Nous sommes honorés de votre invitation. Nous avions noté l'installation de votre mission sur ce sujet, extrêmement vaste, à propos duquel la réflexion est permanente, y compris au sein du MEDEF.
Le paritarisme a de multiples facettes : c'est un élément du champ social, mais aussi économique. Il évolue comme l'économie : les besoins des entreprises, des salariés, les comptes sociaux, les comptes publics, la place des régimes de protection sociale sont influencés par des facteurs exogènes auxquels ils doivent s'adapter.
Le débat à son sujet est permanent. Si votre mission d'information a été installée, c'est que certains doutes existent parmi les parlementaires ainsi que parmi les différentes parties prenantes à ce projet. Ces doutes existent aussi au sein du MEDEF, car quiconque exerce une mission de ce niveau se demande s'il le fait correctement et s'il a les partenaires pour le faire. Comment être au niveau d'efficience nécessaire quand les enjeux sont considérables ?
Au sein du MEDEF, lorsque nous évoquons le paritarisme, nous pensons spontanément au paritarisme de gestion : les retraites complémentaires, l'assurance-chômage, la formation professionnelle, le dispositif Action logement. Il existe aussi des dispositifs paritaires au niveau des branches professionnelles. Mais le terme de paritarisme est aussi parfois utilisé pour évoquer le rôle des partenaires sociaux de manière générale. Lors de vos auditions, de nombreux acteurs ont plus parlé de négociation et de dialogue social que de gestion paritaire.
Dans nos réflexions, nous distinguons le paritarisme de négociation, méthode d'élaboration de la norme, de la gestion paritaire.
Souvent, lorsque l'on évoque le paritarisme, on en reste à la face émergée de l'iceberg : le niveau interprofessionnel, partie du paritarisme la plus scénarisée politiquement et médiatiquement. En réalité, le paritarisme s'exerce à tous les niveaux : dans la gestion, mais plus encore dans la négociation. Les négociations sociales se font d'abord au sein de l'entreprise ; ce sont les partenaires sociaux – syndicats, représentants des salariés et employeurs – qui négocient. Les branches professionnelles sont également un élément majeur du système français de constitution des droits sociaux. Quant au niveau interprofessionnel, il ne couvre pas l'ensemble des salariés. Il ne concerne pas les salariés du secteur public, et au sein du secteur privé, l'agriculture, les professions libérales et l'économie sociale n'en font pas partie : ces secteurs constituent le multiprofessionnel. La loi Sapin prévoit que l'interprofessionnel doit être suffisamment représentatif dans quatre grands champs : les services, le commerce, la construction et l'industrie.
Je prends le temps de ce rappel car nous ne considérons pas que les négociations interprofessionnelles créent la norme. Elles élaborent un certain nombre de dispositions sur lesquelles elles s'estiment légitimes parce qu'elles ont reçu un mandat de leurs branches, lesquelles ont elles-mêmes été mandatées par les entreprises adhérentes. Nous rédigeons des accords dont la portée peut être analogue à des accords de branche, mais ils n'ont pas d'effets directs puisque c'est le législateur qui fait la loi. Nous savons que l'idée est que ces accords soient traduits dans la loi, mais rien, juridiquement, ne lie le législateur. Depuis 2007, la loi Larcher prévoit que lorsque le Gouvernement envisage de soumettre un projet de loi, il doit préalablement consulter les partenaires sociaux pour savoir s'ils veulent négocier sur les sujets concernés.
Nous négocions dans le champ qui est le nôtre et nous ne prétendons pas légiférer pour d'autres que ceux qui nous ont donné un mandat, à savoir les branches professionnelles des services, du commerce, de la construction et de l'industrie. Ce dialogue social est actif et a démontré qu'il était capable de produire des accords. Il a évidemment vocation à perdurer, même si la place que ces différents niveaux – entreprises, branches, interprofessionnel – doivent occuper est bien sûr débattue.
Les intervenants devant votre mission d'information se sont beaucoup interrogés sur la productivité de ce dialogue social et le rôle que l'État doit y tenir. Notre vision est très claire sur ce point : un dialogue social n'a de sens que lorsque les acteurs de cette négociation sont en pleine responsabilité.
