Nous achevons les travaux de la mission d'évaluation et de contrôle sur les enjeux de la formation continue et la gestion des carrières dans la haute fonction publique, par l'audition de Mme Annick Girardin, ministre de la fonction publique.
Madame la ministre, nous vous remercions d'avoir accepté de venir devant cette mission pour faire le point avec vous des différentes questions qui se sont posées tout au long de nos travaux. En effet, je rappelle que cette mission a été créée avec l'objectif d'analyser les modalités de la gestion des carrières dans la haute fonction publique et, en particulier, celle de la détection des hauts potentiels, de leur formation ainsi que les processus de nomination dans les postes à responsabilité, en tenant compte des différents facteurs susceptibles d'intervenir comme les passages dans le secteur privé ou en cabinet ministériel.
La création de cette mission a été inspirée par les processus de sélection des hauts potentiels et les cursus de formation existants dans les différentes armées. J'ai eu la chance de suivre le cycle de formation de l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN). À la lumière de cette expérience, il m'a semblé que la question d'un rapprochement des méthodes de l'armée et de la fonction publique méritait d'être posée.
Je vous remercie de me donner l'occasion de vous présenter le cadre de mon action depuis ma prise de fonctions, il y a deux mois. Je veux m'engager résolument en faveur d'une fonction publique moderne, agile, performante, à l'image de la société qu'elle sert et capable de répondre aux grands défis de notre temps : les transitions énergétique, numérique et démographique. La fonction publique doit se préparer à faire un bond en avant : pour cela, elle doit pouvoir s'appuyer sur ses ressources humaines.
Mes priorités, pour le bref temps qui m'est imparti, s'articulent autour de trois axes : la laïcité, la jeunesse et l'innovation ; autant de questions qui intéressent la haute fonction publique puisqu'il lui appartient d'animer le processus de changement nécessaire.
Le respect de la laïcité est la condition même de la neutralité de l'État. La loi relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires en consacre le principe. Le principal enjeu dans cette matière est la formation des fonctionnaires. Un module de formation est déjà expérimenté, mais nous souhaitons généraliser ces formations. En outre, le conseil de la laïcité de la fonction publique, que j'ai souhaité mettre en place, doit prendre un certain nombre de décisions d'ici le mois de décembre. Sur le terrain, en effet, on constate la souffrance des agents qui ne sont pas suffisamment armés pour répondre aux questions que pose la laïcité. Les hauts fonctionnaires, qui doivent les encadrer, ne sont pas davantage préparés.
Deuxième priorité, la jeunesse et à travers elle, la diversité. Pour que les jeunes s'engagent, nous devons rendre la fonction publique attrayante et l'ouvrir plus largement. Nous y travaillons. L'état des lieux, réalisé à partir du traitement des données des concours externes et de campagnes de testing, montre que d'importants progrès restent à accomplir en matière de diversité. Une mission sur les voies d'accès aux trois fonctions publiques a été confiée à M. Yannick L'Horty, professeur d'économie à l'université Paris-Est Marne-la-Vallée.
La diversification des profils passe par le développement du troisième concours pour les catégories A et B, mais aussi pour les hauts fonctionnaires. L'article 36 du projet de loi égalité et citoyenneté traite cette question.
Le Premier ministre a également confié une mission à M. Olivier Roussel qui doit aboutir à la rentrée 2016 à des propositions de rénovation des pratiques en matière de recrutement, qu'il s'agisse de la composition des jurys et des comités de sélection, de la formation et des modalités de titularisation ou de la gouvernance des écoles.
Pour la haute fonction publique, plusieurs dispositifs sont en place : le vivier de hauts fonctionnaires à haut potentiel, créé en 2012, vise à sélectionner les cadres dirigeants de l'État, et dans une certaine mesure, les titulaires d'emplois laissés à la décision du gouvernement. Il compte aujourd'hui 600 cadres, dont 29 % de femmes, qui sont évalués et formés. La mise en place de comités d'audition pour les nominations aux emplois de directeurs d'administration centrale et de chefs de service constitue un outil d'objectivation du recrutement et d'évaluation des candidats.
