Mission d'information relative au paritarisme

Réunion du 27 avril 2016 à 17h15

Résumé de la réunion

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La réunion

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Mission d'information SUR LE PARITARISME

Mercredi 27 avril 2016

La séance est ouverte à dix-sept heures vingt.

(Présidence de M. Arnaud Richard, président de la mission d'information)

La mission d'information sur le paritarisme procède à l'audition M. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de Force ouvrière (FO), et M. Philippe Pihet, secrétaire confédéral.

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Mes chers collègues, nous entamons cet après-midi un cycle d'auditions des représentants des organisations syndicales et patronales dans le cadre de notre mission sur le paritarisme.

Nous avons tout d'abord le plaisir de recevoir M. Jean-Claude Mailly, le secrétaire général de Force ouvrière (FO), ainsi que M. Philippe Pihet, secrétaire confédéral, que nous avons déjà reçu dans le cadre de cette mission lors d'une audition relative à la négociation sur les retraites complémentaires, comme nous avons reçu M. Stéphane Lardy lors d'une audition relative à l'assurance-chômage.

Messieurs, nous vous remercions d'avoir accepté notre invitation. L'objectif de cette audition est assez ambitieux : nous souhaitons vous interroger sur votre perception du paritarisme en termes de légitimité, de fonctionnement et de champ, sur les évolutions récentes qu'il a connues et sur la place que vous souhaiteriez lui voir prendre à l'avenir. Il est essentiel que nous ayons, après les nombreuses auditions thématiques que nous avons conduites, le point de vue global de FO et des autres organisations syndicales sur cette forme de gouvernance si particulière et si importante dans notre pays qu'est le paritarisme.

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Jean-Claude Mailly, secrétaire général de Force ouvrière, FO

Mon organisation syndicale a joué un rôle important dans l'émergence du paritarisme dans notre pays, et elle est quasiment génétiquement attachée à ce mode de gestion. L'assurance chômage, les retraites complémentaires ou la formation professionnelle sont gérées selon ce système qui implique un accord collectif professionnel ou interprofessionnel. Nous ne voulons pas remettre à l'État ce qui peut relever de la négociation collective qui, selon nous, est une expression de la liberté et de l'indépendance de l'organisation syndicale. D'un côté, il y a la loi qui relève de l'État ; de l'autre, il y a le contrat sur lequel nous avons un pouvoir de négociation et de gestion dans le cadre d'un système paritaire.

Quel est le champ du paritarisme ? Pour faire simple, c'est tout ce qui tourne autour du contrat de travail – les régimes complémentaires de retraite, la formation professionnelle, l'assurance chômage – et qui est financé à partir du salaire sous forme de cotisations salariales ou patronales. Contrairement à certains qui ont une vision extensive du paritarisme, nous ne pensons pas que les syndicats doivent participer à la gestion d'une entreprise au sein du conseil d'administration. Mais nous avons joué un rôle important lors de la création des institutions paritaires : les caisses de retraite, les organismes d'assurance chômage ou de formation professionnelle.

Quel est l'intérêt du paritarisme ? Il fait vivre la négociation entre les interlocuteurs sociaux. Il assure une indépendance des champs concernés, que ce soit l'assurance chômage, les retraites complémentaires ou d'autres, par rapport au domaine législatif. C'est un outil de responsabilisation des syndicats qu'ils soient de salariés ou patronaux. À cet égard, le régime des retraites complémentaires est vraiment géré de façon paritaire : les partenaires sociaux fixent le niveau des contributions et des prestations. C'est d'ailleurs le dernier domaine où nous avons une pleine légitimité, même s'il y a du paritarisme dans d'autres champs.

La légitimité du paritarisme est liée au mode de financement des régimes paritaires. Les organisations syndicales, salariales ou patronales, sont responsables de ces régimes qui sont financés sur la masse salariale et distribuent un salaire différé. En revanche, l'impôt ne relève pas de notre compétence : son montant est fixé par les parlementaires et sa gestion est effectuée par l'État.

Qu'en est-il de ses évolutions ? La sécurité sociale n'est plus un régime paritaire alors qu'à sa création, en 1945, elle était gérée par les intéressés eux-mêmes. À l'époque, les représentants des salariés étaient majoritaires dans les conseils d'administration des caisses de sécurité sociale, ceux des employeurs étant minoritaires. Les choses ont évolué par la suite. Depuis 1967, l'État fixe le niveau des cotisations et, d'une certaine façon, celui des prestations. Le fait d'être représentés dans les branches du régime général de la sécurité sociale nous permet d'être partie prenante à la gestion de ce système sans en avoir la pleine responsabilité.

Dans l'assurance maladie, les syndicats représentant les salariés et les patrons sont sur des strapontins : ils participent à des conseils et non plus à des conseils d'administration. Pour ce qui concerne les allocations familiales, l'assurance vieillesse ou l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), ils participent encore à des conseils d'administration, même si la mainmise de l'État s'accroît. Au fil du temps, nous avons donc vécu une remise en cause de la vraie gestion paritaire. Précisons qu'un conseil peut être paritaire sans être composé à égalité par des représentants des syndicats de salariés et d'employeurs : la proportion peut varier à condition que les uns et les autres soient considérés comme des pairs dans la gestion d'un système.

En ce qui concerne les retraites complémentaires, le régime reste purement paritaire : nous fixons le niveau des cotisations et des prestations. Les choses sont un peu plus compliquées en matière d'assurance chômage : même si, au cours de la négociation, nous fixons le taux des cotisations et les règles de fonctionnement, il s'agit d'une délégation des pouvoirs publics aux interlocuteurs sociaux. Quand il n'y a pas d'accord possible, l'État reprend la main sur le dossier. La création de Pôle emploi – à laquelle nous avons été les seuls à nous opposer – a encore affaibli la gestion paritaire du système : nous sommes certes présents au conseil d'administration de cet organisme mais l'État y est majoritaire.

Mis à part dans les régimes de retraites complémentaires, un problème clef se retrouve un peu partout : un mélange des responsabilités et des financements. De plus en plus, les financements proviennent à la fois des cotisations – domaine de responsabilité des interlocuteurs sociaux – et des impôts. Nous avons fait une demande qui portait au départ sur la sécurité sociale mais qui peut désormais être étendue à d'autres régimes : clarifier les responsabilités et les financements. Quand la solidarité nationale est en jeu, comme dans le cas de la couverture maladie universelle (CMU), il revient aux élus de la nation que vous êtes de choisir le type d'impôt qui convient pour le financement. En revanche, ce qui est financé grâce aux cotisations relève de la responsabilité des interlocuteurs sociaux. Cela ne signifie pas qu'il faut créer deux caisses distinctes, mais il faut clarifier le financement. Quand on regarde un tableau de financement de la sécurité sociale, il faut avoir passé quelques années à l'inspection générale des finances ou à Bercy pour y retrouver ses petits. C'est très compliqué. Une plus grande transparence serait un gage d'efficacité.

Compte tenu du budget global que représentent les régimes sociaux, et en période de tension budgétaire, l'État manifeste une propension à vouloir piloter l'ensemble, ce qui remet progressivement en cause l'existence des régimes paritaires et influe sur le rôle des uns et des autres. Si les régimes paritaires disparaissent, nos responsabilités seront différentes. Il faut aussi reconnaître que certaines négociations donnent lieu à des situations un peu bizarres. Pour ma part, je n'ai toujours pas digéré le fait que les négociations relatives aux retraites complémentaires aient eu un assureur privé comme chef de file du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) : Claude Tendil – contre lequel je n'ai rien à titre personnel – est un ancien patron de Generali. Les assureurs privés ont un intérêt particulier dans une négociation sur les retraites complémentaires, ce qui signifie qu'il y avait un petit conflit d'intérêts. Tous les problèmes ne viennent pas de l'État ; ils peuvent aussi provenir de certains de nos interlocuteurs.

Voilà, grosso modo, la manière dont nous percevons les choses. Nous pensons qu'il faut, si possible, revivifier le paritarisme dans les champs qui sont liés au contrat de travail.

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Philippe Pihet, secrétaire confédéral de Force ouvrière, FO

En ce qui concerne les négociations relatives aux retraites complémentaires, j'avais eu l'occasion de vous exprimer notre mécontentement quant aux interventions de la puissance publique en plein milieu des débats.