Certains évoquent la notion de tripartisme ; pour nous cela n'a aucun sens. Il faut au contraire définir très clairement le périmètre d'action des uns et des autres, car ce n'est que lorsque les négociateurs sont pleinement responsables qu'ils jouent pleinement leur rôle. Bien sûr, nous pouvons nous interroger sur notre capacité à prendre des positions et à mener des négociations, tout comme nous pouvons parfois le faire à propos de nos partenaires, les syndicats, mais il est certain que ce n'est pas en amoindrissant leurs responsabilités qu'on leur permettra de mieux négocier. Il en va de même au niveau des branches : si certaines fonctionnent avec un système de commissions mixtes paritaires avec intervention de l'État, c'est plutôt pour résoudre des problèmes ponctuels. Parfois les choses perdurent, mais nous ne voyons pas ces situations d'un bon oeil, nous pensons que c'est lorsque les acteurs sont responsables que le dialogue social peut être efficient.
Il est possible que la définition du domaine dans lequel les partenaires sociaux sont pleinement compétents par rapport à celui de la loi soit aujourd'hui devenue complexe. Une ambivalence est née du fait que les accords sont traduits dans la loi pour s'appliquer à d'autres champs que ceux sur lesquels nous avons une responsabilité interprofessionnelle, par l'effet de la loi Larcher. Par exemple, nous recevons en amont des négociations un document de cadrage de l'État qui va parfois déterminer de manière excessive les postures de négociation des uns et des autres, ce qui nous ôte la liberté de négociation.
Dans le cadre des réflexions lancées par le Gouvernement, notamment au sein de la commission présidée par M. Jean-Denis Combrexelle, nous nous sommes interrogés sur la place de la loi. L'espace de négociation est réduit quand la loi va trop loin dans la définition précise du fonctionnement des entreprises, et aujourd'hui, la loi conditionne trop les négociations d'entreprise, les négociations de branche et la négociation interprofessionnelle.
Nous prônons un vrai dialogue social, qui doit retrouver tout son espace au niveau de l'entreprise. Peut-être faut-il redéfinir le niveau de la branche, qu'il soit impératif ou supplétif pour reprendre la terminologie de la commission Combrexelle, et le niveau interprofessionnel ne doit traiter que des sujets subsidiaires.
J'en viens à présent au paritarisme de gestion, qui est de nature différente. La gestion paritaire s'est instaurée sur plus d'un siècle d'histoire, parce que des partenaires sociaux – patronats et syndicats – ont choisi de constituer des droits contributifs complémentaires à ceux mis en place par l'État, d'abord de façon sectorielle. Ces droits sont assis sur un financement par le travail, salarial et patronal.
Les partenaires sociaux ont considéré qu'il entrait dans leurs prérogatives, selon leurs mandats de négociation, de mettre en place ces droits et d'en prévoir le financement par des cotisations. Ils auraient pu s'arrêter là : constituer ces droits et trouver ensuite l'organisme pour les gérer, mais ils ont choisi de mettre en place des organismes paritaires de gestion, sous différentes formes juridiques, dans lesquels les partenaires sociaux siégeaient eux-mêmes pour gérer ces dispositifs. Ces dispositifs se sont structurés au fil du temps. Au niveau interprofessionnel, les retraites complémentaires, l'assurance-chômage, le logement et la formation en sont les exemples les plus marquants.
Les choses se sont compliquées car l'État a mis en place des dispositifs qui ont aussi été rangés sous l'étiquette du paritarisme, tels que la Sécurité sociale. Les partenaires sociaux y ont joué un rôle plus important par le passé qu'aujourd'hui : ils avaient un vrai rôle de gestion, qui s'est beaucoup amoindri depuis. Aujourd'hui, nous considérons que les régimes de sécurité sociale n'entrent plus dans la définition du paritarisme. Les partenaires sociaux siègent, certes, dans un certain nombre d'instances qui émettent des avis ou votent sur des budgets lors des conventions d'objectifs et de gestion, mais les règles sont essentiellement élaborées dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) : c'est essentiellement l'État qui fait la norme. Le MEDEF, par le passé, s'est retiré d'un certain nombre d'organismes en considérant que la « dé-paritarisation » était trop forte. Nous y sommes revenus car nous avons considéré que donner des avis et le point de vue des employeurs dans la gestion des caisses de sécurité sociale était important. Mais il s'agit de concertation, et non de gestion paritaire. Il est normal que les entreprises et les employeurs donnent leur avis sur des sujets qui ont un impact important sur le travail, d'autant que c'est le travail qui fournit une part importante du financement de ces régimes.
