La séance est ouverte à neuf heures trente.
Je suis heureuse d'accueillir Sir Julian King, Ambassadeur du Royaume-Uni en France, pour une audition sur la Strategic Defence and Security Review (SDSR) 2015 réalisée par nos amis britanniques. Il s'agit d'un sujet important pour nous ; aussi avons-nous suivi les débats relatifs à ce travail.
Je précise que nous avions invité votre prédécesseur à participer aux travaux portant sur le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale français et que nos échanges avaient été particulièrement enrichissants.
Je vous laisse immédiatement la parole, en ne doutant pas que les questions seront nombreuses compte tenu des décisions que le Royaume-Uni a récemment prises et des choix qu'il a faits en matière de réassurance et d'équipement.
Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, merci de m'avoir invité à échanger avec vous aujourd'hui sur l'équivalent britannique du Livre blanc. Je souhaiterais tout d'abord formuler quelques remarques qui vont au-delà de ce thème et qui touchent des sujets d'intérêt commun dans le domaine de la défense.
J'aimerais commencer en disant que depuis mon arrivée en tant qu'Ambassadeur il y a à peine trois mois, j'ai été fortement impressionné par l'étendue de notre relation bilatérale, la coopération étroite et la vraie amitié qui existent à tous les niveaux : politique, diplomatique et militaire. Ces liens n'ont cessé de se renforcer depuis la signature des traités de Lancaster House il y a maintenant plus de cinq ans, et ce d'autant plus depuis les attaques terroristes récentes à Paris et à Bruxelles.
Il est clair que nos deux nations ont des points de vue très similaires sur le monde. Nous partageons les mêmes valeurs. Nos analyses respectives des menaces auxquelles nous faisons face sont, à peu de choses près, identiques. Et, la plupart du temps, nous sommes d'accord sur les actions nécessaires afin de protéger nos citoyens et promouvoir nos intérêts au niveau international.
Je vois ceci comme un partenariat d'égal à égal. Nos deux pays sont de taille comparable et possèdent une capacité à agir similaire, que ce soit sur le territoire national ou à l'étranger. Mais je note également qu'il s'agit d'une relation parfois fondée sur la compétition, notamment en ce qui concerne nos deux industries de défense. Notre défi à cet égard est de trouver plus de domaines dans lesquels nous pouvons travailler ensemble.
C'est un honneur de vous aider à atteindre cet objectif. Et j'espère que nous pourrons continuer ce genre d'échange précieux, surtout à l'approche d'un éventuel nouveau Livre blanc, après les élections de 2017.
Madame la présidente, quand nous nous sommes rencontrés il y a quelques semaines, vous avez évoqué quelques thèmes pour cette réunion : la vision britannique du monde ; notre récente Revue Stratégique de Défense et les changements relatifs à notre budget de défense ; et mon analyse de notre coopération bilatérale.
Commençons donc par la vision britannique du monde. Nous sommes d'accord, j'en suis certain, sur le fait qu'il y a eu une détérioration de la situation internationale. Cette détérioration s'est manifestée à travers au moins trois crises.
Premièrement, au Moyen-Orient, le Printemps arabe a annoncé le début d'une révolte régionale caractérisée par le mécontentement populaire vis-à-vis des gouvernements, la guerre civile en Syrie, et la montée continue de l'extrémisme notamment sous la forme de Daech.
Deuxièmement, nous avons vu un effondrement de la gouvernance et de l'autorité d'États en Afrique du nord qui ont fortement affecté la stabilité dans la région, et résulté en des migrations de masse qui affectent l'Europe.
Troisièmement, nous avons vu un retour à une situation tendue avec la Russie, menaçante avec certains de ses voisins, et recourant à l'usage de formes de guerre hybride.
L'ordre international fondé sur des règles, sur lequel reposent notre sécurité et notre prospérité, est mis à l'épreuve par ces bouleversements globaux. Et, malgré les efforts de la communauté internationale et les efforts de nos deux pays, nombreux sont nos citoyens qui ne se sentent plus en sécurité. Dans ce contexte incertain, nous devrons travailler ensemble afin d'assurer notre sécurité commune, promouvoir nos valeurs partagées, saisir les opportunités et combattre les crises au fur et à mesure qu'elles se présentent.
Nos approches peuvent parfois différer, mais elles sont en règle générale complémentaires. Si vous avez un certain attachement pour le Sahel, nous avons une certaine affinité avec le Nigeria et le Kenya. On peut même presque parler d'une stratégie régionale partagée entre nos deux pays.