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Vous devez être diplomate de formation ! (Sourires.)

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Merci, monsieur le secrétaire général, pour votre exposé et vos positions très claires qui m'inspirent cette première question : le champ actuel du paritarisme le plus abouti, tel que vous l'avez défini, doit-il évoluer ?

À la lumière de nos auditions, nous constatons que le paritarisme fonctionne plutôt bien quand, comme en matière de retraites complémentaires, les partenaires sociaux maîtrisent les cotisations et les paramètres des dépenses et qu'il n'y a pas d'intervention de tiers dans les négociations : les problèmes sont analysés et traités ; les décisions sont prises ; les caisses sont en excédent ; les déficits prévisibles sont anticipés, etc. Une vraie gestion paritaire autonome est donc efficace.

En revanche, l'éclatement des différents régimes de protection sociale des travailleurs, gérés paritairement, est problématique. C'est particulièrement frappant en ce qui concerne la formation professionnelle et l'assurance chômage : il faut se livrer à des contorsions quand on veut mettre l'accent sur la formation des demandeurs d'emploi ; avant que le chômage ne survienne, il n'y a pas assez d'anticipation par la formation. Ces failles sont comblées de manière très imparfaite par le compte personnel de formation (CPF) ou par des outils tels que le fond paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP). Ne faudrait-il pas envisager des rapprochements dans les domaines de l'emploi et de la formation pour une plus grande efficacité des dispositifs de formation et d'accompagnement des demandeurs d'emploi ? Quelles sont vos réflexions et celles de votre organisation sur les évolutions nécessaires du système ?

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Jean-Claude Mailly, secrétaire général de Force ouvrière, FO

Effectivement, le dossier de la formation des demandeurs d'emploi est complexe, et l'importance du chômage n'arrange pas les choses. La difficulté vient de la confusion des rôles. Je rappelle que les partenaires sociaux interviennent dans la gestion de l'Unédic mais pas dans celle de Pôle emploi. Je rappelle aussi que la formation des demandeurs d'emploi, qui relevait essentiellement de l'État, a été transférée aux régions en 2004. Ce transfert n'a pas été une mince affaire et les situations sont devenues très variables d'une région à l'autre.

S'il existe un lien entre la formation, y compris celle des demandeurs d'emploi, et le régime d'assurance chômage, certains – comme M. Jacques Attali – ont tendance à mélanger tout et n'importe quoi dans leurs discours. La masse globale de la formation représente 32 milliards d'euros, mais le montant géré uniquement en formation professionnelle par les interlocuteurs sociaux est de l'ordre de 6 milliards d'euros. Il y a une confusion des responsabilités, même si au fil du temps et à travers différents mécanismes tels que le FPSPP, les interlocuteurs sociaux ont accepté de mettre de plus en plus d'argent dans la formation des demandeurs d'emploi. La responsabilité de celle-ci a glissé de l'État aux régions et, d'un seul coup, on demande désormais aux partenaires sociaux de s'en charger. Je comprends que les entreprises veuillent se servir de la formation professionnelle, qu'elles financent, pour leurs salariés. Il est également indispensable de former les demandeurs d'emploi, mais cela ne relève pas uniquement de la responsabilité des entreprises par le biais des fonds qu'elles destinent à la formation de leurs salariés. Il y a une responsabilité dans le cadre de l'assurance chômage mais il y a aussi une responsabilité des pouvoirs publics.

Cela étant, nous ne sommes pas opposés à travailler au rapprochement entre la formation professionnelle et la formation des demandeurs d'emploi. De la même manière, nous demandons toujours une clarification dans les financements et donc dans les responsabilités, en ce qui concerne le régime général de sécurité sociale.

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Dans le cadre du projet de loi réformant le droit du travail, nous avons beaucoup de débats sur le compte personnel d'activité (CPA), sur l'évolution du monde du travail et notamment sur la progression du nombre des non-salariés, des indépendants qui travaillent sous différents statuts. Quelle analyse faites-vous de cette situation ? En quoi inspire-t-elle vos réflexions sur le paritarisme et son avenir ?

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Vous évoquez beaucoup la nécessité d'une plus grande transparence sur les financements. Considérez-vous que la masse des fonds gérés dans le cadre paritaire est assimilable à de l'argent public, avec les conséquences que l'on peut en tirer en matière de contrôle ? Les négociations sont l'occasion pour chacun de défendre ses idées, qui sont respectables, mais les échanges sont parfois ubuesques et théâtraux : on claque les portes…

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Jean-Claude Mailly, secrétaire général de Force ouvrière, FO

Cela arrive en politique aussi !

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Bien sûr ! Certains partenaires sociaux poussent des cris d'orfraie parce que le Gouvernement prend des initiatives. Tout cela est assez théâtral. Au-delà des bizarreries de négociation que vous avez évoquées, que pourrait-on faire pour remédier à la situation ? Faut-il qu'un tiers de confiance devienne le juge et l'arbitre des élégances ? Comme nous le montre l'actualité récente, l'article L.1 du code du travail est assez peu mis en oeuvre, et je le déplore autant que vous.

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Jean-Claude Mailly, secrétaire général de Force ouvrière, FO

Nous nous intéressons aux problématiques liées au numérique dans le cadre européen et international, et les syndicats ont déjà produit beaucoup de travaux. Il faut faire la part des choses. Au-delà des phénomènes de type Uber, il peut y avoir une tendance à la création d'une zone grise entre les statuts de salarié et d'indépendant. En pensant aux gens qui travaillent pour Amazon ou Upwork, par exemple, certains parlent des galériens du numérique. Plus de 10 millions de personnes peuvent être connectées à Upwork pour proposer leurs services et elles ne seront payées – au lance-pierres – que si elles sont retenues. On pourrait multiplier les exemples de galériens du numérique, dont il faut tenir compte, mais il n'y a pas qu'eux.

Pour notre part, nous ne sommes pas favorables à la création d'un statut intermédiaire entre les statuts d'indépendant et de salarié. Vous pouvez constater que, même aux États-Unis, la relation entre Uber et ses chauffeurs a été remise en cause et a donné lieu à requalification en contrat de travail. Cette zone grise, assimilable d'une manière ou d'une autre à une forme de travail informel, doit être clarifiée. Elle soulève notamment un vrai problème d'accès à la protection sociale collective. Rappelons qu'en 1945 il était prévu de créer un système universel de protection sociale, mais l'idée n'est pas allée à son terme en raison de l'opposition des commerçants, des agriculteurs et de la mutualité. Cela étant, certaines évolutions telles que la CMU vont dans ce sens. Nous travaillons sur le cas de ceux qui se trouvent dans cette zone floue, entre le salariat et le statut d'indépendant. Peut-être faudra-t-il les syndiquer d'une manière ou d'une autre ?

S'agissant du CPA, nous avons joué un rôle clef dans la négociation interprofessionnelle qui a abouti à une position commune que le patronat ne veut toujours pas signer. Le CPA est une bonne idée dont la mise en oeuvre doit être progressive : si on y met trop de choses dès le départ, on va construire une usine à gaz. Or rien n'est pire que de lancer des idées irréalisables, y compris sur le plan technique. Dans la position commune que nous avons adoptée pour le secteur privé, nous l'avons volontairement limité à la pénibilité et au compte personnel de formation (CPF). Ensuite, on verra. En ce qui concerne le secteur public, je rappelle que les fonctionnaires n'en veulent pas. Ils ne veulent pas que soit remis en cause le traitement de la pénibilité par le service actif et se voir imposer un compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P).

Venons-en aux fonds paritaires. Non, il ne s'agit pas d'argent public. Ils sont contrôlés, ce qui est normal et ne nous choque pas, par la Cour des comptes et l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS). Au passage, je signale que les ressources de l'association de gestion du fonds paritaire national (AGFPN) proviennent notamment d'une contribution des employeurs – 0,016 % de la masse salariale – qui va bientôt être insuffisante si l'État continue à accroître le nombre de ses missions. Le fonds va ainsi devoir financer les commissions paritaires qui vont être créées dans le cadre des très petites entreprises (TPE), et aussi l'Institut de recherches économiques et sociales (IRES) qui, sinon, verrait son existence remise en cause. Ces financements n'étaient pas prévus au départ. À trop charger la mule, on s'expose à des problèmes. Quoi qu'il en soit, nous avons de plus en plus de contrôles, y compris dans le cadre de l'AGFPN, et nous avons des commissaires aux comptes.

