.
À ce titre, je souhaiterais rappeler que nous avons profondément réformé les procédures collectives ces dernières années. Nous ne pouvons que nous en féliciter, parce que ces réformes étaient très attendues par les entreprises. Toutefois, nous devons maintenant être vigilants et maintenir une stabilité législative pour permettre aux entreprises de se saisir des moyens nouveaux que le législateur a mis à leur disposition. En la matière, le débat n’est jamais clos, mais n’oublions pas que c’est avant tout l’usage que les acteurs économiques et le monde judiciaire font des outils qui leur sont proposés qui est déterminant.
Si l’ouvrage est encore sur le métier, des progrès substantiels sont venus des propositions du Gouvernement et de votre commission. Les débats à venir devraient nous permettre d’achever cette réforme, dans l’intérêt de la justice et des justiciables.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe Les Républicains une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement, sur le projet de loi de modernisation de la justice du XXIe siècle.
La parole est à M. Sébastien Huyghe.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame et messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, je risque de déplaire…
…en mettant fin au concert d’autosatisfactions imméritées que nous venons d’entendre.
Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Mais, monsieur le garde des sceaux, « sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur », comme disait Beaumarchais. Vous l’avez sûrement compris : l’éloge ne sera pas pour ce soir.
Le titre du projet de loi du Gouvernement mentionne une « justice du XXIe siècle ». Cette référence, rétablie par la commission des lois, induit une très grande ambition, voire sous-entend une réforme majeure de notre appareil judiciaire. Il faudrait donc en finir, nous dites-vous, avec la justice du XXe siècle, une justice du passé, pour entrer dans une nouvelle ère, une nouvelle approche nécessaire aux réalités de notre temps. Le Gouvernement semble donc présenter une réforme pour le siècle, qui marquera l’histoire judiciaire de notre pays.
Rien n’est pourtant plus éloigné de la réalité de votre projet de loi. L’ambition initiale d’une réforme majeure s’est évaporée. Ne reste plus que l’impérieuse nécessité politique de réformer envers et contre tout – la réforme pour la réforme, ou plutôt l’affichage de la réforme plutôt que la réforme elle-même. De la justice du XXIe siècle ne subsiste aujourd’hui qu’une succession de mesurettes idéologiques, résultat de l’obsession désormais coutumière du Gouvernement de ne pas heurter, d’arrondir les angles et de diluer pour mieux renoncer tout en accentuant les colères et les rancoeurs.
Jour après jour, nos concitoyens se sentent de moins en moins en sécurité et manifestent une défiance croissante envers la justice de notre pays,…
…qui est le fruit de la politique laxiste menée depuis que votre majorité gouverne.
Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
S’il vous plaît, mes chers collègues ! Nous en avons pour une semaine de travail : essayons de commencer avec de bonnes intentions ! Écoutons M. Huyghe : lui seul a la parole.
Je vous remercie, monsieur le président.
Nos concitoyens ont le sentiment que notre institution judiciaire ne répond pas au sentiment d’insécurité qu’ils perçoivent. Est-ce étonnant, au regard de la politique pénale menée par le Gouvernement ?
Les chiffres sont sans appel. Bien que le ministère de l’intérieur ait décidé de changer le mode de comptage, la délinquance ne cesse d’augmenter dans notre pays,…
…en particulier les violences aux personnes. Les atteintes aux personnes ont augmenté de 6,6 % entre septembre 2012 et septembre 2015. Encore récemment, les vols à main armée contre des particuliers à leur domicile se sont accrus de 37 % entre août 2014 et août 2015. La récidive ne cesse de s’amplifier, alors même que vous avez décidé d’abandonner les peines planchers.
En 2014, malgré cette aggravation de la délinquance, une baisse de 3 % du nombre de condamnations a pourtant été enregistrée. Ce n’est guère surprenant, alors que la politique du Gouvernement consiste à régler le problème de la surpopulation carcérale en allégeant les peines plutôt que de construire de nouveaux établissements pénitentiaires. Je rappelle que près de 100 000 peines de prison ferme sont aujourd’hui en attente d’exécution. Dès votre arrivée aux responsabilités, vous avez décidé d’abandonner le programme de construction de 20 000 places de prison engagé par notre majorité,…
…pour lui substituer la peine de prison « hors les murs ». Cette politique revient à laisser libres des personnes ayant commis de multiples délits, au seul motif qu’il n’y a pas de place pour les accueillir. Ainsi, 98 % des condamnés pour délits, même graves, pourraient échapper à l’incarcération, avec la peine de probation et la politique laxiste fondée sur la contrainte pénale mise en oeuvre par Mme Taubira – nous craignons que vous ne la poursuiviez, monsieur le garde des sceaux.
Votre réforme porte l’ambition d’une justice plus proche, plus efficace et plus protectrice pour les Français. Elle est pourtant bâtie sur une lâcheté, à savoir cette politique pénale laxiste qui a contribué à éloigner nos concitoyens de leur justice. Cette ambition de bâtir la justice de notre siècle se traduit finalement par une collection de mesures à portée limitée, et d’ailleurs sans forcément beaucoup de liens entre elles.
Vous nous proposez notamment de supprimer les tribunaux correctionnels pour mineurs récidivistes de seize à dix-huit ans… Moins d’un an avant la fin du mandat du Président de la République, l’Assemblée nationale est enfin saisie de cette promesse du candidat Hollande : cela fera toujours une promesse tenue pour la candidature de 2017 présentable à la gauche du PS ! J’ai été le rapporteur du texte ayant institué ces tribunaux correctionnels pour mineurs.
Exclamations sur de nombreux bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Seul l’orateur a la parole, mes chers collègues, vous aurez la possibilité de vous exprimer ultérieurement.
Présidé par un juge des enfants et assisté de deux autres magistrats, le tribunal correctionnel a pour objectif d’adapter les réponses apportées aux actes de délinquance pour les mineurs récidivistes tout en impliquant leurs parents. Ce tribunal respecte parfaitement l’équilibre entre les peines et les mesures éducatives.
Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Monsieur le ministre, vous estimez que les mineurs, même récidivistes, n’ont pas à être jugés comme des majeurs. Mais les juges de ces tribunaux prennent déjà parfaitement en compte le principe d’atténuation des peines pour les mineurs, comme la majorité précédente l’avait bien inscrit dans les textes. Supprimer ces tribunaux reviendrait à renoncer à la responsabilisation de ces mineurs récidivistes. Autrement dit, un jeune de dix-huit ans au casier judiciaire vierge serait jugé devant un tribunal correctionnel ordinaire alors qu’un délinquant multirécidiviste, aguerri à toute forme de délinquance, mais mineur pour encore quelques semaines, voire quelques mois, serait, lui, traité comme un enfant. Vous n’avez pas cessé de justifier cette suppression par le faible nombre de saisines des tribunaux concernés. En réalité, c’est bien l’aveuglement idéologique qui vous a poussé à laisser intentionnellement cette juridiction dépourvue des moyens nécessaires à sa mission.
Loin de l’angélisme faisant office de politique, les Français réclament une plus grande sévérité face à une délinquance juvénile de plus en plus précoce et de plus en plus violente. La suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs entraînera une déresponsabilisation accrue de ces justiciables et enverra un nouveau signal de laxisme teinté d’angélisme.
Dans ce projet de loi à tiroirs, il y a pourtant des sujets sur lesquels nous pouvons nous rejoindre.
Je pense notamment à la déjudiciarisation du divorce par consentement mutuel. Certaines situations n’exigent en effet pas un passage devant le juge.
Ce point de votre texte me paraît en effet aller dans le bon sens à partir du moment où il assure l’équilibre entre les parties.
Exclamations sur de nombreux bancs du groupe Les Républicains.
Il ne vous l’avait pas dit, mes chers collègues ? À quoi servent les réunions de groupe ?
Mais quel dommage que ce type de mesures ne soit apparu dans la précipitation qu’au détour de l’un des quatre-vingt-quatorze amendements déposés en commission par le Gouvernement, et je regrette que l’ensemble de votre projet de loi ne soit pas au diapason. C’est bien l’intérêt des Français qui doit primer : il est nécessaire de simplifier le rapport à la justice et de rendre notre institution judiciaire plus protectrice des victimes que des délinquants. À cet égard, les Français attendent désormais de véritables réformes et non de simples effets d’annonce. L’abrogation des peines planchers a constitué une erreur d’ampleur qu’il nous faudra corriger.
Je sais que vous avez longtemps dénoncé cette loi en invoquant l’individualisation des peines, alors même qu’elle prévoyait la possibilité pour les magistrats d’y déroger par simple motivation de leur décision.
Le Conseil constitutionnel l’avait d’ailleurs en son temps reconnu.
Il faut rendre à la justice son autorité et sa lisibilité, lutter efficacement contre la récidive et mettre un terme à l’impunité. À ce titre, le principe de la contrainte pénale est lui, a contrario, incompréhensible, et nous devrons mettre un terme à ce symbole de laxisme.
L’ironie de la politique menée par votre majorité est que vos dispositifs censés lutter contre la récidive n’ont fait qu’abaisser les barrières qui la prévenaient. Vous avez en effet abrogé toutes les règles qui visaient à l’endiguer. Pendant quatre ans, la politique menée par Mme Taubira a rendu notre justice incapable de faire exécuter les peines qu’elle prononce en diffusant un message d’impunité, message largement entendu par les délinquants.
Avec son départ, grand fut l’espoir d’une inflexion de la politique pénale… Toutefois, au regard de la continuité observée entre la politique menée par l’ancienne et l’actuel garde des sceaux, on ne peut que regretter que le legs idéologique de Mme Taubira ait été accepté par son successeur.
Pour que la justice fonctionne correctement, la France doit impérativement rattraper son retard en termes de construction de places de prison en mettant en place une politique carcérale intelligente. Nous proposons de construire 20 000 places supplémentaires en cinq ans pour répondre aux besoins, ce qui nous situerait seulement dans la moyenne européenne en proportion de la population. Il n’y a plus à tergiverser car c’est une condition sine qua non pour mettre un terme au paradoxe actuel : la délinquance explose pendant que le nombre de détenus ne cesse de diminuer. Pour répondre de manière adéquate aux différents types de peines et de délinquants, l’investissement dans des prisons diversifiées et adaptées sera plus que jamais nécessaire.
À présent, pour nos concitoyens, le laxisme actuel n’est plus supportable. Nous devons dorénavant tourner le dos à la culture de la déresponsabilisation et de l’excuse. L’État de droit doit être fort, et l’autorité de l’État rétablie.
Pour conclure, je dirai que si nous observons avec un peu de recul l’architecture de la justice que vous voulez mettre en place, nous ne pouvons qu’être atterrés. En effet, en conjuguant votre souhait de modifier la composition du Conseil supérieur de la magistrature de manière à y rétablir une majorité de magistrats – cette réforme constitutionnelle n’attendant qu’un Congrès pour être mise en oeuvre – avec les dispositions ayant pour vocation à rendre le parquet indépendant de l’exécutif, vous vous apprêtez à mettre à mal le principe de l’uniformité de la politique pénale sur l’ensemble du territoire de la République ou, à tout le moins, à en déléguer la définition aux syndicats de magistrats représentés au sein du Conseil supérieur de la magistrature puisque votre volonté est que celui-ci, et non plus le Gouvernement, soit désormais en charge des nominations du parquet. Vous allez ainsi accroître la distance entre les citoyens et la justice en éloignant un peu plus cette dernière de la démocratie.
Comment justifierez-vous alors, ou plutôt comment vos successeurs justifieront-ils auprès de nos concitoyens, qui les auront démocratiquement élus, leur incapacité à définir une politique pénale suivie d’effet ? Vous allez invoquer sans doute la position de la Cour européenne des droits de l’homme sur l’indépendance des procureurs, mais je rappelle que ces derniers tiennent une place bien différente dans notre système juridique que leurs homologues dans le droit anglo-saxon auquel se réfère en permanence la Cour européenne : les premiers représentent la société et mènent leurs investigations à charge et à décharge quand les seconds, représentants de l’accusation, n’instrumentent qu’à charge. Là aussi, comme dans bien d’autres domaines, vous capitulez face à la tentation hégémonique du droit anglo-saxon.
Votre projet de loi n’est ni abouti, ni satisfaisant. Il ne contient pas les conditions indispensables au redressement de l’institution judiciaire et à un retour de la confiance des Français envers leur justice. Il ne sera pas un moyen de rendre notre justice plus efficace, plus proche des Français et plus crédible. C’est pourquoi nous demandons le rejet préalable de ce projet de loi, dans l’attente d’un nouveau texte pour une réelle réforme ambitieuse de notre justice telle que nos concitoyens sont en droit de l’attendre.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Je ne vais pas intervenir longuement puisque Sébastien Huyghe a abordé bien des points sur lesquels des échanges ont déjà eu lieu dans cet hémicycle, par exemple la modification de la composition du Conseil supérieur de la magistrature, mais je me dois de rappeler quelques points par respect pour le parlementaire qui vient de s’exprimer.
Je répète que je crois profondément que la société d’aujourd’hui appelle, par cohérence, une justice définitivement indépendante, ce qui ne privera absolument pas le garde des sceaux de la définition d’une politique pénale puisque l’article 20 de la Constitution prévoit que c’est le Gouvernement qui « détermine et conduit la politique de la nation », et qu’il s’agit en l’occurrence d’une politique publique.
Pour tenter de vous en convaincre, monsieur le député, je me ferai un plaisir de vous transmettre d’ici la fin du mois la circulaire en matière de politique pénale que je vais adresser à l’ensemble des parquets pour préciser les orientations que je souhaite en tant que garde des sceaux, et je vais le faire en tenant compte des procureurs, dont je respecte l’indépendance à la fois dans leur manière d’agir et de définir leurs fonctions.
Et puis, d’une manière assez révélatrice, vous avez parlé pour l’essentiel du pénal alors que ce n’est pas le coeur de ce texte. Son objet essentiel, c’est la justice du quotidien, celle relative au contentieux de la famille, au surendettement, à la tutelle, au contentieux du logement. L’année dernière, 2 600 000 décisions ont été rendues. Il s’agit de la justice des affaires sociales, de la justice des affaires commerciales. Aujourd’hui, c’est six mois d’attente avant d’obtenir un référé pour un versement de salaire au tribunal de commerce de Paris, trois ans pour une décision de divorce par contentieux à Bobigny...
…alors qu’il faudrait que le juge puisse trancher vite pour que certaines des parties soient mieux protégées. Voilà la justice que nous essayons d’améliorer.
Vous avez défini le projet de loi par des ambitions dans lesquelles je ne me reconnais pas. Au contraire, j’ai foi en la modestie car je sais la faiblesse des moyens dont je dispose, la hauteur des attentes de la population et qu’on ne devient pas un justiciable par choix mais par obligation, et que les quatre millions de Français qui entrent dans nos Palais de justice ont besoin d’avoir une justice qui fonctionne bien, plus efficace, plus indépendante. Mon ministère essaye modestement d’y contribuer. Que vous n’ayez pas perçu quelle est donc ma réelle ambition est un regret personnel, mais j’aurai tous les débats qui vont suivre pour vous la faire partager.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Dans les explications de vote, la parole est à M. Alain Tourret, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Cher collègue, j’ai écouté avec beaucoup d’attention votre intervention : vos critiques ne peuvent tenir lieu de programme ; j’ai cherché, mais en vain, vos propositions pour le justiciable du quotidien, celui qui va de tribunaux en tribunaux et qui a tant de mal à obtenir une décision. Il ne suffit pas d’attaquer la majorité, de nous reprocher du laxisme ou de l’angélisme : il faut aussi avoir le sens de l’État. Monsieur Huyghe, ayez le sens de l’État, ayez le sens de la République. Où sont les Debré, les Capitant, les Mazeaud ?
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Sourires sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
La parole est à M. Marc Dolez, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Notre groupe ne votera pas cette motion de rejet préalable car il nous paraît essentiel de débattre de ces deux projets de loi. En effet, ils ont vocation, d’une part, à rétablir la confiance des Français en leur justice en améliorant celle du quotidien, et, d’autre part, à permettre aux juridictions de sortir de l’asphyxie dans laquelle elles se trouvent.
Certes, et j’y reviendrai dans la discussion générale, il y a un réel décalage entre l’ambition affichée et certaines des dispositions proposées. Cela étant, les deux textes contiennent plusieurs avancées qui méritent d’être prises en considération, et nous souhaitons donc que s’ouvre le débat.
La parole est à Mme Colette Capdevielle, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Je me permets de rappeler que cette motion de procédure a en principe pour objet de démontrer que le texte proposé est contraire à une ou plusieurs dispositions constitutionnelles ou qu’il n’y a pas lieu à délibérer. J’ai trouvé l’intervention de notre collègue vraiment vide de contenu à cet égard.
Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.
C’est un discours rabâché, un disque usé, souvent hors sujet, et qui, de surcroît, s’est principalement concentré sur l’aspect pénal. Le titre du projet de loi a été critiqué alors que celui-ci vise, en la réformant, à faire passer l’ensemble de notre justice du XXe siècle au XXIe siècle. C’est un texte pragmatique mais aussi et surtout progressiste, ce qui manifestement vous dérange. Pourtant, vous reconnaissez que la réforme du divorce est importante, que ce n’est pas une mesurette mais une véritable révolution.
Contraindre à la conciliation préalable, notamment pour les petits litiges, n’est pas non plus une mesurette car cela va modifier complètement les comportements et surtout responsabiliser les justiciables plutôt que de continuer à les faire attendre qu’un juge rende une décision.
Très nostalgique, M. Huyghe est bien le seul à venir encore nous faire la réclame en faveur des tribunaux correctionnels pour mineurs.
Je pense, mon cher collègue, que vous êtes aujourd’hui vraiment le seul puisque plus personne, pas un magistrat, ne veut les voir persister.
Quant aux peines planchers, désolé de vous rappeler que la question a été réglée depuis plusieurs années maintenant.
Il est vrai, monsieur Huyghe, que vous êtes là aussi très nostalgique… mais c’est fini.
Aujourd’hui, nous voulons une justice du XXIe siècle et c’est pourquoi notre groupe soutient ce texte et vous demande, chers collègues, de rejeter cette motion de rejet préalable.
Le texte, finalement très ambitieux,…
…modifiera totalement le rapport du justiciable à la justice. Tel est l’objectif du garde des sceaux et des rapporteurs, que nous partageons : faire en sorte que les justiciables reprennent confiance dans le système judiciaire.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Monsieur le ministre, je voterai naturellement cette motion de rejet. Vous avez fait ce soir de nombreux aveux, chose finalement assez normale pour un ministre de la justice.
Vous avez tout d’abord fait un aveu de faiblesse s’agissant de vos moyens. Vous n’en êtes pas responsable personnellement, puisque vous arrivez en fin de quinquennat. Vous avez dénoncé très fortement dans la presse la clochardisation de la justice, un terme que j’ai moi-même employé.
Vous avez également fait l’aveu que ce projet n’ouvre pas de nouveaux chantiers. Certes, certains dispositifs intéressants mériteraient que nous les votions. Il en va ainsi du divorce par consentement mutuel ou du statut de juge spécialisé conféré au juge des libertés et de la détention.
Mais, franchement, où est cette réforme du XXIe siècle, que son intitulé promettait ? Ce ne sera pas le grand soir de la justice, monsieur le ministre. Je ne crois d’ailleurs pas que vous en ayez l’ambition, en fin de quinquennat.
Quelle place occupe le juge dans notre société, aujourd’hui ? Y avons-nous réfléchi ? Ne devrions-nous pas aller vers une séparation claire du parquet et du siège ? Y avons-nous réfléchi ? L’indépendance du parquet et du siège, à laquelle vous êtes attaché – tout comme moi, vous le savez – mériterait peut-être aussi que nous reprenions le souhait de Sébastien Huyghe. Afin d’assurer l’unicité de l’action publique dans notre pays, nous pourrions imaginer, comme en Espagne, qu’un procureur général applique dans l’ensemble du pays les directives que vous adresseriez, en tant que garde des sceaux.
Quant au juge d’instruction, il traite environ 1 % des affaires pénales. Pourquoi n’avons-nous pas réfléchi à une procédure plus contradictoire ? Le juge des libertés et de la détention pourrait en effet recouvrir l’ensemble des procédures. Nous irions ainsi vers une procédure plus contradictoire, plus transparente, plus respectueuse de la présomption d’innocence.
Aussi, je pourrais vous répondre de cette façon, monsieur Tourret : Où sont les Badinter ? Où est la vision de la justice ? Où est ce nouveau souffle d’une justice pour le XXIe siècle, que les juges attendent, eux qui sont ballottés au gré des alternances ? On fait, on défait, on crée, on supprime – voyez les peines plancher et les tribunaux correctionnels pour mineurs. Imaginez-vous le quotidien de ces juges qui, demain, devront appliquer une autre procédure, parfois pour revenir à celle qu’ils appliquaient autrefois ? Une justice véritablement indépendante, fruit d’une vraie réflexion, et susceptible d’être enfin acceptée par la société : voilà de quoi nous avons besoin. C’est pourquoi je voterai cette motion.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.
La motion de rejet préalable, mise aux voix, n’est pas adoptée.
J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe Les Républicains une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 6, du règlement sur le projet de loi de modernisation de la justice du XXIe siècle.
La parole est à M. Éric Ciotti.
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame et messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui le projet de loi intitulé de façon très immodeste, il faut en convenir, « Modernisation de la justice du XXIe siècle » et le projet de loi organique relatif aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu’au Conseil supérieur de la magistrature.
Ces deux textes ont en commun d’afficher de grandes ambitions, du moins dans leur intitulé. Malheureusement, la réalité de leur contenu contraste par sa vacuité. Nous le déplorons car les enjeux attachés à ces projets sont considérables.
Dans un entretien du 2 avril dernier, monsieur le garde des sceaux, vous dressiez un constat lucide des dégâts causés par votre prédécesseur. Vous reconnaissiez que la justice était « à bout de souffle », soulignant la possibilité que « la machine judiciaire se grippe ». Nous partageons cet avis. Vous venez d’ailleurs, avec une grande lucidité et un certain courage, de l’admettre à nouveau : la situation de notre justice est déplorable.
Parallèlement – et cela est très préoccupant –, le sentiment de défiance des Français à l’égard de l’institution judiciaire n’a jamais été aussi profond. Vous avez rappelé en commission les résultats alarmants de certaines enquêtes d’opinion ; selon un sondage CSA de mars 2014, plus des trois quarts des Français – 77 % – pensent que la justice fonctionne mal ; et d’après le CEVIPOF, ils sont seulement 44 % à avoir confiance dans le système judiciaire. Nous ne pouvons nous résoudre à accepter de tels chiffres. Les Français doivent avoir confiance dans leur justice. Cela est essentiel : c’est notre responsabilité commune.
Monsieur le ministre, vous avez également souligné la tension grandissante qui s’était installée entre les moyens octroyés à la justice et les besoins nécessaires à la bonne mise en oeuvre de ses missions. Vous avez pertinemment ajouté qu’il était de la responsabilité du Gouvernement de proposer des remèdes. Nous souscrivons volontiers à ces analyses.
Mais derrière les paroles, il y a peu d’actes. Car en réalité, vous le savez, ces projets de loi ne régleront en rien les difficultés abyssales que la justice connaît. En effet, et contrairement à ce que vous prétendez, monsieur le ministre, il ne s’agit pas là d’une « réforme en profondeur » – pour reprendre l’expression de Paul-André Breton, président du tribunal de grande instance de Lyon et de la Conférence des présidents de TGI –, mais plutôt d’une multitude de micro-changements et de micro-mesures, aucune politique ambitieuse pour la justice n’étant clairement affichée.
Nous le regrettons sincèrement car vous aviez l’occasion de présenter la grande loi de programmation pour la justice que nous appelons de nos voeux depuis 2012 – et que pour ma part j’attends depuis plus longtemps encore –, une loi que les magistrats réclament désormais ouvertement. Compte tenu de vos propos et de votre expérience, monsieur le ministre, nous vous pensions à même de porter ce grand projet dont la justice du XXIe siècle a besoin. À la place, nous sommes confrontés, au mieux, à une somme de mesurettes et, au pire, après le passage en commission, à une addition de mesures dont l’effet risque d’être l’inverse de celui recherché. C’est d’ailleurs pour dénoncer leurs dangers que nous réclamons le renvoi du projet de loi en commission. Ce texte, qui mérite d’être amélioré, doit en effet être revu en profondeur.
Pire, alors même que la sécurité des Français exigerait une réforme profonde de la justice, alors que les magistrats eux-mêmes dénoncent les dérives de la politique conduite depuis 2012, rien dans ce projet de loi ne traduit une réelle inflexion dans votre politique.
Les quelque 300 amendements adoptés en commission – dont beaucoup présentés par vous, monsieur le ministre, ce qui est une nouveauté – ne modifient pas la donne, au contraire.
Je vous donne néanmoins acte, monsieur le ministre, des quelques dispositions intéressantes de ces projets de loi, tout en regrettant à nouveau qu’elles ne soient pas à la mesure des enjeux. Le projet de loi organique contient pour l’essentiel des dispositions à caractère technique et de gestion – dispositions destinées à améliorer la gestion du corps judiciaire, nouveau cadre déontologique, renforcement de l’indépendance du parquet. Ces mesures sont certes intéressantes mais nous sommes très loin des grandes évolutions attendues en matière de simplification de l’organisation judiciaire et des procédures juridictionnelles – Georges Fenech évoquait cette ambition à l’instant.
Le même constat s’impose s’agissant du projet de loi ordinaire : une fois encore, l’affiche est belle mais le contenu est extrêmement décevant. Le texte prévoit quelques dispositions opportunes, tel qu’un service d’accueil unique du justiciable, le développement du recours à la conciliation, la collégialité de l’instruction ou l’amélioration de la répression de certaines infractions routières. Il est vrai que certaines de ces dispositions peuvent contribuer à faire diminuer l’engorgement judiciaire que vous dénonciez à l’instant, monsieur le ministre.
Pour autant, vous vous êtes engagé sur une voie qui nous paraît périlleuse, celle de la nouvelle procédure de divorce. Vous l’avez fait sans débat, sans étude d’impact, sans véritable concertation avec les acteurs concernés – magistrats, avocats, associations familiales.
Vous vous engagez aujourd’hui dans une véritable révolution puisque cette nouvelle procédure de divorce ne requiert plus l’intervention du juge.
Une telle évolution – sur laquelle nous pouvons avoir des divergences – aurait mérité un débat plus approfondi…
…plutôt que d’être engagée au détour d’un amendement.
Par ailleurs, une telle réforme ne saurait se faire au détriment des plus faibles – nous sommes extrêmement attachés à ce point essentiel. Le groupe Les Républicains a donc déposé un amendement réservant cette procédure aux couples sans enfants mineurs, afin d’éviter les dérives que l’on peut pressentir si le texte était adopté en l’état.
Ainsi, monsieur le ministre, nous déplorons une occasion manquée d’engager la vraie réforme de la justice dont la France a besoin. Ces textes étaient décevants dès leur dépôt ; ils sont devenus préjudiciables à la suite du travail de la commission des lois.
En effet, le Gouvernement et les députés de la majorité ont cédé à leurs vieux démons idéologiques, qui les hantent depuis 2012, notamment en adoptant, sans étude d’impact, un amendement gouvernemental de dernière minute visant à supprimer les tribunaux correctionnels pour mineurs. La démarche est purement idéologique.
Les tribunaux correctionnels pour mineurs, présidés par un juge des enfants assisté de deux autres magistrats, étaient caractérisés par une plus grande solennité de jugement. Pour les mineurs les plus ancrés dans la délinquance, ils étaient le signe que la justice sait s’adapter aux infractions commises ainsi qu’à l’âge et à la personnalité des mis en cause. La création de ces tribunaux en 2011 répondait à la montée d’une délinquance juvénile de plus en plus inquiétante.
Une étude menée en 2011 par l’Observatoire national de la délinquance établissait alors que les 14-18 ans, qui représentent à peine 5 % de la population française, sont mis en cause dans 25 % des viols et agressions sexuelles, 34 % des cambriolages et 46 % des vols avec violence.
La suppression de ces tribunaux constitue un signe particulièrement négatif adressé aux délinquants mineurs les plus difficiles, pour reprendre les termes d’André Varinard. Cette suppression est d’autant plus regrettable et préjudiciable qu’une réforme profonde de l’ordonnance de 1945 est devenue indispensable. Là encore, monsieur le ministre, comme pour le divorce, vous écourtez ce débat. Vous le caricaturez et le limitez à sa plus simple expression, ce que nous ne pouvons que déplorer et condamner.
Depuis quarante ans, la délinquance des mineurs ne cesse de progresser ; elle s’est installée durablement sur l’ensemble du territoire et, plus particulièrement, dans certains quartiers de la République, qui sont devenus des zones de non-droit. Cette situation doit nous amener, mes chers collègues, à repenser globalement, totalement, fondamentalement la justice des mineurs. Les mineurs d’aujourd’hui n’ont plus rien à voir avec ceux de 1945.
Les amendements proposés par le Gouvernement et adoptés par la commission des lois, notamment le rétablissement de la convocation aux fins de jugement devant le juge des enfants, sont particulièrement décevants ; ils sont même extrêmement dangereux. Le doyen Carbonnier rappelait que « ce qui fait la règle de droit, c’est la chance qu’elle a d’orienter le comportement effectif de ses destinataires ». Croyez-vous réellement, monsieur le ministre, que vos amendements vont permettre d’endiguer la délinquance juvénile ?
Nous avons pour notre part déposé une série d’amendements visant à réformer profondément, et de façon ambitieuse, la justice des mineurs.
Aujourd’hui, les mineurs de plus de seize ans représentent 47 % des mineurs impliqués dans des affaires pénales, soit presque la moitié.
C’est pourquoi nous proposerons, à travers un amendement que je défendrai, d’abaisser à seize ans la majorité pénale.
L’excuse de minorité demeure, mais elle doit devenir une exception.
De nombreux pays ont fait ce choix.
Au Portugal, la majorité pénale est fixée à seize ans, en Suède, à quinze ans, en Grèce, à dix-sept ans.
Cher collègue, ne caricaturez pas cette démarche ; elle est sérieuse, et il faudra que l’on y vienne si l’on veut réellement s’attaquer à ce fléau et non pas y apporter des solutions qui ne feront que l’aggraver, comme vous le faites avec ce texte.
De plus, disais-je, les causes de l’aggravation de la violence des mineurs tiennent en partie à un affaiblissement de l’autorité et de l’encadrement parental. Là encore, nous souhaitons proposer des solutions concrètes, avec notamment un contrat comprenant l’ensemble des mesures de contraintes et de suivi imposées au délinquant mineur qui sera établi entre la justice et les parents. En vertu de ce contrat, les parents seront dans l’obligation de s’assurer que l’enfant mineur respectera bien l’ensemble des obligations et interdictions auxquelles il est astreint.
Plus généralement, monsieur le ministre, alors que ce texte aurait pu vous offrir l’occasion de corriger les errances de votre prédécesseure, vous ne déviez pas de la politique en vigueur au plan pénal depuis quatre ans.
D’abord, vous ne vous attaquez pas à la récidive. Les peines planchers pour les délinquants récidivistes mises en place par la précédente majorité…
…doivent être rétablies – c’est ce que nous proposerons. Ces peines ont été prononcées à plus de 60 % contre des auteurs de violences aux personnes et de délits sexuels ; il s’agit d’un principe de précaution qui a fait ses preuves, en s’attaquant au noyau dur de la criminalité et de la délinquance, composé de 5 % des délinquants mais responsable de plus de 50 % des délits. En dépit de ce bilan favorable, pour des raisons strictement idéologiques, votre majorité l’a abrogé.
Vous ne vous attaquez pas plus à la question centrale de l’exécution des peines.
Les condamnations sont aujourd’hui trop souvent, voire presque systématiquement déconstruites par l’aménagement, l’inexécution ou la réduction de la peine. La déconstruction systématique des peines engendre la profonde incompréhension que j’évoquais au début de mon propos et un dangereux sentiment de défiance envers notre justice.
Monsieur le ministre, vous avez cité des chiffres plutôt terrifiants : 89 000 peines sont en attente d’exécution. Ces chiffres, vous nous les avez donnés en commission des lois la semaine dernière. Or rien dans le texte n’est prévu pour remédier à cette situation et au tragique constat de l’échec des politiques pénales conduites au cours des dernières années.
C’est un message d’impunité irresponsable qui est trop souvent envoyé aux délinquants. C’est une atteinte aux droits des victimes, qui finissent par croire que ceux qui ont commis à leur encontre des actes qui ont été condamnés par des juridictions de jugement ne verront jamais leurs peines suivies d’effet. C’est une injustice majeure. C’est enfin, au regard de l’aspect dissuasif de la peine, une erreur fondamentale.
Nous défendrons là encore plusieurs amendements afin de rendre plus effective l’exécution des peines, en limitant les réductions et les aménagements de peine et en renforçant la collégialité des décisions d’aménagement de peine. Il n’est plus acceptable qu’une décision prononcée souverainement au nom du peuple français par une juridiction de jugement soit déconstruite dans l’anonymat du seul cabinet du juge d’application des peines.