Parmi les organismes de paritarisme de gestion, celui que nous pilotons le plus directement est l'interprofessionnel. Même à ce niveau, il n'existe pas de modèle unique. Dans certains régimes, l'État n'intervient quasiment pas : c'est le cas pour l'Arrco (association pour le régime de retraite complémentaire des salariés) et l'Agirc (association générale des institutions de retraite des cadres). Dans ces cas, les partenaires négocient et définissent les paramètres, qui s'appliquent directement. L'État n'intervient quasiment pas dans les normes et la gestion des retraites complémentaires.
On pourrait penser que la même situation prévaut du côté de l'assurance-chômage, mais il existe en réalité des dispositions législatives plus directives, d'ailleurs renforcées ces derniers temps. L'État agrée la convention qui traduit l'accord sur l'assurance-chômage.
Dans le domaine du logement, l'État légifère largement. La loi définit tous les paramètres et la gouvernance des outils de ce qui était auparavant le « 1 % logement », maintenant appelé « Action logement ». Les usages financiers sont déclinés par décret. Cette tendance s'est nettement renforcée depuis plus d'une dizaine d'années.
La même situation prévaut dans la formation : nous négocions des accords nationaux interprofessionnels, mais ils doivent ensuite être traduits dans la loi. Les règles encadrant les organismes de formation sont largement définies par la loi et le règlement. L'intervention de l'État est donc assez forte, et ces dernières décennies, la tendance va plutôt vers une étatisation du paritarisme.
Aujourd'hui, nous pensons que le paritarisme garde sa légitimité, mais ce point de vue doit être partagé, et c'est tout l'intérêt d'une mission comme la vôtre. Plusieurs notions nous semblent justifier l'intervention des partenaires sociaux et le paritarisme.
Tout d'abord, nous sommes d'autant plus légitimes que les sujets abordés sont en lien avec le travail. J'évoquais la Sécurité sociale ; on peut aujourd'hui considérer que la politique familiale n'a plus grand rapport avec le travail. Les droits dans ce domaine sont universels, et de notre point de vue, leur financement gagnerait à l'être. Même si les cotisations sont aujourd'hui encore assises sur les salaires, ce sont les cotisations de la branche famille que le Gouvernement a choisi de réduire dans le pacte de responsabilité, considérant que c'était celles dont l'objet s'éloignait le plus du travail.
Au sein des différents régimes – je pense notamment aux retraites – les acteurs ont de plus en plus tendance à distinguer un socle de solidarité d'une partie contributive. Dans le cadre de la réflexion qui est en cours sur la légitimité des partenaires sociaux à définir les règles et sur l'origine du financement – fiscalité ou cotisation sociale –, nous pensons que la distinction entre des droits contributifs, sur le modèle assurantiel, et des droits universels financés par l'impôt doit être prise en compte. C'est ce qui s'est passé dans les régimes de protection sociale d'autres pays, et la plupart des rapports semblent aller en ce sens. À ce stade, nous définissons et nous finançons l'Agirc et l'Arrco, mais cette idée pourrait guider la réflexion lors d'une future réforme des retraites.
Le fait que les partenaires sociaux soient eux-mêmes gestionnaires de régimes de retraite complémentaire nous paraît intéressant, car c'est un espace de responsabilité sur un objet qui reste connecté au travail. Comme dans le domaine de l'élaboration des normes, nous défendons l'idée que ces responsabilités ne s'exercent pas à moitié. Lors de la dernière négociation Agirc-Arrco, nous avons su être à la hauteur des attentes, mais nous devons très régulièrement montrer que nous savons mener nous-mêmes les réformes nécessaires. Le contexte économique, démographique, et les grands paramètres structurels qui conditionnent l'équilibre des régimes sont des défis très importants pour les retraites et l'assurance-chômage, et nous sommes tous confrontés à ces éléments exogènes. Le MEDEF et ses partenaires considèrent qu'ils n'ont pas à rougir de leur capacité à faire des réformes : sur les retraites, l'accord Agirc-Arrco nous semble plus courageux que ce qui a été fait pour le régime général. Nous en avions l'obligation car nous ne pouvons équilibrer les régimes que sur nos propres fonds, alors que les régimes de base peuvent toujours bénéficier d'autres ressources venues de l'impôt ou de transferts.