Pour en venir aux négociations, disons qu'il peut y avoir des phases théâtrales. FO avait saisi les autres organisations syndicales et patronales sur les méthodes de négociation à la suite des débats sur la modernisation du dialogue social qui s'étaient très mal passés. Nous avons tenu plusieurs réunions. Tout le monde avait fini par reconnaître la nécessité de clarifier les règles de fonctionnement, qu'il s'agisse de méthode, des documents préalables ou du droit de saisine des syndicats. Après avoir avancé, nous en sommes maintenant au point mort à cause du MEDEF, qui bloque, notamment sur notre suggestion d'adopter le Conseil économique, social et environnemental (CESE) comme lieu neutre de négociation. À mon avis, nous pouvons améliorer le processus de négociation en formalisant la méthode plutôt qu'en faisant intervenir un tiers extérieur.

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J'ai une question plus spécifique sur l'Unédic où les négociations sont souvent tendues. Votre organisation n'a pas signé certains accords ; une organisation patronale a récemment menacé de ne plus négocier. Selon vous, est-ce structurel, le régime dépendant tellement de la conjoncture économique qu'il a vocation à s'écarter fortement de l'équilibre dans les périodes de chômage durable ? Dès lors, faut-il poursuivre ce type de gestion ou en envisager d'autres ? Dans vos réflexions, vous établissez une forte distinction entre cotisations patronales et salariales. Vous justifiez ainsi que la gestion des fonds de la formation professionnelle – donnant lieu à une cotisation patronale – soit plutôt à dominante patronale, alors que vous prônez une gestion partagée pour les retraites complémentaires ou l'Unédic. Cette distinction est-elle totalement pertinente ? Comme il existe un lien entre salaire brut, salaire net et coût du travail, il s'agit dans les deux cas de salaire différé.

Il y a quinze jours, je me suis rendu en Suède avec le président. Nous avons vu un système où les caisses d'assurance chômage sont gérées uniquement par les salariés. Cette option vous semble-t-elle possible ou trop éloignée de la culture française pour être adoptée ? Les deux thèmes sont liés : si le patronat s'en allait, il faudrait en venir à une gestion étatique – temporaire ou non – ou salariale de ces fonds.

Lors de cette mission en Suède, nous avons pu constater que des systèmes d'assurance privée se mettent en place lorsqu'on touche aux règles des régimes d'assurance collective en retraite, santé ou chômage. Nous avons été étonnés de constater à quel point ces assurances privées compensaient quasiment intégralement les économies illusoires réalisées par le plafonnement des indemnités chômage, par exemple : les cadres finissent par toucher des indemnités plus élevées alors que les plafonds qui leur sont appliqués sont très bas. Les syndicats de salariés sont extrêmement présents dans les systèmes d'assurance privée, y compris en souscrivant eux-mêmes, un peu à la manière des instituts de prévoyance, ce qui explique en partie le taux de syndicalisation très élevé. Les syndicats sont devenus des fournisseurs d'assurance dans tous les domaines de la vie des salariés. Pensez-vous que nous allons connaître ce type d'évolution, contraints et forcés ? Votre organisation a-t-elle conduit des réflexions sur le sujet ?

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Jean-Claude Mailly, secrétaire général de Force ouvrière, FO

La distinction entre les cotisations salariales et patronales est un peu factice et de commodité : si les salariés n'existaient pas, il n'y aurait pas de cotisations patronales. En revanche, nous établissons une vraie séparation entre cotisation et impôt. Ces deux modes de financement différents peuvent être complémentaires, même si ce n'est pas toujours très clair.

S'agissant de l'assurance chômage, il est évident que le poids du chômage pèse sur les finances du régime. Mais celles-ci sont aussi le fruit d'une politique économique. Quand on considère que le coût du travail est le principal levier pour améliorer la compétitivité de l'économie française, il ne faut pas s'étonner de la réaction des employeurs dès que l'on suggère la moindre hausse des cotisations : ils lèvent les bras au ciel et clament que c'est impossible. Le champ de la négociation s'en trouve limité. On a parfois l'impression que l'économie est une science exacte tant la politique économique est rigide.

L'assurance chômage est victime de cela ainsi que des interventions des uns et des autres, des syndicats mais aussi des pouvoirs publics. Ces derniers jouent un rôle à travers Pôle emploi, ils donnent une délégation aux interlocuteurs sociaux mais ils ne facilitent pas toujours les choses, comme nous le voyons dans le cas des intermittents du spectacle. Les négociations interprofessionnelles qui se tiennent en ce moment doivent aboutir à fixer une enveloppe et une trajectoire financières. Fidèles à notre conception du paritarisme, nous n'avons pas signé la lettre de cadrage financier lors de la négociation interprofessionnelle. Suite à l'accord intervenu à l'issue du dernier conflit, le Gouvernement a décidé de financer le différé d'indemnisation à hauteur de 85 millions d'euros. À juste titre, l'État indique qu'il veut mettre cet argent dans un fonds dédié à l'emploi des intermittents. Ce système me paraît bon. Nous étions donc prêts à assumer l'économie équivalente pendant deux ans dans le régime des intermittents, pour un montant estimé à une centaine de millions d'euros. Mais la lettre de cadrage fait état de 185 millions d'euros d'économies, 85 millions d'euros étant réclamés à l'État. Il faudrait que nos interlocuteurs du patronat sachent ce qu'est le paritarisme : dans un tel système, on assume ses responsabilités et on ne va pas chercher l'argent des pouvoirs publics. Nous ne voulons pas réclamer 85 millions d'euros à l'État pour le financement du régime d'assurance chômage des intermittents. C'est à nous de gérer le problème.

J'en profite pour répéter ce que j'ai déjà dit publiquement : l'attitude du président du MEDEF me semble irresponsable. Comme lui – mais pour des motifs opposés aux siens – nous sommes en désaccord sur la loi travail. Ce n'est pas une raison pour faire du chantage sur un autre dossier, celui de l'assurance chômage. Cela étant, le MEDEF n'a pas mis sa menace à exécution puisqu'il sera présent à la table des négociations demain ; il a même envoyé un document d'orientation.

Vous m'interrogez sur le système suédois, que l'on peut d'ailleurs qualifier de nordique puisque la Belgique, par exemple, a un modèle équivalent. Je ne juge pas ce que font mes camarades suédois ou belges, mais nos histoires et nos conceptions sont différentes. En Suède, il doit y avoir trois caisses pour le chômage, chacune étant gérée par une organisation syndicale. Une quatrième caisse a été créée récemment par le gouvernement de centre droit. Un salarié suédois qui veut se prémunir contre risque de chômage adhère à l'une des caisses et il se retrouve de facto syndiqué. Cela explique le taux de syndicalisation dans le pays. Le jour où le gouvernement de centre droit a mis en place une quatrième caisse, il y a eu une désyndicalisation : certains salariés ont choisi cette dernière option. C'est leur histoire, je ne juge pas.

En France, nous avons pris un autre chemin, en vertu d'une conception à laquelle FO est très attachée, qui se traduit par la formule « liberté, égalité, fraternité » inscrite au fronton de nos mairies mais aussi par ce qu'on appelle la République sociale dans notre Constitution. Dans le système d'assurance chômage mis en place par les anciens et étendu par la suite, que vous soyez ou non syndiqué, que vous travailliez pour une TPE ou une multinationale, vous avez le même droit aux prestations si vous perdez votre boulot. Pour moi, cela répond à la valeur républicaine d'égalité qui, dans le cas présent, consiste à assurer un minimum d'égalité de droits entre tous les salariés qui ont perdu leur emploi. Certes, cela n'est pas un facteur de syndicalisation puisqu'il n'y a pas besoin d'être syndiqué pour bénéficier d'une assurance chômage, mais cela répond à un principe républicain.

Si un jour les organisations patronales, prises dans un trip poujadiste ou autre, décidaient de ne plus participer à la gestion paritaire, il faudrait se poser la question d'une gestion par les syndicats, mais toujours en veillant à assurer un minimum d'égalité de droits entre tous les salariés. Il s'agit de la même logique qui porte les députés à avoir le souci d'assurer un minimum d'égalité de droits entre les citoyens.