L'ENA est en butte à des critiques – comme souvent à l'approche d'échéances électorales. La formation délivrée à l'ENA doit mettre les hauts fonctionnaires en situation de préparer le monde de demain. La directrice de l'ENA a réformé la scolarité en ce sens. Je soutiens ces initiatives tout en considérant qu'il faut aller encore plus loin.
La question de l'accès aux grands corps devra sans doute être traitée un jour. Mais elle est complexe et, faute d'un consensus qui n'est pas encore établi à ce jour, elle exige du temps pour y répondre. En arrivant au ministère, j'avais l'intention de travailler sur ce sujet mais le traiter en quelques mois, ne serait pas raisonnable. Je considère qu'il n'est pas opportun de lancer ce chantier maintenant, mais j'en suis persuadée, il faudra le faire un jour.
L'ENA nous est enviée à l'étranger. Partout où je me suis déplacée dans mes précédentes fonctions de secrétaire d'État au développement, on m'a toujours parlé de l'ENA et souvent souhaité envoyer les cadres du pays s'y former. Il faut faire évoluer l'ENA tout en conservant ce bel outil.
Troisième priorité, l'innovation, qui est un élément clé. Pour conduire les changements indispensables à notre temps, les hauts fonctionnaires doivent être formés au management. Les collectivités territoriales et les établissements hospitaliers doivent être en mesure de mener des projets complexes et de faire preuve de créativité. Un exemple, le numérique va modifier la manière de rendre le service au public et soulever des questions sur l'exercice des missions de l'État et la qualité de vie au travail des agents. Le management jouera un rôle majeur dans la réussite des outils qui seront mis en place. Autre exemple, dans les grandes régions, l'État doit être prêt à accompagner la réforme. Nous devons former l'ensemble des agents à ces évolutions car ce sont eux qui donneront le rythme permettant d'obtenir des résultats rapidement.
La question de la mobilité des hauts fonctionnaires est centrale. La mobilité, géographique ou fonctionnelle – entre ministères, entre les trois fonctions publiques ou avec le secteur privé –, est l'une des composantes de l'innovation. Le parcours d'un haut fonctionnaire demain devra faciliter la mobilité pour être enrichi des expériences qu'elle offre. J'ai toujours pensé que la mobilité géographique présentait moins d'intérêt que la mobilité fonctionnelle, sauf si elle permet d'être confronté à des situations nouvelles et diverses. Quelle que soit la nature de la mobilité, l'adaptation qu'elle requiert permet aux fonctionnaires d'apprendre à innover davantage pour être « des couteaux suisses », ce qu'on leur demande de plus en plus. Nous devons réfléchir à lever les freins, qui sont nombreux, à cette mobilité
Quel est l'enjeu pour la gestion des carrières de l'encadrement supérieur ?
Rappelons que la haute fonction publique française est souvent enviée à l'étranger, le Président de la République et le Premier ministre le disent après chaque déplacement. Sans doute parce que les principes et les valeurs qui ont fondé la création de la haute fonction publique demeurent d'actualité. Je pense à l'égalité d'accès aux concours ; avant le statut général des fonctionnaires de 1946, on accédait à la fonction publique par des sélections propres à chaque ministère, parfois sans concours. On peut discuter du concours mais il reste le mode de sélection le moins discriminant. La sélection au mérite, auquel certains trouvent à redire, reste un principe fondateur que je défends.
Il faut conforter les principes qui régissent la fonction publique. Chaque fois qu'on s'en éloigne, on fragilise cette dernière et les valeurs qu'elle porte.
S'agissant de la formation continue et de la carrière des hauts fonctionnaires, le Premier ministre a demandé en juin dernier l'élaboration de plans managériaux ministériels. Le ministère en assurera la synthèse et se nourrira de ces plans pour apporter un certain nombre de réponses. Ce sujet sera abordé au Conseil des ministres en juin prochain.
