Intervention de Stéphane Austry

Réunion du 18 mai 2016 à 10h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Stéphane Austry, président de l'Institut des avocats conseils fiscaux, IACF :

Monsieur le président, je vous remercie de cette introduction. Je pense que nous aurons l'occasion de revenir plus en détail par la suite sur le rôle des avocats fiscalistes et la notion d'optimisation fiscale.

L'IACF, dont je suis le président et que je représente aujourd'hui devant vous, est très honoré de l'occasion qui lui est donnée d'échanger avec les membres de la commission. L'IACF a été créé il y a plus de quatre-vingts ans et il représente la grande majorité des avocats fiscalistes, puisqu'il regroupe 1 500 avocats. Nous ne sommes pas un syndicat professionnel : nous n'avons pas pour objet de représenter la profession d'avocat fiscaliste, mais de contribuer à la réflexion et à l'élaboration de la règle fiscale, d'assurer la formation continue des avocats fiscalistes – qui est une obligation professionnelle – et de relayer auprès des pouvoirs publics les préoccupations des contribuables.

Nous ne faisons pas de politique fiscale, seulement de la technique fiscale. Nous ne prenons pas parti sur des questions telles que l'opportunité de la suppression ou du maintien de certains impôts, de leur niveau ou de leur taux. En revanche, nous pouvons aider les pouvoir publics à mettre en place une législation fiscale simple et accessible aux contribuables dans ses modalités techniques d'application ; mais aussi robuste dans sa qualité juridique, notamment en se conformant aux normes supérieures.

Notre mission vis-à-vis des contribuables n'est pas de les faire échapper à la loi fiscale, mais au contraire de les conseiller en vue de les aider à se conformer à une législation particulièrement complexe et mouvante.

Nous avons souhaité vous rencontrer pour évoquer avec vous des sujets d'actualité fiscale pour lesquels nous observons une sensibilité accrue des contribuables.

Le premier de ces sujets est l'acceptabilité de la loi fiscale, qui constitue bien entendu un élément essentiel du consentement à l'impôt. Nous observons que nos clients sont de plus en plus désorientés par l'instabilité de la norme fiscale, et surtout son imprévisibilité. Rappelons que chaque année, environ trois mille amendements fiscaux sont examinés par la direction de la législation fiscale, et 20 % des dispositions du code général des impôts sont modifiées. Depuis 2012, le volume du code général des impôts a augmenté de 8 %. Je parlais d'une matière complexe et mouvante, vous comprenez maintenant à quoi je faisais allusion !

Néanmoins, il est tout à fait naturel que dans une démocratie, le législateur soit conduit à faire évoluer la loi pour répondre aux orientations politiques qui ont été choisies par les électeurs. Personne ne peut donc être partisan d'une loi fiscale inamovible, cela n'aurait pas de sens.

Ce n'est donc pas la modification de la loi fiscale qui est source d'incompréhension pour les contribuables, mais son imprévisibilité. C'est le fait que les modifications de la loi fiscale viennent remettre en cause le régime fiscal de certaines opérations alors qu'il semblait acquis, ou changer le traitement fiscal de leur situation alors que celle-ci n'a pas évolué.

Pour illustrer mon propos, je m'appuierai sur l'exemple, que vous connaissez fort bien, de la suppression de la demi-part fiscale pour les personnes seules. Cette décision prise il y a quelques années a suscité une réaction très forte – et assez inattendue – de la part des contribuables. Cette mesure a été totalement incomprise des contribuables parce que leur situation n'a pas évolué et qu'ils ont vu leur charge fiscale augmenter très sensiblement.

Comment aurait-il été possible d'adopter cette mesure sans susciter ce mouvement d'incompréhension ? Il est vrai que cette disposition attribuant une demi-part de quotient familial aux personnes qui ont élevé des enfants n'avait pas beaucoup de sens ; l'objectif du quotient familial est de prendre en compte les charges de famille et il s'agit ici d'un avantage fiscal accordé à des gens ayant déjà élevé des enfants et ne supportant pas de charges de famille. Sur le principe, la suppression de ce mécanisme n'était pas contestable, mais ce sont les modalités de cette suppression qui n'ont pas été comprises par le contribuable, parce qu'elle a totalement modifié l'impôt auquel ils étaient assujettis alors que leur situation n'avait pas évolué.