S'agissant du poids croissant des assurances complémentaires, je fais une distinction entre le régime général, les retraites complémentaires qui relèvent d'accords collectifs, des institutions de prévoyance ou de la mutualité, et les assureurs privés. Nous avons toujours dit que le régime général, quel qu'il soit, devait assurer la plus haute couverture possible, quand ce n'est pas une couverture à 100 %. C'est ainsi qu'est né le système de retraite complémentaire. Un tassement des prestations du régime général et des retraites complémentaires ouvre la porte à un troisième niveau de couverture : avec les surcomplémentaires, on entre dans une logique de privatisation qui n'est pas la nôtre.

En la matière, nous observons les conséquences de la transposition de l'accord national interprofessionnel (ANI) de 2013 dans la loi sur la sécurisation de l'emploi, sans la clause de désignation qui permettait aux branches professionnelles d'imposer un assureur, une mutuelle ou un organisme de prévoyance à l'ensemble des entreprises d'un secteur. Ces textes conduisent à une aggravation des inégalités et à un poids croissant des assurances privées dans la couverture, comme j'ai pu le constater, il y a deux jours encore, dans une entreprise du secteur de la chimie. Les salariés m'ont expliqué que leur couverture en matière de prévoyance diminuait en raison de la baisse de la participation de l'employeur. Dans ce contexte, les cadres prennent une assurance surcomplémentaire et, en définitive, les droits sont différents d'un salarié à l'autre.

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Philippe Pihet, secrétaire confédéral de Force ouvrière, FO

Nous avions l'habitude de parler d'une sécurité sociale à deux vitesses dans l'assurance maladie mais nous voyons poindre une troisième vitesse : à côté de la couverture de base et de la complémentaire minimum, il y a désormais les options. C'est une dérive que nous constatons. Le poids croissant des assurances privées, que vous avez évoqué, est aussi l'une des conséquences du traité de Maastricht et de la limitation du déficit public à 3 % du produit intérieur brut (PIB) : la prévoyance et la santé complémentaire sont exclues du périmètre maastrichtien puisqu'il s'agit d'argent privé. Au cours des vingt dernières années, nous avons donc assisté à des désengagements successifs du régime de base. Pour conserver une couverture maladie ou prévoyance intéressante, la population – et particulièrement les salariés – a été obligée de souscrire ces assurances complémentaires.

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Il me reste à vous remercier, messieurs, d'avoir répondu de manière aussi franche et directe à nos questions.

La mission procède enfin à l'audition de M. Michel Guilbaud, directeur général du Mouvement des entreprises de France (MEDEF), de M. Antoine Foucher, directeur général adjoint chargé des affaires sociales, de Mme Valérie Corman, conseillère pour la protection sociale, et de Mme Ophélie Dujarric, directrice adjointe chargée de la direction des affaires publiques.

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Nous recevons les représentants du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) : M. Michel Guilbaud, directeur général, et M. Antoine Foucher, directeur général adjoint chargé des affaires sociales. Nous vous remercions d'avoir accepté notre invitation et nous vous souhaitons la bienvenue à l'Assemblée nationale.

Nous avons déjà eu l'occasion de recevoir des représentants de votre organisation pour évoquer les différents systèmes gérés paritairement. L'objectif de cette audition est de vous permettre d'exposer la vision d'ensemble qu'a le MEDEF du paritarisme comme mode de gouvernance. Pour une organisation comme la vôtre, s'agit-il d'une bonne chose ? Qu'est-ce qui pourrait être amélioré dans son fonctionnement ? Le périmètre de ce qui relève du paritarisme, déjà très important en comparaison avec des pays étrangers, vous paraît-il devoir être revu ? Si tel est le cas, doit-il être élargi ou recentré ? Que pensez-vous des avis exprimés publiquement par certains acteurs politiques influents sur le paritarisme ? C'est sur votre réflexion générale sur le paritarisme, qui fait l'objet même de cette mission, que nous souhaiterions être éclairés.

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Michel Guilbaud, directeur général du Mouvement des entreprises de France, MEDEF

Nous sommes honorés de votre invitation. Nous avions noté l'installation de votre mission sur ce sujet, extrêmement vaste, à propos duquel la réflexion est permanente, y compris au sein du MEDEF.

Le paritarisme a de multiples facettes : c'est un élément du champ social, mais aussi économique. Il évolue comme l'économie : les besoins des entreprises, des salariés, les comptes sociaux, les comptes publics, la place des régimes de protection sociale sont influencés par des facteurs exogènes auxquels ils doivent s'adapter.

Le débat à son sujet est permanent. Si votre mission d'information a été installée, c'est que certains doutes existent parmi les parlementaires ainsi que parmi les différentes parties prenantes à ce projet. Ces doutes existent aussi au sein du MEDEF, car quiconque exerce une mission de ce niveau se demande s'il le fait correctement et s'il a les partenaires pour le faire. Comment être au niveau d'efficience nécessaire quand les enjeux sont considérables ?

Au sein du MEDEF, lorsque nous évoquons le paritarisme, nous pensons spontanément au paritarisme de gestion : les retraites complémentaires, l'assurance-chômage, la formation professionnelle, le dispositif Action logement. Il existe aussi des dispositifs paritaires au niveau des branches professionnelles. Mais le terme de paritarisme est aussi parfois utilisé pour évoquer le rôle des partenaires sociaux de manière générale. Lors de vos auditions, de nombreux acteurs ont plus parlé de négociation et de dialogue social que de gestion paritaire.

Dans nos réflexions, nous distinguons le paritarisme de négociation, méthode d'élaboration de la norme, de la gestion paritaire.

Souvent, lorsque l'on évoque le paritarisme, on en reste à la face émergée de l'iceberg : le niveau interprofessionnel, partie du paritarisme la plus scénarisée politiquement et médiatiquement. En réalité, le paritarisme s'exerce à tous les niveaux : dans la gestion, mais plus encore dans la négociation. Les négociations sociales se font d'abord au sein de l'entreprise ; ce sont les partenaires sociaux – syndicats, représentants des salariés et employeurs – qui négocient. Les branches professionnelles sont également un élément majeur du système français de constitution des droits sociaux. Quant au niveau interprofessionnel, il ne couvre pas l'ensemble des salariés. Il ne concerne pas les salariés du secteur public, et au sein du secteur privé, l'agriculture, les professions libérales et l'économie sociale n'en font pas partie : ces secteurs constituent le multiprofessionnel. La loi Sapin prévoit que l'interprofessionnel doit être suffisamment représentatif dans quatre grands champs : les services, le commerce, la construction et l'industrie.

Je prends le temps de ce rappel car nous ne considérons pas que les négociations interprofessionnelles créent la norme. Elles élaborent un certain nombre de dispositions sur lesquelles elles s'estiment légitimes parce qu'elles ont reçu un mandat de leurs branches, lesquelles ont elles-mêmes été mandatées par les entreprises adhérentes. Nous rédigeons des accords dont la portée peut être analogue à des accords de branche, mais ils n'ont pas d'effets directs puisque c'est le législateur qui fait la loi. Nous savons que l'idée est que ces accords soient traduits dans la loi, mais rien, juridiquement, ne lie le législateur. Depuis 2007, la loi Larcher prévoit que lorsque le Gouvernement envisage de soumettre un projet de loi, il doit préalablement consulter les partenaires sociaux pour savoir s'ils veulent négocier sur les sujets concernés.

Nous négocions dans le champ qui est le nôtre et nous ne prétendons pas légiférer pour d'autres que ceux qui nous ont donné un mandat, à savoir les branches professionnelles des services, du commerce, de la construction et de l'industrie. Ce dialogue social est actif et a démontré qu'il était capable de produire des accords. Il a évidemment vocation à perdurer, même si la place que ces différents niveaux – entreprises, branches, interprofessionnel – doivent occuper est bien sûr débattue.

Les intervenants devant votre mission d'information se sont beaucoup interrogés sur la productivité de ce dialogue social et le rôle que l'État doit y tenir. Notre vision est très claire sur ce point : un dialogue social n'a de sens que lorsque les acteurs de cette négociation sont en pleine responsabilité.