Le Premier ministre a également souhaité en décembre 2015, la mise en place d'une direction des ressources humaines (DRH) de l'État. Je crois beaucoup en ce projet qui a été confié à M. Thierry Le Goff. Ce projet doit être ambitieux, peut-être plus encore que ce qu'a demandé le Premier ministre. Je sais que rien ne changera très rapidement, mais si la fonction publique ne sait pas suffisamment se réformer, au service des citoyens, il sera difficile de défendre notre modèle comme le meilleur. Or, je suis persuadée qu'il l'est et qu'il doit pouvoir être pérennisé. Pour cela, il faut se préparer ensemble aux défis et aux transitions que la fonction publique doit accompagner, aux côtés des collectivités et de l'ensemble de nos partenaires.
La loi organique relative aux lois de finances (LOLF) incite à raisonner en termes de mission, de programmes et d'actions afin de favoriser l'interministérialité et la transversalité auxquelles renvoient aussi les défis et transitions que vous avez évoqués.
Il ressort de nos auditions, qu'en dépit des progrès accomplis, une certaine linéarité des parcours des cadres de la haute fonction publique d'État fait écho aux difficultés de la mobilité fonctionnelle que vous avez soulignées. Lorsqu'un fonctionnaire issu de l'ENA a commencé sa carrière dans un ministère, il s'en échappe rarement, malgré les efforts récents en ce sens.
Notre mission n'a pas pour objet de remettre en cause l'ENA mais dans le parallèle que nous avons établi, nous avons relevé que la détection des hauts potentiels dans le domaine militaire était organisée en étages – école de guerre puis centre des hautes études militaires (CHEM). Paradoxalement, l'ENA suivait la même logique avec le cycle des hautes études administratives jusqu'à sa disparition. On nous a fait valoir que, malgré tout, l'ENA continuait d'assurer sa mission de formation continue sous d'autres formes, mais l'objectif ne semble pas atteint. Bernard Pêcheur dans son rapport recommande de mettre en place un cycle de formation des cadres supérieurs ouvert à un vivier de cadres à haut potentiel, tout en considérant qu'il ne peut pas être l'équivalent de l'école de guerre en termes de durée et d'intensité. Ces limites sont-elles nécessaires selon vous ?
Tout ce qui est interministériel est toujours très compliqué. Il n'en va pas différemment pour la gestion interministérielle des cadres mais nous progressons. La modification en juillet 2015 des règles statutaires de mobilité pour l'accès aux emplois fonctionnels favorise l'interministérialité puisqu'elle oblige les administrateurs civils à effectuer leur mobilité hors de leur ministère, sauf s'ils choisissent de rejoindre l'un des services déconcentrés de leur propre ministère.
On doit pouvoir aller plus loin : la mobilité fonctionnelle est pour moi une nécessité. Elle se heurte au problème du retour. « Loin des yeux, loin du coeur » : quand on s'éloigne de son ministère, on est oublié. De la même manière, on ne favorise pas les mouvements avec la fonction publique territoriale.
Les freins à la mobilité sont nombreux. Ils sont financiers – ils tiennent à la disparité entre les montants indemnitaires ; le régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel (RIFSEEP) va permettre une plus grande transparence mais il faudra aller plus loin –, statutaires car chaque corps a ses particularités mais aussi culturels.
Les freins existent aussi pour la mobilité entre le privé et le public. Le retour est aujourd'hui complexe. Je suis favorable à ce qu'au retour, une évaluation des acquis de l'expérience soit effectuée pour trouver un poste qui en tienne compte.
Nous travaillons sur une DRH de l'État qui constitue une première étape, insuffisamment ambitieuse à mon goût. Nous allons traiter un certain nombre de sujets : l'ouverture de recrutements dans la fonction publique, le développement de la culture managériale, la gestion prévisionnelle des effectifs, ainsi que le renforcement des formations initiales et continues. Mais nous devrions tendre, au-delà d'une DRH unique, vers une gestion unique. Ce n'est pas le projet pour l'instant.
Il faut aussi se permettre des expérimentations, notamment au niveau régional. On peut envisager d'expérimenter des plateformes de ressources humaines régionales et de confier ces expérimentations aux préfets ou aux secrétaires généraux aux affaires régionales (SGAR).