Dans le même esprit, afin de renforcer l’efficacité de notre système pénal, nous défendrons une approche de l’exécution des peines visant à placer le parquet en véritable pilote – et un pilote unique – de l’application des peines. Il s’agit d’une exigence de cohérence avec ses missions et d’une exigence de gestion des peines d’emprisonnement concernant les condamnés libres.
Vous ne vous attaquez pas plus, monsieur le ministre, à la situation extrêmement préoccupante de l’administration pénitentiaire – bien que vous ayez dressé, avec raison, le tableau d’une administration qui manque aujourd’hui cruellement de moyens. L’administration pénitentiaire est privée de moyens d’action adaptés aux formes actuelles de la menace, notamment celles liées à la radicalisation, alors qu’elle constitue un maillon essentiel de la prévention et de la lutte en matière de criminalité et de délinquance. Il est urgent d’y remédier.
Ce n’est pas possible, il vient de la planète mars ! C’est Hibernatus !
Dans cette logique, nous proposons, en accord avec la plupart des syndicats pénitentiaires, de donner aux directeurs d’établissement pénitentiaire et aux chefs de détention la qualité d’officier de police judiciaire. Je regrette que vous ayez refusé en commission de soutenir cette avancée pourtant essentielle : en détention, les outils et les compétences à la disposition du personnel pénitentiaire sont dangereusement insuffisants.
Enfin, le projet de loi est silencieux s’agissant de la place de la victime dans le procès pénal. Actuellement, la victime peut uniquement faire appel d’une décision portant sur les dommages et intérêts. Elle ne peut interjeter appel d’une décision d’acquittement ou de relaxe. La loi ne réserve cette faculté qu’au parquet et à la défense. Cette limitation apparaît injustifiée au regard des évolutions de notre société. Je défendrai un amendement tendant à permettre aux parties civiles d’interjeter appel des décisions d’acquittement ou de relaxe.
Voilà des lacunes fortes, trop importantes, monsieur le ministre. De la même façon, le projet de loi organique passe à côté des enjeux urgents et majeurs pour notre justice. L’exigence de transparence, à laquelle nous sommes tous attachés, et de déontologie au sein de la sphère publique doit être appliquée aux magistrats. Vous créez un entretien déontologique pour les magistrats ayant une activité juridictionnelle : cela est très bien, mais ne saurait suffire. Il est indispensable d’aller bien au-delà.
La scandaleuse affaire du « mur des cons » a jeté l’opprobre sur la justice tout entière, du fait du comportement d’une minorité d’extrémistes. Elle a laissé une cicatrice profonde entre l’opinion et la justice. C’est une triste illustration de la dérive d’une toute petite partie de la magistrature, mais d’une petite partie agissante. Le Syndicat de la magistrature avait en effet pris pour cible des hommes politiques.
Le Premier ministre de l’époque figurait sur ce « mur des cons », comme beaucoup d’entre nous. Nous avons l’habitude de ce genre de choses. Ce qui est beaucoup plus grave, beaucoup plus choquant, beaucoup plus honteux, c’est que ce syndicat, le Syndicat de la magistrature, avait pris aussi pour cible des victimes, notamment le général Schmitt, père d’Anne-Lorraine Schmitt, cruellement assassinée dans le RER, à Paris.
M. Éric Straumann applaudit.
Cette attitude n’a soulevé aucune réaction de la part de votre prédécesseure, qui s’est refusée,…
Je sais que cela vous gêne, monsieur Mennucci, mais c’est la vérité ! Cette affaire est une tache indélébile sur la politique pénale de Mme Taubira : aucune sanction disciplinaire n’a été prise à l’encontre du syndicat en cause. Aujourd’hui, il faut en tenir compte !
Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Monsieur Mennucci, je vous en prie ! Votre comportement est inadmissible !
Finalement, et cela en dit long sur les moeurs politiques de ce gouvernement,…
Mêmes mouvements
…la seule personne qui dans cette affaire ait été sanctionnée est le journaliste qui a diffusé l’information : il a perdu son emploi à France Télévisions !
« Eh oui ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.
Voilà la réalité de la justice actuelle et d’une certaine forme de gestion !
Je le dis solennellement : notre démocratie exige l’indépendance des magistrats, mais aussi leur totale impartialité. Il n’est pas tolérable, dans une démocratie, que des magistrats censés rendre la justice au nom du peuple expriment, sous le couvert de liberté syndicale, des positions politiques souvent tranchées.
Ce même syndicat appelait à faire battre l’ancien Président de la République : est-ce concevable dans une démocratie qui se respecte ?
La totale indépendance de la justice impose de mieux encadrer le devoir de réserve des magistrats face à d’éventuelles options partisanes qui affaiblissent l’institution judiciaire dans son ensemble.
Nous avons déposé des amendements dans ce sens. J’en ai personnellement déposé un visant à introduire des limitations de durée à l’appartenance syndicale.
Guillaume Larrivé en a rédigé un autre.
À l’opposé, vous avez, monsieur le garde des sceaux, introduit dans le texte des limitations de durée aux procédures disciplinaires conduites devant le Conseil supérieur de la magistrature.
Cela nous inquiète, car une telle disposition permettrait qu’il n’y ait jamais de sanctions prises contre ceux qui ont érigé le « mur des cons ».
C’est un scandale ! L’article introduit en particulier un délai de trois ans en matière d’action disciplinaire contre les magistrats de l’ordre judiciaire.
À l’heure où l’on débat sur l’allongement des durées de prescription, elles seraient diminuées pour les seuls magistrats ? Comment comprendre cela ? Comment nos concitoyens pourraient-ils l’accepter ? Tout cela pour exonérer définitivement ceux qui ont commis cette faute, alors que ceux-ci auront à en rendre compte un jour, en dépit de la protection que vous leur avez assurée !
Très concrètement, et pour conclure, cette disposition interdira au pouvoir sorti des urnes en 2017 d’engager toute poursuite disciplinaire contre les magistrats engagés dans l’affaire du « mur des cons ».
Il est scandaleux d’offrir ainsi une forme d’impunité aux magistrats qui se sont rendus coupables de cet épisode.
Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la justice a besoin d’une grande réforme : ses procédures sont devenues obsolètes, les magistrats sont débordés, ils manquent de moyens et croulent sous les dossiers.
Compte tenu du nombre de postes que vous avez supprimés, ce n’est guère étonnant !
Ce constat, vous l’avez formulé et nous le partageons. Mais les textes que vous nous présentez, monsieur le garde des sceaux, ne sont en rien à la hauteur de ces enjeux ; au pire, ils contiennent même des mesures particulièrement dangereuses, qui contribueront à aggraver une situation déjà passablement dégradée. C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous invite à voter cette motion de renvoi en commission : cela nous permettra de revenir sur les principales dispositions du texte et de lui donner une véritable ambition.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
L’avantage des motions de procédure régulièrement défendues par Éric Ciotti dans l’hémicycle est qu’elles nous permettent d’assister à une sorte de « best of »…
Sourires sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Vous vous livrez régulièrement, monsieur le député, aux mêmes exercices, en usant de la même rhétorique et du même appareil argumentatif. Je vous remercie donc de rappeler, de façon régulière, les épisodes précédents à ceux qui, par une omission coupable, n’avaient pas eu le privilège de vous écouter.
Dire que vous nous avez étonnés par ces arguments serait sans doute un peu excessif.
Mêmes mouvements.
De fait, il me semble avoir souvent entendu votre discours rituel sur le « mur des cons » : à chaque fois, vous omettez de rappeler que la présidente du syndicat auquel vous prêtez tant d’influence est aujourd’hui poursuivie devant les tribunaux, et qu’elle sera jugée.
Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Des poursuites sont engagées, que je sache.
Ces poursuites attestent l’indépendance de la justice et notamment des parquets, indépendance que vous voulez leur nier.
Accepterez-vous un jour, cher Éric Ciotti, de quitter le confort de la posture pour regarder la réalité que vous et moi connaissons ?
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Je sais bien que Christiane Taubira vous manque, à vous aussi…
Rires et applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Je le comprends, mais souffrez que le Gouvernement fasse preuve de constance dans sa politique, laquelle regarde la réalité en face. Sous la précédente législature, vous avez rédigé un rapport sur l’exécution des peines ; et – preuve qu’il m’arrive d’avoir des absences coupables – je devrais l’apporter ici, pour vous rappeler ce que vous écriviez à ce sujet, en l’occurrence sur l’inexécution des peines.
Vous savez comme moi qu’il ne s’agit pas d’un stock mais d’un flux, que chacun s’emploie à réduire ; et vous en connaissez les raisons objectives : quand un tribunal condamne un individu, encore faut-il savoir où il se trouve, car il n’est pas toujours présent à l’audience.
Vous savez aussi qu’un certain nombre de condamnations sont aménagées ab initio et que, contrairement à ce que vous dites – et malheureusement de mon point de vue –, ces condamnations vont diminuant, d’où la suroccupation carcérale. Je souhaite, pour ma part, un recours plus fréquent aux outils que le législateur met à la disposition des magistrats.
Les problèmes dont nous parlons sont complexes, c’est vrai. Vous avez attaqué le Gouvernement sur sa politique carcérale : sur ce point, je vous donne rendez-vous au début du mois de juillet prochain. J’ai en effet proposé au président Raimbourg de venir m’exprimer devant la commission des lois à l’occasion de la remise de mon rapport sur l’encellulement individuel – chacun, d’ailleurs, connaît mon appétence pour les rapports que le Gouvernement doit rendre à l’Assemblée nationale…
Sourires.
Quoi qu’il en soit je me plie à la règle. Nous établirons donc à cette occasion, monsieur le député, la vérité des chiffres. J’écrirai noir sur blanc combien de prison ont été fermées pendant la période où votre famille politique était aux responsabilités.
Je ferai le bilan s’agissant du nombre de places en prison.
J’en parlerai de la même façon, et avec la même lucidité. Je rappellerai les engagements pris par Mme Alliot-Marie en 2010. J’ai rencontré cet après-midi des élus de Clairvaux, de la Haute-Marne et de l’Aude, qui, pour l’essentiel, appartiennent à votre famille politique. Nous avons parlé de cette réalité des chiffres, comme j’en parlerai devant votre assemblée. Si nous ne faisons rien, notre pays atteindra un terrible record, celui du nombre de places en prison, avec des chiffres qui dépasseront le seuil de la suroccupation.
Nous sommes garants de la dignité de ceux qui travaillent en prison comme de ceux qui y accomplissent leur peine.
Je parlerai de tout cela, monsieur Ciotti, je rappellerai les engagements pris par la précédente majorité, chiffres à l’appui, et les financements qui leur étaient associés.
Si la situation avait été réglée, nous n’aurions pas à faire certains choix aujourd’hui. Vous le savez comme moi, ce n’est pas en dix-huit mois que l’on peut décider de construire une prison. J’aurais beaucoup de plaisir à inaugurer des prisons que vous auriez décidé de financer en 2012 : quatre ans après, il serait possible de le faire. J’en inaugurerai une, d’ailleurs, et peut-être m’accompagnerez-vous à cette occasion : je pourrai alors reconnaître ce que vous avez fait. Je ne suis pas sûr, toutefois, d’avoir à consacrer beaucoup de lignes au bilan carcéral que vous avez évoqué.
Je terminerai par un dernier chiffre. Il faut dire la vérité à la représentation nationale ainsi qu’à l’opinion, je revendique ce choix. Oui, notre justice est malheureusement à bout de souffle ; oui, elle est en voie de clochardisation – et non clochardisée. C’est pourquoi nous devons, tous ensemble, consentir les efforts nécessaires, vous comme nous. Nous les consentons pour ce qui nous concerne, mais je vous attends sur le vote du budget, car nous avons créé des postes : j’en rends grâce à Christiane Taubira.
Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Non, monsieur le député, absolument pas : plusieurs de vos amis se félicitent des créations de poste décidées par Christiane Taubira.
Je l’ai dit cet après-midi : si nous nous étions bornés à respecter les engagements du Président de la République, nous aurions créé 2 500 postes entre 2012 et 2017 ; or nous en avons créé 4 500 entre 2012 et 2016.
Je vous prends au mot : peut-être un jour reviendrez-vous au pouvoir ;…
…nous verrons alors si vous faites aussi bien. Franchement, en matière de créations de poste dans les tribunaux, les prisons, les greffes et la protection judiciaire de la jeunesse, nous avons un vrai bilan : sur cette question-là, je ne crains aucunement la clarté.
Reste que j’ai besoin de vous pour voter un budget qui tiendra compte des difficultés que je rappelais. Tels sont les vrais sujets : quittez le confort de l’opposition ; accompagnez-nous dans les efforts.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Nous en venons aux explications de vote sur la motion de renvoi en commission.
La parole est à M. Alain Tourret, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Votre constat, cher M. Ciotti, est implacable, mais il renvoie aux quatorze dernières années : les dix années de 2002 à 2012, et les quatre premières années du présent quinquennat, celui du Président de la République François Hollande. Effectivement, la justice souffre : homme de justice, j’ai pu le constater au cours des quarante ans que j’ai passés dans les tribunaux. La justice souffre parce qu’elle n’a plus ni magistrats, ni greffiers, ni secrétaires, et parce que l’on ne peut répondre à certains de ses besoins informatiques ; elle souffre aussi de l’insalubrité des bâtiments dans lesquels on la rend. Telle est la réalité.
J’ai souvent parlé des majorités d’idées : le sujet dont nous parlons ne mériterait-il pas une telle majorité ? Ne pourrions-nous nous mettre d’accord sur un budget que nous voterions ensemble, ou sur un certain nombre de grandes mesures ?
Vous estimez, monsieur Ciotti, que celles qui ont été prises s’agissant des prisons demeurent insuffisantes. La situation des prisons, vous répondrai-je, est indigne pour ceux qui y travaillent comme pour ceux qui y accomplissent leur peine. Nos maisons d’arrêt sont dans une situation insupportable. Celle de Caen – puisque je suis député du Calvados – a fait l’objet de plusieurs condamnations, tant la situation y est contraire à la simple Déclaration des droits de l’homme. Voilà la réalité ; et puisque la justice souffre, efforçons-nous de répondre à cette souffrance.
D’autre part, je ne m’explique pas votre désintérêt pour la justice civile : il semble que vous ne connaissiez d’autre justice que la pénale.
La justice civile est celle des divorces, des droits de propriété, du règlement des créances ou des accidents de voiture. Il est tout aussi essentiel de donner des moyens à cette justice-là : si vous l’ignorez, c’est que votre réflexion sur le rôle du juge n’est pas aboutie.
Les textes qui nous sont proposés ne sont pas des « fourre-tout » ; leur intérêt est qu’ils s’apparentent à ce que l’on appelait, au XVIIIe siècle, des cabinets de curiosités. Il s’agit de réfléchir à ce qu’est et à ce que doit être le juge. Le juge doit décider, et déterminer qui a gain de cause et qui est condamné : tel est son rôle. Si notre réflexion sur la justice ne part pas d’une réflexion sur les juges, elle est vouée à l’échec.
Voilà pourquoi il me paraîtrait bienvenu de trouver des majorités d’idées, mais aussi des solutions ; d’où notre opposition à la présente motion.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Les arguments de M. Ciotti sont connus, puisqu’il les assène régulièrement en commission des lois ou dans l’hémicycle. Ils ne changent donc pas d’une séance à l’autre, preuve qu’il existe, dans cette assemblée, une majorité et une opposition.
Je me félicite donc que la majorité soit unie sur les présents textes : de fait, on a parfois eu le sentiment, dans le passé – même lorsque Mme Taubira était garde des sceaux –, que la commission des lois était en quelque sorte cogérée par la majorité et par l’opposition ; c’est en tout cas le sentiment que j’ai eu sur certains textes répressifs – vous le savez, cher monsieur Ciotti.
M. le garde des sceaux et M. Tourret l’ont rappelé, la situation du service public de la justice, difficile sinon critique, n’est pas née avec l’élection de François Hollande.
La moindre des choses serait de reconnaître que ces difficultés se sont accumulées depuis des dizaines d’années.
Même quelqu’un comme moi, qui me montre critique à l’égard des politiques conduites, peut se féliciter d’un budget préservé – et même en augmentation – et de plusieurs mesures qui font consensus – telles les simplifications proposées, la promotion des modes alternatifs de gestion des litiges ou le changement relatif au PACS. Le texte, contrairement à ce qui a été dit en commission, ne manque pas d’ambition : il constitue un progrès qu’il faut saluer. De ce point de vue, la critique partiale, violente, toujours à charge de M. Ciotti tombe un peu à plat de par son outrance même.
Aussi ne voterai-je pas la motion de renvoi en commission : je me réjouis, tout au contraire, de poursuivre le travail qui y a été amorcé. Cela permettra peut-être à la majorité de se retrouver – une fois n’est pas coutume – pour faire avancer le service public de la justice.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
La parole est à M. Yves Goasdoué, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, ces motions de procédure s’apparentent un peu aux figures imposées du patinage artistique.