Certains évoquent la notion de tripartisme ; pour nous cela n'a aucun sens. Il faut au contraire définir très clairement le périmètre d'action des uns et des autres, car ce n'est que lorsque les négociateurs sont pleinement responsables qu'ils jouent pleinement leur rôle. Bien sûr, nous pouvons nous interroger sur notre capacité à prendre des positions et à mener des négociations, tout comme nous pouvons parfois le faire à propos de nos partenaires, les syndicats, mais il est certain que ce n'est pas en amoindrissant leurs responsabilités qu'on leur permettra de mieux négocier. Il en va de même au niveau des branches : si certaines fonctionnent avec un système de commissions mixtes paritaires avec intervention de l'État, c'est plutôt pour résoudre des problèmes ponctuels. Parfois les choses perdurent, mais nous ne voyons pas ces situations d'un bon oeil, nous pensons que c'est lorsque les acteurs sont responsables que le dialogue social peut être efficient.

Il est possible que la définition du domaine dans lequel les partenaires sociaux sont pleinement compétents par rapport à celui de la loi soit aujourd'hui devenue complexe. Une ambivalence est née du fait que les accords sont traduits dans la loi pour s'appliquer à d'autres champs que ceux sur lesquels nous avons une responsabilité interprofessionnelle, par l'effet de la loi Larcher. Par exemple, nous recevons en amont des négociations un document de cadrage de l'État qui va parfois déterminer de manière excessive les postures de négociation des uns et des autres, ce qui nous ôte la liberté de négociation.

Dans le cadre des réflexions lancées par le Gouvernement, notamment au sein de la commission présidée par M. Jean-Denis Combrexelle, nous nous sommes interrogés sur la place de la loi. L'espace de négociation est réduit quand la loi va trop loin dans la définition précise du fonctionnement des entreprises, et aujourd'hui, la loi conditionne trop les négociations d'entreprise, les négociations de branche et la négociation interprofessionnelle.

Nous prônons un vrai dialogue social, qui doit retrouver tout son espace au niveau de l'entreprise. Peut-être faut-il redéfinir le niveau de la branche, qu'il soit impératif ou supplétif pour reprendre la terminologie de la commission Combrexelle, et le niveau interprofessionnel ne doit traiter que des sujets subsidiaires.

J'en viens à présent au paritarisme de gestion, qui est de nature différente. La gestion paritaire s'est instaurée sur plus d'un siècle d'histoire, parce que des partenaires sociaux – patronats et syndicats – ont choisi de constituer des droits contributifs complémentaires à ceux mis en place par l'État, d'abord de façon sectorielle. Ces droits sont assis sur un financement par le travail, salarial et patronal.

Les partenaires sociaux ont considéré qu'il entrait dans leurs prérogatives, selon leurs mandats de négociation, de mettre en place ces droits et d'en prévoir le financement par des cotisations. Ils auraient pu s'arrêter là : constituer ces droits et trouver ensuite l'organisme pour les gérer, mais ils ont choisi de mettre en place des organismes paritaires de gestion, sous différentes formes juridiques, dans lesquels les partenaires sociaux siégeaient eux-mêmes pour gérer ces dispositifs. Ces dispositifs se sont structurés au fil du temps. Au niveau interprofessionnel, les retraites complémentaires, l'assurance-chômage, le logement et la formation en sont les exemples les plus marquants.

Les choses se sont compliquées car l'État a mis en place des dispositifs qui ont aussi été rangés sous l'étiquette du paritarisme, tels que la Sécurité sociale. Les partenaires sociaux y ont joué un rôle plus important par le passé qu'aujourd'hui : ils avaient un vrai rôle de gestion, qui s'est beaucoup amoindri depuis. Aujourd'hui, nous considérons que les régimes de sécurité sociale n'entrent plus dans la définition du paritarisme. Les partenaires sociaux siègent, certes, dans un certain nombre d'instances qui émettent des avis ou votent sur des budgets lors des conventions d'objectifs et de gestion, mais les règles sont essentiellement élaborées dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) : c'est essentiellement l'État qui fait la norme. Le MEDEF, par le passé, s'est retiré d'un certain nombre d'organismes en considérant que la « dé-paritarisation » était trop forte. Nous y sommes revenus car nous avons considéré que donner des avis et le point de vue des employeurs dans la gestion des caisses de sécurité sociale était important. Mais il s'agit de concertation, et non de gestion paritaire. Il est normal que les entreprises et les employeurs donnent leur avis sur des sujets qui ont un impact important sur le travail, d'autant que c'est le travail qui fournit une part importante du financement de ces régimes.

Parmi les organismes de paritarisme de gestion, celui que nous pilotons le plus directement est l'interprofessionnel. Même à ce niveau, il n'existe pas de modèle unique. Dans certains régimes, l'État n'intervient quasiment pas : c'est le cas pour l'Arrco (association pour le régime de retraite complémentaire des salariés) et l'Agirc (association générale des institutions de retraite des cadres). Dans ces cas, les partenaires négocient et définissent les paramètres, qui s'appliquent directement. L'État n'intervient quasiment pas dans les normes et la gestion des retraites complémentaires.

On pourrait penser que la même situation prévaut du côté de l'assurance-chômage, mais il existe en réalité des dispositions législatives plus directives, d'ailleurs renforcées ces derniers temps. L'État agrée la convention qui traduit l'accord sur l'assurance-chômage.

Dans le domaine du logement, l'État légifère largement. La loi définit tous les paramètres et la gouvernance des outils de ce qui était auparavant le « 1 % logement », maintenant appelé « Action logement ». Les usages financiers sont déclinés par décret. Cette tendance s'est nettement renforcée depuis plus d'une dizaine d'années.

La même situation prévaut dans la formation : nous négocions des accords nationaux interprofessionnels, mais ils doivent ensuite être traduits dans la loi. Les règles encadrant les organismes de formation sont largement définies par la loi et le règlement. L'intervention de l'État est donc assez forte, et ces dernières décennies, la tendance va plutôt vers une étatisation du paritarisme.

Aujourd'hui, nous pensons que le paritarisme garde sa légitimité, mais ce point de vue doit être partagé, et c'est tout l'intérêt d'une mission comme la vôtre. Plusieurs notions nous semblent justifier l'intervention des partenaires sociaux et le paritarisme.

Tout d'abord, nous sommes d'autant plus légitimes que les sujets abordés sont en lien avec le travail. J'évoquais la Sécurité sociale ; on peut aujourd'hui considérer que la politique familiale n'a plus grand rapport avec le travail. Les droits dans ce domaine sont universels, et de notre point de vue, leur financement gagnerait à l'être. Même si les cotisations sont aujourd'hui encore assises sur les salaires, ce sont les cotisations de la branche famille que le Gouvernement a choisi de réduire dans le pacte de responsabilité, considérant que c'était celles dont l'objet s'éloignait le plus du travail.

Au sein des différents régimes – je pense notamment aux retraites – les acteurs ont de plus en plus tendance à distinguer un socle de solidarité d'une partie contributive. Dans le cadre de la réflexion qui est en cours sur la légitimité des partenaires sociaux à définir les règles et sur l'origine du financement – fiscalité ou cotisation sociale –, nous pensons que la distinction entre des droits contributifs, sur le modèle assurantiel, et des droits universels financés par l'impôt doit être prise en compte. C'est ce qui s'est passé dans les régimes de protection sociale d'autres pays, et la plupart des rapports semblent aller en ce sens. À ce stade, nous définissons et nous finançons l'Agirc et l'Arrco, mais cette idée pourrait guider la réflexion lors d'une future réforme des retraites.

Le fait que les partenaires sociaux soient eux-mêmes gestionnaires de régimes de retraite complémentaire nous paraît intéressant, car c'est un espace de responsabilité sur un objet qui reste connecté au travail. Comme dans le domaine de l'élaboration des normes, nous défendons l'idée que ces responsabilités ne s'exercent pas à moitié. Lors de la dernière négociation Agirc-Arrco, nous avons su être à la hauteur des attentes, mais nous devons très régulièrement montrer que nous savons mener nous-mêmes les réformes nécessaires. Le contexte économique, démographique, et les grands paramètres structurels qui conditionnent l'équilibre des régimes sont des défis très importants pour les retraites et l'assurance-chômage, et nous sommes tous confrontés à ces éléments exogènes. Le MEDEF et ses partenaires considèrent qu'ils n'ont pas à rougir de leur capacité à faire des réformes : sur les retraites, l'accord Agirc-Arrco nous semble plus courageux que ce qui a été fait pour le régime général. Nous en avions l'obligation car nous ne pouvons équilibrer les régimes que sur nos propres fonds, alors que les régimes de base peuvent toujours bénéficier d'autres ressources venues de l'impôt ou de transferts.

