Intervention de Pierre-Jean Luizard

Réunion du 11 mai 2016 à 17h45
Commission d'enquête relative aux moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier

Pierre-Jean Luizard, historien, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique, CNRS :

Je crois que nous nous accordons tous à dire que, pour vaincre les mouvements djihadistes, qu'il s'agisse de l'État islamique, de Jabhat al-Nosra ou d'autres mouvements actifs dans la région, il faut coupler la force militaire et la solution politique. Mais l'on n'y parvient pas parce que nous n'avons toujours pas pris de décision politique : nous ne savons pas sur qui nous reposer localement pour combattre. Dans la mesure où nous ne voulons pas nous engager militairement, nous déléguons, au sol, à des forces qui ne font qu'aggraver le conflit parce qu'elles en sont parties prenantes. Mossoul ne sera libérée ni par les Kurdes ni par l'armée irakienne, qui est considérée comme une armée ennemie par une très grande majorité de la population de la ville.

Là est le grand défi : la crise est telle, dans ses dimensions politique et historique, que la solution ne peut pas passer par les États en place. Nous ne pouvons nous reposer ni sur le régime de Bachar el-Assad, ni sur l'armée irakienne, qui est une armée, non plus nationale, mais confessionnelle, comme en témoignent les exactions commises contre les populations sunnites lors de la reprise de Tikrit.

Ce défi exige que nous prenions des décisions qui ne relèvent pas de la pure politique dans la mesure où de ces décisions dépendra le fait de savoir si nous devons intervenir ou déléguer au sol, et à qui. Selon moi, la délégation au sol est la pire des solutions, car elle ne fait qu'aggraver le conflit. On l'a vu avec l'intervention russe, qui a condamné toute solution politique dans le cadre de l'État syrien puisque les Russes ont pris fait et cause pour la communauté chiite, avec le soutien de l'Iran, du gouvernement de Bagdad, du Hezbollah et du gouvernement de Damas. Pourquoi soutenir une communauté contre une autre, si nous voulons la paix ? Car tel est bien notre but, en définitive : rétablir une forme de stabilité pour assurer notre propre protection.

Cette stabilité, les États en place ne sont plus à même de nous l'apporter. Cela signifie que nous devons nous pencher sur la question de l'avenir des Arabes sunnites d'Irak. En effet, bombarder ne sert à rien si l'on ne propose pas une solution politique à ces populations qui ont accueilli l'État islamique comme des libérateurs. Or, dans le cadre du système politique actuel tel que nous le reconnaissons, puisque nous avons une ambassade à Bagdad, les Arabes sunnites d'Irak sont condamnés à une situation que, très majoritairement, ils refusent. Se pose donc la question de l'avenir de l'État irakien et éventuellement celle du rattachement des régions sunnites à une Syrie majoritairement sunnite, ce qui suppose une remise à plat du système frontalier et étatique.

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