Sourires.
Vous avez conduit, monsieur Ciotti, une belle démonstration, qui toutefois n’avait pas grand-chose pour nous surprendre : si vous faites varier les figures en fonction du lieu où vous vous exprimez, vous répétez les mêmes choses avec une belle constance.
Votre connaissance du texte n’est nullement en cause : vous le connaissez parfaitement, et savez donc que la plupart de vos propos sont hors sujet ; ils vous ont seulement permis de réaffirmer votre doctrine.
Je ne veux pas employer le ton de la polémique : M. le garde des sceaux l’a dit, le jeu des postures lasse terriblement les Françaises et les Français.
Celles et ceux qui nous regardent veulent savoir comment les choses seront menées, et comment elles le seraient si votre famille politique, monsieur Ciotti, revenait au pouvoir. Je n’irai donc pas au fond des choses.
Chacun a compris que ce texte ne visait pas essentiellement la politique pénale mais avait pour objet de définir la place du juge, de permettre à l’ensemble de nos concitoyens de s’y retrouver, d’accéder à la justice, de ne pas être traumatisés par une machine qu’ils ne comprendraient pas et de permettre autant que faire se peut la conciliation, car le fait d’affronter un procès, fût-il civil, est toujours extrêmement traumatisant. Ce texte n’est pas un fourre-tout. Le garde des sceaux l’a dit, les idées justes sont des idées utiles. Or, ce texte sera utile aux Françaises et aux Français. C’est pourquoi nous ne voterons évidemment pas votre motion de procédure.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Je crois utile de présenter un certain nombre de constats, ou, pour ainsi dire, de miscellanées, pour nous permettre de comprendre ce qu’est la « justice du XXIe siècle ». Sécurité routière : bilan désastreux du Gouvernement, on le sait. Or, votre projet de loi prévoit le passage en amende forfaitaire de la conduite sans permis et de la conduite sans assurance. Le message envoyé est redoutable.
Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Ah non ! Lisez le texte !
C’est ce que j’ai compris à sa lecture – je ne suis d’ailleurs pas le seul – mais, si le texte n’introduit pas de changement, vous nous le direz.
Nous vivons une époque qui exige des repères et de la stabilité. À cet égard, nous ne sommes pas sûrs que la facilitation, telle que vous l’établissez, du changement de prénom, et même du changement de nom, pour se rapprocher d’un état-civil étranger, soit véritablement une bonne solution. On peut nourrir des craintes en ce domaine.
Surtout, je voulais intervenir sur votre proposition de déjudiciarisation du divorce. Ce n’est pas une première. Cette idée avait malheureusement déjà germé lors du quinquennat précédent, mais la majorité de l’époque avait souhaité – et obtenu –, à une large majorité, qu’elle fût abandonnée. Vous le savez, le Défenseur des droits lui-même l’a souligné, une question grave de respect du droit des enfants est posée. Les enfants pourront demander à s’exprimer. Le demanderont-ils ? Les conditions dans lesquelles ils pourraient le faire seront-elles respectées ? Le Défenseur des droits s’en inquiète. Nous nous en inquiétons. Il y a un problème de conformité à l’égard de la convention européenne des droits de l’homme. Cette déjudiciarisation du divorce, vous le savez, se fait au préjudice de la protection du droit des plus faibles, l’enfant, mais aussi le conjoint le plus faible.
Il s’agit – votre majorité tout entière s’emploie à cela depuis 2012 – d’une banalisation de l’institution du mariage.
Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
C’est bien le sujet ! Nous vous reconnaissons au moins une grande continuité et une grande cohérence destructrice dans votre action. Il y a une institution, le mariage,…
…, avec sa solennité, ses formes. Vous vous acharnez à la défaire, à faire en sorte que sa dissolution soit plus facile, comme l’énonce votre texte.
C’est ce à quoi nous nous opposerons, pour la plupart d’entre nous. Cela justifie amplement le renvoi en commission.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n’est pas adoptée.
Dans la discussion générale commune, la parole est à M. Alain Tourret, premier orateur inscrit.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, chers collègues, la France a besoin d’une justice moderne, d’une justice pour notre temps, le XXIe siècle. La justice est souvent conçue par les Français comme lointaine, éloignée de leurs préoccupations. Elle est rendue, il est vrai, dans des palais chargés d’histoire, souvent construits sous les Capétiens, et les magistrats continuent à porter avec fierté robe rouge et hermine, ce qui devrait faire plaisir à M. Mariton. La justice est rendue par des hommes et des femmes de grande qualité ; les plus grands de nos jurisconsultes étaient des magistrats pétris de culture, où le grec le disputait au latin. Nos parlements nous avaient montré l’exemple, et les arrêts rendus sous l’Ancien Régime étaient des chefs-d’oeuvre de raisonnement juridique, où se mêlaient deux cultures, celle des pays de droit écrit, dominés par la romanité, et celle des pays de coutume, où l’on remarquait la rigueur de la coutume de Normandie, si bien décrite par le professeur Jean Yver.
Cette culture juridique était entretenue par les juristes, les légistes, les avocats, les professeurs de droit. La France était fière de son système romano-canonique, de sa procédure civile, de son système juridictionnel chapeauté par la Cour de cassation qui, chaque année, rend plus de 4 000 décisions de cassation.
Mais la justice a souffert. Elle n’a pas reçu la protection d’une classe politique digne d’elle. Les gardes des sceaux se sont succédé. Ils ont laissé la trace de leur savoir, parfois même de leur talent, mais ils ne se sont pratiquement jamais battus pour augmenter leurs budgets, pour créer des postes de magistrats ou de greffiers. Ils ont oublié qu’une société veut être protégée et défendue, et qu’elle exige d’avoir des établissements pénitentiaires où l’on respecte la dignité des détenus et celle de leurs gardiens – à cet égard, M. Ciotti a raison.
Dès votre nomination, monsieur le garde des sceaux, vous avez fait savoir que, pendant l’année où vous alliez diriger la chancellerie, vous vous battriez pour obtenir un budget raisonnable, alors même que la France est, en Europe, l’un des pays où justice veut dire pauvreté. C’est ainsi que les experts n’étaient plus payés, que les travaux les plus simples n’étaient plus entrepris. Vous en êtes parfaitement conscient, puisque vous venez d’obtenir près de 100 millions d’euros, une première enveloppe qui répondra aux nécessités les plus urgentes, notamment en matière d’informatique. Vous avez parlé de « justice sinistrée » : le terme est exact, vous avez eu raison ; nous vous en donnons acte sur tous les bancs de cette assemblée.
Il fallait donc augmenter le nombre des magistrats qui, pourtant, n’ont jamais été aussi nombreux à sortir de l’ENM. Tant mieux, même si on aurait pu intégrer les professeurs de droit au sein de la magistrature, comme je m’évertue à le demander depuis plusieurs dizaines d’années sans être écouté. Il fallait recentrer le rôle des magistrats. En effet, un magistrat n’est ni un greffier, ni un notaire, ni un conservateur d’hypothèques. Être magistrat, c’est décider. Être magistrat, c’est donner raison à untel contre untel. Être magistrat, c’est savoir débouter. Être magistrat, c’est savoir motiver sa décision. Car décider, ce n’est pas le fait du prince. Car les justiciables ont le droit de savoir pourquoi ils perdent et, par moments, pourquoi ils gagnent. Respecter le justiciable, c’est lui expliquer quels sont ses droits, et tel est le rôle que nous impartissons aux magistrats.
Vous avez compris, monsieur le garde des sceaux, que vous pouviez utiliser une fenêtre de tir et intervenir dans l’espace législatif ouvert par la « justice du XXIe siècle », si bien préparée par votre prédécesseur. Il fallait, dans un premier temps, répondre à certaines impatiences, de nature politique, car la chancellerie ne se trouve pas place Beauvau, et l’on ne peut se contenter du sécuritaire, qui domine tout à l’ère du terrorisme. Vous avez donc eu raison de vous engager sur la justice des mineurs, en supprimant, ainsi que je vous l’avais demandé, les tribunaux correctionnels pour mineurs créés par la loi du 10 août 2011. Le mineur délinquant doit d’abord bénéficier de mesures éducatives. C’est pourquoi il fallait supprimer ces tribunaux correctionnels spécialisés, qui ne concernent, il faut le rappeler, que 1 % des contentieux. Il était par ailleurs paradoxal que le tribunal pour enfants connaisse du jugement des faits criminels commis par des mineurs de moins de seize ans, mais non pas des jugements délictuels des mineurs de seize ans et plus en état de récidive légale. Et comment ne pas reconnaître que cette juridiction mettait à mal la primauté de l’éducatif instauré par l’ordonnance du 2 février 1945 et l’article 40 alinéa 3 de la convention internationale des droits de l’enfant ?
En renforçant le rôle du juge des libertés, en répondant aux demandes de collégialité pour certaines des missions dévolues au juge d’instruction, vous avez répondu à tous ceux qui veulent rétablir un certain équilibre entre un parquet tout-puissant, peut-être surpuissant, et les juges de la liberté et de la détention, dont on a souvent sous-estimé l’importance. Vous avez également fait preuve d’imagination, monsieur le garde des sceaux, en instituant un nouveau corps de juristes assistants, qui pourront intervenir au soutien de magistrats, aussi bien en matière civile que pénale.
Les magistrats, c’est une nouveauté, devront répondre à des obligations nouvelles en matière de conflit d’intérêts et de déclaration de patrimoine. Il me semble que si l’on avait dû expliquer cela, il y a une vingtaine d’années, à des magistrats, l’hermine leur serait tombée des épaules.
Sourires.
Vous avez également décidé de répondre au grand problème de santé publique en fusionnant les tribunaux des affaires de la Sécurité sociale, les TASS, les tribunaux du contentieux de l’incapacité, les TCI, et les commissions départementales d’aide sociale, les CDAS. C’est un dossier colossal, que je connais fort bien. En effet, l’amiante, a tué, a blessé des centaines de milliers de personnes…
…dans notre département – je me tourne vers Yves Goasdoué –, en particulier dans la ville de Condé-sur-Noireau. Il va falloir nommer des centaines de magistrats, tellement le stock à résorber est important. Monsieur le ministre, comment ne pas donner raison à des veuves qui ont perdu leur mari uniquement parce qu’elles ont nettoyé des bleus de travail qui contenaient de la poussière d’amiante ? Cette poussière est présente sur tout Condé-sur-Noireau, et elle tue. Comment pourrait-on ne pas donner satisfaction à ces personnes ? Je vous demanderai de bien vouloir les recevoir, monsieur le ministre.
Vous avez répondu à des problèmes que nous connaissons bien, en décidant que les PACS seraient désormais enregistrés auprès des officiers de l’état-civil. C’était l’une des demandes que j’avais formulées en 1999 mais, à l’époque, une pétition avait réuni 10 000 signatures de maires pour s’opposer à cet enregistrement. Voyez comme les choses évoluent : plus personne, aujourd’hui, ne s’y oppose, hormis, peut-être, M. Mariton.
Sourires.
Autre déjudiciarisation, celle des divorces par consentement mutuel, qui concernent 55 % des 120 000 divorces prononcés chaque année. Je dirai à M. Mariton que, si l’on facilite le divorce, on facilite le mariage. En effet, certaines personnes ne veulent pas se marier, tant il est difficile de divorcer. Voilà pourquoi ce que vous proposez, monsieur le garde des sceaux, me semble une excellente chose.
Vous avez par ailleurs décidé de vous attaquer au problème des délits routiers. C’est, là aussi, une question complexe, car il y a, derrière ces délits, beaucoup de morts, beaucoup de sang, beaucoup de douleur, monsieur le ministre. Il faut faire très attention.
Monsieur le garde des sceaux, vous parviendrez peut-être à triompher de ces douze travaux d’Hercule – je les ai comptés – car, en plus des engagements que je viens d’énumérer, vous avez décidé de vous attaquer aux problèmes relatifs aux droits des personnes, avec la modification des noms et des prénoms, à la question du surendettement et à l’action de groupe.
Monsieur le garde des sceaux, il vous faudra vraisemblablement un quinquennat pour appliquer votre programme, mais nous savons que les Bretons sont têtus et qu’ils savent chasser en meute.
Sourires.
À vous, monsieur le garde des sceaux, de nous démontrer votre savoir-faire pour les années à venir – c’est dire tout l’espoir qui nous habite – comme vous l’avez fait à la présidence de la commission des lois, ce dont nous vous remercions encore.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame, messieurs les rapporteurs, chers collègues, le projet de loi organique adopté par le Sénat relatif « aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu’au Conseil supérieur de la magistrature » et le projet de loi ordinaire « portant application des mesures relatives à la justice du XXIe siècle », sont aujourd’hui conjointement soumis à l’examen et à la discussion de notre assemblée. Avec ces deux textes, vous l’avez dit, monsieur le ministre – nous sommes pleinement d’accord au sein de la majorité – nous cherchons tous à améliorer le service public rendu au justiciable. Nous souhaitons tous, également, renforcer l’accès au droit pour les plus démunis et les plus fragiles dans notre pays.
Nul doute que si nous n’octroyons pas à la justice les moyens suffisants pour que ses missions soient conduites dans de bonnes conditions, nous nous bornerons à énoncer une série de voeux pieux.
Nous avons aujourd’hui une institution qui étouffe, une institution appauvrie, en perte de légitimité. Heureusement, vous avez préparé ce débat en annonçant hier le déblocage de crédits en faveur de notre justice, soit 107 millions d’euros d’aide dégelés afin de soulager les juridictions en difficulté financièrement. C’est évidemment une bonne nouvelle, car cette somme est indispensable pour notre justice « en état d’urgence absolue », pour reprendre vos propres termes, monsieur le garde des sceaux.
Le projet de loi organique traduit l’engagement du Président de la République de renforcer l’indépendance de la justice. Qui traite de l’indépendance de la justice doit s’interroger sur le lien entre ce projet de loi organique et la réforme constitutionnelle qui a récemment été présentée au Parlement. L’indépendance du ministère public constitue un corollaire indispensable à l’indépendance de la justice, notamment depuis le sérieux coup de semonce de l’arrêt Medvedyev de la Cour européenne des droits de l’homme, dont il fallait tirer très rapidement les leçons constitutionnelles. Je regrette qu’aujourd’hui ce texte soit bloqué par la majorité sénatoriale et qu’une réunion du Parlement en Congrès ne soit plus à l’ordre du jour pour son examen.
L’indépendance du parquet est nécessaire, non seulement pour nous conformer aux obligations européennes, mais également pour renforcer l’efficacité et la sérénité de la justice, ainsi que la confiance que celle-ci inspire à nos concitoyens. Ces textes comportent ainsi plusieurs dispositions importantes, plus ambitieuses que vous n’avez voulu le laisser entendre en commission.
D’abord, le projet de loi organique crée un statut pour le juge des libertés et de la détention, nommé comme juge spécialisé par décret du Président de la République, sur proposition du garde des sceaux, après avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature. L’exercice de ses fonctions dans une même juridiction est limité à dix ans. Juge protecteur des libertés individuelles, le juge des libertés et de la détention contrôle de façon croissante les actes et les décisions les plus intrusives ; c’est pourquoi il est important de renforcer cette fonction. J’ai déposé, à l’instar d’un certain nombre de mes collègues, plusieurs amendements visant à renforcer encore la prévention des conflits d’intérêts, notamment pour les magistrats.
Je salue également la décision de supprimer les tribunaux correctionnels pour mineurs. Le débat fut long. Vous aviez pris cet engagement, vous l’avez respecté. J’avais, au nom des écologistes, déposé un amendement en ce sens à l’instar des autres groupes de la majorité. Je ne dirai qu’un mot : enfin ! C’était une promesse de 2012 de François Hollande ; elle est enfin honorée. C’est une autre bonne nouvelle.
Le titre II de la loi organique favorise le recours aux modes alternatifs de résolution des litiges. Un préalable obligatoire de conciliation par un conciliateur de justice pour les litiges portant sur moins de 4 000 euros est notamment instauré. Le juge n’aura donc plus à examiner que les affaires les plus contentieuses. De même, les possibilités pour les parties de recourir à une clause compromissoire, c’est-à-dire de faire appel à un arbitre, sont également organisées.
Sur la question de la déjudiciarisation du divorce, je voudrais simplement exprimer mon interrogation, voire peut-être mon inquiétude. Le juge est en effet l’ultime protection pour celui qui peut être défavorisé dans ce type de situation. Dans votre texte, les parties sont obligées de se faire assister par deux avocats différents, alors que, actuellement, un seul suffit pour le couple. Le divorce par consentement mutuel peut devenir un divorce subi, notamment pour les personnes vulnérables, en situation de violences conjugales ou sous emprise ; qu’en est-il de la sécurité dans ces cas de figure ?