Sur l'assurance-chômage, nous sommes très préoccupés de voir que les problèmes financiers deviennent de plus en plus structurels. Nous pouvons réfléchir au fait que l'assurance-chômage est un régime plus ou moins universel selon ce que nous lui demandons de faire. Vu les responsabilités qui sont les nôtres, le rendez-vous est devant nous, mais nous ne pensons pas du tout que le tripartisme va nous rendre plus responsables. Ce n'est pas ce que nous avons constaté dans le passé : quand l'État intervient, c'est plutôt déresponsabilisant et notre expérience n'a pas montré que cela aboutissait à des décisions plus fortes et plus courageuses pour répondre aux problèmes structurels. L'intervention de l'État ajoute une dimension politique liée au contexte de la négociation en cours, mais n'améliore pas l'efficience de la gestion et ni la définition des grands paramètres des régimes dont nous sommes responsables.
L'exigence d'efficience sur le paramétrage des régimes doit s'accompagner d'une efficience de gestion. Je ne peux pas démontrer que la gestion paritaire est plus efficace, mais je ne pense pas non plus que l'on puisse démontrer l'inverse ; il faut étudier les coûts de gestion. L'opprobre est parfois jeté sur le paritarisme, et nous avons nos propres doutes sur l'efficacité de la gestion par des organisations paritaires de ce que nous pourrions confier au secteur privé ou à l'État. Mais il est très difficile de comparer l'Agirc-Arrco au régime général : les ordres de grandeur sont trop différents. Dans tous les cas, nous n'avons pas de dettes au sein d'Agirc-Arrco : nous avons su reparamétrer de façon assez courageuse. Je ne sais pas quelle est la somme qui a été transférée du régime général vers la Cades (Caisse d'amortissement de la dette sociale), mais je ne pense pas que nous ayons à rougir de la gestion paritaire.
En termes de gestion, nous avons su régulièrement faire des réformes. Une réforme très importante d'Action logement est en cours : nous sommes en train de fusionner tous les collecteurs logement. La réforme de la formation a été traduite dans la loi et fait peser une très forte exigence sur les organismes paritaires collecteurs de la formation professionnelle. Des dispositifs innovants comme le compte personnel de formation (CPF) ont certes été votés par le législateur, mais ce sont les partenaires sociaux qui y ont réfléchi et qui le mettent aujourd'hui en place, puisque ces dispositifs font l'objet de gestion paritaire. Le CPF est cogéré, mais nous avons un rôle important pour la définition des formations éligibles au compte.
Le défi du paritarisme consiste à s'adapter en permanence. Nous ne prétendons pas être sûrs d'y arriver, car les défis structurels sont sans doute beaucoup plus importants que jamais : raisons démographiques pour les retraites, de conjoncture économique pour l'Unédic. De plus, nous arrivons au bout de ce qui est faisable au regard des problématiques de financement, de compétitivité, de pouvoir d'achat. Il va certainement falloir jouer plus sur l'efficience de la dépense que sur les recettes pour équilibrer les régimes.
Il faut enfin s'adapter à la modernité. Lors de vos auditions, vous avez beaucoup évoqué la transformation du monde du travail et l'ubérisation. C'est un élément, parmi d'autres, qui modifie l'équilibre entre le financement par le travail et des droits que l'on souhaiterait toujours plus protecteurs des salariés et des demandeurs d'emploi, afin d'accompagner les transitions professionnelles. Mais il faut que nos projets soient viables.
Les défis sont très importants, nous devons être à la hauteur de la responsabilité de gestion, ainsi que nos partenaires syndicaux. Parfois, nous pouvons donner l'impression que ce n'est pas le cas. Est-ce ponctuel ? structurel ? Cela dépend-il des sujets ? Le paritarisme n'est pas une affaire de sujets faciles. Si nous additionnons les sommes mobilisées au niveau interprofessionnel, nous aboutissons à plus de 100 milliards d'euros sur les 600 milliards de la protection sociale. Nous faisons partie de cet appareillage de la protection sociale, qui fait partie de l'ensemble de la dépense publique, qui fait partie des enjeux de finances publiques, qui font partie de la dette publique et des déficits.