Nous avons commencé à travailler sur la définition d'orientations interministérielles. La direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP) pilote déjà des corps interministériels mais sans en assurer la gestion, question qui se pose pour l'avenir. Elle intervient aussi sur une partie du processus de nomination pour les cadres supérieurs et l'accès aux emplois fonctionnels. Nous avons constitué un fichier des administrateurs civils afin de suivre cette population. Là aussi, nous sommes dans une phase de transition et nous devrons aller plus loin.
L'ENA se modernise. Les concours d'entrée ont été réformés en 2014 et en 2015, la réforme de la scolarité est en cours. Des épreuves collectives ont été mises en place, qui permettent de juger la capacité d'écoute et de travail collectif, des qualités aujourd'hui indispensables. Ce sont des initiatives intéressantes qu'a prises la directrice de l'ENA sur lesquelles nous attendons les premiers retours.
La formation aujourd'hui comprend aussi l'innovation : on cherche moins à faire entrer chacun dans un moule qu'à donner les clés pour occuper des postes dans la haute fonction publique et accompagner les transitions.
Le numérique va modifier la conception et l'accompagnement du travail. Nous souhaitons développer le télétravail mais la difficulté, n'est pas de nature technique. Elle porte plus sur l'encadrement d'un agent qui ne travaille plus sous le regard ou à côté de sa hiérarchie. Les cadres ne sont pour la plupart pas préparés à accompagner ces outils que l'on veut mettre en place.
Hier, à l'occasion de la conférence environnementale, j'ai été interpellée sur les formations des hauts fonctionnaires, après que l'on m'a fait remarquer que certains préfets ne sont pas prêts à accompagner en matière de développement durable ce qu'on appelle l'adaptation ou la protection de la biodiversité.
Dans le même temps, toutes les formations du monde ne permettront pas suffisamment d'innovation, de créativité, de réactivité et d'accompagnement si l'on conserve le carcan administratif actuel, si l'administration demeure insuffisamment ouverte à la diversité, à une plus grande transparence, à la recherche de complémentarités, y compris avec le secteur privé et au dialogue.
Aujourd'hui, l'ENA travaille davantage – et c'est indispensable – avec d'autres organismes, par exemple l'Institut national des études territoriales (INET). Il faut demain que les hauts fonctionnaires de la fonction publique d'État et de la fonction publique territoriale puissent travailler ensemble. Il faut donc que les établissements collaborent plus étroitement.
J'ai également eu la chance de suivre le cycle de l'IHEDN. C'est un mode de formation qui croise à la fois des cadres du secteur privé, des militaires mais aussi des élus. Cette mixité, qu'on pourrait aussi envisager sur une durée plus courte, est très enrichissante. Avec l'articulation de l'IHEDN et du CHEM, les fonctionnaires du ministère de la défense bénéficient à un tournant de leur carrière d'une formation à des postes plus élevés au cours de laquelle ils rencontrent d'autres publics. Il n'est pas facile de calquer le mode de fonctionnement du ministère de la défense mais on peut s'inspirer de ses bonnes méthodes. Les formations, initiales ou continues, communes aux différents versants de la fonction publique ne sont pas suffisamment courantes. Nos grandes écoles doivent travailler davantage ensemble. L'École des hautes études en santé publique (EHESP) a ainsi vocation à travailler avec l'ENA et l'INET. Il faut également se rapprocher de dispositifs comme l'IHEDN ou l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ).
Il faudrait penser plus largement dans la fonction publique un moment de pause dans la carrière qui n'existe pas aujourd'hui, éventuellement au retour d'un poste dans le secteur privé ou d'une mobilité.
Nous considérons tous que la formation continue doit être au rendez-vous pour toutes les catégories d'agents publics. Mais plus un fonctionnaire occupe un poste important, moins il se préoccupe de la formation, non pas par manque d'envie mais parce qu'il ne se donne pas le temps de le faire. Si la formation n'est pas obligatoire, elle se fera rarement. La formation continue n'est pas suffisante dans la haute fonction publique, tous les rapports le disent.
