Intervention de Stéphane Demilly

Séance en hémicycle du 17 mai 2016 à 21h30
Statut des magistrats et conseil supérieur de la magistrature - modernisation de la justice du xxie siècle — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaStéphane Demilly :

Vous souhaitez, en outre, créer un statut pour le juge des libertés et de la détention, qui serait nommé comme juge spécialisé. Cette disposition se justifie par la place très importante qu’a prise, au cours de ces dernières années, le juge des libertés et de la détention dans le fonctionnement de notre justice. Sa désignation par le président du tribunal de grande instance, comme l’a prévu le Sénat, à l’initiative du rapporteur, semble néanmoins préférable à une nomination par décret du Président de la République, plus rigide.

Concernant le projet de loi ordinaire, on soulignera quelques mesures de bon sens qui résolvent des problèmes et répondent à des besoins réels. En premier lieu, ce texte vise à faciliter l’accès à la justice par le justiciable, tout en l’incitant à privilégier les modes alternatifs de traitement. La création d’un service d’accueil unique du justiciable facilitera ainsi l’accès au juge à celles et ceux de nos concitoyens qui n’ont pas toujours la culture juridique indispensable pour comprendre toutes les subtilités de notre organisation judiciaire, particulièrement complexe.

Il est également prévu de favoriser les modes alternatifs de traitement, en obligeant par exemple le justiciable à tenter préalablement une procédure de conciliation, pour les petits litiges, avant de s’adresser au juge. Ces mesures sont de nature à désengorger certaines de nos juridictions.

Le projet de loi entend amorcer une simplification de l’organisation judiciaire et des procédures juridictionnelles en rapprochant, par exemple, les tribunaux des affaires de Sécurité sociale et les tribunaux du contentieux de l’incapacité, afin de créer un pôle social au sein du TGI. Cette réforme peut permettre de recentrer les juridictions sur leurs missions premières en les déchargeant d’autres tâches.

Pour autant, la rédaction adoptée par le Sénat nous semble préférable à celle retenue par notre assemblée. En instaurant une juridiction sociale échevinée de première instance, le Sénat préserve davantage l’identité des actuels tribunaux sociaux, sans préjudice d’une éventuelle intégration plus poussée au sein du TGI.

En outre, nous craignons que la principale victime de cette réforme ne soit la Cour nationale de l’incapacité et de la tarification de l’assurance des accidents du travail, située à Amiens, compétente en appel pour les affaires relevant des tribunaux du contentieux de l’incapacité, et qui compte une équipe de 70 personnes. Le texte précise en effet qu’« une cour d’appel spécialement désignée connaît des litiges mentionnés au 4° de l’article L. 142-2 du code de la Sécurité sociale » et acte la suppression de la Cour nationale amiénoise, le contentieux social en appel étant désormais du ressort des cours d’appel. Or la dispersion du contentieux technique de la Sécurité sociale sur une ou plusieurs cours d’appel, entraînerait nécessairement un surcroît d’activité pour ces juridictions et, par conséquent, un allongement des délais de traitement des dossiers.

La réforme proposée aux articles 8, 52 et 54 laisse par ailleurs en suspens de nombreuses questions sur les impacts budgétaires, les répercussions sur les justiciables et la procédure, la formation inévitable de nouveaux personnels qui dépendraient désormais du ministère de la justice et la question cruciale du devenir des personnels actuels, dépendant du ministère des affaires sociales, parfaitement spécialisés dans ce contentieux extrêmement complexe.

L’adoption de ce texte en l’état aurait donc des conséquences destructrices pour l’emploi et l’avenir de la Cour d’appel d’Amiens, à laquelle est rattachée la Cour nationale de l’incapacité et de la tarification de l’assurance des accidents du travail. Ce sont bien les professionnels du droit dans leur ensemble, dans le département de la Somme et au-delà, qui sont aujourd’hui concernés par cette mesure. Or celle-ci n’engendrera aucune économie et ne simplifiera rien, bien au contraire. Le Picard que je suis ne peut accepter la disparition de cette Cour dans ces conditions.

Par ailleurs, le projet de loi déshabille le tribunal d’instance en confiant au tribunal de grande instance des compétences du tribunal de police. Nous doutons de l’opportunité d’une telle disposition. Que restera-t-il au tribunal d’instance, hors la conciliation ?

Nous nous opposons également au procédé qui a consisté à supprimer en commission, par voie d’amendement, les tribunaux correctionnels pour mineurs. Une telle disposition devra être de nouveau abordée en séance.

Le troisième axe du projet de loi porte sur l’action de groupe et permet de donner à celle-ci un socle procédural commun en matière de discrimination, de discrimination au travail, mais également de santé, d’environnement et de données numériques. La création de ce bloc semble plus cohérente que les dispositions éparses qui avaient été proposées et débattues à travers différents textes, notamment dans la loi de modernisation de notre système de santé, le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité ou le projet de loi pour une République numérique. Néanmoins, ces procédures pourraient être mieux encadrées. Nous proposons donc par voie d’amendement d’exiger des associations pouvant exercer une action de groupe qu’elles soient agréées.

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