Sur l'assurance-chômage, nous sommes très préoccupés de voir que les problèmes financiers deviennent de plus en plus structurels. Nous pouvons réfléchir au fait que l'assurance-chômage est un régime plus ou moins universel selon ce que nous lui demandons de faire. Vu les responsabilités qui sont les nôtres, le rendez-vous est devant nous, mais nous ne pensons pas du tout que le tripartisme va nous rendre plus responsables. Ce n'est pas ce que nous avons constaté dans le passé : quand l'État intervient, c'est plutôt déresponsabilisant et notre expérience n'a pas montré que cela aboutissait à des décisions plus fortes et plus courageuses pour répondre aux problèmes structurels. L'intervention de l'État ajoute une dimension politique liée au contexte de la négociation en cours, mais n'améliore pas l'efficience de la gestion et ni la définition des grands paramètres des régimes dont nous sommes responsables.

L'exigence d'efficience sur le paramétrage des régimes doit s'accompagner d'une efficience de gestion. Je ne peux pas démontrer que la gestion paritaire est plus efficace, mais je ne pense pas non plus que l'on puisse démontrer l'inverse ; il faut étudier les coûts de gestion. L'opprobre est parfois jeté sur le paritarisme, et nous avons nos propres doutes sur l'efficacité de la gestion par des organisations paritaires de ce que nous pourrions confier au secteur privé ou à l'État. Mais il est très difficile de comparer l'Agirc-Arrco au régime général : les ordres de grandeur sont trop différents. Dans tous les cas, nous n'avons pas de dettes au sein d'Agirc-Arrco : nous avons su reparamétrer de façon assez courageuse. Je ne sais pas quelle est la somme qui a été transférée du régime général vers la Cades (Caisse d'amortissement de la dette sociale), mais je ne pense pas que nous ayons à rougir de la gestion paritaire.

En termes de gestion, nous avons su régulièrement faire des réformes. Une réforme très importante d'Action logement est en cours : nous sommes en train de fusionner tous les collecteurs logement. La réforme de la formation a été traduite dans la loi et fait peser une très forte exigence sur les organismes paritaires collecteurs de la formation professionnelle. Des dispositifs innovants comme le compte personnel de formation (CPF) ont certes été votés par le législateur, mais ce sont les partenaires sociaux qui y ont réfléchi et qui le mettent aujourd'hui en place, puisque ces dispositifs font l'objet de gestion paritaire. Le CPF est cogéré, mais nous avons un rôle important pour la définition des formations éligibles au compte.

Le défi du paritarisme consiste à s'adapter en permanence. Nous ne prétendons pas être sûrs d'y arriver, car les défis structurels sont sans doute beaucoup plus importants que jamais : raisons démographiques pour les retraites, de conjoncture économique pour l'Unédic. De plus, nous arrivons au bout de ce qui est faisable au regard des problématiques de financement, de compétitivité, de pouvoir d'achat. Il va certainement falloir jouer plus sur l'efficience de la dépense que sur les recettes pour équilibrer les régimes.

Il faut enfin s'adapter à la modernité. Lors de vos auditions, vous avez beaucoup évoqué la transformation du monde du travail et l'ubérisation. C'est un élément, parmi d'autres, qui modifie l'équilibre entre le financement par le travail et des droits que l'on souhaiterait toujours plus protecteurs des salariés et des demandeurs d'emploi, afin d'accompagner les transitions professionnelles. Mais il faut que nos projets soient viables.

Les défis sont très importants, nous devons être à la hauteur de la responsabilité de gestion, ainsi que nos partenaires syndicaux. Parfois, nous pouvons donner l'impression que ce n'est pas le cas. Est-ce ponctuel ? structurel ? Cela dépend-il des sujets ? Le paritarisme n'est pas une affaire de sujets faciles. Si nous additionnons les sommes mobilisées au niveau interprofessionnel, nous aboutissons à plus de 100 milliards d'euros sur les 600 milliards de la protection sociale. Nous faisons partie de cet appareillage de la protection sociale, qui fait partie de l'ensemble de la dépense publique, qui fait partie des enjeux de finances publiques, qui font partie de la dette publique et des déficits.

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Merci de ce tableau assez complet. Alors que nous arrivons presque au terme des auditions de cette mission d'information, nous partageons votre constat : les organismes gérés par les partenaires sociaux n'ont pas à rougir, comparés à d'autres standards. Mais on sent aussi beaucoup de conservatisme à l'égard du système : il évolue souvent sous le coup de la loi, mais assez peu de lui-même.

Prenons l'exemple de la formation professionnelle. Au fond, l'idée est largement partagée parmi les politiques et les responsables syndicaux et patronaux que les parcours professionnels seront beaucoup plus diversifiés, voire hachés, qu'ils ne l'ont été par le passé, et cela impose de faire évoluer le système. Pour la formation professionnelle, un outil a été créé, le CPF. Intellectuellement, il est très simple, mais sur le terrain, la façon dont les opérateurs de la formation professionnelle montent les formations qualifiantes est encore une usine à gaz : on fait appel à l'OPCA, puis si ça ne suffit pas, au Fongécif, auquel on ajoute un bout de congé individuel de formation, puis l'on va piocher dans le fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels. Cet exemple montre que la gouvernance du système – qu'il s'agisse de dispositifs étatiques, paritaires ou mixtes – ne suit pas le rythme des évolutions intellectuelles. Nous comptons parmi nous un expert en la matière, Jean-Patrick Gille, auteur d'un rapport sur les premiers pas du CPF, et nous pensons qu'il faudrait réfléchir à un système d'assurance-formation comparable à l'assurance-chômage. Cela permettrait d'avoir un opérateur interprofessionnel décisionnel, pourquoi pas paritaire, car j'estime comme vous que les mécanismes pleinement paritaires fonctionnent mieux que les systèmes tripartites ou quadripartites.

Selon vous, pour quelles raisons ce système évolue-t-il très peu de lui-même ? Avez-vous identifié des éléments qui sont actuellement gérés paritairement et qui ne devraient plus l'être, et d'autres qui pourraient revenir en gestion paritaire ?

Par ailleurs, vous dites qu'il vous semble plus efficace que chacun soit pleinement responsable. Pour autant, vous ne niez pas que le législateur ou le Gouvernement puisse intervenir. Y a-t-il un système qui vous semble plus pertinent qu'un autre ? Par exemple, le régime d'assurance-chômage passe par des négociations, qui font l'objet d'un agrément ex post, système qui a ma faveur. Pensez-vous préférable qu'il n'y ait aucune intervention une fois que l'accord a été signé ? Quel est votre avis sur les systèmes dans lesquels un commissaire du Gouvernement est présent au sein du conseil d'administration, sans droit de vote mais avec un droit de veto lorsque les décisions ont un impact budgétaire ?

Enfin, la France a pris des engagements de maîtrise des comptes publics qui incluent tous les comptes sociaux, en particulier ceux des régimes de retraite complémentaire ou l'Unédic. Comment envisager un mécanisme permettant d'être responsable globalement et d'éviter que l'État vous impose de réaliser 2 milliards d'euros d'économies, ce que certains ont dénoncé comme une ingérence ? Comment imaginer un système qui vous laisse votre autonomie et votre pleine responsabilité tout en permettant à l'État, responsable vis-à-vis de l'Union européenne, de tenir ses engagements de maîtrise des finances publiques ?

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Et comment imaginez-vous exercer cette responsabilité au vu de la tendance à l'universalisation d'un certain nombre de droits qui étaient jusqu'à présent assis sur le travail ? Il y a un effet de ciseau entre un système dont le financement repose sur le travail et l'universalisation des droits.

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Vous avez été d'une grande prudence. Pouvez-vous nous faire état des discussions qui existent au sein de votre organisation ? Vous avez décrit la géographie du paritarisme en dénonçant une forme d'étatisation. Pensez-vous que dans certains secteurs, il faudrait laisser le paritarisme fonctionner sans intervention de l'État, et que dans d'autres secteurs, le paritarisme n'a plus sa place ?