Comment aurait-il été possible d'éviter cette difficulté ? Tout simplement en prévoyant des mesures de transition adaptées à la modification de cette règle fiscale. Une technique de modification de la loi dans le temps aurait été parfaitement adaptée à cette situation : la clause de grand-père, empruntée à la législation anglo-saxonne. Son application entraînerait le maintien de l'avantage pour les personnes qui en bénéficient déjà, et sa suppression pour l'avenir, pour les personnes qui deviennent seules à partir d'une certaine date.

Je ne pense pas que cela constitue une rupture de l'égalité entre les contribuables. C'est d'ailleurs ce qui a été prévu cinq ans plus tard par le législateur pour les exonérations de taxe d'habitation, et le Conseil constitutionnel n'a rien trouvé à redire à cette modalité d'application de la loi dans le temps.

De manière plus générale, nous pensons souhaitable que le législateur soit plus attentif aux mesures de transition lorsqu'il modifie la loi fiscale. Chez nos principaux voisins, dans les pays de développement comparable à la France, la loi fiscale est également très souvent modifiée, mais le sentiment d'instabilité y est pourtant moins fort. Contrairement à ce qui se passe en France, les questions d'application dans le temps des modifications de la loi fiscale y sont bien davantage prises en considération. Prêter une plus grande attention aux questions d'application de la loi fiscale dans le temps et prévoir des mesures de transition contribuerait à rendre la loi fiscale plus acceptable par les citoyens.

Deuxième sujet que nous souhaitions aborder : l'importance croissante des questions de conformité aux normes supérieures – Constitution, droit de l'Union européenne – en matière fiscale. Nous savons qu'il s'agit d'un réel sujet de préoccupation pour la commission des finances, puisque vous avez récemment auditionné sur cette question M. Bruno Parent, directeur général des finances publiques, et nous sommes bien entendu très bien placés pour apprécier l'importance croissante de cette problématique.

La loi est de plus en plus souvent contestée par les contribuables et il est de plus en plus fréquent que les juridictions écartent l'application de la loi quand elles considèrent que celle-ci est contraire à une norme supérieure. Ce contentieux est d'une nature différente du contentieux fiscal classique, car les décisions rendues ont des incidences budgétaires bien supérieures. Il s'agit à chaque fois de décisions de principe touchant de nombreux contribuables. Même si les sommes en jeu pour chaque contribuable sont relativement limitées, rapportées au nombre de contribuables concernés, on aboutit à des valeurs extrêmement importantes sur le plan budgétaire.

Ces dernières années nous ont fourni plusieurs exemples de telles affaires. Ainsi le contentieux OPCVM s'est conclu en mai 2012 par l'arrêt Santander de la Cour de justice de l'Union européenne, qui crée une charge de plusieurs milliards d'euros pour l'État. Cette charge produit encore ses effets : la direction générale des finances publiques (DGFiP) continue à restituer les impositions perçues sur les OPCVM en contradiction avec le droit de l'Union européenne. Plus récemment, l'arrêt de Ruyter de la Cour de justice concerne les non-résidents assujettis à des prélèvements sociaux au titre de la réalisation de leurs revenus immobiliers. C'est un contentieux nouveau qui va entraîner une charge fiscale assez lourde pour l'État.

Il faut également anticiper les effets de la contestation de la contribution de 3 % sur les dividendes, votée en août 2012 pour répondre à l'enjeu budgétaire lié au contentieux OPCVM. Une action en manquement a été engagée par la Commission européenne contre la France, et des questions prioritaires de constitutionnalité sur ce sujet sont actuellement soumises au Conseil d'État, qui va donc être amené à se prononcer dans les semaines qui viennent.