Un autre point important du texte est la réforme des tribunaux des affaires de Sécurité sociale, des tribunaux du contentieux de l’incapacité et des commissions départementales d’aide sociale, les juridictions sociales, qui constituent une partie essentielle de ce projet de loi. Il s’agit de regrouper l’ensemble du contentieux au sein d’une seule juridiction présente dans chaque département et comprenant des magistrats spécialisés. Le texte prévoit des habilitations relatives notamment à la fusion des tribunaux des affaires de Sécurité sociale et des tribunaux du contentieux de l’incapacité.
L’autre texte examiné par notre assemblée est le projet de loi ordinaire relatif à « l’action de groupe et à l’organisation judiciaire ». De nouvelles actions de groupe spécifiques, notamment pour ce qui touche à l’environnement et à la protection des données personnelles, seront introduites dans notre droit. Depuis la loi Hamon, qui a permis pour la première fois l’action de groupe en France, les initiatives se multiplient en faveur d’une généralisation de ce mode d’action collective. Pour ma part, je crois aux vertus préventives de l’action de groupe qui, en inspirant aux entreprises une certaine crainte, les dissuadent d’avoir de mauvaises pratiques.
Par un amendement gouvernemental, et conformément au projet de loi pour une République numérique adopté en première lecture en janvier dernier par notre assemblée, une action de groupe en matière de données personnelles est envisagée. Cela étant dit, il est regrettable que l’action n’ait pour finalité que de tendre « exclusivement à la cessation du manquement », sans se fixer pour objectif la perception d’une indemnisation par les victimes. Par ailleurs, dans le cadre du projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, notre assemblée a refusé le 17 mars dernier la création d’une action de groupe dans le domaine de l’environnement alors que le dispositif aurait donné la possibilité aux victimes d’intenter une action en justice en commun pour faire valoir leurs droits. Pour ce qui concerne l’action de groupe en matière de discrimination, nous n’ignorons pas que vient prochainement en discussion devant notre assemblée le projet de loi « Égalité et citoyenneté », et je souhaite bien évidemment l’élargissement de la liste des motifs de discrimination fixée par la loi de 2008 à ceux qui sont aujourd’hui prévus par l’article 225-1 du code pénal.
Chers collègues, dix-sept ans après le vote du PACS, trois ans après l’adoption du mariage pour tous, saluons le transfert aux officiers d’état civil de l’enregistrement des pactes civils de solidarité. Pour reprendre les propos de mon collègue Tourret, puisque ce dernier en avait fait la proposition en 1999, que de tergiversations ! Quelle absence de détermination, parfois, dans la défense des projets d’égalité que nous portons nous-mêmes !
Je voudrais conclure sur la situation des personnes transgenres qui veulent changer d’état civil. Aujourd’hui, lorsqu’une personne ne se sent pas en accord avec son état civil, que son expérience intime est contraire à celui-ci, elle suit un véritable parcours du combattant, semé de violence sociale et institutionnelle, un parcours long et coûteux. En France, il faut subir un traitement médical irréversible, c’est-à-dire une stérilisation, et faire l’objet d’un suivi psychiatrique avant de passer devant les juges pour demander un changement d’état civil.
Mes collègues socialistes Erwann Binet et Pascale Crozon, et moi-même avons travaillé à un compromis. Nous n’avons en effet jamais abandonné ce combat. Pour ma part, voilà bientôt quatre ans que je dépose avec constance des amendements pour faciliter la vie des personnes transgenres. Il est vrai que j’aurais préféré une loi prônant l’identité de genre, à l’instar de la loi argentine, dont se sont souvent inspirés mes amendements. L’amendement propose ainsi que la personne concernée se présente devant un procureur et fasse état de son consentement libre et éclairé en indiquant que son état civil ne correspond pas à celui dans lequel elle est connue.
La question des mineurs, certes, n’est pas réglée. La solution proposée dans l’amendement n’est pas une simple déclaration administrative, puisque le procureur intervient ; le projet n’est donc pas inspiré du modèle argentin ou de la loi norvégienne. Il constitue cependant une avancée incontestable.
C’est à ce titre que je défendrai ce compromis, en espérant qu’une majorité le votera et permettra ainsi une approbation très large des textes soumis à notre examen, textes que vous avez contribué à enrichir, monsieur le ministre, et que la commission a elle-même enrichis. Ces textes font honneur aujourd’hui à la politique conduite par la majorité en matière de justice.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le constat d’une justice trop complexe, trop lente et peu compréhensible pour nos concitoyens est largement partagé. Comme nous le relevons loi de finances après loi de finances, ces dysfonctionnements du service public de la justice s’accompagnent de l’accroissement constant du fossé entre les moyens qui lui sont octroyés et les besoins nécessaires à son bon fonctionnement.
C’est pourquoi nous souscrivons aux objectifs affichés par ces deux projets de loi : renforcer l’indépendance et l’impartialité des magistrats, améliorer la justice du quotidien et placer le citoyen au coeur du service public de la justice. Nous portons sur ces deux textes une appréciation globalement positive, même si, et nous le regrettons, de nombreuses dispositions nous paraissent éloignées de l’ambition initiale.
Concernant d’abord le projet de loi organique, plusieurs dispositions nous semblent incontestablement aller dans le bon sens, comme le renforcement de l’obligation de transparence pour toutes les nominations de magistrats, le principe pour ces derniers d’une déclaration d’intérêt, l’ouverture du corps de la magistrature par la facilitation des détachements judiciaires et par l’élargissement des origines professionnelles permettant d’y accéder, ou encore la création d’un collège indépendant de déontologie des magistrats.
Nous nous félicitons aussi de la création d’un statut pour le juge des libertés et de la détention, qui présente l’avantage, d’une part, de prévenir tout changement d’affectation arbitraire et toute tentative d’intervention, d’autre part, de transformer cette fonction souvent subie en une fonction choisie.
Pour autant, de manière générale, les modifications statutaires du projet de loi organique apparaissent essentiellement techniques quand elles ne sont pas purement gestionnaires. Avec 5 % des postes vacants de magistrats en 2014, un délai moyen de traitement des affaires qui se détériore, et compte tenu de la situation des finances publiques, force est de constater que des dispositions concrètes d’adaptation du statut de la magistrature ont été préférées à une rénovation en profondeur. Alors que la situation ne pourrait être redressée que par des recrutements massifs, le Gouvernement privilégie d’autres types de recrutement, moins coûteux, comme celui des magistrats à titre temporaire, rémunérés à la vacation.
Avec le projet de loi ordinaire, l’objectif est de rendre la justice plus simple, plus accessible, plus lisible et plus efficace. En matière d’accès au droit, nous soutenons la généralisation à l’ensemble du territoire des services d’accueil unique du justiciable, même s’ils ne suffiront évidemment pas à permettre à tous les citoyens d’être informés de leurs droits et d’avoir accès au juge. Seule une politique d’aide juridictionnelle digne de ce nom serait en effet à même d’assurer une assistance par un avocat.
Concernant les modes alternatifs de résolution des litiges, nous ne sommes pas favorables à l’autorisation du recours à une convention de procédure participative, même si un juge est déjà saisi du litige. Nous considérons en effet que l’équilibre entre les parties dans la recherche et le contenu de l’accord doit être garanti, et que le juge doit à cette fin rester l’acteur principal du mode alternatif de résolution des litiges.
En revanche, afin d’améliorer le traitement du contentieux social, nous sommes favorables à la création d’un pôle social dans chaque tribunal de grande instance regroupant le contentieux des tribunaux des affaires de Sécurité sociale et des tribunaux du contentieux de l’incapacité, ainsi qu’une partie du contentieux des commissions départementales d’aide sociale. Cela permettra l’identification rapide de la juridiction compétente et une plus grande proximité avec le justiciable.
Nous sommes toutefois beaucoup plus réservés sur les transferts du contentieux de l’indemnisation des dommages corporels et du tribunal de police qui risquent d’aboutir à un démantèlement progressif de la justice de proximité, ce qui est en contradiction avec les objectifs affichés du texte.
En matière de justice des mineurs, si la refonte de l’ordonnance de 1945 n’est toujours pas à l’ordre du jour, la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs a enfin été introduite dans un texte de loi. Je tenais à vous en remercier chaleureusement, monsieur le ministre ; il aura tout de même fallu attendre votre arrivée à la chancellerie pour que le Gouvernement se décide enfin à donner son accord pour supprimer ce qui est une véritable juridiction d’exception pour mineurs, une juridiction qui marque la volonté d’aligner le traitement des mineurs sur celui des majeurs.
Pour que le juge puisse se recentrer sur ses missions essentielles, le projet de loi propose notamment de transférer aux officiers d’état civil l’enregistrement des pactes civils de solidarité, ainsi que la procédure de changement de prénom. Nous sommes bien sûr favorables à ce dispositif, mais il nous semblerait logique, et vous le comprendrez certainement, que ce transfert s’accompagne d’une augmentation de la dotation globale de fonctionnement.
Par ailleurs, et il s’agit d’un vrai point de désaccord, le Gouvernement propose qu’il ne soit plus nécessaire de passer devant un juge pour le divorce par consentement mutuel. Lorsque les parties sont d’accord pour divorcer, il suffira d’un acte signé par les deux avocats représentant chacune d’elles et enregistré par le notaire. Ce nouveau type de divorce sans juge est institué au prétexte de désengorger les tribunaux et sous couvert de simplification et de pacification des relations entre époux.
Or aucune étude d’impact ni consultation des associations de défense des droits des femmes et des enfants ne permet de tirer de telles conclusions. Surtout, la suppression du passage devant le juge en cas de divorce par consentement mutuel nous semble contrevenir à la fois à la sauvegarde de l’intérêt supérieur de l’enfant et au consentement libre et éclairé ainsi qu’à l’équilibre de la convention. C’est la raison pour laquelle nous avons déposé un amendement de suppression de cette disposition prévue à l’article 17 ter.
Enfin, nous nous félicitions de l’institution d’un socle procédural commun à l’action de groupe en matière de discrimination mais aussi de santé, d’environnement et de données numériques. Pour conclure, comme vous l’avez vous-même reconnu lors de votre audition devant la commission des lois, monsieur le garde des sceaux, l’ambition de ces deux projets de lois est finalement modeste. En effet, la plupart de leurs dispositions sont des avancées limitées et des ajustements concrets qui, pour nécessaires qu’ils soient, resteront insuffisants pour restaurer le lien de confiance entre nos concitoyens et leur justice et pour faire sortir les juridictions de l’asphyxie dans laquelle elles se trouvent. Je sais que vous en êtes convaincu, monsieur le ministre : cet objectif ne pourra être véritablement atteint qu’en dotant le service public de la justice de moyens humains et matériels suffisants et adaptés à ses missions. C’est à cette condition que la justice entrera véritablement dans le XXIe siècle.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame et messieurs les rapporteurs, chers collègues, nos compatriotes découvrent en général la justice à l’occasion de moments familiaux, professionnels ou financiers difficiles ou dans des circonstances encore plus graves relatives à leur liberté ou leur sécurité. Le constat est accablant, nous en sommes tous d’accord. La justice est complexe, lente et onéreuse. Le service public de la justice est actuellement très dégradé et rend la justice dans des conditions indignes de la mission qui lui est confiée. Les justiciables se plaignent régulièrement de délais trop longs mais aussi de réelles difficultés à s’expliquer devant les juges et de décisions incompréhensibles mal, peu ou souvent pas motivées. Le contentieux reste trop souvent la voie royale de la résolution des conflits même lorsque le recours à la justice n’est pas vraiment justifié.
Pour couronner le tout, l’institution judiciaire est l’un des rares services publics ayant le moins bénéficié des potentialités offertes par le numérique pour moderniser son accès et son action, alors même qu’elle doit faire face à de nouveaux contentieux tels que les tutelles, le contrôle des hospitalisations psychiatriques, l’explosion du contentieux familial mais aussi la multiplication par le ministère public des modes d’engagement de l’action publique. Un seul exemple, relatif aux plus démunis de nos concitoyens, suffit à le montrer. Remplir un dossier de demande d’aide juridictionnelle relève d’un parcours digne de Kafka. Il faut remplir ou faire remplir entre douze et seize pages, sans parler des multiples documents à joindre qui ne sont jamais en nombre suffisant. Il faut bien constater aussi que c’est grâce au travail et au dévouement des magistrats et des personnels de greffe et à la collaboration des auxiliaires de justice que l’on peut faire face, difficilement, au flot continu des affaires.
Partant de ce constat, le projet de loi apporte des solutions concrètes, pragmatiques et réalistes. Telle est bien son ambition. Elle consiste tout d’abord à favoriser, voire rendre obligatoire dès que c’est possible, la solution amiable et apaisée des litiges inférieurs à 4 000 euros et de tous les contentieux familiaux. Un litige réglé par la voie de la conciliation ne reviendra pas devant une juridiction. C’est bien cela, la justice du XXIe siècle : accompagner et guider les justiciables afin qu’ils apprennent à gérer ensemble leurs contentieux. C’est cela aussi, désengorger les juridictions, afin que les magistrats se consacrent aux seuls dossiers difficiles et réellement contentieux.
Je ne comprends absolument pas, pour ma part, l’opposition de certains conservateurs doublée de corporatismes évidents. Le divorce sans juge mais avec l’assistance de professionnels formés et expérimentés en qui on a confiance est un divorce responsable, adulte et apaisé. Il évite le passage, nécessairement traumatisant voire infantilisant, devant un juge aux affaires familiales, souvent débordé et qui, dans plus de 99 % des cas, agit comme une chambre d’enregistrement d’une convention de divorce bien souvent signée devant un seul avocat. J’irai même au-delà et proposerai par un amendement symétrique d’appliquer la même formule au juge aux affaires familiales afin que celles-ci soient résolues sans juge, ce qui va d’ailleurs dans le sens de votre réponse à Mme Descamps-Crosnier lors des questions au Gouvernement de ce jour, monsieur le garde des sceaux.
Simplifions encore les procédures en renvoyant les PACS, les changements de prénom et de sexe en mairie, devant l’officier d’état civil, où ils auraient toujours dû figurer ! Le texte comporte d’autres dispositions allant dans le même sens. Le surendettement, qu’il reste à la Banque de France ! Nous fusionnons par ailleurs tous les contentieux sociaux. En matière pénale, qui occupe une petite partie du texte, nous recherchons encore et toujours, comme depuis quatre ans, l’efficacité. Nous supprimons les tribunaux correctionnels pour mineurs, rationalisons la collégialité de l’instruction, forfaitisons certains délits qui encombrent inutilement les juridictions, en aggravant les sanctions d’ailleurs, et renforçons les pouvoirs et l’indépendance du juge des libertés et de la détention, magistrat au rôle de plus en plus important, véritable juge orchestre des libertés dont le statut est protégé.
Enfin, nous nous adaptons à notre époque en élargissant considérablement les actions de groupe, tant devant le juge judiciaire que devant le juge administratif, à de nouveaux domaines tels que les discriminations, l’environnement et la protection des données à caractère personnel.
Le groupe SRC soutient avec beaucoup d’enthousiasme ce texte de loi progressiste, monsieur le garde des sceaux, que vous avez considérablement enrichi en commission en lui donnant du contenu et de la densité. Nous avons hâte de l’améliorer encore avec vous en séance publique, collectivement, avec la participation de l’ensemble des groupes. Nous partageons l’objectif consistant à rendre notre justice plus humaine.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, madame et messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, je commencerai mon propos par un point sur lequel je tombe d’accord avec vous, monsieur le ministre. Nous avons pris acte, lors de nos échanges en commission, que l’ambition de ces textes est modeste, comme vous l’avez dit en commission et répété tout à l’heure et comme les membres de la majorité ne semblent pas vouloir l’admettre. Ils sont en réalité mineurs. L’un est organique, l’autre est ordinaire et ils constituent tous les deux plus un rassemblement de mesures techniques qu’une vision d’ampleur cohérente susceptible de soutenir une ambition, même modeste, pour une véritable justice modernisée et du XXIe siècle se préparant à bénéficier des évolutions que le législateur lui imprime.
Il s’agit ainsi pour l’essentiel d’une reprise de l’existant, plus encore d’affichage et bien souvent de replâtrage dû aux circonstances, ce qu’on ne peut que regretter. Ce projet a pourtant été initié par Christiane Taubira, qui l’a présenté comme le phare de la politique du Gouvernement en matière de justice moderne. Tel qu’il nous est présenté, il manque complètement d’une vision prospective d’ensemble pourtant indispensable pour rénover en profondeur la gestion du corps judiciaire et moderniser les conditions d’exercice de la justice dont vous avez vous-même dit et répété, monsieur le ministre, qu’elle est en crise profonde et même « en voie de clochardisation », pour reprendre vos propos.