En ce qui concerne la réponse à ces menaces, vous savez bien que le Royaume-Uni a publié une Revue Stratégique de Défense et de Sécurité en novembre dernier. Vous, ainsi que d'autres collègues français, avez apporté une contribution considérable à ce document, pour laquelle je tiens à vous remercier.
Nous avons mis en place un budget annuel de 44 milliards d'euros, avec une augmentation en termes réels pendant la durée de ce Parlement, ce qui représente 230 milliards d'euros consacrés à l'acquisition d'équipements au cours des dix prochaines années. Je suis certain que vous avez déjà lu la SDSR, je n'insisterai donc pas sur tout le contenu. Je propose néanmoins de vous présenter quelques pensées personnelles.
Tout d'abord, j'ai remarqué à quel point la SDSR a lié le concept de sécurité nationale avec la sécurité économique. En tant que nation commerçante, nous avons besoin d'une stabilité mondiale. En effet, je crois que l'engagement global n'est pas une option : c'est un principe fondamental de la réussite de nos deux nations.
À propos de l'économie, nous avons pris des décisions difficiles mais nécessaires afin de réduire notre déficit national et de restaurer la force de nos armées. Heureusement, la croissance nous permet d'investir plus pour notre sécurité et d'atteindre un budget de défense représentant 2 % de notre PIB. Nous espérons que la France continuera de tendre également vers cet objectif, et je sais que votre commission fait beaucoup en ce sens.
Le deuxième point de notre SDSR que je souhaite souligner est l'accent mis non seulement sur la défense, mais plus globalement sur le concept de sécurité de manière générale : ce que nous pourrions appeler une approche interministérielle. Il s'agit d'une approche qui exploite tous les leviers de notre pouvoir national. Je crois que cette approche novatrice nous permettra d'éviter de reproduire les erreurs du passé.
Troisièmement, la SDSR a souligné la flexibilité et l'agilité dont nous devrons faire preuve face aux nouvelles menaces, telles que la crise Ebola. En particulier, les actions britanniques en Sierra Leone ont permis d'éviter ce qui aurait pu être une catastrophe, non seulement en Afrique mais également ici en Europe. Les épidémies, les catastrophes naturelles et les crises humanitaires nous montrent qu'une approche gouvernementale transversale est nécessaire afin d'assurer la sécurité de nos citoyens.
Enfin, je souhaite mettre en avant le caractère multilatéral de la réponse du Royaume-Uni. Cette réponse prend deux formes principales. Tout d'abord, nous devons travailler avec plus d'ardeur avec nos partenaires partageant le même état d'esprit et les mêmes valeurs de liberté, de tolérance et de respect du droit, dans le but de former un monde plus stable. Nous devons être actifs au sein de tous les forums existants, notamment au sein du Conseil de sécurité de l'ONU, de l'OTAN et de l'Union européenne. À cet égard, vous aurez remarqué que les États-Unis et la France sont désignés comme nos partenaires les plus proches et les plus efficaces dans la SDSR. À cette liste, nous avons rajouté l'Allemagne qui est un pays avec lequel nous souhaitons collaborer plus. Au sein de l'Union européenne, il est évident que la France et le Royaume-Uni sont les deux seuls pays en capacité de jouer ce rôle global. Nous coopérons dans le cadre de nombreuses opérations extérieures, notamment au Mali, en Libye et en Syrie.
Le mois dernier, accompagné du ministre Le Drian et du général de Villiers, j'ai observé notre nouvelle Combined Joint Expeditionary Force (CJEF – Force expéditionnaire commune interarmées) en action. C'était une démonstration majeure, commandée par un Britannique avec le soutien d'un officier français. Un amiral français a commandé la composante maritime de l'exercice.
Cette démonstration a prouvé que nous sommes capables, quand il le faut, de préparer et de déployer une force franco-britannique. Cette force ne sera pas un tigre de papier, mais un véritable outil militaire. En même temps, je reconnais que vos armées sont actuellement mobilisées à leur maximum et que, par conséquent, cette force sera difficile à créer sur le court terme sans générer une difficulté considérable.
Je suis ravi de voir les liens de professionnalisme et d'amitié que nous avons créés. Il était facile de voir pendant la démonstration en avril que nos forces sont capables de travailler et sont à l'aise ensemble. Vous et moi devons travailler ensemble pour nous assurer que notre compréhension stratégique est la même afin d'employer au mieux ces forces à l'avenir.