L'école de guerre est une bonne idée. Nous devons, comme pour l'IHEDN, regarder sans tabou ce que font les autres. Cependant, l'armée favorise une pyramide des âges plutôt jeune, ce que le reste de la fonction publique ne fait pas nécessairement, car ce ne sont pas les mêmes métiers. Il y a cependant sans doute des pratiques à transposer.
Nous avons eu le plaisir d'entendre de nombreux militaires de haut rang. L'exemple de l'armée n'est pas nécessairement transposable, mais il ressort de ces auditions très intéressantes que pour savoir diriger, il faut avoir été aussi exécutant. Peut-on envisager de généraliser ce genre de pratiques ? Dans un monde qui bouge sans cesse, un retour sur le terrain est utile. Peut-être faut-il l'imposer.
Il est important que la haute fonction publique soit représentative de notre société. Comment faire pour rendre la haute fonction publique plus diverse ?
Évitons de donner l'impression de fonctionnaires hors-sol. Il en existe quelques-uns, mais prenons grade à ne pas généraliser. J'avais aussi cette vision du haut fonctionnaire, sortant de l'ENA sans avoir été suffisamment sur le terrain, occupant des hauts postes tout de suite et ne maîtrisant pas suffisamment les échelons ou le monde extérieur. Mais il s'avère qu'à l'ENA, les profils sont divers : les fonctionnaires issus du concours interne ont de l'expérience, de même que ceux qui utilisent la troisième voie.
Comment rendre cette expérience de terrain, dans le privé ou le public, obligatoire pour ceux qui ne l'ont pas ? Peut-on retenir l'idée à la sortie de l'ENA d'une pause d'une année pour vivre des expériences avant de revenir rendre les dix ans dus à l'État – ce qui est indispensable dès lors que l'État assume le coût de la formation ? Il serait compliqué d'en faire une obligation, mais à tout le moins une possibilité.
Ensuite, il faut instituer des grands rendez-vous dans la vie professionnelle qui permettent une évaluation comme cela est le cas à l'inscription dans le vivier. Je constate cependant que le problème tient moins à la pertinence des évaluations qu'à un manque de courage managérial. Quand cela ne va pas, on ne sait pas le dire : on ne sait pas dire à un haut fonctionnaire quand on constate qu'il n'est pas à sa place, qu'il serait préférable qu'il fasse autre chose. On ne sait pas lui dire de faire une pause ou une formation pour se perfectionner dans un certain nombre de domaines – parce que la vie d'aujourd'hui n'est pas celle d'hier et que la vie de demain sera encore plus compliquée et demandera encore plus de créativité et d'innovation. Les outils existent, ils sont utilisés mais le courage managérial manque pour en tirer les conséquences. Il suffit de regarder le nombre de préfets titularisés – peu d'entre eux ne l'ont pas été. Plus on confiera de missions à la DRH de l'État, et peut-être même la gestion des fonctionnaires à la DGAFP et plus ce courage sera assumé.
S'agissant de la diversité, il faut conforter la troisième voie. Aujourd'hui, de nombreux éléments du parcours des candidats ne sont pas pris en considération. On demande aux jeunes de s'engager, mais le service civique ou le volontariat international ne sont pas pris en compte pour avoir accès à la troisième voie. Le projet de loi égalité et citoyenneté vise à valoriser tous les aspects du parcours. Sans doute suis-je influencée par ma proximité géographique avec l'Amérique du Nord, où toutes les expériences sont valorisées ; dans d'autres pays que la France, les expériences à l'étranger sont des gages de la faculté d'adaptation. Au Canada et aux États-Unis, les entreprises privées valorisent aussi davantage l'engagement. C'est ce que nous voulons faire, quelle que soit la forme de celui-ci : politique, associatif, etc. Il doit pouvoir compter pour accéder à la troisième voie, mais aussi ensuite pour les titularisations.
