Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, merci de m'avoir invité à échanger avec vous aujourd'hui sur l'équivalent britannique du Livre blanc. Je souhaiterais tout d'abord formuler quelques remarques qui vont au-delà de ce thème et qui touchent des sujets d'intérêt commun dans le domaine de la défense.
J'aimerais commencer en disant que depuis mon arrivée en tant qu'Ambassadeur il y a à peine trois mois, j'ai été fortement impressionné par l'étendue de notre relation bilatérale, la coopération étroite et la vraie amitié qui existent à tous les niveaux : politique, diplomatique et militaire. Ces liens n'ont cessé de se renforcer depuis la signature des traités de Lancaster House il y a maintenant plus de cinq ans, et ce d'autant plus depuis les attaques terroristes récentes à Paris et à Bruxelles.
Il est clair que nos deux nations ont des points de vue très similaires sur le monde. Nous partageons les mêmes valeurs. Nos analyses respectives des menaces auxquelles nous faisons face sont, à peu de choses près, identiques. Et, la plupart du temps, nous sommes d'accord sur les actions nécessaires afin de protéger nos citoyens et promouvoir nos intérêts au niveau international.
Je vois ceci comme un partenariat d'égal à égal. Nos deux pays sont de taille comparable et possèdent une capacité à agir similaire, que ce soit sur le territoire national ou à l'étranger. Mais je note également qu'il s'agit d'une relation parfois fondée sur la compétition, notamment en ce qui concerne nos deux industries de défense. Notre défi à cet égard est de trouver plus de domaines dans lesquels nous pouvons travailler ensemble.
C'est un honneur de vous aider à atteindre cet objectif. Et j'espère que nous pourrons continuer ce genre d'échange précieux, surtout à l'approche d'un éventuel nouveau Livre blanc, après les élections de 2017.
Madame la présidente, quand nous nous sommes rencontrés il y a quelques semaines, vous avez évoqué quelques thèmes pour cette réunion : la vision britannique du monde ; notre récente Revue Stratégique de Défense et les changements relatifs à notre budget de défense ; et mon analyse de notre coopération bilatérale.
Commençons donc par la vision britannique du monde. Nous sommes d'accord, j'en suis certain, sur le fait qu'il y a eu une détérioration de la situation internationale. Cette détérioration s'est manifestée à travers au moins trois crises.
Premièrement, au Moyen-Orient, le Printemps arabe a annoncé le début d'une révolte régionale caractérisée par le mécontentement populaire vis-à-vis des gouvernements, la guerre civile en Syrie, et la montée continue de l'extrémisme notamment sous la forme de Daech.
Deuxièmement, nous avons vu un effondrement de la gouvernance et de l'autorité d'États en Afrique du nord qui ont fortement affecté la stabilité dans la région, et résulté en des migrations de masse qui affectent l'Europe.
Troisièmement, nous avons vu un retour à une situation tendue avec la Russie, menaçante avec certains de ses voisins, et recourant à l'usage de formes de guerre hybride.
L'ordre international fondé sur des règles, sur lequel reposent notre sécurité et notre prospérité, est mis à l'épreuve par ces bouleversements globaux. Et, malgré les efforts de la communauté internationale et les efforts de nos deux pays, nombreux sont nos citoyens qui ne se sentent plus en sécurité. Dans ce contexte incertain, nous devrons travailler ensemble afin d'assurer notre sécurité commune, promouvoir nos valeurs partagées, saisir les opportunités et combattre les crises au fur et à mesure qu'elles se présentent.
Nos approches peuvent parfois différer, mais elles sont en règle générale complémentaires. Si vous avez un certain attachement pour le Sahel, nous avons une certaine affinité avec le Nigeria et le Kenya. On peut même presque parler d'une stratégie régionale partagée entre nos deux pays.
En ce qui concerne la réponse à ces menaces, vous savez bien que le Royaume-Uni a publié une Revue Stratégique de Défense et de Sécurité en novembre dernier. Vous, ainsi que d'autres collègues français, avez apporté une contribution considérable à ce document, pour laquelle je tiens à vous remercier.