Cette coopération militaire n'existe pas seulement lors des exercices. J'ai rencontré il y a deux semaines huit officiers d'échange récemment déployés sur des opérations réelles avec des forces françaises et sous un commandement français : parmi ces officiers d'échange se trouvaient de jeunes pilotes ayant participé à la guerre du Golfe, des officiers ayant servi au Mali et en République centrafricaine, et un officier naval ayant servi au cours de chacun des trois derniers déploiements du porte-avions Charles-de-Gaulle au Moyen-Orient.
Un autre fait marquant de notre coopération croissante est notre capacité à travailler ensemble dans ce domaine particulièrement sensible que sont la recherche et le développement nucléaires. Le travail à Valduc et à Aldermaston est remarquable. Nous partageons les mêmes installations de recherche et de développement – en respectant nos impératifs de primauté et de sécurité nationale, mais d'une façon qui nous permet d'être plus efficaces, à moindre coût. J'attends avec impatience la pleine mise en service de nos installations partagées l'année prochaine.
Je vous confirme également que nos services de renseignements respectifs ont trouvé des moyens de collaborer en matière de collecte des données et de partage d'informations. Car cette collaboration est indispensable. De plus, nous collaborons plus étroitement pour développer nos programmes de Systèmes de Combat Aériens Futurs (SCAF), de missiles et de MMCM (Maritime Mine Counter Measures – projet de lutte contre les mines navales).
Mais faisons-nous assez ? Si nous parvenons à travailler aussi efficacement dans un domaine aussi sensible que la recherche nucléaire, pouvons-nous en faire davantage dans d'autres domaines moins sensibles ?
La chose qui m'a peut-être le plus surpris est la tendance – si bien ancrée dans l'esprit de beaucoup de nos personnels au niveau intermédiaire – à parfois garder des secrets nationaux et commerciaux, même là où il nous serait mutuellement avantageux de collaborer. Ni le Royaume-Uni ni la France ne peuvent se permettre de « faire cavalier seul ». Par ailleurs, la collaboration permet de confronter nos méthodes et tend à encourager l'innovation, ce qui est sain.
Identifier nos intérêts partagés et approfondir notre collaboration repose entre nos mains. Voici donc quelques pistes personnelles afin de capitaliser sur les points forts de notre coopération.
Premièrement, je pense que nous devons continuer à prendre plus de risques pour faire converger nos industries de défense. Nous savons que nous ne pouvons produire tous les matériels dont nous avons besoin à l'échelle nationale – tout simplement parce que ceci devient de plus en plus cher. Continuer avec cette stratégie risquerait de mener à un échec. Nous devons tous essayer de mettre de côté les excès de nos fiertés nationales. Mais c'est un message qui peut être difficile à faire passer et encore plus difficile à concrétiser.
Deuxièmement, je crois que mon pays peut apprendre de vos récents succès en matière d'exportation. Étant donné que la SDSR insiste sur le fait que la sécurité nationale et la sécurité économique des nations sont indivisibles, et vu que la prospérité nationale renforce et rend possible nos valeurs démocratiques, je pense que vos campagnes récentes de vente d'équipement français à l'étranger sont admirables. Peut-être pouvons-nous travailler plus souvent ensemble. Un bon exemple de ceci est la vente des sous-marins français, équipés de sonars britanniques, à l'Australie.
Finalement, en tant que diplomate, je me tourne également vers l'outil diplomatique. La diplomatie française rayonne partout dans le monde, et est bien souvent considérée comme la diplomatie la plus efficace au monde, après bien sûr le Foreign & Commonwealth Office... (Sourires) Ensemble, nous pouvons vraiment faire une différence et faire prévaloir notre vision du monde. Mais il y a toujours plus à faire, de nouveaux défis à affronter. Au milieu des bouleversements actuels, travaillons afin d'assurer le bénéfice mutuel de nos deux nations. Mon rôle est de favoriser les interactions, d'accroître la compréhension et de faire avancer les choses.
Je suis impatient d'entendre vos conseils et vos questions, et de travailler avec vous dans les mois et les années à venir. Madame la présidente, je tiens une fois encore à vous remercier de votre accueil et je vais maintenant essayer de répondre à vos questions.
Excellence, vous avez dressé un paysage assez pessimiste de la situation internationale et j'aimerais vous interroger sur l'Afrique du Nord. Quelle est votre appréciation de la situation en Libye, particulièrement inquiétante alors que Daech continue de croître ? S'agissant de la Tunisie, qui a besoin du soutien de la communauté internationale, votre pays a manifesté sa disposition en matière de coopération militaire. Pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet ?