Les classes préparatoires intégrées, qui rencontrent un grand succès, apportent une autre réponse à l'impératif de diversification de la fonction publique. Nous devons les développer. Aujourd'hui, nous recevons plus de 20 000 dossiers d'inscription. Plus de 500 élèves suivent des classes préparatoires dans 26 établissements – avec une forte proportion d'élèves venant d'outre-mer. Le taux de réussite est de 52 %, toutes catégories confondues ; il est de 45 % pour les concours de catégorie A, de 39 % pour les concours de catégorie B et de 16 % pour les concours de catégorie C. Nous devons cibler davantage les jeunes en difficulté, les jeunes demandeurs d'emploi et ceux répondant aux critères d'attribution de bourses nationales. Je le redis, nous avons confié un rapport à M. L'Horty, qui devrait nous permettre de corriger un certain nombre de discriminations. Malgré un combat quotidien pour l'éradiquer, la discrimination demeure dans la fonction publique, ne serait-ce qu'au travers du patronyme.
Le comité interministériel du 26 octobre 2015 a prévu d'aller plus loin et de travailler davantage sur les discriminations mais aussi sur les origines sociales des jeunes, sur lesquelles un autre rapport a été confié à Olivier Roussel, je l'ai évoqué. J'attends avec impatience les conclusions de ces deux missions pour pouvoir prendre des dispositions. Nous devons apporter des réponses rapidement à ces discriminations et à la nécessité d'ouvrir davantage la fonction publique qui doit ressembler à la société d'aujourd'hui.
Peut-on établir selon vous un parallélisme entre la rémunération au mérite ou l'individualisation des rémunérations et l'intégration des viviers ?
La pratique du vivier ne risque-t-elle pas de démobiliser à mi-carrière les neuf dixièmes des ressources humaines de la fonction publique ?
Pouvez-vous préciser quels sont les freins à la mobilité que vous avez évoqués ?
Je suis totalement favorable à la rémunération au mérite. Elle est essentielle pour impliquer davantage les fonctionnaires. Un fonctionnaire n'est pas un travailleur comme un autre, il s'engage dans la fonction publique, il est au service des citoyens, de la France et de la République. Cet engagement, qui est souvent à l'origine de l'entrée dans la fonction publique, peut s'étioler avec le temps ou perdre de son sens. Nous devons discuter du sens de l'engagement dans la fonction publique, qui a besoin d'être rappelé ou réactivé au fil du temps. Il nous faut ménager au cours de la carrière des temps pour souffler et pour redonner du sens à son action et retrouver la motivation d'origine.
Le mérite doit être récompensé à travers les avancements et les promotions. Le RIFSEEP le permet. La part variable, qui représente 20 % du régime indemnitaire, doit être davantage utilisée selon le mérite.
Pour la première fois en février dernier, la DGAFP a publié un document sur la rémunération de l'encadrement supérieur et dirigeant des trois versants de la fonction publique, soit environ 21 600 fonctionnaires. Je suis partisane d'une transparence totale. Le tableau, qui est accessible sur internet, fait apparaître que le salaire moyen d'un préfet s'élève à 10 328 euros nets et celui d'un recteur à 9 193 euros, à comparer avec les cadres du secteur privé dont les salaires moyens s'établissent autour de 18 500 euros.
Je ne suis pas sûre qu'on s'engage dans la fonction publique pour des raisons financières. Je le redis, celle-ci doit permettre les allers-retours entre le public et le privé pour lever l'un des freins à la mobilité que j'ai soulignés. Je prends un exemple : à mes questions sur l'absence de progression d'un agent de l'Éducation nationale en poste dans un autre ministère, on m'a répondu que lorsqu'on fait le choix de s'éloigner de l'éducation nationale, il ne faut pas s'étonner d'être oublié. Finalement, quand on prend des risques et qu'on ose changer, on est oublié. Rien dans notre système n'est fait pour valoriser la mobilité entre ministères, entre fonctions publiques ou entre privé et public. À aucun moment, il n'est possible de valoriser les compétences acquises lors d'expériences dans le privé. C'est la raison pour laquelle des évaluations sont nécessaires. Il faut trouver le dispositif qui permette de valoriser l'ensemble de ces expériences.