Il s’agit donc d’une opération de pure communication. Vous avez d’ailleurs tenu à restaurer le titre initial du texte que les sénateurs, dans leur grande sagesse, avaient ramené à de plus modestes proportions. Vous avez tenu à y réintroduire le principe de justice du XXIe siècle pour mieux faire apparaître, par affichage, des objectifs certes intéressants mais dont la mise en oeuvre concrète fait cruellement défaut. En réalité, aucune mesure ne vient véritablement répondre aux besoins pressants de l’institution judiciaire qui traverse une grave crise, à la fois morale, politique et matérielle, que vous avez l’honnêteté, il faut le reconnaître, de révéler franchement et précisément mais de façon inquiétante, monsieur le garde des sceaux.
Le constat est connu : la justice, dont les moyens – vous me direz probablement le contraire mais les faits sont têtus – ont connu une progression importante depuis le vote en juillet 2002 de la loi d’orientation et de programmation pour la justice jusqu’en 2012, n’est plus, quoi que vous en disiez, une priorité du Gouvernement. La part du budget 2016 affectée à la justice judiciaire, c’est-à-dire au fonctionnement quotidien de l’appareil judiciaire, ne progresse que de 0,7 %, soit moins que l’inflation ! Pourtant, l’institution judiciaire a consenti depuis quinze ans un effort très important de rationalisation de ses coûts et de ses dépenses alors même qu’elle était soumise, ce dont nous sommes tous en partie responsables, à une forte pression de la société et de ses représentants que nous sommes par l’augmentation incessante de sa charge et de ses missions.
Il est temps de reconnaître qu’elle n’est plus en mesure de faire face et de répondre aux attentes de notre société. Vous l’avez d’ailleurs indiqué, monsieur le ministre, vous qui en êtes l’un des meilleurs experts, en soulignant que le budget de votre ministère devrait pratiquement être le double de ce qu’il est pour que notre justice atteigne les grands standards des pays européens comparables au nôtre, l’Allemagne en particulier. Les budgets sont tels que certaines juridictions, vous l’avez rappelé récemment après avoir obtenu une rallonge budgétaire d’un peu plus de 100 millions d’euros, ne peuvent déjà plus, avant même la moitié de l’année civile 2016, payer les fournisseurs, les prestataires voire les experts.
Tout cela, bien sûr, n’est pas imputable à la politique que vous menez depuis 2012. Néanmoins, à ce contexte de difficultés budgétaires et matérielles s’ajoute une gestion gravement défectueuse à laquelle vos deux projets de loi relatifs à la justice du XXIe siècle ne portent pas véritablement remède. Le corps judiciaire comporte en permanence plus de 5 % d’emplois vacants, comme nous le constatons dans nos juridictions lors des rentrées solennelles, mais rien ne permet de dire que cela va changer. De même, et c’est bien plus important encore, le contenu du métier de magistrat n’est pas repensé. Un texte relatif à la justice du XXIe siècle était pourtant l’occasion de le faire.
Sans m’appesantir sur cet aspect du problème, le système pénal dans son ensemble est en grave difficulté voire en faillite faute de moyens, d’organisation efficiente et de trajectoire distincte de la déconstruction de ce qui a été fait avant. Il lui manque une volonté politique et morale fermes d’assurer un traitement efficace et responsable de la délinquance dont fait partie la répression. Ainsi, les tribunaux correctionnels sont en situation d’embouteillage croissant, comme vous l’avez dit tout à l’heure en évoquant les délais. Sous couvert d’un taux de réponse pénale en hausse, ce ne sont pas les poursuites qui augmentent mais les mesures alternatives aux poursuites, trop souvent vides de contenu et qui désespèrent nos concitoyens. Parallèlement, ce qui devrait être accompli en termes de réinsertion et d’accompagnement éducatif des personnes placées sous main de justice est notoirement insuffisant. Ainsi, les mineurs suivis par la protection judiciaire la jeunesse sont mal traités car les personnels et les structures sont largement en deçà du besoin et surtout des objectifs affichés.
Dans le projet de loi ordinaire, les mesures avancées pour rapprocher la justice du citoyen ne sont souvent qu’une très large reprise de l’existant, sous couvert de donner plus de lisibilité et d’adapter la mise en oeuvre.
Dans le projet de loi organique, l’article 3 n’apporte pas d’innovation marquante concernant les missions de l’École nationale de la magistrature. La suppression de la nomination des procureurs généraux en Conseil des ministres, vous le savez bien, monsieur le ministre, ne permettra pas aux magistrats concernés de gagner en indépendance. Par ailleurs, la consécration du principe de liberté syndicale à l’article 22 relève d’un affichage aussi inutile qu’étonnant, s’agissant d’un principe constitutionnel ancré depuis longtemps !
Conséquence pratique, les « vrais sujets » sont apparus en commission des lois. Vous l’avez assumé, monsieur le ministre, reconnaissant que le nombre important d’amendements gouvernementaux méritait explication. Vous avez alors pris l’engagement qu’aucun autre amendement ne viendrait s’ajouter dans la discussion. Mais nous avons constaté, lors de la réunion de la commission au titre de l’article 88, que 14 nouveaux amendements au projet de loi ordinaire avaient été déposés. Ils ont, par le plus grand des hasards, été adoptés par la commission !
Sourires.
Vous auriez pu vous dispenser de cet engagement, sachant qu’il serait impossible à tenir !
C’était à la demande de la commission !
Parmi ces amendements gouvernementaux, on pense à la mesure très idéologique et fédératrice – pour la gauche – de la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs. Ce texte aurait pu être, sous cette législature, l’occasion de parler de la justice des mineurs. Sous la précédente législature, Dominique Raimbourg et moi-même, représentant les deux principaux groupes de l’hémicycle, avions consacré à ce sujet beaucoup de temps et d’énergie, dans le cadre de la commission Varinard. Des propositions qui en étaient issues, peu semblent aujourd’hui pouvoir entrer en application, ou du moins en discussion.
L’introduction d’un nouveau divorce par consentement mutuel, sans passage par le juge, est une mesure fort louable dans son intention, puisqu’il s’agit de désengorger les tribunaux. Mais prenons garde à ce que, dans la précipitation soudaine qui est la vôtre, elle ne se fasse pas au détriment de l’intérêt de l’enfant ou de l’équilibre qui doit exister entre les deux futurs ex-époux.
Ce texte traite aussi de la collégialité de l’instruction, un principe dont il aurait pu être débattu, dans la suite des travaux de la commission d’enquête parlementaire sur l’affaire d’Outreau. Mais le débat semble passé par pertes et profits, alors qu’il est possible de réformer dans ce domaine, pour un meilleur équilibre global.
Les trois rapporteurs du texte sont revenus quasi systématiquement sur les apports du Sénat en première lecture. Je ne reprendrai pas le détail des mesures ainsi supprimées, déjà décrites par les orateurs précédents.
Les députés du groupe Les Républicains dénoncent le clivage entre les mesures annoncées, la grandiloquence du titre et la réalité du contenu. Ces deux projets de loi constituent un jardin à la française.
sourires
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame, messieurs les rapporteurs, monsieur le président de la commission des lois, chers collègues, nous sommes tous conscients des nombreux dysfonctionnements que recouvre notre organisation judiciaire : des procédures longues et onéreuses, difficilement lisibles, qui créent une justice lente et complexe, souvent perçue comme inefficace par bon nombre de nos concitoyens ; une justice qui manque de moyens et, de ce fait, ne peut remplir l’ensemble de ses missions ; une justice qui, à l’évidence, a besoin de se recentrer sur ses missions essentielles. Les deux projets de loi que nous examinons aujourd’hui entendent améliorer cette situation, en rendant la justice plus indépendante, plus efficace, moins complexe et plus lisible.
Ces textes affichent d’excellentes intentions, que l’on peine cependant à retrouver dans leur contenu. Monsieur le ministre, vous-même avez reconnu le caractère modeste de ces deux projets de loi et votre souhait de ne pas ouvrir de nouveaux chantiers. Si la justice mérite mieux que cela, la cohérence eût été de conserver l’intitulé proposé par le Sénat, « Projet de loi relatif à l’action de groupe et à l’organisation judiciaire », plutôt que celui, privilégié par l’ancienne garde des sceaux, de « Justice du XXIe siècle », dont l’apparente ambition ne trouve en réalité pas de traduction concrète.
En outre, comme beaucoup de nos collègues, nous regrettons le recours à la procédure accélérée sur un sujet d’une telle importance. Au-delà de ces quelques considérations générales, les députés du groupe UDI s’interrogent sur plusieurs mesures.
S’agissant du projet de loi organique, la volonté du Gouvernement de consolider l’indépendance de la justice et d’inscrire ces pratiques au niveau adéquat dans la hiérarchie des normes est incontestable. L’indépendance de la justice est l’un des points cardinaux de notre démocratie, une condition essentielle au fonctionnement d’une démocratie respectueuse de la séparation des pouvoirs. Nous portons avec conviction l’idée que la magistrature et la justice doivent être indépendantes, à l’abri et à l’écart de tout soupçon.
Ainsi, il est notamment proposé de supprimer la nomination des procureurs généraux en conseil des ministres. On ne peut qu’approuver cette mesure mais sera-t-elle suffisante pour consolider l’indépendance de la justice ?
Commencez par l’approuver !
Vous souhaitez, en outre, créer un statut pour le juge des libertés et de la détention, qui serait nommé comme juge spécialisé. Cette disposition se justifie par la place très importante qu’a prise, au cours de ces dernières années, le juge des libertés et de la détention dans le fonctionnement de notre justice. Sa désignation par le président du tribunal de grande instance, comme l’a prévu le Sénat, à l’initiative du rapporteur, semble néanmoins préférable à une nomination par décret du Président de la République, plus rigide.
Concernant le projet de loi ordinaire, on soulignera quelques mesures de bon sens qui résolvent des problèmes et répondent à des besoins réels. En premier lieu, ce texte vise à faciliter l’accès à la justice par le justiciable, tout en l’incitant à privilégier les modes alternatifs de traitement. La création d’un service d’accueil unique du justiciable facilitera ainsi l’accès au juge à celles et ceux de nos concitoyens qui n’ont pas toujours la culture juridique indispensable pour comprendre toutes les subtilités de notre organisation judiciaire, particulièrement complexe.
Il est également prévu de favoriser les modes alternatifs de traitement, en obligeant par exemple le justiciable à tenter préalablement une procédure de conciliation, pour les petits litiges, avant de s’adresser au juge. Ces mesures sont de nature à désengorger certaines de nos juridictions.
Le projet de loi entend amorcer une simplification de l’organisation judiciaire et des procédures juridictionnelles en rapprochant, par exemple, les tribunaux des affaires de Sécurité sociale et les tribunaux du contentieux de l’incapacité, afin de créer un pôle social au sein du TGI. Cette réforme peut permettre de recentrer les juridictions sur leurs missions premières en les déchargeant d’autres tâches.
Pour autant, la rédaction adoptée par le Sénat nous semble préférable à celle retenue par notre assemblée. En instaurant une juridiction sociale échevinée de première instance, le Sénat préserve davantage l’identité des actuels tribunaux sociaux, sans préjudice d’une éventuelle intégration plus poussée au sein du TGI.
En outre, nous craignons que la principale victime de cette réforme ne soit la Cour nationale de l’incapacité et de la tarification de l’assurance des accidents du travail, située à Amiens, compétente en appel pour les affaires relevant des tribunaux du contentieux de l’incapacité, et qui compte une équipe de 70 personnes. Le texte précise en effet qu’« une cour d’appel spécialement désignée connaît des litiges mentionnés au 4° de l’article L. 142-2 du code de la Sécurité sociale » et acte la suppression de la Cour nationale amiénoise, le contentieux social en appel étant désormais du ressort des cours d’appel. Or la dispersion du contentieux technique de la Sécurité sociale sur une ou plusieurs cours d’appel, entraînerait nécessairement un surcroît d’activité pour ces juridictions et, par conséquent, un allongement des délais de traitement des dossiers.
La réforme proposée aux articles 8, 52 et 54 laisse par ailleurs en suspens de nombreuses questions sur les impacts budgétaires, les répercussions sur les justiciables et la procédure, la formation inévitable de nouveaux personnels qui dépendraient désormais du ministère de la justice et la question cruciale du devenir des personnels actuels, dépendant du ministère des affaires sociales, parfaitement spécialisés dans ce contentieux extrêmement complexe.
L’adoption de ce texte en l’état aurait donc des conséquences destructrices pour l’emploi et l’avenir de la Cour d’appel d’Amiens, à laquelle est rattachée la Cour nationale de l’incapacité et de la tarification de l’assurance des accidents du travail. Ce sont bien les professionnels du droit dans leur ensemble, dans le département de la Somme et au-delà, qui sont aujourd’hui concernés par cette mesure. Or celle-ci n’engendrera aucune économie et ne simplifiera rien, bien au contraire. Le Picard que je suis ne peut accepter la disparition de cette Cour dans ces conditions.
Par ailleurs, le projet de loi déshabille le tribunal d’instance en confiant au tribunal de grande instance des compétences du tribunal de police. Nous doutons de l’opportunité d’une telle disposition. Que restera-t-il au tribunal d’instance, hors la conciliation ?
Nous nous opposons également au procédé qui a consisté à supprimer en commission, par voie d’amendement, les tribunaux correctionnels pour mineurs. Une telle disposition devra être de nouveau abordée en séance.
Le troisième axe du projet de loi porte sur l’action de groupe et permet de donner à celle-ci un socle procédural commun en matière de discrimination, de discrimination au travail, mais également de santé, d’environnement et de données numériques. La création de ce bloc semble plus cohérente que les dispositions éparses qui avaient été proposées et débattues à travers différents textes, notamment dans la loi de modernisation de notre système de santé, le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité ou le projet de loi pour une République numérique. Néanmoins, ces procédures pourraient être mieux encadrées. Nous proposons donc par voie d’amendement d’exiger des associations pouvant exercer une action de groupe qu’elles soient agréées.
Si les associations agréées ont, dans la majorité des cas, l’expertise nécessaire pour mener des actions de groupe, nous craignons que les associations régulièrement déclarées depuis cinq ans au moins n’aient pas les mêmes capacités et qu’il en résulte un contentieux incontrôlé.
En outre, ces procédures ne devraient s’appliquer qu’aux seules actions dont le fait générateur de la responsabilité ou le manquement est postérieur à l’entrée en vigueur de la loi.
En effet, la rétroactivité pourrait avoir des conséquences directes et immédiates, génératrices d’insécurité juridique, notamment sur la couverture assurantielle des entreprises.
Le projet de loi est également consacré à la justice consulaire et au droit des entreprises en difficulté. Sur ce point, nous nous félicitons qu’un amendement du groupe UDI ait été adopté en commission afin de supprimer la réduction drastique de la durée du plan de sauvegarde à cinq ans au lieu de dix, et à sept ans au lieu de quinze lorsque le débiteur est un agriculteur.
Enfin, le texte comporte des dispositions qui transfèrent certaines compétences, notamment en matière de PACS ou de changement de nom, aux officiers de l’état civil. Dans le contexte actuel de baisses drastiques des dotations de l’État à nos collectivités locales, nous sommes défavorables à toute mesure qui représenterait une charge supplémentaire pour les communes. Écoutez les maires, qui disparaîtront bientôt de cet hémicycle, et qui vous demandent de cesser de charger la mule, ou alors, comme l’a dit Marc Dolez, compensez !
Le groupe UDI n’a cessé de le répéter au cours de cette législature : les dysfonctionnements qui affectent en profondeur notre système judiciaire ne sauront se résoudre par des ajustements à la marge et des réformes de procédure. Nous faisons face au désarroi des professionnels du droit. Nous faisons face au désarroi des citoyens, devant une organisation de la justice complexe, souvent source d’incompréhension. Nous faisons face au désarroi des justiciables, confrontés à une défense à deux vitesses et à une réelle inégalité en matière d’accès au droit.
Le problème est donc de savoir comment réformer l’un des plus anciens services publics de l’État régalien. Nous appelons de nos voeux, un « Vendôme de la Justice » ! Monsieur le garde des sceaux, chers collègues, pour l’ensemble des raisons évoquées précédemment, le groupe UDI envisage de s’abstenir sur ces deux textes.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, chers collègues, qu’est-ce qu’une justice du XXIe siècle si ce n’est celle où l’on prend le temps d’entendre et d’écouter nos concitoyens ? Au-delà même des clivages politiques, des jeux d’estrade, pour ne pas dire des jeux d’appareil, nous devons reconnaître que c’est une justice plus simple, dans ce qu’elle a de plus intime, notamment lorsqu’il s’agit de se séparer de l’être aimé et que l’on est d’accord sur tout. Ce texte permet cette évolution lorsque la séparation se déroule à l’amiable, dans le cadre d’un divorce sans haine.
