Intervention de Jean-Claude Mailly

Réunion du 27 avril 2016 à 17h15
Mission d'information relative au paritarisme

Jean-Claude Mailly, secrétaire général de Force ouvrière, FO :

La distinction entre les cotisations salariales et patronales est un peu factice et de commodité : si les salariés n'existaient pas, il n'y aurait pas de cotisations patronales. En revanche, nous établissons une vraie séparation entre cotisation et impôt. Ces deux modes de financement différents peuvent être complémentaires, même si ce n'est pas toujours très clair.

S'agissant de l'assurance chômage, il est évident que le poids du chômage pèse sur les finances du régime. Mais celles-ci sont aussi le fruit d'une politique économique. Quand on considère que le coût du travail est le principal levier pour améliorer la compétitivité de l'économie française, il ne faut pas s'étonner de la réaction des employeurs dès que l'on suggère la moindre hausse des cotisations : ils lèvent les bras au ciel et clament que c'est impossible. Le champ de la négociation s'en trouve limité. On a parfois l'impression que l'économie est une science exacte tant la politique économique est rigide.

L'assurance chômage est victime de cela ainsi que des interventions des uns et des autres, des syndicats mais aussi des pouvoirs publics. Ces derniers jouent un rôle à travers Pôle emploi, ils donnent une délégation aux interlocuteurs sociaux mais ils ne facilitent pas toujours les choses, comme nous le voyons dans le cas des intermittents du spectacle. Les négociations interprofessionnelles qui se tiennent en ce moment doivent aboutir à fixer une enveloppe et une trajectoire financières. Fidèles à notre conception du paritarisme, nous n'avons pas signé la lettre de cadrage financier lors de la négociation interprofessionnelle. Suite à l'accord intervenu à l'issue du dernier conflit, le Gouvernement a décidé de financer le différé d'indemnisation à hauteur de 85 millions d'euros. À juste titre, l'État indique qu'il veut mettre cet argent dans un fonds dédié à l'emploi des intermittents. Ce système me paraît bon. Nous étions donc prêts à assumer l'économie équivalente pendant deux ans dans le régime des intermittents, pour un montant estimé à une centaine de millions d'euros. Mais la lettre de cadrage fait état de 185 millions d'euros d'économies, 85 millions d'euros étant réclamés à l'État. Il faudrait que nos interlocuteurs du patronat sachent ce qu'est le paritarisme : dans un tel système, on assume ses responsabilités et on ne va pas chercher l'argent des pouvoirs publics. Nous ne voulons pas réclamer 85 millions d'euros à l'État pour le financement du régime d'assurance chômage des intermittents. C'est à nous de gérer le problème.

J'en profite pour répéter ce que j'ai déjà dit publiquement : l'attitude du président du MEDEF me semble irresponsable. Comme lui – mais pour des motifs opposés aux siens – nous sommes en désaccord sur la loi travail. Ce n'est pas une raison pour faire du chantage sur un autre dossier, celui de l'assurance chômage. Cela étant, le MEDEF n'a pas mis sa menace à exécution puisqu'il sera présent à la table des négociations demain ; il a même envoyé un document d'orientation.

Vous m'interrogez sur le système suédois, que l'on peut d'ailleurs qualifier de nordique puisque la Belgique, par exemple, a un modèle équivalent. Je ne juge pas ce que font mes camarades suédois ou belges, mais nos histoires et nos conceptions sont différentes. En Suède, il doit y avoir trois caisses pour le chômage, chacune étant gérée par une organisation syndicale. Une quatrième caisse a été créée récemment par le gouvernement de centre droit. Un salarié suédois qui veut se prémunir contre risque de chômage adhère à l'une des caisses et il se retrouve de facto syndiqué. Cela explique le taux de syndicalisation dans le pays. Le jour où le gouvernement de centre droit a mis en place une quatrième caisse, il y a eu une désyndicalisation : certains salariés ont choisi cette dernière option. C'est leur histoire, je ne juge pas.

En France, nous avons pris un autre chemin, en vertu d'une conception à laquelle FO est très attachée, qui se traduit par la formule « liberté, égalité, fraternité » inscrite au fronton de nos mairies mais aussi par ce qu'on appelle la République sociale dans notre Constitution. Dans le système d'assurance chômage mis en place par les anciens et étendu par la suite, que vous soyez ou non syndiqué, que vous travailliez pour une TPE ou une multinationale, vous avez le même droit aux prestations si vous perdez votre boulot. Pour moi, cela répond à la valeur républicaine d'égalité qui, dans le cas présent, consiste à assurer un minimum d'égalité de droits entre tous les salariés qui ont perdu leur emploi. Certes, cela n'est pas un facteur de syndicalisation puisqu'il n'y a pas besoin d'être syndiqué pour bénéficier d'une assurance chômage, mais cela répond à un principe républicain.

Si un jour les organisations patronales, prises dans un trip poujadiste ou autre, décidaient de ne plus participer à la gestion paritaire, il faudrait se poser la question d'une gestion par les syndicats, mais toujours en veillant à assurer un minimum d'égalité de droits entre tous les salariés. Il s'agit de la même logique qui porte les députés à avoir le souci d'assurer un minimum d'égalité de droits entre les citoyens.

S'agissant du poids croissant des assurances complémentaires, je fais une distinction entre le régime général, les retraites complémentaires qui relèvent d'accords collectifs, des institutions de prévoyance ou de la mutualité, et les assureurs privés. Nous avons toujours dit que le régime général, quel qu'il soit, devait assurer la plus haute couverture possible, quand ce n'est pas une couverture à 100 %. C'est ainsi qu'est né le système de retraite complémentaire. Un tassement des prestations du régime général et des retraites complémentaires ouvre la porte à un troisième niveau de couverture : avec les surcomplémentaires, on entre dans une logique de privatisation qui n'est pas la nôtre.

En la matière, nous observons les conséquences de la transposition de l'accord national interprofessionnel (ANI) de 2013 dans la loi sur la sécurisation de l'emploi, sans la clause de désignation qui permettait aux branches professionnelles d'imposer un assureur, une mutuelle ou un organisme de prévoyance à l'ensemble des entreprises d'un secteur. Ces textes conduisent à une aggravation des inégalités et à un poids croissant des assurances privées dans la couverture, comme j'ai pu le constater, il y a deux jours encore, dans une entreprise du secteur de la chimie. Les salariés m'ont expliqué que leur couverture en matière de prévoyance diminuait en raison de la baisse de la participation de l'employeur. Dans ce contexte, les cadres prennent une assurance surcomplémentaire et, en définitive, les droits sont différents d'un salarié à l'autre.

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