Monsieur l'ambassadeur, comment voyez-vous les relations entre l'Union européenne et l'OTAN ? Chacun sait que des blocages existent, mais pensez-vous possible, et souhaitable, que les pays européens membres de l'OTAN constituent une sorte de pilier européen, autonome des autres membres ? Enfin, quelle est votre position quant aux travaux menés actuellement par Mme Mogherini afin d'élaborer la nouvelle posture de défense et de sécurité de l'Union européenne ?
Excellence, comme nous tous, vous avez entendu l'appel du président de la République suite aux attentats de novembre dernier. Il réclamait une légitime défense collective. Quelle est votre position sur cette demande ? Ma deuxième question concerne l'A400M, qui rencontrerait quelques problèmes : existe-t-il des inquiétudes outre-Manche ? Enfin, j'ai cru comprendre qu'il y aurait des dissensions entre nos deux pays au sujet des missiles développés par MBDA. Pouvez-vous nous éclairer à ce sujet ?
Excellence, votre venue est essentielle car je n'oublie pas que depuis la guerre de Crimée, le soldat français et le soldat britannique versent ensemble leur sang. Néanmoins, un excellent Premier lord de l'Amirauté prononça il y a soixante-dix ans à Fulton un excellent discours déplorant la séparation de l'Europe en deux parties. J'en profite pour souhaiter plein succès dans ses démarches au précédent maire de Londres, qui est un excellent biographe de ce Premier lord devenu par la suite Premier ministre.
J'ai lu, au chapitre 3 de votre revue de défense stratégique, des développements qui reprennent quasiment en totalité la doctrine de M. Brzeziński, catastrophique pour l'Europe puisqu'elle vise à créer un point de tension artificiel. Figurent également des assertions sur l'emploi des armes chimiques en Syrie, alors que tout le monde sait que les choses sont plus complexes qu'il n'y paraît. Ma question est la suivante : existe-t-il une chance que les services de Sa Majesté retrouvent une certaine indépendance à l'égard de cette doctrine ?
Je vais essayer de répondre autant que possible.
En réponse à M. Villaumé, je commencerai par rappeler que si nous partageons la même analyse au sujet de la Tunisie, rien n'a pour l'heure été décidé s'agissant de la mise en place d'une coopération militaire. En revanche, nous menons des actions dans le domaine de la sécurité aéroportuaire ou du renseignement dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Concernant la Libye, il existe un engagement européen dont découle une coopération entre nos deux pays. La France a suggéré d'élargir le rôle et les attributions de l'opération Sophia, que les autorités britanniques examinent, notamment du point de vue de l'impact sur la lutte contre le trafic d'armes en Méditerranée et sur une amélioration de la gestion des flux migratoires. Ce débat doit avoir lieu à Bruxelles, mais nous soutenons la proposition de la France sur le renforcement de cette opération.
Par ailleurs, nous pensons qu'étendre la portée de cette opération pourrait assurer une meilleure coopération et une coordination plus efficace entre l'Union européenne et l'OTAN. Il convient également de s'interroger sur l'amélioration de la coordination de nos activités en Libye et en Méditerranée. Le mécanisme de coordination mis en place en Italie constituera un pas en avant mais nous pouvons plus. Nous étudions actuellement la question avec les services français.
Puisque nous parlons de la situation en Afrique, j'en profite pour rappeler que nous menons des actions dans le Sahel et au Nigeria. Dans le Sahel, où la France est déployée de manière très importante, nous avons apporté une aide logistique en matière de transport aérien. Au Nigeria, nous avons mis en place une mission d'entraînement, qui mobilise trois cents militaires, en vue de former les forces nigérianes.
J'en viens à présent aux questions relatives à la stratégie globale de l'Union européenne. Nous soutenons le travail réalisé par Mme Mogherini et pensons que le document à paraître, probablement fin juin, constitue une opportunité de clarifier l'articulation entre les différents instruments de la politique extérieure de l'Union européenne. Le budget de cette dernière est en effet beaucoup plus important que d'autres organisations, comme l'OTAN par exemple, et pourrait être utilisé comme aujourd'hui pour le développement des pays tiers, mais aussi pour le renforcement de leur situation sécuritaire. Les champs d'intervention de l'Union européenne sont en effet très divers – l'énergie, les migrations, le développement, par exemple – et sont suivis par des équipes différentes, qui n'ont en effet la charge que d'une partie de ces budgets importants. Nous aimerions obtenir une meilleure coordination entre les instruments, qui passe par une meilleure articulation entre la Commission et le Conseil. Au-delà, nous espérons que de nouveaux partenariats pourront être mis en place, par exemple avec des institutions comme l'OTAN, l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, l'Union africaine ou l'ONU.