Toutes ces affaires conduisent à des situations extrêmement lourdes sur le plan budgétaire pour l'État, d'autant plus qu'à la restitution de l'impôt prélevé à tort vont s'ajouter des intérêts moratoires dont le taux est aujourd'hui très élevé. Quand l'administration lisse dans le temps la restitution des impôts en question, il faut avoir conscience qu'elle acquitte aux contribuables des intérêts de 4,8 % par an. C'est absurde lorsque l'on connaît le taux auquel l'État s'endette aujourd'hui.

Il faut donc tout faire pour garantir en amont la robustesse de la loi par rapport aux normes supérieures. Bien sûr, le contrôle du Conseil d'État sur les projets de loi constitue une garantie, mais les projets de loi évoluent souvent qu'il les a examinés. La contribution de 3 % est un bon exemple, puisque sa rédaction a été totalement modifiée entre son examen par le Conseil d'État et la version finalement votée par le Parlement. Les textes peuvent aussi être introduits par voie d'amendement. Ce fut le cas de la mesure supprimant le bénéfice mondial consolidé, votée en septembre 2011 mais jugée contraire aux exigences de la Convention européenne des droits de l'homme du fait de l'absence de mesures de transition.

Nous savons que le Parlement ne dispose pas toujours du temps ni des moyens pour mener une expertise juridique approfondie au moment du débat. Mais nous avons cette expertise, et nous sommes bien entendu parfaitement disposés à la mettre au service de la représentation nationale pour vous aider à garantir la qualité de la norme fiscale.

Troisième sujet : les relations entre l'administration fiscale et les contribuables. Nous jouons un rôle d'une importance majeure dans ces relations. Même si nous défendons nos clients, notamment lorsqu'ils font l'objet d'un contrôle fiscal, nous ne sommes pas qu'un adversaire pour l'administration, mais aussi un médiateur et bien souvent un partenaire. C'est ce que j'ai expliqué l'été dernier aux élèves de l'École nationale des finances publiques, à l'invitation du chef du service de contrôle fiscal de la DGFiP. Mon discours et celui de l'administration étaient parfaitement convergents sur ce point. Cette position est le fruit de notre indépendance, qui nous permet de dire à nos clients quand l'administration a raison ou quand il existe des arguments pour la contredire. C'est ce que l'administration apprécie dans notre intervention : nous allons jouer un rôle de médiateur et intervenir auprès des contribuables pour leur indiquer dans quelles hypothèses ils n'ont pas intérêt à engager un contentieux long et coûteux alors qu'il y a toutes les raisons de penser que l'administration a raison sur ce point.

Le rôle que nous avons joué dans les régularisations de comptes étrangers non déclarés illustre clairement cette fonction de médiation. Marc Bornhauser a été la cheville ouvrière de notre collaboration avec l'administration sur ce point et il pourra y revenir, je me contenterai de vous donner quelques indications. M. Bernard Cazeneuve avait publié une circulaire fixant les conditions de régularisation de la situation des contribuables qui disposaient de comptes étrangers non déclarés. Un service particulier a été mis en place pour traiter de ces régularisations, le service de traitement des déclarations rectificatives (STDR). L'IACF a organisé des conférences en concertation avec le STDR, qui a pu y présenter la procédure de régularisation et les mécanismes qu'il allait mettre en place. Nous avons échangé en amont de ces conférences sur ces différents points, et cette concertation a permis de préciser certaines modalités techniques de la régularisation. Cette concertation avec le STDR nous a permis d'aider les contribuables à constituer les dossiers qui allaient être soumis aux services en question et jouer notre rôle de conseil pour les aider à régulariser leur situation.

De par ce rôle unique que nous jouons dans les relations entre les contribuables et l'administration, nous sommes un peu préoccupés des évolutions récentes de ce dialogue, qui nous semble perdre en qualité en certaines circonstances. Nous éprouvons donc parfois plus de difficultés à jouer ce rôle d'apaisement – auquel nous sommes très attachés – dans une relation parfois trop conflictuelle. Nous le regrettons, et nous pensons nécessaire d'appeler votre attention sur cette évolution.

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