Nous avons mis en place un budget annuel de 44 milliards d'euros, avec une augmentation en termes réels pendant la durée de ce Parlement, ce qui représente 230 milliards d'euros consacrés à l'acquisition d'équipements au cours des dix prochaines années. Je suis certain que vous avez déjà lu la SDSR, je n'insisterai donc pas sur tout le contenu. Je propose néanmoins de vous présenter quelques pensées personnelles.
Tout d'abord, j'ai remarqué à quel point la SDSR a lié le concept de sécurité nationale avec la sécurité économique. En tant que nation commerçante, nous avons besoin d'une stabilité mondiale. En effet, je crois que l'engagement global n'est pas une option : c'est un principe fondamental de la réussite de nos deux nations.
À propos de l'économie, nous avons pris des décisions difficiles mais nécessaires afin de réduire notre déficit national et de restaurer la force de nos armées. Heureusement, la croissance nous permet d'investir plus pour notre sécurité et d'atteindre un budget de défense représentant 2 % de notre PIB. Nous espérons que la France continuera de tendre également vers cet objectif, et je sais que votre commission fait beaucoup en ce sens.
Le deuxième point de notre SDSR que je souhaite souligner est l'accent mis non seulement sur la défense, mais plus globalement sur le concept de sécurité de manière générale : ce que nous pourrions appeler une approche interministérielle. Il s'agit d'une approche qui exploite tous les leviers de notre pouvoir national. Je crois que cette approche novatrice nous permettra d'éviter de reproduire les erreurs du passé.
Troisièmement, la SDSR a souligné la flexibilité et l'agilité dont nous devrons faire preuve face aux nouvelles menaces, telles que la crise Ebola. En particulier, les actions britanniques en Sierra Leone ont permis d'éviter ce qui aurait pu être une catastrophe, non seulement en Afrique mais également ici en Europe. Les épidémies, les catastrophes naturelles et les crises humanitaires nous montrent qu'une approche gouvernementale transversale est nécessaire afin d'assurer la sécurité de nos citoyens.
Enfin, je souhaite mettre en avant le caractère multilatéral de la réponse du Royaume-Uni. Cette réponse prend deux formes principales. Tout d'abord, nous devons travailler avec plus d'ardeur avec nos partenaires partageant le même état d'esprit et les mêmes valeurs de liberté, de tolérance et de respect du droit, dans le but de former un monde plus stable. Nous devons être actifs au sein de tous les forums existants, notamment au sein du Conseil de sécurité de l'ONU, de l'OTAN et de l'Union européenne. À cet égard, vous aurez remarqué que les États-Unis et la France sont désignés comme nos partenaires les plus proches et les plus efficaces dans la SDSR. À cette liste, nous avons rajouté l'Allemagne qui est un pays avec lequel nous souhaitons collaborer plus. Au sein de l'Union européenne, il est évident que la France et le Royaume-Uni sont les deux seuls pays en capacité de jouer ce rôle global. Nous coopérons dans le cadre de nombreuses opérations extérieures, notamment au Mali, en Libye et en Syrie.
Le mois dernier, accompagné du ministre Le Drian et du général de Villiers, j'ai observé notre nouvelle Combined Joint Expeditionary Force (CJEF – Force expéditionnaire commune interarmées) en action. C'était une démonstration majeure, commandée par un Britannique avec le soutien d'un officier français. Un amiral français a commandé la composante maritime de l'exercice.
Cette démonstration a prouvé que nous sommes capables, quand il le faut, de préparer et de déployer une force franco-britannique. Cette force ne sera pas un tigre de papier, mais un véritable outil militaire. En même temps, je reconnais que vos armées sont actuellement mobilisées à leur maximum et que, par conséquent, cette force sera difficile à créer sur le court terme sans générer une difficulté considérable.
Je suis ravi de voir les liens de professionnalisme et d'amitié que nous avons créés. Il était facile de voir pendant la démonstration en avril que nos forces sont capables de travailler et sont à l'aise ensemble. Vous et moi devons travailler ensemble pour nous assurer que notre compréhension stratégique est la même afin d'employer au mieux ces forces à l'avenir.