L'évaluation des fonctionnaires a connu d'importants progrès ces dernières années, même s'il est selon moi souhaitable d'aller plus loin encore. Les modalités d'évaluation des administrateurs civils et des titulaires d'emplois fonctionnels ont été revues en 2015 ; l'entretien professionnel est désormais systématique ; les lettres de mission ont également été systématisées ; une période d'essai d'un an a été mise en place pour les emplois fonctionnels depuis juillet 2015 ; s'y ajoute la part modulable du régime indemnitaire et la circulaire du Premier ministre de 2015 évoque les évaluations à 180 ou à 130 degrés pour les cadres supérieurs. Ces dispositifs existent mais il faut savoir tirer les conséquences d'évaluations négatives – en sanctionnant ou en changeant le parcours de l'intéressé – et valoriser les évaluations positives. Une DRH de l'État unique, qui assurerait aussi la gestion des ressources humaines, me paraît plus à même de faciliter les réformes en ce sens.
Madame la ministre, vous rêvez d'être la patronne de la fonction publique mais vous ne l'êtes pas. La question que vous posez hante le débat sur la fonction publique depuis 1945 et l'échec de la tentative de gestion interministérielle des ressources humaines. Celle-ci n'existe pas et les ministères ont réussi à reprendre la responsabilité de la gestion. Vous découvrez cela comme jeune ministre ; comme vous avez un peu de caractère, cela vous étonne beaucoup. Mais y a-t-il une volonté gouvernementale de mettre en place une gestion des ressources humaines ? La direction qui vous est rattachée n'a pas aujourd'hui ce pouvoir.
Quand vous vous étonnez que les cadres supérieurs qui ne sont pas adaptés à leur fonction ne soient pas obligés d'en changer, vous vous heurtez au problème du cadre juridique de la fonction publique. Pour le résoudre, il faut créer une catégorie qui existe pour certains, d'emplois à discrétion et mettre leurs titulaires hors cadre de la fonction publique, dans une position contractuelle avec la prime de risque intégrée. Vous le rappelez, l'écart entre les cadres de la fonction publique et du privé est d'un à deux, mais cela dépend beaucoup des fonctions : recycler un préfet n'est pas si simple puisqu'il exerce des fonctions très spécialisées de maintien de l'ordre ; recycler un haut fonctionnaire d'un corps très technique est plus facile. Vous n'allez pas jusqu'au bout de votre réflexion en ne modifiant pas le cadre juridique des emplois supérieurs.
À quoi sert l'école Polytechnique ? J'ai posé la question à son directeur : à quoi sert aujourd'hui une école militaire dont les promotions comportent de temps en temps un militaire alors que les coûts de formation sont astronomiques. La « pantoufle », même si le texte est enfin un peu durci, est peu appliquée. L'État paie des formations à un coût très élevé au bénéfice d'autres employeurs qui pourraient être assurées par d'autres écoles.
Quelles sont vos orientations pour la mise en place d'une DRH de l'État ?
Tous les efforts pour moderniser la fonction publique ne sont-ils pas anéantis par le fonctionnement gouvernemental ? Le cabinet de l'Élysée et le cabinet de Matignon, qui, tous deux, couvrent l'ensemble des domaines ministériels, ainsi que le cabinet de chaque ministère sont obligés de travailler ensemble dans des réunions interministérielles dont les arbitrages ne sont pas toujours lisibles ; l'arbitrage final n'est pas toujours celui qui a été annoncé à l'issue de ces réunions.
Que pensez-vous de l'idée, soutenue par certains anciens ministres, d'un spoil system à la française ?
On évoque parfois la consanguinité entre les cabinets ministériels et la haute fonction publique d'État. Observez-vous ce que j'appellerais plutôt un coefficient de corrélation entre le passage dans les cabinets ministériels et la présence dans les viviers ?
Oui, Monsieur de Courson, je souhaite changer un certain nombre de choses mais je suis réaliste sur le temps qui m'est imparti et sur la nécessité de négocier les réformes avec les organisations syndicales et aussi avec mes autres collègues ministres. Je suis consciente qu'il me reste seulement neuf mois pour mener à bien certains chantiers. Je dois donc faire des choix.
