Tout ce qui est interministériel est toujours très compliqué. Il n'en va pas différemment pour la gestion interministérielle des cadres mais nous progressons. La modification en juillet 2015 des règles statutaires de mobilité pour l'accès aux emplois fonctionnels favorise l'interministérialité puisqu'elle oblige les administrateurs civils à effectuer leur mobilité hors de leur ministère, sauf s'ils choisissent de rejoindre l'un des services déconcentrés de leur propre ministère.
On doit pouvoir aller plus loin : la mobilité fonctionnelle est pour moi une nécessité. Elle se heurte au problème du retour. « Loin des yeux, loin du coeur » : quand on s'éloigne de son ministère, on est oublié. De la même manière, on ne favorise pas les mouvements avec la fonction publique territoriale.
Les freins à la mobilité sont nombreux. Ils sont financiers – ils tiennent à la disparité entre les montants indemnitaires ; le régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel (RIFSEEP) va permettre une plus grande transparence mais il faudra aller plus loin –, statutaires car chaque corps a ses particularités mais aussi culturels.
Les freins existent aussi pour la mobilité entre le privé et le public. Le retour est aujourd'hui complexe. Je suis favorable à ce qu'au retour, une évaluation des acquis de l'expérience soit effectuée pour trouver un poste qui en tienne compte.
Nous travaillons sur une DRH de l'État qui constitue une première étape, insuffisamment ambitieuse à mon goût. Nous allons traiter un certain nombre de sujets : l'ouverture de recrutements dans la fonction publique, le développement de la culture managériale, la gestion prévisionnelle des effectifs, ainsi que le renforcement des formations initiales et continues. Mais nous devrions tendre, au-delà d'une DRH unique, vers une gestion unique. Ce n'est pas le projet pour l'instant.
Il faut aussi se permettre des expérimentations, notamment au niveau régional. On peut envisager d'expérimenter des plateformes de ressources humaines régionales et de confier ces expérimentations aux préfets ou aux secrétaires généraux aux affaires régionales (SGAR).
Nous avons commencé à travailler sur la définition d'orientations interministérielles. La direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP) pilote déjà des corps interministériels mais sans en assurer la gestion, question qui se pose pour l'avenir. Elle intervient aussi sur une partie du processus de nomination pour les cadres supérieurs et l'accès aux emplois fonctionnels. Nous avons constitué un fichier des administrateurs civils afin de suivre cette population. Là aussi, nous sommes dans une phase de transition et nous devrons aller plus loin.
L'ENA se modernise. Les concours d'entrée ont été réformés en 2014 et en 2015, la réforme de la scolarité est en cours. Des épreuves collectives ont été mises en place, qui permettent de juger la capacité d'écoute et de travail collectif, des qualités aujourd'hui indispensables. Ce sont des initiatives intéressantes qu'a prises la directrice de l'ENA sur lesquelles nous attendons les premiers retours.
La formation aujourd'hui comprend aussi l'innovation : on cherche moins à faire entrer chacun dans un moule qu'à donner les clés pour occuper des postes dans la haute fonction publique et accompagner les transitions.
Le numérique va modifier la conception et l'accompagnement du travail. Nous souhaitons développer le télétravail mais la difficulté, n'est pas de nature technique. Elle porte plus sur l'encadrement d'un agent qui ne travaille plus sous le regard ou à côté de sa hiérarchie. Les cadres ne sont pour la plupart pas préparés à accompagner ces outils que l'on veut mettre en place.
Hier, à l'occasion de la conférence environnementale, j'ai été interpellée sur les formations des hauts fonctionnaires, après que l'on m'a fait remarquer que certains préfets ne sont pas prêts à accompagner en matière de développement durable ce qu'on appelle l'adaptation ou la protection de la biodiversité.
Dans le même temps, toutes les formations du monde ne permettront pas suffisamment d'innovation, de créativité, de réactivité et d'accompagnement si l'on conserve le carcan administratif actuel, si l'administration demeure insuffisamment ouverte à la diversité, à une plus grande transparence, à la recherche de complémentarités, y compris avec le secteur privé et au dialogue.
Aujourd'hui, l'ENA travaille davantage – et c'est indispensable – avec d'autres organismes, par exemple l'Institut national des études territoriales (INET). Il faut demain que les hauts fonctionnaires de la fonction publique d'État et de la fonction publique territoriale puissent travailler ensemble. Il faut donc que les établissements collaborent plus étroitement.
J'ai également eu la chance de suivre le cycle de l'IHEDN. C'est un mode de formation qui croise à la fois des cadres du secteur privé, des militaires mais aussi des élus. Cette mixité, qu'on pourrait aussi envisager sur une durée plus courte, est très enrichissante. Avec l'articulation de l'IHEDN et du CHEM, les fonctionnaires du ministère de la défense bénéficient à un tournant de leur carrière d'une formation à des postes plus élevés au cours de laquelle ils rencontrent d'autres publics. Il n'est pas facile de calquer le mode de fonctionnement du ministère de la défense mais on peut s'inspirer de ses bonnes méthodes. Les formations, initiales ou continues, communes aux différents versants de la fonction publique ne sont pas suffisamment courantes. Nos grandes écoles doivent travailler davantage ensemble. L'École des hautes études en santé publique (EHESP) a ainsi vocation à travailler avec l'ENA et l'INET. Il faut également se rapprocher de dispositifs comme l'IHEDN ou l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ).
Il faudrait penser plus largement dans la fonction publique un moment de pause dans la carrière qui n'existe pas aujourd'hui, éventuellement au retour d'un poste dans le secteur privé ou d'une mobilité.
Nous considérons tous que la formation continue doit être au rendez-vous pour toutes les catégories d'agents publics. Mais plus un fonctionnaire occupe un poste important, moins il se préoccupe de la formation, non pas par manque d'envie mais parce qu'il ne se donne pas le temps de le faire. Si la formation n'est pas obligatoire, elle se fera rarement. La formation continue n'est pas suffisante dans la haute fonction publique, tous les rapports le disent.
L'école de guerre est une bonne idée. Nous devons, comme pour l'IHEDN, regarder sans tabou ce que font les autres. Cependant, l'armée favorise une pyramide des âges plutôt jeune, ce que le reste de la fonction publique ne fait pas nécessairement, car ce ne sont pas les mêmes métiers. Il y a cependant sans doute des pratiques à transposer.