Intervention de Guy Geoffroy

Séance en hémicycle du 17 mai 2016 à 21h30
Statut des magistrats et conseil supérieur de la magistrature - modernisation de la justice du xxie siècle — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGuy Geoffroy :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, madame et messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, je commencerai mon propos par un point sur lequel je tombe d’accord avec vous, monsieur le ministre. Nous avons pris acte, lors de nos échanges en commission, que l’ambition de ces textes est modeste, comme vous l’avez dit en commission et répété tout à l’heure et comme les membres de la majorité ne semblent pas vouloir l’admettre. Ils sont en réalité mineurs. L’un est organique, l’autre est ordinaire et ils constituent tous les deux plus un rassemblement de mesures techniques qu’une vision d’ampleur cohérente susceptible de soutenir une ambition, même modeste, pour une véritable justice modernisée et du XXIe siècle se préparant à bénéficier des évolutions que le législateur lui imprime.

Il s’agit ainsi pour l’essentiel d’une reprise de l’existant, plus encore d’affichage et bien souvent de replâtrage dû aux circonstances, ce qu’on ne peut que regretter. Ce projet a pourtant été initié par Christiane Taubira, qui l’a présenté comme le phare de la politique du Gouvernement en matière de justice moderne. Tel qu’il nous est présenté, il manque complètement d’une vision prospective d’ensemble pourtant indispensable pour rénover en profondeur la gestion du corps judiciaire et moderniser les conditions d’exercice de la justice dont vous avez vous-même dit et répété, monsieur le ministre, qu’elle est en crise profonde et même « en voie de clochardisation », pour reprendre vos propos.

Il s’agit donc d’une opération de pure communication. Vous avez d’ailleurs tenu à restaurer le titre initial du texte que les sénateurs, dans leur grande sagesse, avaient ramené à de plus modestes proportions. Vous avez tenu à y réintroduire le principe de justice du XXIe siècle pour mieux faire apparaître, par affichage, des objectifs certes intéressants mais dont la mise en oeuvre concrète fait cruellement défaut. En réalité, aucune mesure ne vient véritablement répondre aux besoins pressants de l’institution judiciaire qui traverse une grave crise, à la fois morale, politique et matérielle, que vous avez l’honnêteté, il faut le reconnaître, de révéler franchement et précisément mais de façon inquiétante, monsieur le garde des sceaux.

Le constat est connu : la justice, dont les moyens – vous me direz probablement le contraire mais les faits sont têtus – ont connu une progression importante depuis le vote en juillet 2002 de la loi d’orientation et de programmation pour la justice jusqu’en 2012, n’est plus, quoi que vous en disiez, une priorité du Gouvernement. La part du budget 2016 affectée à la justice judiciaire, c’est-à-dire au fonctionnement quotidien de l’appareil judiciaire, ne progresse que de 0,7 %, soit moins que l’inflation ! Pourtant, l’institution judiciaire a consenti depuis quinze ans un effort très important de rationalisation de ses coûts et de ses dépenses alors même qu’elle était soumise, ce dont nous sommes tous en partie responsables, à une forte pression de la société et de ses représentants que nous sommes par l’augmentation incessante de sa charge et de ses missions.

Il est temps de reconnaître qu’elle n’est plus en mesure de faire face et de répondre aux attentes de notre société. Vous l’avez d’ailleurs indiqué, monsieur le ministre, vous qui en êtes l’un des meilleurs experts, en soulignant que le budget de votre ministère devrait pratiquement être le double de ce qu’il est pour que notre justice atteigne les grands standards des pays européens comparables au nôtre, l’Allemagne en particulier. Les budgets sont tels que certaines juridictions, vous l’avez rappelé récemment après avoir obtenu une rallonge budgétaire d’un peu plus de 100 millions d’euros, ne peuvent déjà plus, avant même la moitié de l’année civile 2016, payer les fournisseurs, les prestataires voire les experts.

Tout cela, bien sûr, n’est pas imputable à la politique que vous menez depuis 2012. Néanmoins, à ce contexte de difficultés budgétaires et matérielles s’ajoute une gestion gravement défectueuse à laquelle vos deux projets de loi relatifs à la justice du XXIe siècle ne portent pas véritablement remède. Le corps judiciaire comporte en permanence plus de 5 % d’emplois vacants, comme nous le constatons dans nos juridictions lors des rentrées solennelles, mais rien ne permet de dire que cela va changer. De même, et c’est bien plus important encore, le contenu du métier de magistrat n’est pas repensé. Un texte relatif à la justice du XXIe siècle était pourtant l’occasion de le faire.

Sans m’appesantir sur cet aspect du problème, le système pénal dans son ensemble est en grave difficulté voire en faillite faute de moyens, d’organisation efficiente et de trajectoire distincte de la déconstruction de ce qui a été fait avant. Il lui manque une volonté politique et morale fermes d’assurer un traitement efficace et responsable de la délinquance dont fait partie la répression. Ainsi, les tribunaux correctionnels sont en situation d’embouteillage croissant, comme vous l’avez dit tout à l’heure en évoquant les délais. Sous couvert d’un taux de réponse pénale en hausse, ce ne sont pas les poursuites qui augmentent mais les mesures alternatives aux poursuites, trop souvent vides de contenu et qui désespèrent nos concitoyens. Parallèlement, ce qui devrait être accompli en termes de réinsertion et d’accompagnement éducatif des personnes placées sous main de justice est notoirement insuffisant. Ainsi, les mineurs suivis par la protection judiciaire la jeunesse sont mal traités car les personnels et les structures sont largement en deçà du besoin et surtout des objectifs affichés.

Dans le projet de loi ordinaire, les mesures avancées pour rapprocher la justice du citoyen ne sont souvent qu’une très large reprise de l’existant, sous couvert de donner plus de lisibilité et d’adapter la mise en oeuvre.

Dans le projet de loi organique, l’article 3 n’apporte pas d’innovation marquante concernant les missions de l’École nationale de la magistrature. La suppression de la nomination des procureurs généraux en Conseil des ministres, vous le savez bien, monsieur le ministre, ne permettra pas aux magistrats concernés de gagner en indépendance. Par ailleurs, la consécration du principe de liberté syndicale à l’article 22 relève d’un affichage aussi inutile qu’étonnant, s’agissant d’un principe constitutionnel ancré depuis longtemps !

Conséquence pratique, les « vrais sujets » sont apparus en commission des lois. Vous l’avez assumé, monsieur le ministre, reconnaissant que le nombre important d’amendements gouvernementaux méritait explication. Vous avez alors pris l’engagement qu’aucun autre amendement ne viendrait s’ajouter dans la discussion. Mais nous avons constaté, lors de la réunion de la commission au titre de l’article 88, que 14 nouveaux amendements au projet de loi ordinaire avaient été déposés. Ils ont, par le plus grand des hasards, été adoptés par la commission !

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