Qu’est-ce qu’une justice du XXIe siècle si ce n’est une justice simplifiée, y compris lorsqu’il s’agit de traiter les affaires les plus horribles ? Est-il normal qu’un commerçant agressé par un mineur récidiviste, confronté à l’engorgement de la procédure, n’obtienne pas justice ? Eh bien oui, il convient de supprimer les tribunaux correctionnels pour mineurs. Quelle que soit notre situation sur les bancs de l’Assemblée, ayons l’honnêteté intellectuelle et politique de reconnaître que ces tribunaux ne traitent que 1 % des contentieux impliquant des mineurs.
Qu’est-ce qu’une justice du XXIe siècle si ce n’est une justice à laquelle nous donnons les moyens de fonctionner correctement ? Je suis heureux que dans cet hémicycle se trouvent ce soir, aux côtés des députés de gauche, des députés de droite – Guillaume Larrivé, Guy Geoffroy, Philippe Gosselin. Je les mets au défi de me citer le nom d’un seul garde des sceaux de leur majorité qui, en une seule année, un seul exercice budgétaire, ait obtenu pour son ministère la somme minimale qui permettrait de rattraper un tant soit peu l’énorme retard qui s’est accumulé.
Pas moins de 107 millions d’euros ont été annoncés cet après-midi même.
On peut débattre des chiffres, discuter des virgules, mais si demain matin, vous, les trois députés de l’opposition ici présents, citez un garde des sceaux de droite qui aura mobilisé dans un exercice budgétaire 107 millions d’euros pour la justice….
…eh bien, chapeau bas, je ferai amende honorable.
Qu’est-ce qu’une justice du XXIe siècle si ce n’est une justice qui donne du pouvoir aux gens ? Je suis fier ce soir, honoré, pour vous comme pour moi. Pour moi en tant qu’auteur de la proposition de loi qui a instauré l’action de groupe en matière de discrimination. Pour vous, parce que vous avez été l’honneur du Parlement. La droite était arrivée en commission, à l’époque présidée par M. Urvoas qui n’était pas encore garde des sceaux, décidée à voter contre l’action de groupe en matière de discrimination. C’est le député Philippe Gosselin qui, après avoir assisté aux auditions et entendu l’ensemble des associations qui se battaient depuis dix ans, vingt ans contre les discriminations, est revenu sur sa position, non sans rappeler que, depuis Valéry Giscard d’Estaing en passant par Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, l’action de groupe en matière de discriminations a toujours été défendue par sa famille politique, mais jamais mise en place. Cette attitude lui fait honneur, ainsi qu’au Parlement, car elle témoigne qu’au-delà des postures, notre débat n’est pas vain et peut permettre de nous faire évoluer, les uns et les autres. La droite est entrée en pensant qu’elle voterait contre, elle est sortie en s’en abstenant.
L’action de groupe est une révolution. Dans ce pays, des hommes et des femmes ont votre couleur ou la mienne, vos origines ou la mienne, la consonance de votre nom ou du mien. Plus d’une personne sur deux ne mène aucune action en justice en raison de la complexité de la procédure, de son coût, et du découragement : le résultat mérite-t-il que l’on dépense autant d’énergie ? L’action de groupe permet de surmonter ces obstacles. C’est une révolution dans notre justice. Nous avons su créer une action de groupe à la française, sans sombrer dans les dérives du modèle anglo-saxon de la « class action », dont la procédure attentatoire aux réputations ou le montant des condamnations à réparation ont pu soulever de légitimes inquiétudes dans le monde de l’entreprise et des institutions. Je vous encourage à soutenir cette mesure car elle est à l’image de la justice du XXIe siècle.
Vous avez voté contre l’action de groupe dans le domaine de la consommation et c’est bien dommage car, en moins de deux ans, 600 000 Français s’y sont engagés. Et je peux affirmer avec certitude que dans moins d’un an et demi, plus de 800 000 Français seront engagés dans des actions de groupe en matière de discrimination. Honorez-vous en soutenant cette procédure qui permettra à des citoyens d’obtenir réparation d’une injustice, sur la base de principes fondamentaux qui nous rassemblent tous, au-delà des clivages partisans. En votant ensemble ces dispositions, nous nous doterions d’outils législatifs qui permettraient à chacun d’obtenir la réparation que leur doit la République. Il n’y a pas de droit sans devoir, ni de devoir sans droit.
L’action de groupe a été construite avec des associations, des associations de locataires pour la consommation, des associations qui ont lutté contre toutes les discriminations. Quel que soit le critère de la discrimination retenue – handicap, homophobie, discrimination sexuelle, sexisme, inégalités professionnelles…– ou l’orientation politique des victimes de discriminations, en tant que représentants de la nation, nous devons donner la puissance nécessaire à ce droit que nous accordons à nos concitoyens.
Je n’entrerai pas dans le détail de l’action de groupe, mais en tant que rapporteur du projet de loi Égalité et citoyenneté, j’espère que la procédure de l’action de groupe sera fidèle à celle qu’instaurait ma proposition de loi, sinon nous serions amenés, avec d’autres députés, à en restaurer la fluidité originelle.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame et messieurs les rapporteurs, monsieur le président de la commission des lois, chers collègues, je ne vois aucune difficulté à me montrer aussi lyrique que certains en ce début de séance, à citer Saint-Exupéry, à rappeler l’homme libre qui, toujours, chérira la mer. Pour autant, mon lyrisme, monsieur le garde des sceaux, s’arrêtera là. J’aurai du mal à vous suivre, au moins sur un premier point que je reprendrai plus tard, ce titre quelque peu pompeux « Modernisation de la justice du XXIe siècle », qui ne rend nullement compte du contenu de votre texte.
Votre majorité est, du reste, assez coutumière du fait, comme la loi d’Axelle Lemaire relative à la « République numérique », a pu en témoigner.
Si ce projet de loi n’est pas le texte fondateur d’une justice du XXIe siècle, son but n’est pas non plus totalement atteint. Le but réel n’est aucunement de donner une ambition à notre justice, alors qu’elle en aurait bien besoin, tant elle est à bout de souffle – je partage votre expression, monsieur le garde des sceaux. Il serait plutôt de réaliser des économies, au prétexte d’alléger la tâche des juges et de transférer à d’autres des charges que je qualifierai d’indues.
Pour ce qui est de la forme, je voudrais vous alerter, mes chers collègues, sur le dessaisissement du Parlement – en tout cas sur la place de plus en plus réduite accordée au débat public en séance. Oh, je ne parle pas de l’article 49, alinéa 3, celui qui nous a occupés la semaine dernière, ni des articles de ce texte – et pourtant ! – qui habilitent le Gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance. J’évoquerai plutôt le détournement de l’esprit de la réforme constitutionnelle de 2008, qui a permis qu’un amendement adopté en commission soit intégré au texte débattu en séance sans que le vrai débat, un débat public, plus large, puisse avoir lieu en hémicycle.
En effet, pas moins de quatre-vingt-quatorze amendements ont été déposés par le Gouvernement…
…sans parler des quatorze supplémentaires, adoptés au titre de l’article 88, à 21 heures 15 ce soir.
Ces quatre-vingt-quatorze amendements ont été déposés par le Gouvernement après les débats au Sénat, sur cinq cents en tout ! Vous pouvez le constater, c’est énorme ! Or, parmi tous ces amendements, certains portent des réformes importantes, comme celle du divorce sans juge, sans qu’aucune étude d’impact ni évaluation n’ait été réalisée. Une forme de divorce express que certains n’hésitent pas à qualifier de divorce à la Las Vegas. J’y reviendrai.
Sur le fond, ce texte est inachevé, même si tout n’est pas à dénigrer ou à rejeter. Déjudiciariser pour donner un peu d’oxygène à la justice n’est pas mauvais en soi, sauf s’il s’agit simplement de casser le thermomètre pour ne plus connaître la température. Ce n’est pas pour autant que le malade ira mieux.
Votre texte touche à tout. Vous ne nous présentez pas une réforme en profondeur, claire, nette, mûrie après un vrai débat national, mais une succession de petites mesures, comme un tableau de Seurat. Vous procédez par touches successives, mais contrairement à l’artiste, vous ne maîtrisez pas l’ensemble de la palette.
Ainsi, vous banalisez le divorce. Au détour d’un amendement du Gouvernement, vous permettez la dissolution simplifiée du mariage, un mariage pourtant célébré sous le sceau de l’État. Vous persistez, comme vous l’avez démontré par ailleurs, à banaliser ce qui reste à nos yeux une institution collective par les effets qu’elle produit à l’égard des tiers ou des enfants, et pas seulement l’acte juridique d’un couple.
Nous sommes bien évidemment conscients des dysfonctionnements actuels de la procédure de divorce, des délais excessifs pour accéder au juge qui croule sous le contentieux. Sans doute le statu quo n’est-il pas la bonne formule mais la réforme que vous proposez, monsieur le garde des sceaux, ne respecte ni l’intérêt des enfants, ni celui des justiciables, ni celui de l’ordre public national et international.
Cette réforme est contraire à l’intérêt des enfants et constitue une rupture dans l’égalité de traitement entre les enfants sous l’autorité parentale de parents mariés ou non mariés. Les intérêts des premiers ne seront plus protégés par l’intervention du juge alors que, comme les syndicats de magistrats l’ont rappelé, « l’intérêt d’un enfant n’est pas l’addition des intérêts des deux parents » et que l’audition de l’enfant ne peut être ordonnée lorsqu’il n’est pas en âge de discernement.
Cette réforme est également contraire à l’intérêt des justiciables en ne leur permettant plus de bénéficier du contrôle du juge et de choisir un avocat commun, choix aujourd’hui majoritaire dans les divorces par consentement mutuel, ce qui est aussi une source d’économie importante pour les justiciables.
Cette réforme est enfin contraire à l’ordre public international alors que, désormais les mariages binationaux sont légion, en raison de l’absence d’organe de contrôle et de vérification de la compétence internationale et de la loi applicable à toutes les questions liées à la désunion.
Contrairement à ce que l’on pense, il est bien porté atteinte à l’ordre public international en raison de l’impossibilité de faire reconnaître ou exécuter l’acte l’étranger, dans l’Union européenne, ou hors Union européenne, sans les certifications prévues par la législation européenne, dont la délivrance ne peut être confiée, ni à l’avocat, ni au notaire, alors que cette mission est dévolue au juge dans l’espace européen, lequel a d’autre part l’obligation de s’assurer que le mineur a été informé de son droit à être entendu, ce qu’il ne peut faire si le divorce sort de la sphère judiciaire. Nous récusons cette banalisation du divorce !
Vous banalisez encore un nombre important de règles de procédure en les confiant à l’officier d’état civil, lequel risque de se trouver plongé dans des abîmes de perplexité en matière de changement de nom et de changement de prénom. C’est en réalité une vraie révolution : vous mettez fin à l’intangibilité de l’état civil, ainsi qu’à l’exception au principe d’opposabilité de plein droit des décisions étrangères en matière d’état des personnes. Ce n’est pas rien !
Bref, de nombreux éléments donnent matière, me semble-t-il, à jouer les apprentis sorciers.
Nous avons coupé, jusqu’à présent, à d’autres mesures pouvant paraître plus secondaires, par exemple la fin de la transcription des actes de décès dans la commune de résidence, mais pas à la suppression du second registre d’état civil. Je m’interroge donc sur la sécurité de l’état civil dématérialisé que vous voulez mettre en place. Cela me semble bien imprudent…
Je termine, monsieur le président.
Cela me semble bien imprudent par les temps qui courent !
Au-delà de dispositions pouvant être intéressantes, comme l’action de groupe, des progrès en matière de conciliation ou certaines modifications dans le recrutement des magistrats, il reste beaucoup trop de raisons pour s’opposer à vos deux textes, donc pour ne pas les voter.
Un dernier point, monsieur le président. Je ne désespère pas, monsieur le garde des sceaux, de vous convaincre au cours du débat de mettre en place un dispositif électronique de protection anti-rapprochement au profit de femmes victimes de violences conjugales. Nous avons déjà abordé le sujet, et je terminerai donc sur cette note d’espoir qui est aussi une note de combat.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission, madame et messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, la capacité d’une société à rendre justice est sans aucun doute son miroir le plus fidèle. Nous avons fait le choix, pour notre part, d’une justice renforcée, adaptée et simplifiée.
Deux projets de loi avaient été déposés par la garde des sceaux d’alors, dont je salue de nouveau le travail à cette tribune. Le premier était le projet de loi organique relatif à l’indépendance et l’impartialité des magistrats, le second portait application de mesures relatives à la justice du XXIe siècle. Leur cohérence est totale et répond à de nécessités connues et reconnues : le désengorgement de nos juridictions, une accessibilité et une simplification fortement attendues, une adaptation aux évolutions de notre société.
La genèse autant que la maturation de ces textes sont à saluer. Ils sont le fruit de réflexions menées dans le cadre de l’Institut des hautes études de la justice sur l’office du juge, ainsi que de nombreux groupes de travail qui ont pris le temps et les moyens nécessaires à la formulation de leurs recommandations. On est loin de l’impréparation supposée que dénonce l’opposition ! Ces recommandations donnèrent lieu, en janvier 2014, à un grand débat sur la justice du XXIe siècle.
Ce qui est urgent doit être réglé avec célérité et sans précipitation. Ce qui est complexe doit être réfléchi et appréhendé collégialement. Ce fut le cas. Le 10 septembre 2014, la garde des sceaux présenta en Conseil des ministres quinze actions pour la justice du XXIe siècle. Notre justice s’en trouvera renforcée par son adaptation aux nouveaux besoins de droit et par une meilleure correction des inégalités sociales.
Le champ a été parfaitement délimité : l’accès sous toutes ses formes à la justice, qu’il soit numérique ou géographique, a été redéfini ; l’ouverture sur la société a été facilitée par une adaptation aux évolutions sociales territoriales, démographiques et économiques ; le fonctionnement interne de l’institution a été révisé pour la recentrer sur ses missions essentielles, notamment en privilégiant le règlement amiable. Depuis le mois de septembre 2014, plus d’une cinquantaine de juridictions expérimentent la justice du XXIe siècle, qu’il s’agisse de l’accueil unique du justiciable dans les juridictions, de l’assistance des magistrats par des greffiers, des instances d’échange avec les élus locaux ou des partenariats avec les universités. Deux décrets ont été publiés, l’un renforçant le dialogue social et le fonctionnement interne des juridictions, l’autre la communication en matière civile.
Permettez-moi maintenant de revenir sur les principales mesures du projet de loi, et à cette occasion de remercier les rapporteurs, Mme Untermaier, M. Le Bouillonnec et M. Clément, ainsi que notre collègue Colette Capdevielle, pour leur implication et le travail réalisé en commission.
Pour rapprocher le citoyen de la justice, le code de l’organisation judiciaire a été modifié, les missions des conseils départementaux de l’accès aux droits ont été étendues, un service d’accès unique du justiciable a été créé. Quelle avancée !
Ensuite, un chantier qui me tient particulièrement à coeur a lui aussi fait l’objet de considérables avancées. Il s’agit de favoriser les modes alternatifs de règlement des litiges. Le projet de loi pose le principe selon lequel une tentative de règlement amiable du litige par un conciliateur de justice doit intervenir avant la saisine du juge pour les petits litiges du quotidien. Afin de garantir une bonne articulation entre les procédures de médiation et de conciliation devant le juge administratif, il supprime la faculté offerte aux tribunaux administratifs et aux cours administratives d’appel de désigner un tiers pour mener la procédure de conciliation. Parallèlement, il étend la possibilité de recourir à la médiation administrative aux litiges nationaux.
Troisièmement, le fonctionnement et l’organisation du service public de la justice ont été améliorés. Nombre de mesures sont proposées pour plus de synergies entre les juridictions. À titre d’illustration, le contentieux de l’indemnisation des dommages corporels et celui du tribunal de police sont transférés au tribunal de grande instance.
Enfin – mais mon propos n’en sera pas exhaustif pour autant –, un cadre légal commun est créé pour les actions de groupe. Une fois encore, quelle avancée ! Le projet de loi définit le régime juridique de l’action de groupe et la rend possible devant les tribunaux judiciaires et administratifs.
Il est temps pour moi de conclure mais, comme il n’est pas de persuasion sans démonstration, mon propos ne pouvait faire l’économie de cette énumération. Plus rapide, moins complexe, la justice que nous prônons sortira plus efficace de ces projets de lois. Plus proche, mieux comprise, la justice que nous voulons sera plus accessible aux plus fragiles qui l’appellent de leurs voeux et qui, trop souvent, ne trouvent ni la voie ni le chemin pour y recourir.