Concernant les suites données à la réflexion portée par Mme Mogherini, la rédaction d'un Livre blanc sur les questions de défense a été évoquée, mais dans tous les cas elle n'interviendrait que plus tard dans l'année. Une telle étude devrait être demandée par le Conseil, et nous n'y sommes pas du tout opposés.
S'agissant de l'appel aux partenaires formulé sur le fondement de l'article 42-7 du Traité sur l'Union européenne par le président Hollande à la suite des attaques de novembre dernier, nous avons répondu positivement et avons renforcé notre coopération logistique au Mali et notre présence au nord du Nigeria, comme je viens de l'exposer. Même si nous aurions aimé déployer plus de forces au Mali aux côtés de nos amis français, nous pensons qu'il convient d'attendre le prochain Sommet de l'OTAN à Varsovie en juillet afin de déterminer s'il existe d'autres besoins. Pour le moment, notre soutien se borne à un soutien en matière de logistique et d'entraînement.
Je vous invite à approfondir la question, ce n'est pas si léger. Même si je comprends que vous auriez aimé davantage de soutien direct. Par ailleurs, il nous faut également respecter les souhaits de nos partenaires : les autorités nigérianes sont satisfaites de la mise en place d'un programme de coopération en matière de formation des personnels, mais regarderaient d'un autre oeil un déploiement militaire sur leur sol.
Les questions relatives à l'équipement militaire sont d'importance. Nous n'avons pas d'inquiétude sur l'A400M même si nous aurions aimé que le projet avance plus rapidement. Toutefois, il constitue un élément important du dispositif futur. Je ne partage pas votre appréciation s'agissant des missiles : la coopération entre nos deux pays est exemplaire. Nos deux pays considèrent les secteurs stratégiques des missiles et des systèmes complexes comme essentiels. Nous avons renforcé notre coopération tant dans l'analyse des projets que sur les financements. Toutefois, cela n'implique pas que nous fassions systématiquement les mêmes choix. Mais, j'insiste, la coopération au sein de l'entreprise MBDA est exemplaire.
J'en viens à présent à la Russie, que vous n'avez pas nommée. Depuis quelques mois, je suis très frappé par le fait que nos analyses stratégiques sont très alignées, surtout au sujet du Moyen-Orient et de l'Afrique. Il se peut que nous ne fassions pas exactement la même analyse concernant la Russie. La position de notre Gouvernement, que je ne vous cache pas, est la suivante : nous pensons que la Russie est devenue plus agressive, plus autoritaire et plus nationaliste. Elle se montre de plus en plus opposée à l'Ouest. L'annexion illégale de la Crimée...
… et son soutien continu aux séparatistes en Ukraine orientale, témoignent de la volonté de la Russie de saper la loi internationale afin de garantir ses intérêts apparents. Vous pouvez ne pas être d'accord mais nous pensons qu'il sera de plus en plus compliqué à l'avenir de prédire l'attitude de la Russie. C'est une question qui ne doit pas être occultée des débats entre alliés et partenaires.
Monsieur l'ambassadeur, je me permets de revenir sur l'une de mes questions initiales : pourriez-vous nous faire part de votre sentiment quant à l'éventualité que les pays européens constituent un pilier autonome au sein de l'OTAN. Mon propos rejoint d'ailleurs ce que vous venez de dire sur la Russie : en raison d'un voisinage que nous pourrions qualifier de difficile, nous pourrions être amenés à montrer nos muscles, ou du moins à faire preuve de cohérence.
Le renforcement de la coopération entre l'Union européenne et l'OTAN, y compris dans les opérations, est tout à fait envisageable. Si nous pouvons nous réjouir de l'existence d'une opération de l'OTAN en mer Égée et d'une opération de l'Union européenne au large de la Libye, nous pourrions aller plus loin dans le rapprochement. Concrètement, il convient d'approfondir cette coopération afin de mieux répondre au trafic d'armes réalisé au profit de Daech et à la crise migratoire.
Enfin, pour les questions moins immédiates relatives à la politique de défense à long terme, me permettrez-vous de revenir après le 23 juin pour vous répondre plus en détail ? (Sourires). De multiples coopérations concrètes peuvent être imaginées mais elles dépendent de politiques qu'il reste à définir.
Le Royaume-Uni s'est engagé dans deux conflits importants, l'Afghanistan et l'Irak. Combien cela vous a-t-il coûté en vies et en crédits d'équipement et de personnel ? Ensuite, que pensez-vous de la volonté de la France de développer une politique de sécurité européenne indépendante ? Troisièmement, plusieurs pays renforcent leur potentiel nucléaire. Selon vous, est-ce vraiment nécessaire ? À ce jour, nous n'avons pas réglé de conflits avec le nucléaire.