J'ai cru percevoir une piste dans vos propos lorsque vous avez parlé de systèmes dans lesquels il existe un socle universel, sous la responsabilité de l'État, et un autre niveau lié à la situation de travail et aux parcours professionnels. Ce modèle existe dans beaucoup d'autres pays. Quelle est votre réflexion sur ce point ? Seriez-vous prêts à généraliser le mode de fonctionnement qui prévaut pour les retraites, où un bloc universel serait étatisé, tandis que l'étage supérieur serait géré paritairement ?

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Michel Guilbaud, directeur général du Mouvement des entreprises de France, MEDEF

S'il y a vraiment un objet lié au travail et sur lequel nous avons un rôle à jouer, c'est la formation. Le CPF permet aujourd'hui aux partenaires d'entrer dans le jeu, aux côtés des collectivités locales. Nous avons réclamé d'exercer une coresponsabilité, qui s'est traduite par le COPANEF (comité interprofessionnel pour l'emploi et la formation) et les COPAREF (comité paritaire interprofessionnel régional pour l'emploi et la formation professionnelle). Cela peut sembler de la tuyauterie, mais c'est là que se joue l'enjeu du devenir des salariés, de leur transition professionnelle, et si l'on veut bouger sur le marché du travail, c'est par là que nous y arriverons.

La formation est un sujet sur lequel on entend parfois des propos un peu globalisants. On nous demande ainsi ce que nous faisons des 30 milliards d'euros mobilisés au total, alors que nous ne gérons pas du tout une telle somme : seuls 12 ou 13 milliards concernent les entreprises, dont plus de 6 milliards sont constitués par les dépenses internes des entreprises. Donc avant même la réforme, les OPCA (organisme paritaire collecteur agréé) géraient 6 milliards, pas 30.

Bien sûr, il y a un enjeu de modernisation pour que ces 6 milliards aillent vers les bonnes formations. La qualité des formations est un enjeu crucial sur lequel nous devons travailler. Les dispositifs très mutualisés qui passent par des OPCA ne sont pas forcément les plus efficaces. Le législateur a accepté de prendre en compte l'accord national interprofessionnel qui fait disparaître l'obligation légale, imposant ainsi aux OPCA de dispenser beaucoup plus de services et de ne pas se contenter de collecter automatiquement de l'argent, même si l'entreprise ne forme pas directement ses salariés. C'est le signe que nous avons tous accepté de remettre en cause la qualité du travail des acteurs de la formation.

Je ne prétendrai pas que, du jour au lendemain, les OPCA se sont mis à faire un travail formidable. Je ne sais pas si les réformes vont assez vite ou assez loin, ni si tout remettre à plat est la manière la plus efficace pour réformer des systèmes aussi complexes que celui-là. Certains étaient très attachés au système antérieur car il fonctionnait bien dans leur branche. Mais l'enjeu de la formation est aujourd'hui interdisciplinaire : il faut accompagner des salariés dans la transition d'un secteur à l'autre. Nous ne pouvons donc pas nous cantonner à additionner des visions de branches pour savoir quel est le bon dispositif. C'était notre difficulté pour mener cette réforme de la formation. Ce n'est pas forcément du conservatisme, il existe des logiques de terrain assez différentes selon les secteurs.

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Antoine Foucher, directeur général adjoint chargé des affaires sociales

Il me semble paradoxal de citer la formation comme exemple du conservatisme paritaire au vu de la dernière réforme qui a été conduite et transposée dans la loi. C'est au contraire l'exemple d'une réforme négociée par les partenaires sociaux, qui a redessiné les fondements d'un système qui datait de 1971.

Deux principes ont été au fondement de cette refonte : la liberté et la responsabilité des salariés et des entreprises. Elle s'est traduite par la fin de l'obligation fiscale, qui est un changement structurel dont nous n'avons pas fini de voir les impacts sur les OPCA et les organismes de formation deux ans plus tard ; et par la création du premier droit totalement portable dans notre pays : le compte personnel de formation.

Si l'honnêteté oblige à reconnaître que la mise en oeuvre est un peu laborieuse, cela tient à deux raisons. Pour le CPF des salariés, il est compliqué de mettre en place un système efficient en un an alors que le système précédent durait depuis quarante ans. Sur les demandeurs d'emploi, nous touchons à un sujet qui n'a rien à voir avec le paritarisme, c'est la multiplicité des acteurs compétents en matière de formation professionnelle : Pôle emploi, les régions et les partenaires sociaux. Si nous voulions aller vers une assurance-formation gérée par un organisme central, qu'il soit paritaire ou géré par l'État, nous nous heurterions à la décentralisation de la formation professionnelle.

La récente réforme de la formation professionnelle plaide plutôt en faveur du fait que le paritarisme est capable de se réformer structurellement et de refonder le système sur lequel il est appuyé, pour moderniser son appareil de formation au service des entreprises et des salariés. Mais encore une fois, on ne change pas en un an et demi un système vieux de quarante ans.

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Michel Guilbaud, directeur général du Mouvement des entreprises de France, MEDEF

Quant à la meilleure procédure entre l'accord et l'agrément, je ne saurais vous répondre : j'ai plutôt parlé de l'autonomie des partenaires sociaux. Je ne connais pas la raison historique de l'agrément de l'assurance-chômage ; elle tient à l'importance de ce champ de protection et au fait qu'il s'agit d'un régime qui ne s'applique pas seulement aux salariés des secteurs que nous représentons, alors que pour l'Agirc et l'Arrco, nous gérons vraiment en fonction des entreprises cotisantes.

La présence d'un commissaire du Gouvernement au sein des conseils d'administration est d'un ordre différent, puisqu'il s'agit de la gestion et non de l'élaboration de la norme. Je ne suis pas partisan de cette technique : ces fonctions sont souvent prévues pour parer à toute éventualité, mais lorsqu'il y a un vrai problème, l'État le sait. Je ne suis pas sûr que la présence d'un représentant de l'État en gestion permanente, avec un rôle passif, soit très vertueuse, mais c'est un avis personnel, le MEDEF n'a pas de position sur cette question précise.

Nous ne nourrissons aucun complexe s'agissant des comptes sociaux et de la responsabilité à l'égard de l'Union européenne. Nous savons que nous faisons partie intégrante des comptes publics, et ce n'est pas sans contrepartie. Nous ne pouvons pas demander une meilleure maîtrise des comptes publics et des contraintes de gestion publique au sein de la zone euro, au vu de leur impact sur l'économie, sans nous imposer la même rigueur. En revanche, il est un peu ridicule que l'État ait extrapolé un montant au sein du programme de stabilité sans nous demander notre avis. C'est le processus d'élaboration du document qui le veut, mais l'État décide de s'imposer de telles contraintes et les répercute ensuite, comme il le fait à l'égard des collectivités locales qui sont pourtant financièrement autonomes de par la Constitution. Les différents textes budgétaires successivement élaborés prévoient des niveaux de contrainte de plus en plus forts sur les régimes des partenaires sociaux. Cela ne va pas sans poser de questions, mais je vois mal comment faire autrement puisque la discipline des comptes publics à l'égard des règles européennes nous paraît nécessaire.

En ce qui concerne l'universalisation des droits, nous estimons que les partenaires sociaux ont moins de légitimité à gérer la protection sociale si elle a une vocation universelle.

Il existe bien sûr des débats internes au MEDEF. Nos doutes peuvent venir du sentiment que les partenaires ne vont pas réussir à s'entendre. Ce n'est pas de la seule responsabilité des syndicats, les blocages peuvent venir des deux côtés. Saurons-nous être à la hauteur de nos responsabilités sur certains enjeux structurels ? Lors de la dernière négociation sur l'assurance-chômage, nous sommes parvenus à un accord prévoyant 800 millions d'euros d'économies alors que le déficit annuel est de 4 milliards. Ce déficit est-il structurel ou conjoncturel ? Certains considèrent que nous ne sommes pas suffisamment à la hauteur de la situation et que nous ne sommes pas les mieux placés pour prendre de telles décisions. Dans d'autres cas, nous avons préféré garder la gestion parce que nous pensions que les choses seraient pires encore si l'État les prenait en charge. Ce débat existe donc chez nous comme il existe au sein de la société, et il peut donc y avoir des tendances sceptiques à l'égard du paritarisme au sein du MEDEF comme au sein de toutes les organisations.