Cette coopération militaire n'existe pas seulement lors des exercices. J'ai rencontré il y a deux semaines huit officiers d'échange récemment déployés sur des opérations réelles avec des forces françaises et sous un commandement français : parmi ces officiers d'échange se trouvaient de jeunes pilotes ayant participé à la guerre du Golfe, des officiers ayant servi au Mali et en République centrafricaine, et un officier naval ayant servi au cours de chacun des trois derniers déploiements du porte-avions Charles-de-Gaulle au Moyen-Orient.
Un autre fait marquant de notre coopération croissante est notre capacité à travailler ensemble dans ce domaine particulièrement sensible que sont la recherche et le développement nucléaires. Le travail à Valduc et à Aldermaston est remarquable. Nous partageons les mêmes installations de recherche et de développement – en respectant nos impératifs de primauté et de sécurité nationale, mais d'une façon qui nous permet d'être plus efficaces, à moindre coût. J'attends avec impatience la pleine mise en service de nos installations partagées l'année prochaine.
Je vous confirme également que nos services de renseignements respectifs ont trouvé des moyens de collaborer en matière de collecte des données et de partage d'informations. Car cette collaboration est indispensable. De plus, nous collaborons plus étroitement pour développer nos programmes de Systèmes de Combat Aériens Futurs (SCAF), de missiles et de MMCM (Maritime Mine Counter Measures – projet de lutte contre les mines navales).
Mais faisons-nous assez ? Si nous parvenons à travailler aussi efficacement dans un domaine aussi sensible que la recherche nucléaire, pouvons-nous en faire davantage dans d'autres domaines moins sensibles ?
La chose qui m'a peut-être le plus surpris est la tendance – si bien ancrée dans l'esprit de beaucoup de nos personnels au niveau intermédiaire – à parfois garder des secrets nationaux et commerciaux, même là où il nous serait mutuellement avantageux de collaborer. Ni le Royaume-Uni ni la France ne peuvent se permettre de « faire cavalier seul ». Par ailleurs, la collaboration permet de confronter nos méthodes et tend à encourager l'innovation, ce qui est sain.
Identifier nos intérêts partagés et approfondir notre collaboration repose entre nos mains. Voici donc quelques pistes personnelles afin de capitaliser sur les points forts de notre coopération.
Premièrement, je pense que nous devons continuer à prendre plus de risques pour faire converger nos industries de défense. Nous savons que nous ne pouvons produire tous les matériels dont nous avons besoin à l'échelle nationale – tout simplement parce que ceci devient de plus en plus cher. Continuer avec cette stratégie risquerait de mener à un échec. Nous devons tous essayer de mettre de côté les excès de nos fiertés nationales. Mais c'est un message qui peut être difficile à faire passer et encore plus difficile à concrétiser.
Deuxièmement, je crois que mon pays peut apprendre de vos récents succès en matière d'exportation. Étant donné que la SDSR insiste sur le fait que la sécurité nationale et la sécurité économique des nations sont indivisibles, et vu que la prospérité nationale renforce et rend possible nos valeurs démocratiques, je pense que vos campagnes récentes de vente d'équipement français à l'étranger sont admirables. Peut-être pouvons-nous travailler plus souvent ensemble. Un bon exemple de ceci est la vente des sous-marins français, équipés de sonars britanniques, à l'Australie.
Finalement, en tant que diplomate, je me tourne également vers l'outil diplomatique. La diplomatie française rayonne partout dans le monde, et est bien souvent considérée comme la diplomatie la plus efficace au monde, après bien sûr le Foreign & Commonwealth Office... (Sourires) Ensemble, nous pouvons vraiment faire une différence et faire prévaloir notre vision du monde. Mais il y a toujours plus à faire, de nouveaux défis à affronter. Au milieu des bouleversements actuels, travaillons afin d'assurer le bénéfice mutuel de nos deux nations. Mon rôle est de favoriser les interactions, d'accroître la compréhension et de faire avancer les choses.
Je suis impatient d'entendre vos conseils et vos questions, et de travailler avec vous dans les mois et les années à venir. Madame la présidente, je tiens une fois encore à vous remercier de votre accueil et je vais maintenant essayer de répondre à vos questions.