Je considère que la fonction publique, dans ses trois composantes, doit se préparer à accompagner le pays dans un certain nombre de transitions et s'interroger sur les services publics ainsi que sur les ressources qui leur sont nécessaires.
Je lance une réflexion sur la fonction publique du XXIe siècle. Je souhaite que le Conseil économique, social et environnemental y travaille également sur une durée plus longue. Je reste persuadée que la fonction publique devra être différente. En revanche, il n'est pas pour moi question de revoir le statut des fonctionnaires. Ce statut, même s'il peut faire l'objet d'un certain nombre d'évolutions, est pour moi indispensable à la protection du fonctionnaire qui, je l'ai dit, n'est pas un travailleur comme un autre – il a des droits et des devoirs, il doit défendre des valeurs et des principes sur le terrain.
L'évaluation des fonctionnaires de la haute fonction publique se heurte à un manque non pas d'outils mais de courage managérial. Je pense que l'évaluation par les pairs n'est pas toujours la meilleure solution.
Le Premier ministre a demandé la définition d'une stratégie interministérielle de ressources humaines dont M. Le Goff a été chargé. Ce travail sera terminé en juin prochain ; la DGAFP se prépare déjà à cette évolution qui est considérable, même si elle est pour moi insuffisamment ambitieuse. Une fois que le rapport sera remis, il faudra mettre en place un travail interministériel et consulter les organisations syndicales. On ne peut pas être favorable au dialogue social et vouloir aller trop vite. Cette étape est indispensable pour la réussite durable du projet. Si celui-ci était mené à terme, ce serait déjà un grand pas. Il restera ensuite à discuter de la gestion des agents. En même temps, pour le bon fonctionnement des ministères, chaque ministre doit conserver la définition de ses besoins en effectifs.
L'école Polytechnique ne forme aujourd'hui qu'environ 80 fonctionnaires sur 400 élèves, principalement pour des filières techniques supérieures de l'État. L'essentiel des jeunes formés sont de futurs cadres du privé. On peut donc s'interroger sur le devenir de l'école ; certains envisagent une fusion avec l'ENA pour la formation des futurs fonctionnaires. Il faut trouver des solutions pour accentuer un rapprochement déjà en cours avec l'université et séparer ceux qui se destinent au public et les autres. Toutefois, à titre personnel, je ne suis pas opposée à ce rapprochement. J'ai toujours pensé qu'il était bon de former des personnes à un tronc commun, peu importe qu'ils aillent dans le privé ou le public ensuite. Je ne suis pas catégorique sur cette question, d'autant que je n'y ai pas encore suffisamment travaillé.
Vous posez une question plus politique sur le fonctionnement de nos institutions. Je n'ai pas de réticence à ce que chaque cabinet défende sa vision. Les réunions interministérielles sont indispensables pour trancher in fine. Le cabinet de la ministre de la fonction publique estime évidemment qu'il lui faut être un jour le chef de la fonction publique. Je le redis, je pense que cela marcherait mieux. Je suis persuadée que nous en prenons le chemin. J'ai cité toutes les décisions prises en 2014 et 2015 qui nous rapprochent de cet objectif. Ce que nous mettons en place est déjà une vraie révolution. Nous sommes en train de construire la fonction publique du XXIe siècle.
Les réunions interministérielles sont souvent rendues nécessaires par les désaccords entre les cabinets des ministères. Elles sont une source d'échange et de plus juste équilibre dans les décisions. Je n'y vois pas de dysfonctionnement, ni de lourdeur mais la garantie de porter tous ensemble des projets communs. C'est en tout cas ce que j'ai vécu en tant que ministre de la fonction publique.
Les ministères agissent selon les besoins des citoyens auxquels ils doivent apporter des réponses, selon leurs missions, ou leur volonté de reconnaissance de leurs agents. Chacun doit défendre les ressources humaines dont il a besoin pour exercer sa mission. Les préoccupations financières de Bercy peuvent aussi donner lieu à des réunions interministérielles.
Au-delà de la fonction qui est la mienne, il me semble nécessaire de se reposer la question d'une VIe République mais c'est une considération beaucoup plus personnelle.