Je renouvelle pour finir mes remerciements à M. Urvoas. Sa clairvoyance sert un idéal de justice empreint d’humanisme qui force l’estime et la considération.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Sourires.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, je souhaiterais mettre l’accent ce soir, ou plutôt cette nuit, sur cinq difficultés posées par ce projet de loi organique, très composite, qui est une sorte de voiture-balai de la législature, portant diverses dispositions relatives à la chose judiciaire.
Permettez-moi, d’abord, de marquer un profond désaccord avec l’article 34 sexies, qui restreint la faculté de soulever une question prioritaire de constitutionnalité. Je veux rappeler, à cette tribune, combien la QPC est un progrès de l’État de droit, que l’on doit à la révision constitutionnelle de 2008 votée à initiative du Président de la République Nicolas Sarkozy. Elle permet à tout justiciable de faire valoir ses droits fondamentaux en excipant de l’inconstitutionnalité d’une loi devant le Conseil constitutionnel. Chacun le sait, mais ce que les Français savent moins, c’est que la commission des lois souhaite bizarrement restreindre le droit de soulever une QPC. Le dépôt en serait désormais interdit dans deux hypothèses : lorsque le tribunal correctionnel ou le tribunal de police est saisi à la suite d’une information judiciaire et que la QPC aurait pu être déposée au cours de la phase d’instruction ; lorsque l’affaire vient en appel et qu’aucune QPC n’a été déposée en première instance.
C’est là une régression de l’État de droit que rien ne peut justifier. Au nom de quoi, madame la rapporteure, souhaitez-vous priver des justiciables de la possibilité de défendre ainsi leurs droits fondamentaux en matière correctionnelle ? Que craignez-vous qui justifierait un tel recul des libertés ?
J’en viens à une deuxième difficulté, qui naîtrait de la création, à l’article 22 bis, d’un collège de déontologie des magistrats de l’ordre judiciaire.
Cet article n’a pas été suffisamment pensé. La justification donnée par le rapporteur, comme par le ministre, est faible, qui consiste à transposer aux magistrats judiciaires ce qu’une loi très récente, en date du 20 avril 2016, vient de créer pour la juridiction administrative et pour les juridictions financières. C’est faire peu de cas d’une différence majeure avec ces deux précédents : la Constitution elle-même, à son article 65, a confié au Conseil supérieur de la magistrature une compétence pour connaître des questions « relatives à la déontologie des magistrats ». Selon la lettre de la Constitution, c’est bien la formation plénière du CSM qui est compétente – et qui est donc seule compétente, sans quoi la Constitution n’en aurait rien dit – pour se prononcer sur toutes les questions relatives à la déontologie des magistrats. Du reste, le premier président de la Cour de cassation lui-même, qui assume ès qualités les fonctions de président du CSM, a annoncé que celui-ci avait décidé de créer, à partir du 1er juin, un service d’aide à la déontologie, composé de deux magistrats honoraires du siège et du parquet et d’une personnalité extérieure. On comprend mal pourquoi la loi organique viendrait créer parallèlement, sans lien avec le CSM, un collège de déontologie des magistrats judiciaires. Il y a là, monsieur le garde des sceaux, un doublon qui confine au désordre.
La troisième difficulté concerne le Conseil constitutionnel. Jusqu’où, mes chers collègues de la majorité, ira votre logique de suspicion ? Faut-il rappeler que le Conseil constitutionnel est, par définition, composé de personnalités éminentes qui exercent les plus hautes fonctions ?
Est-il raisonnable de prévoir que ses membres se trouveront désormais soumis à une autorité administrative, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, en allant jusqu’à préciser, dans le projet de loi tel que vous l’avez amendé, qu’un membre du Conseil constitutionnel n’obéissant pas aux objections de cette administration encourra une peine d’un an de prison ? Est-il vraiment satisfaisant d’appliquer aux membres du Conseil constitutionnel la maxime de Saint-Just : « Prouvez votre vertu ou entrez dans les prisons » ? Revenez à la raison, supprimez cet article étrange !
Quatrième remarque : vous choisissez, à l’article 22, de reconnaître expressément, dans le statut de la magistrature, le droit syndical des magistrats de l’ordre judiciaire.
Je ne conteste pas l’existence de ce droit, qui a un fondement constitutionnel, dans le préambule de 1946, explicité par une jurisprudence du Conseil d’État, avec l’arrêt Demoiselle Obrego de 1972. Mais il me semble nécessaire de préciser que le droit syndical des magistrats ne saurait être confondu avec l’exercice d’une activité de nature politique,…
…laquelle serait directement contraire à l’article 10 – que vous maintenez, certes – de l’ordonnance de 1958, qui prévoit que « toute délibération politique est interdite au corps judiciaire » et qui interdit aux magistrats « toute démonstration de nature politique incompatible avec la réserve que leur imposent leurs fonctions ».
C’est pourquoi je présente un amendement précisant que le droit syndical des magistrats s’exerce, non pas sous la forme d’organisations syndicales de droit commun, mais sous celle d’associations professionnelles nationales ayant pour seul objet de préserver et de promouvoir les intérêts des magistrats en ce qui concerne l’exercice du service de la justice, à l’exclusion de tout objet de nature politique.
Cinquième et dernière remarque : je crois nécessaire que nous nous interrogions sur les modalités de désignation des magistrats siégeant au sein du Conseil supérieur de la magistrature. Le système électoral actuel est particulièrement cadenassé, pour ne pas dire byzantin : c’est un mode de scrutin indirect, qui s’organise selon quatre collèges et comporte deux niveaux. Je propose un mode de scrutin beaucoup plus simple, selon le principe « un magistrat, une voix ». L’ensemble des magistrats du siège et l’ensemble des magistrats du parquet seraient appelés à élire leurs représentants au sein du CSM au scrutin de liste et à la proportionnelle. Il est temps, monsieur le garde des sceaux, d’ouvrir les fenêtres et d’introduire ainsi, au sein du CSM, un vrai pluralisme.
Mes chers collègues, vous l’avez compris, je forme le voeu que la séance publique permette de corriger substantiellement le projet de loi organique issu de la commission des lois ; si tel n’était pas le cas, je serais au regret de ne pas pouvoir le voter.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Sourires.
Monsieur le président, monsieur le président de la commission, madame et messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, les Français sont attachés à l’indépendance de la justice et des magistrats car elle seule peut garantir l’impartialité des décisions. Une justice indépendante reste un pilier de toute démocratie moderne. Ces projets de lois traduisent la volonté du Gouvernement de renforcer ces principes fondamentaux tout en adaptant l’institution judiciaire aux réalités du XXIe siècle.
Sur de très nombreux sujets, nous invoquons le besoin d’adapter les législations et le fonctionnement de différentes institutions de notre société. Notre justice ne peut échapper à cette logique.
Chaque année, ce sont plusieurs millions de décisions qui sont rendues par l’ensemble des juridictions françaises, que ce soit en matière pénale, administrative ou au civil. Comme cela a été rappelé à plusieurs reprises, les magistrats français sont soumis à une charge de travail très importante. Il nous faut aider cette justice sous tension et lutter contre le manque de moyens dont faisait état le garde des sceaux il y a de cela quelques semaines.
Il est d’abord un constat, celui de la pénurie de magistrats. Bien que le nombre d’auditeurs de justice admis à l’École nationale de la magistrature ne cesse d’augmenter, pour atteindre 366 en 2016, nous devons réfléchir à d’autres moyens pour diversifier l’accès à la magistrature. Ce mouvement est déjà engagé avec la création de différents concours d’accès. Il existe également deux dispositions d’intégration à l’École nationale de la magistrature. La présente réforme vise à assouplir les conditions de présentation afin de diversifier les parcours et d’enrichir la magistrature.
Cependant, je reste profondément attaché au modèle français, c’est-à-dire aux concours, d’une part, et aux procédures qui garantissent une égalité d’accès à l’école nationale de la magistrature et à la formation exigeante et pointue dispensée par cette dernière. Car nous ne devons pas oublier que les auditeurs de justice qui quitteront l’école auront la lourde tâche de rendre des décisions qui impacteront la société et la vie de leurs concitoyens.
Pour les magistrats du siège, il est central de rappeler que, dans un État de droit, l’action de juger doit répondre à des principes d’éthique et de déontologie.
Afin de compléter cette adaptation, la justice doit se concentrer sur l’essentiel de ses missions et déléguer, lorsque les garanties d’impartialité sont assurées, les missions qui ne font qu’engorger des tribunaux déjà surchargés. Ainsi 66 000 divorces par consentement mutuel sont traités chaque année, or la très grande majorité d’entre eux ne présentent guère de difficulté et pourraient donc être statués par une procédure simplifiée.
Certains opposent à cette vision la garantie d’impartialité du juge. Cependant, ce texte introduit la présence d’un avocat pour chacune des parties, ce qui garantira la défense des intérêts de chaque conjoint. Cette logique s’applique également dans d’autres dispositions, notamment concernant le PACS. L’enregistrement en mairie aura une double utilité, le désengorgement des greffes et la normalisation de cet acte par un élu, officier d’État civil. Cette disposition a déjà été proposée, mais à l’époque elle avait été refusée par le Parlement, ce qui est regrettable.
Ces textes ont pour objet d’améliorer le fonctionnement de l’institution judiciaire et de mettre fin aux délais parfois importants, sans remettre en cause son indépendance et son rôle central de gardien des libertés fondamentales.
Plusieurs textes nous ont été soumis afin de garantir la sécurité des Français et, à ce titre, une place plus importante a été donnée au procureur de la République. Dans une logique d’équilibre des pouvoirs, il est fondamental de donner un véritable statut de juge spécialisé aux JLD, les juges des libertés et de la détention.
Leur mission est bien trop importante pour que ceux qui auront à prendre des décisions graves ne soient pas statutairement protégés. Il me semble que ce texte va dans ce sens.
Pour finir, je tiens à saluer la décision de supprimer les tribunaux correctionnels pour mineurs. Depuis leur mise en place, leur efficacité n’a pas été démontrée puisqu’ils ne traitent que 1 % des affaires liées aux mineurs. Il me semble qu’une juridiction spécialisée, le tribunal pour enfant, est la plus appropriée pour traiter la délinquance des mineurs par le biais de mesures préventives, de mesures éducatives mais également de mesures répressives. D’ailleurs les décisions des tribunaux correctionnels à l’égard des mineurs sont souvent identiques à celles qui pourraient être prononcées par les tribunaux pour enfants.
Monsieur le garde des sceaux, si nous voulons que la justice des mineurs soit plus efficace, il faut renforcer les moyens des tribunaux pour enfants, notamment le nombre de magistrats. Ils sont actuellement au nombre de quatre cents, ce qui est bien évidemment insuffisant.
La justice des mineurs sera, par le biais d’assesseurs, ouverte à la société civile. C’est une procédure intéressante qu’il est important de conserver.
Ces deux projets remettent la justice au centre et montrent qu’elle ne peut rester figée. Face à la complexification croissante de nos sociétés et à la surcharge réelle de l’institution judiciaire, la simplification et l’efficacité sont les seules réponses envisageables. Nous ne pouvons pas, pour des actes simples, laisser les procédures s’étaler sur plusieurs mois.
Cette évolution ne se fait pas au détriment des grands principes que sont l’impartialité et l’indépendance. Je voterai donc ce texte qui permettra à l’institution judiciaire de se concentrer avec plus d’efficacité et de simplicité sur ses missions essentielles. Je vous remercie.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Monsieur le ministre, vous avez choisi de privilégier la réalité à la posture.
C’est exact !
Vous avez choisi de dire la vérité sur la situation de la justice, non pas pour désespérer mais pour revendiquer, à juste titre, les budgets qui doivent nous permettre de remédier à cette situation. Nous vous y aiderons car nous en avons compris le fondement.
Vous avez choisi de privilégier l’accueil des justiciables, de désengorger les tribunaux, de faire en sorte que le juge, pardonnez-moi de le dire comme cela, passe son temps à juger. Cela semble logique, encore fallait-il le faire.
Il n’y a pas que l’affaire importante du divorce, je pense aussi aux dossiers de surendettement qui devaient passer devant le juge et étaient automatiquement homologués. Désormais, ils ne passeront plus devant le juge. Ce sont peut-être des petites mesures, mais ce sont des mesures qui pèsent sur le quotidien des juridictions.
Vous avez choisi de donner un cadre légal aux actions de groupe. J’allais presque dire qu’il était temps parce que ces actions se multipliant dans divers domaines du contentieux, il faut, à un moment donné, établir un corpus pour que cela conserve un sens et que les actions de groupe, comme nous le souhaitons, se développent.
Vous avez choisi de supprimer le tribunal correctionnel des mineurs, non parce que c’était une promesse, non par idéologie, mais simplement parce que le constat de tous les professionnels est clair : cela ne fonctionne pas.
Responsable pour le groupe socialiste, républicain et citoyen du projet de loi organique, j’en viens à ma responsabilité, à qui sans doute je dois l’honneur d’être le dernier orateur – on se sera ainsi assuré de ma présence…
Rires sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Ce texte comporte divers aspects. Vous diversifiez les recrutements dans la fonction de magistrat, vous créez un vrai statut pour le juge des libertés et de la détention – nous n’en avons peut-être pas assez parlé ce soir – et enfin, de manière presque naturelle, vous étendez aux magistrats et au Conseil constitutionnel l’ensemble des dispositifs qui relèvent quasiment du droit commun en matière de prévention des conflits et de transparence.
Cette diversification des recrutements, Joaquim Pueyo l’a indiqué tout à l’heure, se fera toujours dans le souci de l’excellence, sans abaisser le niveau de compétence des magistrats, dont nous connaissons l’excellence.
Le projet de loi élargit donc l’accès au concours complémentaire et à l’intégration directe, tout en conservant des exigences importantes en matière de formation et en étendant, de manière corollaire, nous ne l’avons pas suffisamment dit non plus, les missions de l’ENM. Cela permettra d’ouvrir le corps des magistrats, ce qui, nous le savons, n’est pas facile – cela a fait l’objet d’une âpre discussion avec Mme la rapporteure.
J’en viens à l’attractivité. Aujourd’hui, à côté des magistrats de droit commun, contribuent à l’action judiciaire des magistrats à titre temporaire, des juges de proximité, même si les juridictions de proximité sont supprimées, des magistrats honoraires exerçant des fonctions juridictionnelles. La loi précise les fonctions susceptibles d’être exercées pour toutes ces catégories de personnel, la durée de leurs fonctions et les modalités éventuelles de leur renouvellement.
J’en viens à la création d’un statut pour le juge de l’instruction et des libertés. C’est un vrai mouvement de fond qui affecte les compétences qui seront données au JLD, notamment en matière de droits des étrangers, dans le cadre de la loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, texte qui, ayant fait l’objet d’une commission mixte paritaire conclusive, sera présenté dans cet hémicycle jeudi. Le juge des libertés et de la détention va devenir, la formule est de vous, monsieur le garde des sceaux, le juge de l’habeas corpus de demain. On sent que c’est une tendance lourde. Il fallait donc lui donner un statut. C’est chose faite.
Enfin, s’agissant des droits et obligations, afin que l’institution judiciaire s’inscrive dans l’exemplarité de la République, ce projet de loi renforce les obligations de transparence des magistrats afin de mieux prévenir les situations de conflits d’intérêts. Pour ce faire, les magistrats sont soumis à une déclaration d’intérêt et de patrimoine.
Nous vous proposons, sur ce sujet, d’aller plus loin que les sénateurs en créant un collège de déontologie, inspiré des collèges créés pour les membres des juridictions administratives et financières dans la loi du 20 avril 2007. Nous faisons les mêmes propositions pour le Conseil supérieur de la magistrature et pour le Conseil constitutionnel, non pas en raison d’une quelconque défiance, ce n’est pas du tout de cela dont il s’agit. Nous allons d’ailleurs affiner le mécanisme que nous avons proposé en commission des lois pour tenir compte des remarques de notre collègue Larrivé, en particulier en ce qui concerne le statut du président et l’entretien déontologique qui, à la réflexion, n’avait sans doute pas sa place à cet endroit-là. Nous en reparlerons donc.
Voilà, monsieur le garde des sceaux, madame et messieurs les rapporteurs, un texte travaillé, un texte équilibré, qui bien entendu a le soutien du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
La discussion générale commune est close.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
Prochaine séance à quinze heures :
Questions au Gouvernement
Suite de l’examen du projet de loi organique relatif au statut des magistrats et au Conseil supérieur de la magistrature
Suite de l’examen du projet de loi de modernisation de la justice du XXIe siècle.
La séance est levée.
La séance est levée, le mercredi 18 mai 2016, à zéro heure cinquante-cinq.
La Directrice du service du compte rendu de la séance
de l’Assemblée nationale
Catherine Joly