Excellence, quel bilan critique, au bon sens du terme, faites-vous de la suite des accords de Lancaster House et des deux traités qui ont été signés, l'un sur le volet nucléaire, l'autre sur le volet coopération en matière de défense et de sécurité ? Comment analyse-t-on du côté britannique ce qui a pu se faire et ce qui n'a pas pu se faire ? Enfin, pensez-vous que les événements du 23 juin prochain peuvent avoir une influence sur la suite de Lancaster House puisque c'était bien un accord bilatéral mais qui était sous-tendu par l'idée d'appartenance à une même collectivité, qui est l'Europe ?
Merci Monsieur l'ambassadeur de nous avoir fait cette présentation. J'ai été très sensible en particulier aux encouragements que vous avez prodigués pour que la France baisse son déficit et retrouve ainsi des marges de manoeuvre. Vous avez aussi fait référence à l'effort que nous faisons dans la bande sahélo-saharienne. J'aimerais revenir sur l'aide que vous y apportez. Vous êtes limité à quelques éléments de logistique, relevant essentiellement du transport, parfois du transport de troupes et de matériels. C'est ce que Monsieur le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, m'a répondu il y a quelques jours quand je l'ai questionné sur le sujet. Estimez-vous que ce soit vraiment suffisant ? Nous dépensons par année 1,2 milliard d'euros en opérations extérieures. Pouvez-vous nous dire combien votre pays dépense en matière d'opérations extérieures ? Alors que vous avez dit vous-même que vous engagez, au travers de votre revue, un effort particulièrement important de 44 milliards d'euros par an, avec une perspective sous une forme de programmation qui est extrêmement importante puisque c'est plus de 200 milliards d'euros d'investissement en armements. Où en êtes-vous donc de votre capacité à projeter vos troupes ? Quels sont les moyens financiers que vous y consacrez ? J'entends bien notre capacité à réduire notre déficit mais, vous le voyez, ces dépenses en opérations extérieures pèsent sur le déficit, que ce soit quand la gauche est au gouvernement ou que ce soit quand la droite y est. Nous y consacrons donc beaucoup de moyens, matériels et humains. J'entends bien une forme d'attentisme de votre part, afin de voir ce que fera l'OTAN dans quelques mois. Nous estimons que nous avons besoin de cette coopération militaire européenne qui se limite au minimum malheureusement, après les déclarations du président de la République à la suite des attentats du 13 novembre. J'aimerais donc bien avoir votre sentiment sur ce décalage entre l'article 42-7 du traité et la réalité du terrain. Pour nous en tout cas, ce sont 3 500 hommes en permanence sur la bande sahélo-saharienne, avec un coût en matériel et en usure de ce dernier qui est extrêmement important et encore une fois, j'entends bien que vous faites de votre côté beaucoup d'efforts et beaucoup d'investissements, tant en matériel qu'en hommes.
Ma deuxième question porte sur le besoin de renforcer la coopération entre nos deux pays. Nous avons eu un certain nombre, si ce n'est d'échecs, en tout cas de résultats assez mitigés, notamment en ce qui concerne la coopération en matière de porte-avions, votre porte-aéronef, avec un système qui n'est pas un système de catapultage alors que nous le préconisons sur notre porte-avions et peut-être sur le futur porte-avion. Je reconnais qu'au niveau industriel, et je suis assez d'accord avec vous sur MBDA, on peut avoir deux politiques assez différentes d'un pays à un autre mais finalement la société marche particulièrement bien. Mais au-delà de cela, quelles pistes préconisez-vous ? Vous avez parlé d'un rapprochement des industriels. Est-ce un rapprochement par projet ou est-ce une fusion des entreprises ? Nous avons un exemple entre la France et l'Allemagne qui concerne le matériel militaire terrestre entre KMW et Nexter. Nous avons une première phase de rapprochement. Mais est-ce dans ce sens que vous entendez le rapprochement ? Est-ce une concentration industrielle ? À ce titre, je reprends les propos de mon collègue Nicolas Dhuicq : il faudra clarifier la position des pays qui participent à ce rapprochement quant aux politiques et en particulier la politique européenne en matière de défense. Et lorsque l'on constate sur la partie dissuasion le tropisme naturel que vous avez à l'égard des États-Unis, il est légitime de se poser des questions sur la volonté réelle de rapprochement industriel.