Il n'y pas d'attachement idéologique viscéral au paritarisme, cela n'aurait pas de sens. Le paritarisme a du sens s'il est légitime, parce que le domaine ou le financement des prestations sont liés au travail ; et s'il est efficient, c'est-à-dire que nous avons démontré notre capacité à le faire. Et nous ne pouvons pas faire cette démonstration tous seuls, puisque nous sommes dans une situation de paritarisme. Il faut donc que les syndicats se posent les mêmes questions que nous, sachant que c'est parfois complexe car l'organisation interprofessionnelle est multiple : trois organisations patronales et cinq organisations syndicales coexistent, chacune avec sa doctrine. Les négociations sont donc structurellement compliquées : la présence de huit partenaires autour de la table ne facilite pas la capacité à produire des normes ambitieuses.

Mais il existe beaucoup de petites institutions à propos desquelles nous n'avons pas le même avis. L'APEC (Agence pour l'emploi des cadres) a un objet plus précis, financé sur une cotisation payée par les seuls cadres, et son budget doit être de l'ordre de 100 millions d'euros. Ce n'est pas un enjeu comparable à celui des retraites complémentaires qui versent chaque année près de 70 milliards d'euros de pensions, le débat n'est pas de même nature. Pour les retraites, la réflexion va être systémique et sera forcément liée aux réflexions sur le régime général. Nous sommes dans un contexte contraint, nous ne pouvons pas déconnecter totalement le vécu du salarié qui prend sa retraite complémentaire du régime général. Nous essayons de prendre nos responsabilités, mais il serait complètement absurde de faire abstraction de certains paramètres du régime général. Le jour où une réflexion systémique sera engagée, nous ne tenons pas à tout prix au périmètre Agirc-Arrco, à la fois en couches de protection et en périmètre complémentaire. Peut-être faut-il des fusions horizontales, verticales, nous sommes ouverts à ces réflexions.

S'agissant de l'assurance-chômage, les questions portent plus sur son efficience et sa capacité de répondre aux enjeux, mais ce régime a sa cohérence et il n'y a pas de raison de le mélanger à d'autres.

À chaque fois, les réflexions sont très spécifiques selon l'objet dont nous parlons.

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Vous n'avez pas de perspectives à court ou moyen terme pour faire évoluer le système, en termes de fusion de régimes ou de réorganisation de l'architecture ? Pour l'assurance-chômage, on pourrait imaginer un système sur le modèle de ce qui existait dans les années quatre-vingt : un régime de base financé par l'État et un régime proportionnel au salaire géré par les partenaires sociaux de manière plus autonome. Cela n'entre pas dans vos réflexions actuelles ?

Comment faut-il comprendre les récents propos du président du MEDEF faisant le lien entre la loi « travail » et l'assurance-chômage ? Il a déclaré que si la loi était dénaturée par rapport à ses premières versions, le patronat envisageait de ne plus participer à la gestion de l'assurance-chômage. Faut-il comprendre, au-delà du mouvement d'humeur du moment, que le patronat français ne tient pas à gérer ce régime et qu'il considère plus cela comme une contrainte que comme une responsabilité qu'il souhaite vraiment assumer ?

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Antoine Foucher, directeur général adjoint chargé des affaires sociales

En réponse à votre première question, deux réflexions nous animent. La première est de lier plus systématiquement la responsabilité et le type de financement. Là où le financement d'un régime est uniquement assuré par des cotisations, les partenaires sociaux ont toute légitimité à gérer de manière totalement autonome, sans agrément, accord ou transposition dans la loi. Là où existe un régime mixte, le tripartisme se justifie davantage, et puisque dans ces situations, l'État a le dernier mot, la pertinence de la présence des partenaires sociaux peut même être mise en question. La première ligne de partage tient donc au mode de financement, qui commande la responsabilité, et donc le mode de gouvernance.

Une deuxième ligne de réflexion a été évoquée par M. Jean-Patrick Gille : nous allons vers une universalisation des droits, en cohérence avec un monde du travail plus mouvant et des carrières plus hachées, le travailleur passant d'un statut à un autre. Il faut attacher les droits aux personnes, et non plus aux statuts. Les autres pays l'ont fait, la France a commencé, il faut aller beaucoup plus loin. Cela pourrait justifier un système à deux étages pour les principaux droits sociaux : un même socle pour tout le monde, financé par l'État, et pour les salariés du privé, une contribution assise sur le travail.

Mais à ce stade, même les retraites ne fonctionnent pas comme cela, puisqu'il n'y a pas de socle commun à l'ensemble des actifs en France. C'est une piste d'évolution qui a sa cohérence intellectuelle, politique et financière, mais qui ne fait pas l'objet d'une position ferme et arrêtée du MEDEF pour le moment, car les branches qui constituent le MEDEF n'ont pas forcément les mêmes positions et que les enjeux sont très importants. Ces deux pistes de réflexions sont toutefois cohérentes à moyen ou long terme.

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Michel Guilbaud, directeur général du Mouvement des entreprises de France, MEDEF

Il faut distinguer ce qui relève de la prospective de ce que nous négocions à court terme. Nous avons tous des idées sur la façon dont les régimes pourraient évoluer à moyen ou long terme, et nous avons réfléchi à des socles de solidarité d'assurance-chômage, d'autant plus qu'on nous fait parfois jouer ce rôle à l'Unédic sans le dire, puisqu'il n'y a plus de financement de l'État. Mais tous les deux ans, nous renégocions également la convention assurance-chômage, et dans le cadre de ces négociations, nous mettons en question l'articulation avec le rôle de l'État.

Quant aux propos du président sur la loi El Khomri, il ne s'agit absolument pas d'un mouvement d'humeur. Les négociations paritaires ne sont pas isolées du reste, dans un contexte politique de dialogue social et de relation avec un certain nombre de partenaires. Ce n'est d'ailleurs pas nous qui avons lié les négociations sur l'assurance-chômage et la loi El Khomri : le Gouvernement a choisi de le faire, par la voix du Premier ministre, qui a parlé de taxation des contrats courts.

Ce n'est ni le lieu ni le moment de rappeler certaines préoccupations sur le projet de loi El Khomri, mais il traduit une incapacité à penser ce que pourrait être un réel dialogue social dans les petites entreprises. Cette difficulté n'est pas de la seule responsabilité des politiques, mais peut-être que ce projet cherche à appliquer à des entreprises dont ce n'est pas la réalité des modèles hérités du passé ou de ce qui se passe dans des entreprises d'une certaine taille. Nous sommes étonnés par l'incapacité à penser ce sujet de façon construite et à élaborer des modes de dialogue social adaptés aux entreprises de plus petite taille. Nous estimons qu'il existe d'autres voies que le mandatement syndical et que la négociation dans l'entreprise doit reposer sur une légitimité, ce qui soulève tout le débat de la légitimité syndicale et de celle des élus. Lorsque des représentants du personnel ne sont pas élus sous une étiquette syndicale, au nom de quoi n'ont-ils aucun pouvoir pour négocier avec l'employeur ?

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Ce que vous dites est important, mais pourquoi ne pas avoir utilisé la possibilité offerte par l'article L.1 du code du travail pour négocier avec les organisations syndicales sur ces questions ? D'autant qu'elles sont très délicates pour le législateur. Sur le droit du licenciement ou l'articulation des différents niveaux de négociation pour éviter des concurrences inutiles au sein des branches et permettre l'adaptation aux réalités du terrain, l'absence de négociation préalable est un handicap pour le législateur.

Permalien
Michel Guilbaud, directeur général du Mouvement des entreprises de France, MEDEF

J'ai abordé des sujets qui ont fait l'objet de la négociation sur le dialogue social de janvier 2015, qui n'a pas abouti. Ces sujets ont donc fait l'objet de négociations. Quant au projet de loi El Khomri, il porte sur l'ensemble du code du travail, son objet est extrêmement large. Au demeurant, nous ne sommes pas seuls à répondre au Gouvernement, je ne pense pas que les partenaires syndicaux aient été d'un grand enthousiasme pour ouvrir une négociation sur ce champ. Ce point a été acté lors de la conférence sociale, pour répondre à la contrainte formelle posée par la loi Larcher.

La séance est levée à dix-neuf heures vingt-six