Certes, il faut travailler ensemble mais cela nous coûte cher. Les porte-avions nous ont coûté 250 millions d'euros. Nous avons essayé de travailler avec vous sur l'aviation embarquée. Vous avez fait le choix du F35. Votre tropisme américain n'y est pas étranger. En matière de dissuasion nucléaire, nous ne pouvons pas non plus travailler avec vous compte tenu du fait que vous êtes très largement en phase avec les Américains là-dessus. Bref, dans beaucoup de domaines, nous sommes incapables de faire un chemin en commun. Comme vous allez faire 178 milliards de livres de dépenses d'équipements en matière de défense dans les dix prochaines années, c'est-à-dire 236 milliards d'euros, tel que l'annonce votre Livre blanc, l'important est de savoir dans quels domaines cela peut se faire. D'autant plus que le pivot américain vers l'Asie est une donnée qui va continuer : quel que soit le futur président des États-Unis, ceux-ci continueront à regarder plus vers l'Asie que vers la vieille Europe. Par conséquent, le Royaume-Uni sera bien obligé de travailler avec la France, l'Allemagne, la Pologne, l'Italie, l'Espagne etc. donc de retrouver un pilier européen de l'OTAN. Dans quels domaines peut-on envisager de travailler ensemble efficacement dans les années qui viennent en matière d'équipements militaires ?
Vous avez évoqué le déploiement de bâtiments de l'Union européenne au large de la Libye, c'est-à-dire près des îles italiennes, notamment Lampedusa. L'opération Mare Nostrum qui avait été mise en place par l'Italie seule a été reprise par l'Union européenne, comme vous l'avez signalé. Mais on peut quand même se poser des questions, et notamment sur l'efficacité de ce qui a été mis en place après les Italiens puisque l'opération Mare Nostrum a coûté 10 millions d'euros par an à l'Italie et aujourd'hui l'Union européenne n'engage qu'un budget de trois millions d'euros. Par conséquent, a-t-on cherché l'efficacité ou a-t-on voulu remplacer l'Italie simplement pour se donner bonne conscience ?
Je suis ravi de commencer un débat avec vous qui va durer car je ne sais pas si je serai en mesure de vous satisfaire pleinement aujourd'hui en ce qui concerne les décisions de mon Gouvernement qui, sur quelques-unes de ces questions, vont évoluer dans les mois voire les années à venir. La défense est clairement l'un des piliers les plus importants de notre coopération bilatérale.
En ce qui concerne Lancaster House, cela fait un peu plus de cinq ans que cet accord a été conclu. C'est un travail toujours en cours. Il y a des réussites évidentes et des points plus difficiles. La coopération dans le domaine du nucléaire est centrale et est une réussite. Elle se développe et se renforce au plus haut niveau. Parmi ce que vous qualifiez d' « échecs », que je préfère qualifier de « demi-réussites », il y a la question du développement des avions. Nous vivons dans un monde où chacun a son avion de combat et chacun essaie de le vendre partout dans le monde. Nous avons aussi la question des porte-avions. Cela étant, nous avons réussi à ce qu'entre nos deux pays nous aurons toujours des porte-avions disponibles pour les opérations. Il y a aussi les succès, notamment la coopération dans le domaine des missiles et des systèmes complexes, où nous avons pu établir une entreprise conjointe qui fonctionne.
Lorsque je parle de rapprochement, c'est plutôt projet par projet pour le moment mais on a la preuve que ça peut aller plus loin. Nous avons aussi des projets pour l'avenir : le sommet bilatéral il y a deux mois à Amiens a lancé d'une part la prochaine étape dans le développement de notre force expéditionnaire conjointe, qui lie nos deux pays plus que n'importe quel autre en Europe ; d'autre part un projet pour développer ensemble un avion sans pilote. Nous avons décidé d'investir deux milliards d'euros dans les dix prochaines années dans ce projet, un milliard chacun.
En étant optimiste, je soulignerais davantage les succès que nous avons réalisés ou que nous sommes en train de bâtir que les échecs.
S'agissant de notre coopération opérationnelle, par exemple en Libye, le Royaume-Uni soutient tout à fait son développement : il faut agir davantage, ce qui suppose davantage de moyens. C'est bien dans cet ordre que nous envisageons les choses : nous sommes là pour agir, et la question des moyens dépend avant tout des actions que nous décidons de mener.
Pour ce qui est du coût humain et financier des opérations passées, notamment en Afghanistan et en Irak, je pourrai vous transmettre des informations très précises par la suite. Mais je peux d'ores et déjà vous indiquer que ce coût est très élevé, et que les forces britanniques ont perdu plus de 500 hommes : oui, c'est un lourd bilan.
Vous vous interrogez également sur le point de savoir si le Royaume-Uni appuie suffisamment les opérations françaises, au Sahel ou ailleurs : je comprends bien que les Français auraient apprécié que l'engagement britannique à leur côté soit plus intense, mais je dois souligner que cet engagement est loin d'être négligeable. Ainsi, le Royaume-Uni s'est engagé à participer à la troisième phase de la mission de formation de l'Union européenne au Mali, EUTM Mali (European Union Training Mission), ainsi qu'à la mission de formation de l'Union européenne en République centrafricaine, toutes deux lancées à l'initiative de la France. Nous travaillons étroitement avec la cellule de coordination et de liaison installée dans votre base de N'Djamena dans le cadre de la lutte contre Boko Haram, et l'un de nos C17 assure tous les mois des vols de transport logistique au profit de vos forces dans le Sahel, et nous sommes engagés dans le Nord du Nigéria.
J'ajouterai que notre politique d'aide bilatérale au développement, représentant 0,7 % de notre PIB, profite largement à ces pays, ainsi qu'à ceux du Moyen-Orient. Nous avons dépensé trois milliards d'euros pour la prise en charge des ressortissants syriens en Syrie et dans les pays voisins, et ce au titre de notre aide bilatérale, en plus de nos engagements dans le cadre des programmes européens. Bien entendu, il ne s'agit pas pour moi de me lancer dans une bataille de chiffres ; mais l'engagement du Royaume-Uni dans la gestion des crises passe aussi par un engagement politique et une politique d'aide au développement, et pas seulement par un engagement militaire.
Quant aux équipements, ce que vous décrivez comme l'alignement des Britanniques sur les États-Unis constitue-t-il une limite à la coopération franco-britannique ? Certes, dans certains domaines, le Royaume-Uni a choisi des équipements américains, mais mon Gouvernement estime que ces choix ne limitent en rien notre indépendance stratégique et nos perspectives de coopération bilatérale renforcée avec la France, y compris dans le domaine des équipements militaires.
Pour répondre à vos interrogations sur l'impact du référendum du 23 juin sur notre coopération de défense, je soulignerai à nouveau que notre coopération en la matière est un des piliers de la coopération bilatérale franco-britannique que le gouvernement britannique souhaite continuer d'approfondir. Si le Royaume-Uni choisit de rester membre de l'Union européenne, comme le Gouvernement le souhaite, notre ambition est de bâtir une coopération renforcée avec nos partenaires et amis européens. Certes, même dans le cas d'un maintien au sein de l'Union européenne, nous ne ferons pas partie de tous les « noyaux durs » de l'Union européenne, comme la zone euro ou l'espace Schengen au sens plein, mais nous avons la volonté de jouer un rôle pionnier dans d'autres domaines : le marché intérieur, le marché des services, le numérique, la recherche, le climat, l'énergie, le développement, les affaires étrangères et la défense. En matière de coopération de défense, ne confondons pas les questions pratiques et les questions plus politiques : nous verrons bien ce qui ressort des discussions politiques autour de l'idée de créer un quartier général européen ; à l'inverse, pour tous les sujets de coopération qui ont une portée pratique, le Royaume-Uni veut, aux côtés de la France, encourager les autres Européens à investir davantage dans la défense et à s'impliquer plus. C'est dans cette perspective que j'espère que le vote du 23 juin conduira le Royaume-Uni à rester membre de l'Union européenne, et que nous pourrons continuer à coopérer très étroitement avec la France, car nous sommes les deux pays de l'Union qui investissent le plus dans leur défense, qui emploient le plus leurs armées, et qui ont un rôle à jouer sur la scène internationale.
Nous aurons l'occasion de vous revoir pour poursuivre ces discussions. D'ailleurs, le 12 juillet prochain, se réunira le comité parlementaire de suivi des accords de Lancaster House, conjointement avec nos collègues britanniques et les sénateurs. Ces réunions biannuelles constituent toujours l'occasion de discussions franches, en toute amitié. De même, nous veillons toujours à ce que les Britanniques soient associés aux Universités d'été de la défense, auxquelles ils contribuent avec leur franchise et leur pragmatisme, que nous apprécions.
Information relative à la commission
La commission a désigné M. Jean-Jacques Candelier rapporteur de de la proposition de loi de M. Jean-Jacques Candelier relative à la réhabilitation collective des fusillés pour l'exemple de la guerre de 1914-1918 (n° 274).
La séance est levée à dix heures quarante-cinq.